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Date : 20130423

Dossier : IMM‑2907‑12

Référence : 2013 CF 407

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 avril 2013

En présence de madame la juge Kane

 

 

ENTRE :

 

SZILVIA VARADI, CSABA VARADI

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée conformément à l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], d’une décision défavorable rendue par un agent d’immigration [l’agent] le 6 mars 2012 relativement à l’examen des risques avant renvoi [ERAR] qui avait mené à la conclusion que la demanderesse n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au titre des articles 96 et 97 de la Loi.

 

[2]               Pour les motifs énoncés ci‑après, il est fait droit à la demande de contrôle judiciaire.

 

Contexte

[3]               La demanderesse principale, Szilvia Varadi, une Rom de la Hongrie, est lesbienne et vit en union de fait avec sa conjointe, qui n’est pas rom. Mme Varadi est arrivée au Canada une première fois avec son époux et son fils, mais leur demande d’asile a été considérée comme abandonnée parce que son époux n’avait pas rempli les formulaires, et ils ont été renvoyés en Hongrie en 2001. Mme Varadi est revenue au Canada en 2010 avec son fils et sa nouvelle conjointe pour y demander l’asile. Le processus d’ERAR est le seul moyen pour la demanderesse de soulever la question des risques de persécution et du besoin de protection. La première décision faisant suite à l’ERAR a été annulée avec le consentement du défendeur, et la demanderesse a eu la possibilité de présenter des observations supplémentaires aux fins de la demande d’ERAR contrôlée en l’espèce.

 

[4]               Dans les observations contenues dans la première demande d’ERAR, la demanderesse faisait état des agressions physiques et des autres agressions commises contre elle par son époux, de l’ostracisme des Hongrois en général, des autres Roms et de sa famille, ainsi que des risques auxquels elle était exposée en tant que femme rom divorcée engagée dans une relation homosexuelle. La demanderesse a également relaté les voies de fait auxquelles la police s’était livrée sur elle et sa conjointe et l’agression sexuelle que les enseignants avaient commise sur son fils à l’école.

 

[5]               Les mêmes incidents ont été décrits dans l’affidavit et les observations de sa conjointe, Georgina Boncser, préparés aux fins d’examen à l’audience sur la demande d’asile de Mme Boncser et qui ont également été présentés par la demanderesse pour les besoins de son ERAR.

 

Question préliminaire – L’affidavit manquant

[6]               En guise de question préliminaire, dans sa plaidoirie, le conseil de la demanderesse a informé la Cour du fait que l’affidavit de Georgina Boncser, daté du 18 novembre 2010, manquait au dossier certifié du tribunal [DCT], malgré qu’il ait été présenté dans le cadre de la première demande d’ERAR et avec les observations le 20 novembre 2010. Le conseil a avancé que l’absence de l’affidavit montre que l’agent chargé de l’ERAR n’avait pas tenu compte de cette information qui étayait aussi les prétentions de la demanderesse.

 

[7]               Le défendeur a fait remarquer qu’un DCT incomplet ne donne pas nécessairement lieu à l’annulation de la décision, sauf si les documents manquants sont déterminants pour la décision et si la Cour est dans l’impossibilité d’examiner et d’évaluer la documentation dont disposait le tribunal : Balanos c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 388, [2011] ACF 497; Yadav c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 140, [2010] ACF 353.

 

[8]               En l’espèce, je constate que les observations fournies relativement à Mme Boncser, datées de novembre 2011, qui font partie du DCT, exposent généralement les mêmes faits que l’affidavit de novembre 2010 qui est manquant au DCT. Le dossier de la demanderesse contient cependant l’affidavit de novembre 2010. La décision de l’agent mentionne les sources consultées, dont les observations présentées en novembre 2010 (qui auraient dû comprendre l’affidavit) et les observations de novembre 2011. Il est donc présumé que l’agent disposait de cette information. La question la plus importante est celle de savoir si l’agent a tenu compte de cette information.

 

Décision contrôlée

[9]               Les questions déterminantes sont celles du caractère raisonnable de la décision de l’agent compte tenu de l’insuffisance des éléments de preuve, et celle de savoir si la demanderesse n’a pas réussi à réfuter la présomption de l’existence d’une protection adéquate de l’État.

 

[10]           La décision de l’agent chargé de l’ERAR compte 20 pages qui décrivent essentiellement la situation en Hongrie en ce qui concerne le traitement des Roms, les mesures prises pour améliorer la réponse et la responsabilité de la police, les lois et les autres initiatives de lutte contre la discrimination, dont celle à l’endroit des gais et des lesbiennes, et les efforts déployés pour améliorer les possibilités d’instruction pour les Roms. Les références abondantes à la situation dans le pays semblent directement tirées d’autres documents sans égard à la pertinence de certains des renseignements. Certains renseignements sont relevés plus d’une fois; il est par exemple fait référence au rôle des commissions indépendantes chargées de traiter les plaines contre la police à trois reprises à divers endroits dans la décision, et l’information donnée est la même. L’approche qui consiste à citer de longs passages de documents traitant de la situation dans le pays en cause jette un doute sur le processus décisionnel et amène à se demander si le décideur a examiné les passages décrivant les conditions dans le pays à la lumière de la situation particulière des demandeurs.

 

[11]           La décision contient aussi un résumé des allégations de persécution de la demanderesse tiré des observations qu’elle a présentées aux fins de l’ERAR, mais certaines parties sont incompréhensibles en raison de l’omission de mots et de la présence de phrases incomplètes ou mal traduites et d’erreurs grammaticales et autres. Par exemple, à la page 10 : [traduction] « Cependant, un agent de police à son premier jour de travail en tant que serveuse dans un pub l’a agressée et a appelé des néonazis pour qu’ils viennent lui prêter main‑forte »; « Elles ont quitté la ville à cause des racistes où ils vivaient »; « Même si elles ont déménagé dans une autre ville, elles ont été attaquées en pleine rue parce qu’elles marchaient main dans la main et qu’elle a l’air rom » (page 10); « La demanderesse a un emploi pour rester debout sur ses talons et marcher » (page 22); « […] parce qu’ils les ont agression en novembre 2009. Le rapport médical mentionne que le dossier du genou de Mme Georgina a été retiré » (page 23).

 

[12]           L’exposé de la situation et du vécu de la demanderesse ne fait qu’un peu plus de trois pages sur les vingt que compte la décision, et les conclusions que l’agent a tirées ne sont pas convenablement analysées ni étayées de motifs suffisants.

 

[13]           Malgré tout le respect qui est dû aux agents qui sont chargés d’évaluer bon nombre de documents volumineux et d’appliquer la Loi, il est difficile de conclure qu’une décision est raisonnable lorsqu’elle semble constituer un assemblage qui ne tient pas compte des faits présentés à l’agent.

 

[14]           Bien que le défendeur ait formulé des observations utiles pour démontrer le caractère raisonnable de sa décision, la décision ne saurait être soustraite à l’examen au motif que l’agent s’est longuement attardé sur la situation dans le pays en cause, avant de simplement affirmer qu’il estimait que d’autres éléments de preuve fournis par les demandeurs étaient contradictoires, sans toutefois relater ceux‑ci dans le même détail, ou même les relater, et sans les analyser.

 

[15]           Le principe exposé dans Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 157 FTR 35, [1998] ACF 1425, au paragraphe 17, s’applique en l’occurrence, le juge Evans (maintenant juge à la Cour d’appel fédérale) ayant déclaré ce qui suit :

17          Toutefois, plus la preuve qui n’a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l’organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l’organisme a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » : Bains c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). Autrement dit, l’obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l’organisme a examiné l’ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n’a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l’organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu’elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d’inférer que l’organisme n’a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[16]           Conformément à Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, au paragraphe 16, j’ai considéré « [qu’un] décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit‑il, qui a mené à sa conclusion finale ». Partant de ce principe, j’ai lu le dossier en même temps que la décision afin d’étayer le caractère raisonnable de celle‑ci et je ne puis cependant conclure qu’elle est raisonnable.

 

Suffisance de la preuve

[17]           Après examen des comptes rendus de harcèlement, de discrimination et de mauvais traitements subis par la demanderesse en Hongrie, l’agent a conclu que la preuve ne suffisait pas à établir qu’elle avait été persécutée. Par exemple, l’agent a constaté qu’il n’y avait pas assez d’éléments de preuve pour démontrer que l’époux de la demanderesse l’avait harcelée parce qu’elle voulait divorcer de lui; rien ne permettait d’établir que les blessures qu’elle avait signalées à l’hôpital avaient été infligées par son époux; rien ne permettait d’établir que la demanderesse avait cherché à obtenir des soins médicaux pour soigner les blessures que lui avaient causées les agents de police qui l’avaient menacée et avaient exigé d’avoir des relations sexuelles avec elle lorsqu’elle avait tenté de signaler une agression; rien ne permettait d’établir que la demanderesse et sa conjointe avaient signalé cette agression de la police à la Commission indépendante chargée de traiter les plaintes contre la police, et les preuves relatives aux agressions sexuelles subies par son fils à l’école étaient insuffisantes.

 

[18]           Toutefois, les affidavits de la demanderesse, Mme Varadi, et de sa conjointe, Mme Boncser, relataient systématiquement les mêmes faits et les mêmes voies de fait, y compris les agressions dont elles ont été la cible en raison de leur relation homosexuelle. Les observations fournies en novembre 2011 étayaient les allégations de la demanderesse, qu’il ait été tenu compte ou non de l’affidavit de 2010 de Mme Boncser. De plus, les observations faisaient aussi référence au fait que la demanderesse avait été la cible de mauvais traitements et de discrimination en tant que Rom engagée dans une relation homosexuelle avec une femme qui n’était pas rom, une distinction que l’agent n’a pas relevée.  

 

[19]           Que des éléments de preuve aient établi ou non que l’époux avait harcelé la demanderesse en raison du divorce, l’agent a admis que la demanderesse et Mme Boncser avaient été agressées ou « menacées » par l’époux et que la police n’avait pas voulu prendre leur déposition. Le fait qu’il n’existe aucun rapport médical concernant les blessures causées par l’agression ne signifie pas que ces agressions n’ont pas eu lieu.

 

[20]           La demanderesse a également relaté que des agents de police avaient participé à une agression qu’elle avait subie au bar où elle travaillait, et qu’ils l’avaient menacée et l’avaient agressée, ainsi que Mme Boncser, et que des agents de police avaient exigé d’avoir des relations sexuelles avec elles lorsqu’elles avaient voulu signaler une autre agression qu’elles avaient subie dans la rue. L’agent ne tient pas compte du fait que les membres de la police étaient les agents de persécution dans deux incidents au moins.

 

[21]           L’agent n’a pas mis en doute la crédibilité de la demanderesse, et son témoignage par affidavit est présumé véridique : Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1979] ACF 248, [1980] 2 CF 302.

 

[22]           Il existe une distinction entre la crédibilité et la suffisance de la preuve que le juge Zinn a expliquée clairement dans Ferguson c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1067, [2008] ACF 1308, au paragraphe 34, où il a constaté que, dans certaines circonstances, le décideur ni ne croit ni ne croit pas le demandeur, il demeure non convaincu.

 

[23]           En l’occurrence, l’agent constate que la preuve est insuffisante. Cependant, les éléments de preuve que l’agent a jugés crédibles auraient pu être renforcés par les éléments de preuve dont il a omis de tenir compte.

 

[24]           L’agent semble avoir soit omis de tenir compte de ces éléments de preuve ou les avoir mal interprétés, notamment l’affidavit de Mme Boncser, qui relatait les mêmes faits et fournissait plus de détails dans certains cas, pour tirer la conclusion que la demanderesse n’avait pas souffert de persécution, mais simplement de discrimination.

 

[25]           De plus, l’agent n’a pas déterminé si le cumul de l’ensemble de ces événements constituait de la persécution.

 

Protection de l’État

[26]           À deux reprises, la demanderesse avait signalé à la police les mauvais traitements infligés par son époux, mais la police avait refusé de prendre sa déposition, considérant chacun des incidents comme une première occurrence.

 

[27]            La demanderesse a également signalé à la police l’agression qu’elle‑même et Mme Boncser avaient subie, ce qui a eu pour résultat que des agents de police les ont menacées et ont exigé d’avoir des relations sexuelles avec elles au lieu de réagir à l’incident qui s’était produit. Trois signalements ont été faits à la police dans deux villes différentes, et la police n’a pris aucune déposition ni mesure à cet égard.

 

[28]           Comme il a été mentionné, la demanderesse avait aussi été agressée par un agent de police au bar où elle travaillait.

 

[29]           Bien que l’agent ait fait état d’une gamme d’initiatives en Hongrie, dont la Commission chargée de traiter les plaines contre la police et le Quartier général de la Police nationale, et constaté que la demanderesse n’avait pas porté plainte auprès de la Commission, l’agent n’a pas déterminé s’il était raisonnable de s’attendre à ce que la demanderesse fasse appel à ces autorités supérieures compte tenu des expériences qu’elle avait eues avec la police et du fait qu’elle était une Rom lesbienne engagée dans une relation homosexuelle et sujette à une discrimination généralisée.

 

[30]           Comme l’agent l’a relevé, il est énoncé dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Ward [1993] 2 RCS 689, au paragraphe 18, que le régime international de protection des réfugiés a été établi dans le but d’être appliqué lorsque la protection qu’on s’attend à ce que l’État fournisse à ses ressortissants ne peut être fournie, et même alors, dans certains cas seulement. Il est considéré comme une protection auxiliaire ou supplétive fournie en l’absence de protection nationale. Les personnes persécutées sont tenues de s’adresser à leur État d’origine pour obtenir sa protection avant que la responsabilité d’autres États ne soit engagée.

 

[31]           Il existe une présomption selon laquelle un État est capable de protéger ses citoyens.  Pour réfuter cette présomption, il faut des éléments qui prouvent de manière claire et convaincante que la protection de l’État est inadéquate ou inexistante : Carrillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, [2008] 4 RCF 636 [Carrillo]. La preuve doit être digne de foi et avoir une valeur probante; les demandeurs d’asile doivent « produire une preuve pertinente, digne de foi et convaincante qui démontre au juge des faits, selon la prépondérance des probabilités, que la protection accordée par l’État en question est insuffisante » : Carrillo, précité, au paragraphe 30.

 

[32]           Le critère n’est pas une protection de l’État « parfaite », mais adéquate. La simple volonté d’assurer la protection ne suffit pas; la protection de l’État doit présenter un certain niveau d’efficacité : JB c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 210, [2011] ACF 358, au paragraphe 47.

 

[33]           Comme le juge Russell le fait remarquer dans Simpson c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 970, [2006] ACF 1224, au paragraphe 36, un demandeur ne doit faire que des efforts raisonnables compte tenu des circonstances pour surmonter la présomption selon laquelle il n’a pas épuisé toutes les possibilités de protection de l’État :

La Commission, lorsqu’elle a traité de la question déterminante de la protection de l’État, a conclu que puisque la demanderesse n’avait pas demandé à parler au commissaire de police, les efforts qu’elle et sa mère avaient entrepris n’étaient pas suffisants pour réfuter la présomption de la protection de l’État. La jurisprudence établit clairement que la protection de l’État n’a pas à être parfaite, mais il a de plus été décidé qu’un demandeur ne doit faire que des efforts raisonnables compte tenu des circonstances afin de surmonter la présomption selon laquelle il n’a pas épuisé toutes les possibilités : voir par exemple L.G.S. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. no 874, 2004 CF 731, au paragraphe 22, et Peralta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] A.C.F. no 1331, 2002 CFPI 989, au paragraphe 18. Dans la présente affaire, on a admis que la demanderesse ou sa mère ont pris contact avec la police à trois reprises au moins. En outre, lorsqu’on leur a dit qu’elles devaient se rendre à la DEC, elles l’ont fait et on leur a dit une fois de plus que rien ne pouvait être fait. Lorsqu’on lui a demandé la raison pour laquelle elle n’avait pas tenté de parler au commissaire ou la raison pour laquelle elle n’était pas allée au quartier général à Kingston, la demanderesse a dit qu’on ne lui aurait d’aucune façon permis de voir le commissaire. Cela aurait été une quête inutile pour quiconque dans une position comme la sienne. L’avocate du défendeur a reconnu lors de l’audience tenue devant moi à l’égard de cette question qu’il n’y avait rien au dossier donnant à penser que la preuve de la demanderesse sur cette question était de quelque manière erronée ou douteuse. La Commission a simplement affirmé sans raison qu’elle aurait dû prendre contact avec le commissaire. Rien ne donnait à penser que, si elle l’avait fait, cela aurait donné quoi que ce soit.

 

 

[34]           Même si la demanderesse avait signalé des incidents à au moins trois reprises à la police, elle n’avait pas porté plainte auprès de la Commission indépendante chargée de traiter les plaintes contre la police ni fait appel à d’autres ressources. La jurisprudence a établi que de tels efforts peuvent être justifiés et pourraient effectivement réfuter la présomption de la protection adéquate de l’État selon les circonstances.

 

[35]           Dans Kaur c Canada (Ministre de la Citoyenneté de l’Immigration), 2005 CF 1491, [2005] ACF 1858, le juge de Montigny a énoncé ce qui suit au paragraphe 32 :

Enfin, je crois qu’il était tout à fait légitime que la demanderesse ne porte pas plainte à la police dans les circonstances en cause puisque les policiers eux‑mêmes étaient les agresseurs et les responsables des actes de violence. Comme l’a dit ma collègue, la juge Tremblay‑Lamer, dans la décision Chaves c. Canada (M.C.I.), [2005] A.C.F. 232 (QL), 2005 CF 193, au paragraphe 15 : « [l]e fait même que les représentants de l’État soient les auteurs présumés de la persécution affaiblit la nature démocratique apparente des institutions de l’État, ce qui diminue d’autant le fardeau de la preuve ».

 

 

[36]           L’agent a reproché à la demanderesse de n’avoir pas fait appel à la Commission chargée de traiter les plaines contre la police, mais n’a pas déterminé s’il aurait été raisonnable qu’elle le fasse vu que les membres de la police étaient les agents de persécution et que la demanderesse aurait pu douter que ses démarches lui assureraient une forme ou une autre de protection, compte tenu de ce qu’elle avait vécu.

 

[37]           Dans Orgona c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1438, [2012] ACF 1545, le juge Zinn a écrit ce qui suit relativement à une décision de la SPR par laquelle l’asile avait été refusé à des Roms de la Hongrie :

[14] La SPR mentionne aussi que les particuliers peuvent s’adresser à l’IPCB pour demander réparation lorsque la police n’agit pas correctement. Elle écrit qu’il s’agit d’un organisme indépendant qui examine les plaintes relatives à des actes commis par des policiers et qui fait des recommandations au chef de la police nationale; elle ajoute que si les recommandations ne sont pas entérinées, l’affaire peut être portée devant un tribunal. À première vue, il semble s’agir d’un outil efficace qui garantit que les plaintes faites au sujet des policiers sont réellement examinées; cependant, selon un autre document, « en pratique », le chef de la police nationale « n’accorde aucune considération à 90 p. 100 des décisions » de cet organisme. Il semble donc n’exister aucun moyen réel de réparation pour la grande majorité des plaignants. La conclusion de la SPR selon laquelle ce processus fournit aux Roms une occasion raisonnable d’obtenir une réparation est déraisonnable.

 

 

[38]           En outre, il n’était pas raisonnable que l’agent conclue qu’un éventail d’autres ressources assureraient la protection de la demanderesse. Dans l’arrêt Katinszki c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1326, [2012] ACF 1444, aux paragraphes 14 et 15, le juge de Montigny fait entre autres remarquer ce qui suit :

[14]      La Commission a également mentionné diverses organisations qui pourraient assurer une protection aux demandeurs et, encore une fois, semble supposer que ces organisations seraient mieux en mesure de leur fournir une telle protection à Budapest, étant donné que leurs administrations centrales se trouvent dans cette ville. Le problème avec cette supposition est qu’il n’y a pas de preuve au dossier attestant que ces organisations seraient mieux en mesure de « protéger » les demandeurs à Budapest qu’ailleurs dans le pays. Qui plus est, assurer une protection ne fait pas partie du rôle des organisations mentionnées par la Commission (soit la Commission indépendante chargée de traiter les plaintes contre la police, le Bureau des commissaires parlementaires, l’Autorité pour l’égalité de traitement, l’Association des agents de police roms, ainsi que le Bureau des plaintes au Bureau de la Police nationale) – leur rôle est de formuler des recommandations et, au mieux, de faire enquête sur l’inaction de la police après les incidents.

 

[15]      La jurisprudence de la Cour établit très clairement que la police est présumée être la principale institution chargée d’assurer la protection des citoyens et que les autres institutions publiques ou privées sont présumées n’avoir ni les moyens ni le rôle d’assumer une telle responsabilité. Comme la juge Tremblay‑Lamer l’a si justement affirmé dans Zepeda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 491, [2009] 1 RCF 237, aux paragraphes 24 et 25 :

 

24        En l’espèce, la Commission a fait état de divers autres organismes auprès desquels les demandeurs, se disant insatisfaits des efforts de la police et croyant celle‑ci corrompue, auraient pu s’adresser, comme la Commission nationale des droits de la personne, la Commission des droits de la personne d’un État, le Secrétariat de l’administration publique, le Programme de lutte contre l’impunité, la Direction d’aide du contrôleur général, ou encore le Bureau du procureur général de la République au moyen de sa procédure de plainte.

 

25        Or, j’estime que ces autres institutions ne constituent pas, en soi, des voies de recours. Sauf preuve du contraire, la police est la seule institution chargée d’assurer la protection des citoyens d’un pays et disposant, pour ce faire, des pouvoirs de contrainte appropriés. Ainsi, par exemple, il est expressément mentionné dans la preuve documentaire que la loi ne confère à la Commission nationale des droits de la personne aucun pouvoir de contrainte (« Mexique : Situation des témoins des crimes et de la corruption, des femmes victimes de violences et des victimes de discrimination fondée sur l’orientation sexuelle » [Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. Recherche sur les pays d’origine : Exposé]).

 

Voir également : Risak c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 1581, 25 Imm LR (2d) 267, au paragraphe 11.

 

 

[39]           Dans Zepeda, précité, au paragraphe 20, la juge Tremblay‑Lamer a fait remarquer que, lorsqu’ils appliquent la présomption de la protection de l’État, les décideurs doivent procéder à l’appréciation complète de la preuve dont ils disposent, y compris la situation générale ayant cours dans le pays d’origine du demandeur, toutes les mesures que celui‑ci a effectivement prises et sa relation avec les autorités.

 

[40]           En l’espèce, l’agent a récapitulé en détail les efforts et les initiatives ayant cours en Hongrie et reconnu que la situation était loin d’être parfaite, faisant état des rapports sur la corruption policière et les difficultés à protéger les Roms, ainsi que sur la discrimination à l’encontre des lesbiennes, des gais, des bisexuels et des personnes transgenres. En dépit de ces constatations, l’agent a conclu : [traduction] « Les demandeurs n’ont pas démontré de façon claire et convaincante que la protection de l’État ne leur serait pas offerte s’ils en avaient besoin. »

 

[41]           L’agent n’a pas évalué dans quelle mesure la protection de l’État décrite était adaptée à la situation de la demanderesse. On ne saurait présumer qu’un pays offre nécessairement une protection adéquate parce qu’il est une démocratie et qu’il fait des efforts importants quand la preuve présentée à l’agent montre que ces efforts ne s’appliquaient pas à la situation du demandeur.

 

Conclusion

[42]           Pour les motifs susmentionnés, la décision n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47. L’agent a omis d’examiner des éléments de preuve à l’appui des allégations de la demanderesse et n’a pas tenu compte des efforts que celle‑ci a déployés pour obtenir la protection de l’État compte tenu de ce qui constitue la suffisance de la protection de l’État et de l’identité des agents de persécution. Une analyse contextuelle est requise pour déterminer si la protection de l’État serait assurée pour cette demanderesse dans les circonstances. Par ailleurs, la décision dans son ensemble présente des lacunes sur le plan de la clarté et de la suffisance des motifs.

 

[43]           Il est fait droit à la demande de contrôle judiciaire et l’ERAR doit être confié à un autre agent.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  Il est fait droit à la demande de contrôle judiciaire et l’ERAR est renvoyé à un autre agent pour qu’il rendre une nouvelle décision.

 

 

« Catherine M. Kane »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Myra‑Belle Béala De Guise

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑2907‑12

 

 

INTITULÉ :                                                  SZILVIA VARADI, CSABA VARADI c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 26 février 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 23 avril 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jeffrey L. Goldman

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Neeta Logsetty

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jeffrey L. Goldman

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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