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Date : 20130409

Dossier : IMM‑8054‑12

Référence : 2013 CF 355

[Traduction française certifiée, non révisée]

 

Toronto (Ontario), le 9 avril 2013

En présence de monsieur le juge Shore

 

ENTRE :

 

IMRE GULYAS

IMRENE GULYAS

IMRE GULYAS

KONSTANTINA HAJ GULYAS

KONRAD GULYAS

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

1 – Introduction

[1]               Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, selon laquelle les demandeurs n’ont ni qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger suivant l’article 96 et le paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Plus précisément, les demandeurs contestent la conclusion selon laquelle ils avaient accès à une possibilité de refuge intérieur [PRI].

 

II. Instance

[2]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application du paragraphe 72(1) de la LIPR, de la décision du 16 juillet 2012 de la SPR.

 

III. Contexte

[3]               Le demandeur principal, M. Imre Gulyas (né en 1972), son épouse, Mme Imrene Gulyas (née en 1976), leur fille Imre Gulyas (née en 1995) et leurs fils jumeaux, Konstantina Haj Gulyas et Konrad Gulyas (nés en 1998) sont citoyens de Hongrie.

 

[4]               Le demandeur principal allègue que ses enfants ont été maltraités à l’école par les autres élèves, le personnel et les enseignants. Lorsqu’il a déposé sa plainte, les autorités de l’école ont appelé la police et les agents venus sur place l’ont battu.

 

[5]               Le demandeur principal allègue que, depuis la montée en popularité de la Garde hongroise [GH] et du parti Jobbik, la situation des Rom de Hongrie s’est gravement détériorée (de nombreux éléments de preuve sur la situation dans le pays ont été présentés à ce sujet). La GH a menacé et tué des Rom dans son village et il a lui‑même reçu des menaces de mort et des dépliants contenant des propos anti‑Rom.

 

[6]               Évoquant un dépliant du parti Jobbik avertissant les Rom de quitter la Hongrie s’ils tenaient à leur vie, le demandeur principal a déclaré qu’il craignait un génocide éventuel des Rom et la prolifération de la GH et du parti Jobbik dans l’ensemble de la Hongrie (dossier certifié du tribunal [DCT], aux pages 70 et 72).

 

[7]               Le 20 août 2007, la nièce du demandeur principal a été agressée par un chauffeur de camion qui proférait des injures racistes anti‑Rom au moment de l’agression. Le chauffeur a été détenu, mais il s’est enfui après s’être battu avec l’agent qui l’avait arrêté. Lorsqu’il a été repris, il a été détenu mais relâché le même jour.

 

[8]               L’épouse du demandeur principal a collaboré à l’enquête, mais l’agent qui en était chargé n’a pas transcrit avec exactitude le contenu de sa déclaration et a omis des éléments importants. Le chauffeur de camion l’a menacée à de nombreuses reprises au poste de police.

 

[9]               L’enquête a pris fin; aucune accusation n’a été portée et la famille du demandeur principal n’a pas obtenu de protection particulière (y compris sous forme d’ordonnance de non‑communication) contre le chauffeur de camion.

 

[10]           Le demandeur principal et son épouse ont présenté à la SPR une déclaration faite par eux à la police le 11 septembre 2007, dont voici un extrait : [traduction] « [R]elativement à une procédure policière intentée contre un contrevenant inconnu sur le fondement d’un soupçon raisonnable d’acte criminel commis en contravention du paragraphe 186(1) de la loi pénale, et qui, selon ce même paragraphe, est considéré être un méfait causant un danger sur la voie publique » (DCT, aux pages 486 et 489).

 

[11]           Vu l’absence de rigueur démontrée dans le cadre de l’enquête policière, le demandeur principal et son épouse ont déduit que le chauffeur de camion est membre de la GH ou du parti Jobbik. Encore au mois d’août 2011, le chauffeur de camion a tenté de communiquer avec l’épouse, en prétendant être un de ses amis.

 

[12]           Le 2 novembre 2008, une cousine du demandeur principal et le beau‑frère de cette dernière ont été abattus dans un village voisin alors qu’ils fuyaient une attaque raciste lors de laquelle des gens ont lancé des cocktails Molotov sur leur maison.

 

[13]           Le demandeur principal a soumis un certificat médical attestant le décès de sa cousine et décrivant la cause comme [traduction] « blessure d’arme à feu par suite d’un acte criminel », une déclaration solennelle décrivant l’attaque et contenant le nom du demandeur comme membre de la famille (DCT, aux pages 782 à 787) ainsi que la photo d’un dépliant anti‑Rom de date récente semblable à celui qui avait été remis à la famille de sa cousine avant son assassinat (DCT, page 475).

 

[14]           En 2010, un gynécologue a pratiqué un avortement sur l’épouse du demandeur principal; il s’était contenté d’un examen minimal, n’avait produit aucun rapport médical et s’était borné à lui dire que le fœtus était mort. Lorsqu’ils lui ont demandé un rapport, il leur a intimé l’ordre de quitter les lieux, faute de quoi il appellerait la police, et il a ajouté : [traduction] « … Qu’est‑ce que ça peut bien faire? Combien d’enfants voulez‑vous? Vous êtes déjà tellement nombreux… » (DCT, page 51).

 

[15]           Ils ont signalé l’incident à un comité de surveillance de la profession médicale, mais le gynécologue s’est suicidé. Ils allèguent qu’il jouait un rôle dans un camp d’entraînement de la GH, qu’il avait été impliqué dans le meurtre de Rom et qu’il avait déjà pratiqué des avortements semblables sur des femmes Rom.

 

[16]           Le demandeur principal et les codemandeurs sont arrivés au Canada le 29 mai 2010.

 

IV. Décision faisant l’objet du contrôle

[17]           La SPR a établi que les demandeurs n’avaient ni qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger étant donné qu’elles avaient accès à des PRI viables.

 

[18]           La SPR a estimé qu’il existe des procédures visant la protection générale des Rom en Hongrie, mais que la protection de l’État n’a pas été offerte dans le cas particulier du chauffeur de camion. Le défaut de la police de protéger l’épouse contre le chauffeur de camion, qu’il avait menacée en leur présence, l’a « exposée à une possibilité de vengeance, de menaces et de représailles » (décision, paragraphe 28). Il était objectivement déraisonnable de s’attendre à ce qu’ils cherchent à obtenir une meilleure protection de l’État.

 

[19]           Pour établir l’existence d’une PRI viable, la SPR a appliqué la décision Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706.

 

[20]           La SPR a jugé, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’existait pas un risque véritable que les demandeurs soient persécutés, qu’ils soient exposés à une menace à leur vie ou au risque de traitements ou de peines cruels et inusités ou au risque d’être soumis à la torture à Budapest ou à Szeged. La SPR a reconnu que le demandeur principal craignait que le chauffeur de camion, était donné ses liens présumés avec la GH, les poursuive dans toute la Hongrie avec l’aide des autorités, mais elle a indiqué que, selon la preuve, les principaux agents de persécution se trouvaient dans un endroit bien précis. De plus, les incidents les plus graves sur lesquels la demande d’asile est appuyée se sont déroulés à Forro, en Hongrie; or, les PRI proposées étaient loin de cet endroit. Même si les impressions non prouvées selon lesquelles le chauffeur de camion est membre de la GH s’avéraient, la SPR n’a pas cru que des membres de la GH vivant dans d’autres régions, des années plus tard, s’intéresseraient véritablement au demandeur principal et aux membres de sa famille. De plus, le chauffeur de camion ne serait probablement pas au courant de leur retour s’ils s’installaient dans une grande ville et il ne se mettrait probablement pas à leur poursuite dans une région éloignée du pays.

 

[21]           La SPR a conclu que les PRI proposées ne seraient pas déraisonnables dans les circonstances. De plus, étant donné que le demandeur principal avait travaillé à l’étranger, il aurait accès à des possibilités d’emploi à Budapest et à Szeged, des villes importantes. Elle a aussi fait ressortir les différences entre sa situation socio‑économique et celle de nombreux Rom en Hongrie : (i) son déplacement au Canada montre son indépendance financière et les ressources dont il dispose et (ii) il possède une éducation postsecondaire acquise dans un institut technique, il a déjà travaillé comme ajusteur de moteurs, il a suivi une formation technique de soudeur d’acier de construction et il a constamment eu du travail, tant auprès d’employeurs Rom que d’autres employeurs. Son épouse a suivi une formation professionnelle, elle a été couturière pendant 17 ans à l’emploi d’une entreprise néerlandaise et elle a reçu des prestations de maternité de son employeur et du gouvernement.

 

V. Question en litige

[22]           La décision est-elle déraisonnable parce que la SPR a interprété de façon trop restrictive le profil de risque des demandeurs?

 

VI. Dispositions législatives applicables

[23]           Voici les dispositions législatives pertinentes de la LIPR :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention – le réfugié – la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

Personne à protéger

 

97.      (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes – sauf celles infligées au mépris des normes internationales – et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97.      (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

VII. Thèse des parties

[24]           Le demandeur soutient que l’analyse relative à la PRI est entachée de contradictions et ne prend pas vraiment en compte le caractère particulier des risques auxquels ils sont exposés. Les demandeurs allèguent que la SPR n’a pas tenu compte des risques particuliers d’agression, de discrimination et de harcèlement auxquels les membres de la famille seraient exposés en tant que Rom en Hongrie. Soulignant que la SPR avait reconnu la crédibilité de leur exposé circonstancié, les demandeurs soutiennent que dans son analyse relative à la PRI, la SPR ne tient pas compte de la façon dont ces risques particuliers se manifesteraient dans les endroits considérés comme offrant une PRI. Vu ces autres risques particuliers, les demandeurs soutiennent que la conclusion de la SPR selon laquelle la protection de l’État ne leur serait pas offerte est incompatible avec sa conclusion relative à la PRI. Cette dernière conclusion est aussi déraisonnable, selon les demandeurs, étant donné les restrictions imposées à la mobilité des Rom en Hongrie. Enfin, les commentaires de la SPR concernant les perspectives d’emploi du demandeur principal ont un caractère théorique et sont déraisonnables vu la preuve sur la situation de plus en plus précaire des Rom en Hongrie.

 

[25]           Les demandeurs allèguent aussi que la décision de la SPR est fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée sans égard à la preuve dont elle disposait. Plus précisément, les inférences de la SPR selon lesquelles le chauffeur ne représentait qu’une menace locale et n’avait pas l’intérêt, la motivation, les moyens et les ressources qui auraient pu l’amener à pourchasser les demandeurs à Budapest et à Szeged ne sont appuyées sur aucun élément de preuve. Ces inférences contredisent la preuve selon laquelle le chauffeur de camion (qui, soulignent‑ils, n’avait pas été arrêté pour les avoir agressés ou pour avoir agressé l’agent de police qui procédait à son arrestation) avait accès à des ressources considérables, n’était pas de l’endroit en question et, vu qu’il se déplace périodiquement avec son véhicule, n’aurait pas de difficulté à les rejoindre à Budapest ou à Szeged.

 

[26]           Le défendeur réplique que la SPR a analysé les risques particuliers auxquels sont exposés les demandeurs. Selon le défendeur, le demandeur principal a décrit le chauffeur de camion comme étant le principal agent de persécution de sa famille et la SPR a évalué la demande en fonction de ce fait. De plus, l’analyse relative à la protection de l’État ne concernait pas les Rom en général, mais plutôt la situation des membres de la famille relativement au chauffeur de camion.

 

[27]           De l’avis du défendeur, la conclusion de la SPR relative à la PRI est raisonnable parce que les demandeurs n’ont pas démontré qu’ils seraient exposés à des risques à Budapest ou à Szeged. Le témoignage du demandeur principal relativement aux contacts du chauffeur de camion avec la GH et à sa capacité de retrouver les membres de sa famille dans ces grandes villes avait un caractère théorique. Il était aussi raisonnable d’inférer à partir des antécédents professionnels et de la formation du demandeur principal (et de son épouse) que les endroits désignés comme des PRI ne constituaient pas un choix déraisonnable dans leur situation particulière.

 

VIII. Analyse

[28]           La description du profil de risque d’un demandeur d’asile doit faire l’objet d’une certaine déférence (Olivares c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1010, au paragraphe 5).

 

[29]           Selon la norme de la décision raisonnable, la Cour ne peut intervenir que si les motifs de la SPR ne sont pas justifiés et que le processus de décision n’est pas transparent ou intelligible. Pour qu’il soit satisfait à cette norme, la décision en cause doit aussi appartenir aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47).

 

[30]           Dans la décision Olivares, précitée, la juge Mary Gleason explique que « les décisions où la SPR qualifie mal le profil du demandeur ne sont pas raisonnables parce que, pour en arriver à cette décision, la Commission n’a pas tenu compte de la preuve dont elle était saisie et a mal évalué le risque auquel le demandeur pouvait être exposé » (au paragraphe 6).

 

[31]           En l’espèce, le demandeur principal a soumis des éléments de preuve établissant les faits suivants : (i) ses enfants ont été l’objet de discrimination à l’école; (ii) la GH et le parti Jobbik ont menacé et terrorisé les Rom dans son village; (iii) la GH et le parti Jobbik étendent leurs tentacules partout en Hongrie; (iv) un chauffeur de camion hostile aux Rom a agressé sa nièce et a menacé son épouse; (v) sa cousine a été assassinée dans une agression violente anti‑Rom; et (vi) un gynécologue a avorté l’enfant dont sa femme était enceinte pour des motifs de racisme anti‑Rom. Les demandeurs ont présenté de nombreux éléments de preuve sur la violence et la discrimination exercées contre les Rom dans l’ensemble de la Hongrie et le demandeur principal a déclaré qu’il craignait un éventuel génocide des Rom dans ce pays.

 

[32]           En donnant un caractère local aux risques particuliers auxquels étaient exposés les demandeurs, la SPR a limité son analyse du risque aux représailles pouvant découler de l’enquête sur le chauffeur de camion. Mettant l’accent sur cet incident, la SPR a omis d’analyser d’autres éléments de preuve importants faisant état de discrimination dans le domaine de l’éducation, de violence et de discrimination généralisées contre les Rom, du meurtre de membres de la famille, de l’avortement de la femme du demandeur et de la situation générale dans le pays.

 

[33]           Sans analyser les autres éléments de preuve donnant à penser qu’il existait un profil de risque plus large qui s’appliquait aux demandeurs, la SPR ne pouvait pas bien analyser le risque auquel ces derniers étaient exposés et, partant, trancher la question de savoir s’il existait une PRI viable. En fait, son analyse de la PRI est fondée sur une description déraisonnablement restrictive de leur profil de risque. Malgré la preuve relative au vaste éventail de risques auxquels seraient exposés les demandeurs à titre de Rom en Hongrie, la SPR a conclu qu’il existait une PRI dans les villes de Budapest et de Szeged parce que (i) le chauffeur de camion ne serait pas capable de les pourchasser dans ces villes ou porté à le faire et que (ii) la GH ne s’intéresserait pas à eux à cause de cet incident.

 

[34]           L’analyse de la SPR rappelle une autre décision de la SPR qui avait été contestée dans Parra c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 65. Dans l’affaire Parra, le décideur avait établi qu’un organisateur syndical qui avait été agressé par trois hommes à cause de ses activités syndicales disposait d’une PRI parce que rien ne démontrait que ses agresseurs seraient capables de le retrouver à Bogota ou portés à le faire. À l’audience, le demandeur a déclaré qu’il reprendrait ses activités syndicales et militantes en Colombie. Le juge Luc Martineau a estimé que la décision était déraisonnable parce que, en mettant l’accent sur les seuls agresseurs du demandeur, le décideur n’avait pas tenu compte des risques auxquels serait exposé de façon générale un organisateur syndical ou un militant. La SPR n’a pas satisfait à l’« obligation de fournir une explication » établie dans la décision Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 FTR 35, en ce qui concerne la preuve sur la situation dans le pays relative à la persécution de ce groupe qui n’a pas été abordée dans la décision et d’effectuer « une véritable analyse contextuelle […] des risques prospectifs auxquels les demandeurs sont exposés » (Parra, précitée, paragraphe 18). En résumé, « le tribunal a mal compris ou décrit trop limitativement le profil d’un demandeur d’asile par rapport à son profil de risque particulier » (paragraphe 20).

 

[35]           Les mêmes questions se présentent aussi en l’espèce. En mettant l’accent sur un seul incident de violence concernant les demandeurs, la SPR n’a pas tenu compte des risques particuliers résultant de la cause de cette violence. Dans l’approche qu’elle a choisie, elle n’a pas tenu compte des éléments de preuve démontrant l’existence d’autres actes violents et discriminatoires anti‑Rom vécus personnellement par les demandeurs de même que de la preuve sur la situation actuelle des Rom en Hongrie. La SPR ne s’est pas livrée à une véritable analyse contextuelle des risques prospectifs auxquels les demandeurs sont exposés en Hongrie et à établir un profil de risque précis.

 

[36]           En soutenant que le demandeur principal avait désigné le chauffeur de camion comme son principal agent de persécution, le défendeur déforme le témoignage du demandeur principal. En effet, le dossier révèle que le demandeur principal a mentionné à la fois le chauffeur de camion et les groupes anti‑Rom comme la GH et le parti Jobbik pour justifier sa crainte de persécution :

[traduction]

Q.        Pour commencer, Monsieur, pouvez‑vous me dire qui vous craignez dans votre pays? Veuillez être le plus précis possible.

 

R.        Surtout les personnes racistes. Comment dire et aussi les actes de vengeance possibles contre ma femme. En fait, c’est ce que je crains le plus.

 

Q.        D’accord. Lorsque vous parlez de « personnes racistes », pourriez‑vous être plus précis? Les connaissez‑vous?

 

R.        Ce sont des membres de la Garde hongroise et du parti Jobbik, parti qui est représenté au Parlement.

 

(DCT, à la page 15).

 

IX. Conclusion

[37]           Pour tous les motifs exposés ci‑dessus, la demande de contrôle judiciaire des demandeurs est accueillie.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée devant un tribunal différemment constitué pour que celui-ci statue à nouveau. Aucune question de portée générale n’est proposée aux fins de certification.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

Dossier :                                                    IMM‑8054‑12

 

INTITULÉ :                                                  IMRE GULYAS
IMRENE GULYAS
IMRE GULYAS
KONSTANTINA HAJ GULYAS
KONRAD GULYAS c
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 9 avril 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 9 avril 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Marjorie Hiley

Nicole Guthrie

 

POUR LES DEMANDEURS

 

David Knapp

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Flemingdon Community

Legal Services

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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