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Date : 20130423

Dossier : IMM‑7619‑12

Référence : 2013 CF 415

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 avril 2013

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SIMPSON

 

ENTRE :

 

GABRIELA GONZALEZ VILLAGRANA

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

       MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La Cour est saisie, sous le régime du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], d’une demande de contrôle judiciaire de la décision en date du 30 juillet 2012 par laquelle un agent [l’agent] de l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] a rejeté la demande formée par la demanderesse de report de son renvoi du Canada, qui était prévu pour le 1er août 2012 [la décision contrôlée].

 

[2]               Pour les motifs dont l’exposé suit, la présente demande sera accueillie, et l’ordonnance prescrira que le renvoi de la demanderesse soit reporté jusqu’à la décision de sa demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire [la demande CH].

 

Les faits

[3]               La demanderesse est une femme de 25 ans qui s’est enfuie du Mexique, son pays de citoyenneté, en raison des craintes que lui inspirait son ex‑compagnon. Elle était enceinte à son arrivée au Canada et y a donné naissance à sa fille Paloma le 21 mars 2008. On a diagnostiqué chez Paloma à sa naissance une affection congénitale connue sous le nom de syndrome de Pierre Robin [SPR]. Le SPR est constitué d’anomalies bucco‑faciales – Paloma est née avec une fente palatine – qui entraînent des troubles du développement sous les rapports de l’élocution, de l’ouïe et de la respiration. En raison de cette affection, Paloma doit recevoir des traitements médicaux depuis sa naissance. Elle a subi une opération pour sa fente palatine en septembre 2009. En outre, elle suit un traitement orthophonique et a fait l’objet de nombreuses autres interventions nécessitées par les multiples problèmes qu’entraîne son SPR.

 

[4]               La demande d’asile de la demanderesse, fondée sur la violence familiale qu’elle avait subie au Mexique, a été rejetée en juin 2009 au motif de la protection de l’État. La demanderesse a ensuite formé deux demandes d’examen des risques avant renvoi [ERAR], qui ont aussi été rejetées. Cependant, on n’a pris en considération dans aucun de ces trois cas la situation de Paloma et, à ce jour, les autorités canadiennes de l’Immigration n’ont effectué aucun examen de son intérêt à long terme.

 

[5]               Les préparatifs du renvoi de la demanderesse ont été engagés après le rejet de sa première demande d’ERAR en mai 2010, mais on les a suspendus afin que Paloma puisse aller à des rendez‑vous médicaux.

 

[6]               Le renvoi de la demanderesse est redevenu une priorité après le rejet, prononcé en juin 2012, de sa deuxième demande d’ERAR. La demanderesse a alors prié les autorités de lui accorder plus de temps pour permettre à Paloma de subir une nasendoscopie (opération de chirurgie diagnostique), prévue pour octobre 2012. Une lettre en date du 14 juin 2012 signée par le Dr Zuker, médecin du Sick Children’s Hospital de Toronto, confirmait la programmation de cette opération et indiquait qu’on examinerait Paloma en août 2013 pour déterminer les autres interventions chirurgicales dont elle pourrait avoir besoin. Cette lettre expliquait aussi sans ambiguïté que l’état pathologique de Paloma était durable et qu’elle aurait besoin d’être suivie par une équipe interdisciplinaire tout au long de sa croissance. Néanmoins, la demanderesse a reçu le 17 juillet 2012 l’ordre de se présenter pour son renvoi le 1er août de la même année. Son avocate a présenté la demande de report du renvoi le lendemain.

 

[7]               La demande de report du renvoi reposait sur trois motifs. Les deux premiers, soit la nasendoscopie et la demande en instance tendant à obtenir le contrôle judiciaire de la décision d’ERAR défavorable, sont devenus sans objet lorsque, en octobre 2012, la demande d’autorisation de contrôle judiciaire de ladite décision d’ERAR a été rejetée et que Paloma a subi l’opération en question. Il reste cependant le troisième motif, à savoir une demande CH déposée le 15 juin 2012 et encore pendante, qui se fonde dans une grande mesure sur les besoins de santé à long terme de Paloma.

 

La demande CH

[8]               On considère en général la demande CH déposée par une personne prête pour le renvoi comme une demande intempestive motivée par la volonté de faire obstacle à cette mesure. La demande CH de la demanderesse semblerait de prime abord correspondre à cette idée. Cependant, les éléments d’appréciation produits devant l’agent et qu’il a examinés dans sa décision révélaient que la demanderesse avait entrepris des démarches pour présenter sa demande CH bien avant juin 2012, mais n’avait pu le faire en raison de la négligence de son ancien avocat. La preuve pertinente comprenait des reçus montrant que la demanderesse avait versé à son ancien avocat en juin 2010 des honoraires de 1 500 $ en vue de la présentation d’une demande de contrôle judiciaire de la première décision d’ERAR défavorable. Après avoir essayé en vain de joindre son avocat, la demanderesse n’avait appris qu’en septembre 2011 qu’il n’avait pas déposé sa demande. Les écrits échangés entre la demanderesse et son ancien avocat révèlent qu’ils ont convenu en septembre 2011 que les honoraires en contrepartie desquels la demanderesse n’avait reçu aucun service seraient portés en provision pour la préparation d’une demande CH et d’une autre demande d’ERAR. Cependant, l’avocat a encore une fois manqué à ses engagements : il n’a pas déposé de demande CH et n’a jamais rendu à la demanderesse la somme qu’elle avait versée, formée pour une part de ses propres économies et pour le reste de dons provenant d’un organisme confessionnel. Privée de cet argent, la demanderesse s’est trouvée incapable de payer le droit de dépôt de 500 $ qui doit accompagner une demande CH. L’avocate actuelle de la demanderesse a déposé une plainte officielle contre l’ancien avocat devant le Barreau du Haut‑Canada en mars 2012, mais l’affaire est encore à l’examen. Il paraît donc raisonnable de supposer que, n’eût été la négligence de l’avocat de la demanderesse, sa demande CH aurait été déposée en septembre 2011.

 

La décision contrôlée

[9]               L’agent reconnaît dans les motifs de son rejet de la demande de report que l’intérêt supérieur de Paloma n’a pas fait l’objet d’une appréciation complète, mais il fait observer – avec raison – que l’agent d’ERAR n’a pas compétence pour reporter un renvoi en raison d’un état pathologique de longue durée. Pour ce qui concerne la demande CH pendante, l’agent constate qu’elle n’a pas été présentée avant que la demanderesse n’ait été considérée comme prête pour le renvoi et que la loi ne prévoit pas que l’existence d’une demande CH pendante emporte sursis à une mesure de renvoi. Il récapitule les circonstances qui ont causé le dépôt tardif de la demande CH et exprime la sympathie que lui inspire la situation de la demanderesse, mais pour faire observer ensuite que les délais de traitement des demandes CH à Citoyenneté et Immigration Canada [CIC] varient de 30 à 42 mois. Il prend aussi en considération les avis de médecins agréés par CIC concernant la capacité de Paloma à prendre l’avion et la disponibilité de moyens de traitement du SPR au Mexique. Le premier avis médical porte que de tels moyens sont [TRADUCTION] « vraisemblablement disponibles » au Mexique, tandis que selon le second, les services médicaux que nécessitent les troubles de ventilation et de déglutition de Paloma sont [TRADUCTION] « inscrits comme disponibles au Mexique ».

 

Analyse

[10]           La présente espèce me paraît entrer tout à fait dans la catégorie des affaires aux « circonstances exceptionnelles ». Les avocats des deux parties s’entendent en effet pour reconnaître l’absence de tout précédent qui réunirait les caractéristiques suivantes :

         une enfant canadienne de cinq ans;

         la nécessité prouvée d’un traitement continu pendant sa croissance;

         une jeune mère seule prête pour le renvoi;

         une demande CH pendante;

         l’absence d’évaluation des besoins de l’enfant à long terme.

 

[11]           J’estimerais déraisonnable de renvoyer la mère seule d’une enfant canadienne à besoins spéciaux alors qu’une demande CH est pendante et que les besoins à long terme de l’enfant n’ont jamais été évalués. En conséquence, la décision contrôlée sera annulée et l’affaire sera renvoyée devant un agent compétent à qui il sera ordonné de reporter le renvoi de la demanderesse jusqu’à la décision de sa demande CH.

 

[12]           Je ferais remarquer avant de conclure qu’il sera loisible à CIC d’accélérer l’examen de la demande CH une fois qu’il aura donné à la demanderesse un délai raisonnable pour présenter des observations complémentaires.

 

[13]           Le défendeur m’a demandé de modifier l’intitulé de la cause de manière que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration n’y soit plus désigné comme partie défenderesse, la Loi sur le ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile, LC 2005, c 10 ayant fait passer l’ASFC sous l’autorité du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile. Je conviens que le défendeur adéquat à la présente demande est en fait le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile et j’ordonnerai en conséquence que le titre du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration soit retiré de l’intitulé de la cause.

 

[14]           Il n’a pas été proposé de question à la certification sous le régime de l’alinéa 74d) de la Loi.

 

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

2.         La demande de report du renvoi de la demanderesse est renvoyée à un agent de l’ASFC, qui le reportera jusqu’à ce qu’une décision soit rendue sur la demande CH.

 

3.         Le titre du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration est par la présente retiré de l’intitulé de la cause.

 

 

« Sandra J. Simpson »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑7619‑12

 

 

INTITULÉ :                                                  GABRIELA GONZALEZ VILLAGRANA c
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATES DE L’AUDIENCE :                      Les 13 et 19 mars 2013

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                  LA JUGE SIMPSON

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 23 avril 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Aurina Chatterji

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Sharon Stewart Guthrie

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Preevanda Sapru Law Office

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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