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Date : 20130423

Dossier : IMM‑5087‑12

Référence : 2013 CF 414

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 23 avril 2013

En présence de madame la juge Simpson

 

ENTRE :

 

MIHALY BALI, BEATRIX BALINE KANALAS, MIHALY BALI, ISTVAN BALI, et PETER BALI, représenté par son tuteur à l’instance, MIHALY BALI

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La demanderesse, Beatrix Baline Kanalas [la demanderesse principale], son époux, Mihaly Bali, et leurs enfants, Peter, Mihaly fils et Istvan [collectivement les demandeurs], sollicitent, conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], le contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la Commission], en date du 30 avril 2012, par laquelle la Commission a conclu que les demandeurs n’ont pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger [la décision].

 

[2]               Pour les motifs exposés ci‑dessous, la demande sera accueillie.

 

Contexte

[3]               Les demandeurs sont des citoyens de la Hongrie qui affirment être persécutés dans ce pays en raison de l’origine ethnique rom de la demanderesse principale. Plus précisément, ils affirment que leurs vies ont été menacées par les membres de la Garde hongroise, une organisation d’extrême droite qui cible notoirement les communautés roms en Hongrie. La demanderesse principale a déclaré que certains parmi ses parents et amis avaient été victimes d’incidents violents auparavant, mais que la menace qui pesait sur les demandeurs s’était significativement accrue en 2009. À l’été de cette année‑là, la demanderesse principale et son époux ont reçu des appels téléphoniques de menaces, et leur fils aîné a été battu et menacé par des membres de la Garde hongroise. Ensuite, des membres de la division du village de la Garde hongroise, portant l’uniforme, sont entrés dans le domicile de la demanderesse principale et l’ont agressée, ainsi que son fils aîné. Les demandeurs n’ont pas signalé ces incidents à la police. Les demandeurs adultes ont expliqué à l’audience que des rencontres préalables avec la police les avaient amenés à croire qu’elle ne ferait rien pour les protéger parce qu’ils sont roms. Ils ont aussi expliqué que leurs assaillants les avaient avertis qu’il y aurait des représailles s’ils rapportaient les incidents aux autorités.

 

[4]               Outre la violence subie par la famille, la preuve soumise à la Commission faisait également état de la discrimination exercée contre la demanderesse principale du fait de son origine ethnique, notamment de la ségrégation et des mauvais traitements subis à l’école, des difficultés à se trouver un travail et des manifestations d’intolérance des voisins hongrois et d’autres membres de sa collectivité. La demanderesse a affirmé lors de son témoignage que ses enfants avaient eux aussi fait l’objet de ségrégation et de mauvais traitements à l’école et au sein de la collectivité.

 

Décision

[5]               La Commission a rejeté la demande d’asile des demandeurs au motif qu’ils avaient la possibilité d’obtenir la protection de l’État. La Commission a conclu que la demanderesse principale n’avait pas pris toutes les mesures raisonnables pour se prévaloir de la protection de l’État qui, selon la Commission, lui serait probablement assurée en Hongrie. Cette conclusion au sujet de la possibilité de se prévaloir de la protection de l’État découlait d’un examen approfondi des institutions de l’État s’occupant des questions de discrimination et de sécurité publique. La Commission s’est penchée sur le problème de la discrimination à l’endroit des Roms récemment observé dans le pays, notamment sur la montée des organisations d’extrême droite et anti‑Roms, puis elle a décrit la réponse du gouvernement et de la police. L’analyse a également fait état des voies de recours s’offrant aux personnes victimes de la corruption et de l’inconduite de la police.

 

[6]               La Commission a admis que malgré les efforts substantiels déployés par le gouvernement de la Hongrie pour améliorer le statut socioéconomique des Roms, la discrimination contre cette communauté est encore importante et répandue dans les domaines de l’éducation, de l’emploi, du logement, des services sociaux et des soins de santé. La Commission a néanmoins conclu qu’elle ne disposait d’aucun élément de preuve convaincant pour établir que la discrimination à laquelle sont exposés les Roms, ni séparément ni cumulativement, atteint le « niveau de préjudice grave équivalant à de la persécution ou au risque d’être soumis à la torture, à une menace à la vie, ou au risque de traitements ou de peines cruels et inusités ». La Commission a également affirmé que la documentation objective concernant la situation au pays ne permettait pas de conclure que les membres de la collectivité rom sont exposés à des actes répandus et systématiques de violence racistes partout au pays.

 

Questions

[7]               Les demandeurs affirment que l’analyse des « effets cumulatifs » est l’erreur la plus flagrante de la décision. Cette analyse, qui porte sur les effets cumulatifs des actes de discrimination allégués par les demandeurs, est viciée selon eux, car elle ne permet pas de déterminer si la discrimination visant ces demandeurs constitue de la persécution, pour des raisons individuelles ou cumulatives. La Commission aurait plutôt examiné la question de la discrimination à une échelle globale, et sa conclusion aurait porté sur l’ensemble de la population rom de la Hongrie. Les demandeurs soutiennent qu’il s’agit d’une erreur de droit. Le défendeur réfute cette allégation et soutient que la Commission a effectué son analyse des effets cumulatifs relativement aux demandeurs. Le défendeur fait également valoir qu’il n’est pas pertinent d’établir si la Commission a erré ou non dans son analyse des effets cumulatifs, puisque la question déterminante en l’espèce est celle de la protection de l’État.  

 

[8]               Or, les demandeurs contestent également l’analyse de la protection de l’État effectuée par la Commission. D’après eux, puisque la Commission n’a pas analysé les actes de discrimination dont les demandeurs ont été la cible, elle ne s’est pas penchée sur la possibilité d’obtenir la protection de l’État pour des personnes ayant été victimes des formes de discrimination qu’ils ont subies. Ils avancent en outre que la preuve dont la Commission disposait établit que les efforts déployés par le gouvernement hongrois pour résoudre les problèmes du peuple rom n’ont pas porté fruit. Enfin, les demandeurs déclarent que leurs tentatives pour obtenir la protection de l’État ont été vaines. Ils affirment qu’il était déraisonnable de la part de la Commission de s’attendre à ce qu’ils aient porté plainte auprès de la police dans le but qu’il puisse peut‑être être reconnu un jour que la police a manqué à ses devoirs. Les demandeurs estiment qu’une telle exigence est déraisonnable et qu’elle excède de loin le fardeau imposé aux demandeurs d’asile par la Cour suprême du Canada dans Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689 (CSC).

 

[9]               Le défendeur soutient qu’il est bien établi qu’il incombe aux demandeurs d’asile de faire les démarches nécessaires auprès de l’État pour obtenir sa protection lorsque cette protection peut être accordée, plus particulièrement dans un État démocratique comme la Hongrie. La Commission aurait fourni une analyse très détaillée et bien étayée des éléments de preuve fournis par les demandeurs sur la protection de l’État précisément et de la documentation objective sur la situation au pays. L’avocat du défendeur a examiné les divers mécanismes de l’État que la Commission a présentés comme des voies de recours pour les personnes victimes de discrimination ou d’abus de pouvoir des autorités policières. Il a également affirmé que le fait que la police locale n’a pas accordé la protection de l’État ne suffit pas à établir l’insuffisance de la protection de l’État dans l’ensemble du pays. Ainsi, la Commission pouvait raisonnablement conclure que les demandeurs n’ont pas fait d’efforts diligents pour solliciter la protection de l’État.

 

Analyse

[10]           J’accepte l’argument selon lequel l’analyse des effets cumulatifs effectuée par la Commission ne s’applique pas à la situation des demandeurs. Bien que la Commission semble avoir jugé crédible la preuve concernant les actes de discrimination visant les demandeurs, elle n’a pas examiné leurs effets cumulatifs. Dans Bledy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 210, le juge Scott a passé en revue la jurisprudence pertinente et confirmé que la Commission doit effectuer une analyse de l’effet cumulatif des incidents discriminatoires vécus par les demandeurs et expliquer pourquoi ces incidents, considérés ensemble, n’équivalent pas à de la persécution. En l’espèce, la Commission s’est concentrée sur la violence subie par les demandeurs et a manifestement traité ces incidents comme de la persécution, mais elle a erré en tirant une conclusion sur l’effet cumulatif qui se rapportait à la population rom en général.

 

[11]           La Commission a également commis une erreur fondamentale sur la question de la protection de l’État. La disponibilité de la protection de l’État doit être examinée à la lumière des circonstances personnelles d’un demandeur ou du contexte factuel particulier de sa demande d’asile (Flores c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 503; Torres c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 234). En l’espèce, la Commission s’est fondée sur des documents relatifs à la situation dans le reste du pays et a conclu que la demanderesse principale pouvait obtenir la protection de l’État, sans égard au fait qu’elle habite dans un petit village abritant un groupe de membres de la Garde hongroise portant l’uniforme et semblant agir en toute impunité.

 

[12]           D’après la preuve documentaire présentée à la Commission, les résidences situées en périphérie des zones habitées et dans les petites villes et villages, comme celui où les demandeurs habitent, sont la cible des skinheads et de groupes tels que la Garde hongroise. Des organisations comme le Centre européen des droits des Roms, Amnistie Internationale et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe ont fait état de violentes attaques contre les Roms en Hongrie de 2008 à 2011, et d’après leurs rapports, bon nombre de ces actes ont été perpétrés contre des familles roms au domicile même de celles‑ci, dans leurs petites communautés. Ces éléments de preuve concernaient directement la situation des demandeurs en Hongrie. Au vu de cette preuve documentaire, il y aurait lieu de penser que l’État omet systématiquement d’assurer une protection adéquate au peuple rom des villages ou des petites communautés en Hongrie. Or, comme la Commission ne s’est pas concentrée sur la situation particulière des demandeurs, elle n’a pas relevé la pertinence de ces documents d’information sur la situation au pays, ce qui était déraisonnable.

 

[13]           Aucune question à certifier n’a été proposée conformément à l’alinéa 74d) de la Loi.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la décision soit annulée et que l’affaire soit renvoyée à un tribunal de la Commission différemment constitué pour qu’il rende une nouvelle décision.

 

 

« Sandra J. Simpson »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Myra‑Belle Béala De Guise

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑5087‑12

 

INTITULÉ :                                                  MIHALY BALI, BEATRIX BALINE KANALAS, MIHALY BALI, ISTVAN BALI, et PETER BALI, représenté par son tuteur à l’instance, MIHALY BALI c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 28 février 2013

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                  LA JUGE SIMPSON

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 23 avril 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Ronald Poulton

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Tamrat Gebeyehu

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Poulton Law Office

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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