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Date : 20130423

Dossier : IMM-4181-12

Référence : 2013 CF 416

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 avril 2013

En présence de madame la juge Simpson

 

ENTRE :

 

EDITH GONZALEZ GARCIA

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Edith Gonzalez Garcia (la demanderesse) sollicite, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), le contrôle judiciaire de la décision datée du 4 avril 2012, par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu qu’elle n’était ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger.

[2]               La demande sera rejetée pour les motifs qui suivent.

 

Les faits

[3]               Les allégations de la demanderesse découlent d’une relation marquée par la violence et d’une dispute subséquente au sujet de la garde d’un enfant. Elle est citoyenne du Mexique et elle craint d’être persécutée par un homme nommé Martin, qui a été son conjoint pendant dix ans et qui est le père de son premier enfant.

 

[4]               Au cours de sa vie commune avec Martin, la demanderesse avait été victime de violence familiale pendant une longue période, notamment de viols à répétition, d’agressions physiques occasionnant des fractures et d’isolement social; de plus, Martin l’avait menacé d’embaucher un tueur à gages pour la tuer. La preuve indiquait que la demanderesse avait tenté à de multiples occasions de quitter Martin avec Leonardo, leur fils. Cependant, il les retrouvait toujours. Chaque fois, il menaçait la demanderesse de lui enlever Leonardo, à moins qu’elle ne revienne à la maison. Martin avait continué de proférer ces menaces lorsque la demanderesse le quitta en 2008. Il l’avait retrouvée et il était passé prendre Leonardo à l’école, à l’insu de la demanderesse. La demanderesse n’avait pas eu d’autre choix que de retourner à Mexico, où résidait Martin. Cependant, à son retour, la demanderesse découvrit que Martin avait décidé d’obtenir la garde exclusive de leur fils. La demanderesse, qui n’était pas représentée par un avocat et qui n’était pas conseillée de quelque forme que ce soit, avait signé les documents relatifs à la garde, à la suite de l’intimidation et de la pression exercée par Martin.

 

[5]               Peu après, la demanderesse s’était renseignée auprès d’un avocat en vue de se battre pour la garde de Leonardo, mais elle avait rapidement réalisé qu’elle n’avait pas les ressources financières pour mener ce combat. Elle avait ensuite commencé à planifier de venir au Canada afin d’y travailler et d’y faire assez d’argent pour retourner au Mexique et retenir les services d’un avocat en vue de demander la garde de Leonardo. La demanderesse allègue aussi que, à peu près au même moment, des hommes au volant d’un VUS avaient tenté de procéder à son enlèvement (la tentative d’enlèvement). Elle prétend qu’elle avait décidé de quitter le Mexique sur‑le‑champ lorsqu’elle a réalisé que Martin avait embauché des hommes en vue de se débarrasser d’elle pour de bon.

 

[6]               La demanderesse était arrivée au Canada le 18 septembre 2008. Elle a donné naissance à son deuxième fils ici, le 25 juin 2010, et elle a présenté sa demande d’asile le 6 mai 2011.

 

La décision

[7]               La Commission ne croyait pas que la tentative d’enlèvement avait eu lieu, parce que la demanderesse a donné quatre versions différentes de cet incident et qu’elle était incapable d’expliquer les incohérences dans sa preuve.

 

[8]               La Commission était également troublée par le long délai qui s’était écoulé entre l’arrivée de la demanderesse au Canada et la présentation de sa demande d’asile. La Commission jugeait problématique le fait que la demanderesse ne s’était pas renseignée au sujet des moyens pour pouvoir rester légalement au Canada si elle craignait sincèrement que Martin la tue au Mexique. Selon la preuve, la demanderesse avait attendu longtemps après la naissance de son deuxième fils avant de commencer à s’informer au sujet des possibilités qui s’offraient à elle. La demanderesse a expliqué lors de l’audience qu’elle avait vécu une grossesse difficile et que cela l’avait empêché de faire preuve de diligence, mais la Commission a tenu compte du fait que la demanderesse avait attendu près de 11 mois après la naissance de son deuxième fils pour présenter sa demande d’asile. La Commission a conclu que ses explications pour justifier son retard n’étaient pas crédibles.

 

[9]               La Commission remettait aussi en question le bien-fondé de la crainte subjective de la demanderesse. La Commission ne croyait pas que Martin poserait, à ce stade‑ci, un danger pour elle au Mexique. La Commission a tiré cette conclusion parce qu’elle ne croyait pas que la demanderesse demanderait la garde de son fils et qu’en raison de cela, Martin ne serait donc pas une menace. Tout d’abord, la Commission a examiné le comportement de la demanderesse et elle a conclu que cette dernière avait signé « en connaissance de cause » des formulaires par lesquels elle cédait la garde de son fils et qu’elle avait, avant de quitter le Mexique, fourni « volontairement » à Martin les documents dont il avait besoin pour inscrire Leonardo à l’école. De plus, malgré qu’elle ait relaté dans son témoignage qu’elle était venue au Canada en planifiant d’embaucher plus tard un avocat en vue de se battre pour obtenir la garde de son fils, la Commission a constaté que la preuve n’indiquait pas qu’elle avait pris des mesures à cet égard.

 

Discussion

[10]           L’argument principal de la demanderesse est que, bien que la Commission ait mentionné qu’elle avait tenu compte des directives données par le président et intitulées Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe (les Directives), elle ne les avait pas réellement appliquées. La demanderesse soutient que les Directives obligent la Commission à être sensible aux questions liées au sexe afin de tirer des conclusions justifiables relativement à des incidents qui pourraient par ailleurs sembler manquer de crédibilité ou de vraisemblance. Selon la demanderesse, la Commission a commis une erreur en omettant de tenir compte de la violence dont elle avait été victime lorsqu’elle a tiré ses conclusions relatives à son comportement.

 

[11]           En revanche, le défendeur soutient que les Directives ne peuvent mettre la demanderesse à l’abri d’une vérification des éléments de preuve qu’elle a fournis et qu’elles ne justifient pas que sa preuve soit acceptée sans poser de questions. Le défendeur prétend qu’il était entièrement loisible à la Commission de vérifier la preuve de la demanderesse, de relever les incohérences et de tirer des conclusions à la lumière de ces incohérences (Correa Juarez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 890, au paragraphe 17 à 20; Karanja c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 574).

 

[12]           Malgré cette observation, je ne suis pas convaincue que la Commission a appliqué correctement les Directives lorsqu’elle s’est penchée sur la décision de la demanderesse de céder la garde de Leonardo. La Commission a reconnu que la demanderesse avait été victime de violence familiale pendant une longue période, mais elle n’a fait preuve d’aucune sensibilité à l’égard de ces incidents en mentionnant que la demanderesse avait agi « en connaissance de cause » et « volontairement » en ce qui a trait à la garde de son fils. Un autre exemple du défaut de la Commission d’appliquer véritablement les Directives ressort clairement au paragraphe 9 de la décision, alors que la Commission a conclu qu’« elle a[va]it signé ces documents après qu’il lui a[vait] été signalé que Martin avait la stabilité et les moyens financiers pour s’occuper de l’enfant, tandis qu’elle ne les avait pas ». Une telle caractérisation de la preuve donne à penser que les actions de la demanderesse découlaient d’un calcul rationnel plutôt que de la pression qu’elle ressentait de la part de celui qui l’agressait depuis longtemps. Je suis d’avis que la Commission n’a pas appliqué adéquatement les Directives à ces éléments de preuve et qu’elle n’a donc pas pleinement apprécié les circonstances de la demanderesse.

 

[13]           Cependant, la demande d’asile de la demanderesse ne dépendait pas de sa décision de céder la garde de Leonardo à Martin. Dans sa décision, la Commission faisait état de quatre faits s’étant avérés déterminants, lesquels n’avaient rien à voir avec son appréciation problématique des gestes que la demanderesse avait posés au Mexique. Je les décrirai un à un.

 

[14]           En premier lieu, la crédibilité de la demanderesse était contestée quant à un aspect de son témoignage, parce qu’elle a donné quatre versions différentes de la tentative d’enlèvement et qu’elle ne pouvait concilier les incohérences. Je reconnais que la Commission était raisonnablement en droit de s’attendre à une preuve cohérente en ce qui a trait à un incident aussi important.

 

[15]           Deuxièmement, la Commission a tenu compte du fait que la demanderesse avait attendu presque deux années et demie avant de présenter une demande d’asile au Canada. La Commission a pris connaissance des explications données par la demanderesse pour justifier ce long retard, y compris sa deuxième grossesse difficile, mais elle a conclu qu’elles n’étaient pas adéquates. Il existe des circonstances dans lesquelles le retard peut être tellement considérable que celui‑ci devient une question déterminante (Hernandez Espinosa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1324, au paragraphe 16. Lors de l’audience, la demanderesse a relaté qu’elle savait qu’elle serait renvoyée au Mexique si elle était arrêtée par les autorités canadiennes, mais elle n’avait tout de même pas pris de mesures pour rester au Canada. Je suis d’avis qu’il était tout à fait raisonnable de la part de la Commission de douter, en raison de ce long retard, de l’authenticité de la crainte qu’éprouvait la demanderesse à l’égard de son ancien conjoint.

 

[16]           Troisièmement, la Commission a tenu compte du fait que la demanderesse n’avait rien fait au Canada pour mettre en œuvre son plan consistant à épargner de l’argent et à embaucher un avocat au Mexique pour reprendre la garde de Leonardo.  

 

[17]           En dernier lieu, la Commission a mentionné que Martin avait permis à Leonardo de rester en contact avec la mère de la demanderesse au Mexique et qu’il n’avait pas tenté de communiquer avec la demanderesse en vue de la menacer ou de lui causer un préjudice depuis qu’elle avait quitté le Mexique.

 

[18]           La Commission a conclu, en se fondant sur ces faits, que la crainte de la demanderesse ne reposait sur aucun fondement digne de foi. Je suis d’avis que cette conclusion était raisonnable et qu’elle n’était pas viciée par le fait que la Commission ait omis d’appliquer les Directives. Il s’ensuit que la demande sera rejetée.

 

[19]           Aucune question à certifier aux termes de l’alinéa 74d) de la Loi n’a été proposée.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

            La demande de contrôle judiciaire de la décision est par les présentes rejetée.

 

« Sandra J. Simpson »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4181-12

 

INTITULÉ :                                      EDITH GONZALEZ GARCIA

                                                            c

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 12 mars 2013

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      La juge Simpson

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :           Le 23 avril 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Patricia Wells

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Me Nicole Padurau

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

SOLICITORS OF RECORD:

 

Patricia Wells

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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