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Date : 20130417

Dossier : IMM-3545-12

Référence : 2013 CF 386

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 17 avril 2013

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

ENTRE :

 

PACKIYARAJAH PONNIAH

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur, un citoyen du Sri Lanka, demande le contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent d’examen des risques avant renvoi (l’agent d’ERAR) a conclu qu’il n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger, aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). Le demandeur soutient que l’agent d’ERAR : i) a mal interprété et mal appliqué l’alinéa 113a) de la LIPR en refusant de nouveaux éléments de preuve; ii) avait l’obligation d’aviser le demandeur de ses doutes concernant la crédibilité et d’offrir au demandeur la possibilité de dissiper ces doutes; et iii) a fait abstraction des observations et des éléments de preuve ou a omis de les apprécier.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, je conclus que la demande contrôle judiciaire doit être rejetée.

 

Contexte

[3]               Le demandeur, un citoyen du Sri Lanka d’origine tamoule, est né en 1963.

 

[4]               Dans les années 1980, les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (TLET) auraient invité le demandeur à se joindre à eux et, devant son refus, ils se seraient emparés de produits de la ferme du demandeur.

 

[5]               En 1985, les forces armées sri‑lankaises auraient détenu et torturé le demandeur. Le demandeur affirme avoir été blessé si gravement que, après sa libération, un médecin voulait lui amputer la jambe. Les documents médicaux portant sur cette blessure ont toutefois été perdus lors du tsunami de 2004.

 

[6]               Le demandeur déclare qu’il a été arrêté et battu en 1988 par la Force indienne de maintien de la paix, qui avait été déployée dans la région. Les membres de la Force l’ont questionné sur les raisons de sa venue à Jaffna et sur ses liens avec les TLET. Le demandeur affirme également avoir été arrêté et détenu par les forces armées sri‑lankaises le 24 décembre 1996, et questionné sur ses liens avec les TLET.

 

[7]               En août 2008, le groupe paramilitaire Karuna aurait demandé de l’argent au demandeur, et menacé d’enlever le demandeur et ses enfants s’il ne payait pas. Le beau‑frère du demandeur a déposé une partie de la somme exigée dans le compte bancaire du groupe Karuna.

 

[8]               Le demandeur dit qu’il s’est réinstallé à Vaddavan en mai 2009, mais que le groupe Karuna l’a enlevé le 12 novembre 2009 et a menacé de s’en prendre à sa famille s’il ne versait pas le reste de la somme. Le demandeur affirme que le groupe l’a libéré après trois jours, menaçant de tuer toute sa famille s’il ne versait pas rapidement le reste de la somme.

 

[9]               Estimant qu’il n’était plus en sécurité à Vaddavan, le demandeur est rentré seul à Colombo en février 2010. Son épouse et lui auraient apparemment discuté de son départ, car elle s’inquiétait beaucoup de la sécurité de son époux. Quand il est parti, le demandeur affirme ne pas avoir dit à son épouse qu’il s’en allait ni où il allait, dans l’espoir que le groupe Karuna laisse son épouse et ses enfants tranquilles.

 

[10]           Le demandeur a quitté le Sri Lanka le 7 mai 2010 et est arrivé au Canada le 5 juin 2010, traversant la frontière à Montréal. Il a présenté une demande d’asile à Toronto quatre jours plus tard, le 9 juin 2010.

 

[11]           La SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur, préoccupée parce que le demandeur ne pouvait pas donner la date exacte d’importants événements survenus récemment. La SPR s’inquiétait aussi du fait que le demandeur avait fourni trois différentes descriptions du même appel téléphonique concernant la demande du groupe Karuna. Le demandeur a expliqué qu’il avait des pertes de mémoire et oubliait des choses et des dates. La SPR n’a pas été convaincue.

 

[12]           La SPR était particulièrement préoccupée par les activités du demandeur après l’enlèvement allégué. Bien qu’il affirme avoir été enlevé et menacé de voir toute sa famille exécutée s’il ne versait pas l’argent demandé, le demandeur n’a pris aucune mesure claire pour protéger son épouse et ses deux fils. Il est demeuré dans son village cinq ou six mois après l’enlèvement allégué, il s’est rendu seul à Colombo et a quitté le pays pour se rendre au Canada sans emmener sa femme ni ses fils.

 

[13]           Le demandeur a tenté d’expliquer son comportement en déclarant qu’il ne pouvait obtenir l’argent nécessaire pour payer les extorqueurs. La SPR a jugé cette explication non convaincante, car le demandeur avait été capable d’obtenir l’argent nécessaire pour se rendre au Canada, ce qui représentait presque le double de la somme exigée, semble‑t‑il, par les extorqueurs.

 

[14]           La SPR a conclu que le statut du demandeur, à titre de Tamoul âgé de 48 ans de l’Est du Sri Lanka, ne suffisait pas à fonder une demande d’asile. La SPR a tenu compte de la situation au Sri Lanka et, étant donné que les TLET avaient concédé la défaite en mai 2009, elle a conclu que la situation s’était généralement améliorée pour les Tamouls dans ce pays.

 

[15]           La SPR a estimé que la preuve n’établissait pas que le demandeur était un partisan ou un agent des TLET, ou qu’il aurait été considéré comme tel par les autorités sri‑lankaises. En effet, la preuve ne suffisait pas à démontrer que le demandeur avait des problèmes avec le gouvernement du Sri Lanka depuis 1996 en raison de ses liens allégués avec les TLET. Le demandeur n’a apparemment pas eu de difficulté à la douane : il a obtenu un passeport en 2000, il est allé travailler au Qatar en 2002, il est revenu à Colombo en 2004 et il a quitté le Sri Lanka pour venir au Canada en toute légalité. Bien que le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCNUR) recommande que ceux qui ont des liens avec les TLET soient protégés, aucun élément de preuve crédible n’établit que le demandeur avait de tels liens.

 

[16]           Une demande de contrôle judiciaire de la décision de la SPR a été rejetée le 3 octobre 2011.

 

[17]           Le demandeur soutient qu’il n’a pas parlé à son épouse de février 2010 jusqu’après l’audience tenue devant la SPR le 28 avril 2011. En juillet 2011, selon le demandeur, un groupe est venu le chercher à la maison de son épouse, a menacé de tuer ses enfants et a volé les bijoux que son épouse portait. Le demandeur affirme que son épouse a été harcelée et menacée à d’autres occasions par des personnes qui le cherchaient.

 

[18]           Le 19 décembre 2011, une demande d’ERAR a été proposée au demandeur. À l’appui de sa demande d’ERAR, le demandeur a présenté de nouveaux éléments de preuve, à savoir des éléments de nature personnelle et des documents objectifs sur le pays. Il a soumis sa propre déclaration sous serment dans laquelle il exposait les faits nouveaux qui s’étaient produits depuis l’audition de sa demande d’asile. Il a également présenté une lettre de sa femme et une de sa sœur, datées respectivement du 20 novembre et du 30 décembre 2011, qui décrivaient des événements s’étant produits, semble‑t‑il, après l’audience de la SPR. En outre, il a soumis une page du journal des plaintes de Grama Niladhari, un représentant politique, indiquant que la sœur aînée du demandeur avait déposé une plainte en 2008 contre ceux qui étaient responsables de l’extorsion dont avait été victime son frère et du risque de mort auquel il était exposé. Enfin, le demandeur a déposé 57 articles (dont certains datent d’après la décision de la SPR) montrant que la situation des Tamouls au Sri Lanka s’était détériorée.

 

[19]           La demande d’ERAR a été rejetée le 13 mars 2012. Le demandeur devait être renvoyé au Sri Lanka le 26 avril 2012, mais, le 23 avril 2012, la Cour a accordé un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi en attendant l’issue de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

 

 

Décision faisant l’objet du contrôle

[20]           L’agent d’ERAR a déterminé que le demandeur ne serait pas exposé à plus qu’une simple possibilité d’être persécuté s’il retournait au Sri Lanka. Il était en outre improbable, selon l’agent d’ERAR, que le demandeur soit exposé au risque d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il retournait au Sri Lanka.

 

[21]           L’agent d’ERAR a déterminé qu’une audience n’était pas requise aux termes de l’alinéa 113b) de la LIPR, selon les facteurs énumérés à l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (RIPR). Plus particulièrement, a raisonné l’agent d’ERAR, la majorité des 57 articles sur les violations des droits de la personne au Sri Lanka dataient d’avant la décision de la SPR et ne constituaient donc pas de nouveaux éléments de preuve; les autres articles publiés après la décision de la SPR ne constituaient pas non plus de nouveaux éléments de preuve, parce que le demandeur n’avait pas expliqué pourquoi ils s’appliquaient à sa situation personnelle ni comment ils réfutaient la décision de la SPR. L’agent d’ERAR a également estimé que la plainte déposée par la sœur en 2008 ne constituait pas un nouvel élément de preuve parce qu’elle était antérieure à la décision de la SPR et que le demandeur n’avait pas expliqué pourquoi il avait omis de la présenter à la SPR pour examen. Enfin, les lettres de l’épouse et de la sœur du demandeur ne constituaient pas de nouveaux éléments de preuve parce que ces lettres concernaient les mêmes risques que ceux que la SPR avait appréciés et ne mentionnaient aucun fait nouveau qui serait survenu après la décision de la SPR, ni ne réfutaient bon nombre des conclusions de la SPR.

 

Questions en litige

[22]           Comme il a été mentionné ci‑dessus, la présente demande de contrôle judiciaire soulève trois questions :

a.       L’agent d’ERAR a-t‑il mal interprété et mal appliqué l’alinéa 113a) de la LIPR en refusant de nouveaux éléments de preuve?

b.      L’équité procédurale obligeait‑elle l’agent d’ERAR à interroger le demandeur ou à aviser celui‑ci de ses doutes concernant la crédibilité et à lui offrir la possibilité de dissiper ces doutes?

c.       L’agent d’ERAR a‑t‑il manqué à l’obligation d’équité procédurale en faisant abstraction des observations, de la déclaration sous serment du demandeur et des éléments de preuve sur la situation au Sri Lanka ou en omettant de les apprécier?

 

Analyse

[23]           Le rejet par l’agent d’ERAR de la déclaration sous serment, des lettres, de la plainte déposée en 2008 et de la preuve sur la situation au Sri Lanka à titre de nouveaux éléments de preuve aux termes de l’alinéa 113a) est une question mixte de fait et de droit, susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Selduz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 361). La question de savoir si l’agent d’ERAR a appliqué le bon critère aux fins de l’alinéa 113a) est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (Franco c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1087).

 

[24]           La jurisprudence de la Cour est divisée sur la norme de contrôle qui s’applique aux décisions concernant la tenue d’une audience aux termes de l’alinéa 113b). Je me suis récemment penché sur cette question dans Adetunji c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 708, et je ne peux faire guère mieux que de répéter ce que j’ai écrit dans cette décision (au paragraphe 24) :

Cela étant dit, une controverse existe dans la jurisprudence de la Cour fédérale au sujet de la norme de contrôle à appliquer lors de la révision de la décision d’un agent de ne pas convoquer d’audience, notamment dans le contexte d’une décision ERAR. Dans certains cas, la Cour a appliqué la norme de la décision correcte, parce que l’affaire a été considérée essentiellement comme une question d’équité procédurale (voir, par exemple, Hurtado Prieto c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1435 (disponible sur CanLII); Sen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1435 (disponible sur CanLII)). En revanche, la norme de la décision raisonnable a été appliquée dans d’autres cas, au motif que l’examen de la pertinence de tenir une audience à la lumière du contexte particulier d’un dossier donne lieu à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire qui commande la déférence (voir, par exemple, Puerta c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 464 (disponible sur CanLII); Marte c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2010 CF 930, 374 FTR 160 [Marte]; Mosavat c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 647 (disponible sur CanLII) [Mosavat]). Je souscris à cette dernière position, du moins lorsque la Cour révise une décision ERAR.

 

Voir également Rajagopal c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1277; Silva c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1294; Brown c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1305.

 

[25]           La question de savoir si l’agent d’ERAR a fait abstraction d’éléments de preuve ou a omis de les apprécier est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Manouchehrnia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1021. Selon la norme de la décision raisonnable, la cour de révision interviendra seulement si la décision n’est ni justifiée, ni transparente, ni intelligible. Pour être raisonnable, la décision doit aussi appartenir aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : voir Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47.

 

i)                    L’agent d’ERAR a-t‑il mal interprété et mal appliqué l’alinéa 113a) de la LIPR en refusant de nouveaux éléments de preuve?

 

[26]           Le demandeur soutient que l’agent d’ERAR a mal interprété et mal appliqué l’alinéa 113a) de la LIPR, qui décrit quand de nouveaux éléments de preuve peuvent être présentés dans le contexte de l’ERAR. Selon le demandeur, sa déclaration sous serment, les lettres, la plainte déposée en 2008 et la preuve sur la situation au Sri Lanka n’avaient pas été présentées à la SPR, avaient trait à de nouveaux éléments concernant le risque auquel il était exposé, corroboraient sa crainte fondée de persécution et contredisaient certaines conclusions principales de la SPR (notamment les conclusions défavorables quant à la crédibilité). Le demandeur affirme que l’agent d’ERAR n’a pas analysé ces éléments de preuve, dont il a simplement rejeté des passages importants qui, selon lui, n’étaient pas nouveaux ou ne contenaient pas de nouveaux motifs de risque.

 

[27]           Il est bien établi qu’une demande d’ERAR ne constitue ni un appel ni un réexamen de la décision défavorable de la SPR; cette procédure a pour objet d’évaluer les nouveaux risques pouvant surgir entre l’audience et la date du renvoi : voir Raza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 385 [Raza], au paragraphe 12; Kaybaki c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 32, au paragraphe 11; Nam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1298, au paragraphe 22. Voilà exactement pourquoi l’alinéa 113a) de la LIPR précise que le demandeur ne peut présenter à l’agent d’ERAR que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande d’asile ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur les ait présentés à la Commission. Cette disposition est ainsi libellée :

Examen de la demande

 

113. Il est disposé de la demande comme il suit :

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet;

 

Consideration of application

 

113. Consideration of an application for protection shall be as follows:

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;

 

 

[28]           L’agent d’ERAR a rejeté la plainte déposée en 2008 parce qu’elle datait d’avant la décision de la SPR et que le demandeur n’avait pas expliqué pourquoi il ne l’avait pas présentée à la SPR. Cette conclusion est conforme à l’alinéa 113a) et avec la décision rendue dans l’arrêt Raza, précité, au paragraphe 13, en ce sens que les éléments de preuve concernant des situations ou des événements antérieurs à la décision de la SPR peuvent être admis seulement s’ils n’étaient pas normalement accessibles pour être présentés à la SPR ou s’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce que le demandeur les ait présentés à la SPR.

 

[29]           Dans Chang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 584, la Cour a statué qu’il serait raisonnable de demander à un demandeur d’expliquer pourquoi les circonstances l’avaient « empêché d’obtenir » un document (au paragraphe 13). Bien que le demandeur déclare n’avoir pas communiqué avec son épouse après son départ du Sri Lanka dans le but de la protéger, c’est la sœur du demandeur qui a déposé la plainte en 2008. Même si le demandeur ne voulait pas mettre sa sœur en danger en communiquant avec elle, il aurait été raisonnable de s’attendre à ce qu’il présente à la SPR la plainte déposée en 2008 en obtenant une copie de cette plainte avec l’aide de son ami Arasaratnam, qui était le point de contact entre le demandeur et sa famille après que le demandeur eut quitté le Sri Lanka (voir affidavit du demandeur, Dossier du demandeur, p. 17).

 

[30]           La preuve sur la situation au Sri Lanka a quant à elle été rejetée parce qu’elle ne s’appliquait pas à la situation du demandeur et ne réfutait pas les conclusions de la SPR. Une fois encore, une telle conclusion est conforme à l’arrêt Raza, selon lequel les nouveaux éléments de preuve doivent être pertinents et substantiels pour être considérés. Il est de droit constant que la documentation sur la situation dans le pays d’origine ne peut servir de fondement pour établir l’existence d’un risque personnel. La SPR a déterminé que le demandeur n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve crédibles et dignes de foi pour appuyer sa crainte de retourner au Sri Lanka. La SPR avait également de sérieuses réserves quant à la crédibilité des allégations du demandeur sur ce qui était arrivé à lui et à sa famille depuis 2008. Le demandeur n’avait pas établi, a conclu la SPR, que les autorités sri‑lankaises le considéreraient comme étant lié aux TLET parce que lui et sa famille avaient été autorisés à voyager de Jaffna à Colombo, parce qu’il avait obtenu un passeport en 2000, parce qu’il était rentré au pays après avoir travaillé à l’étranger en 2004 et parce qu’il avait apparemment quitté le Sri Lanka en 2010 muni d’un passeport légitime. Compte tenu de ce raisonnement, le demandeur devait réfuter la conclusion de la SPR selon laquelle il n’était pas perçu comme un agent des TLET. La documentation sur la situation au Sri Lanka ne pouvait servir à cette fin; elle pouvait seulement montrer que les personnes soupçonnées d’avoir des liens avec les TLET risquaient d’être persécutées.

 

[31]           Enfin, l’affidavit personnel du demandeur et les lettres de son épouse et de sa sœur évoquaient le même risque que celui qui avait été allégué devant la SPR et que la SPR avait jugé non crédible. Bien entendu, le demandeur souligne à juste titre que les nouveaux éléments de preuve ne peuvent être rejetés au seul motif qu’ils concernent le même risque. Cela étant dit, l’arrêt Raza établit nettement que l’agent peut validement rejeter de telles preuves « si elles n’établissent pas que les faits pertinents tels qu’ils se présentent à la date de la demande d’ERAR sont sensiblement différents des faits constatés par la SPR » (au paragraphe 17). Voilà précisément pourquoi l’agent d’ERAR a rejeté l’affidavit du demandeur et les lettres de son épouse et de sa sœur.

 

[32]           Le demandeur soutient que son affidavit et les lettres portent sur de nouveaux éléments ayant trait au risque prospectif qu’il courra à son retour au Sri Lanka et corroborent les éléments de preuve établissant le risque qu’il a présentés auparavant. Plus particulièrement, les lettres indiquent que le demandeur était encore poursuivi et menacé, que son épouse avait été menacée et que les bijoux qu’elle portait lui avaient été arrachés par les extorqueurs, éléments qui montreraient tous que le demandeur était sincère en parlant de son épreuve.

 

[33]           Toutefois, la demande d’asile n’aurait probablement pas été accueillie même si les lettres et la déclaration sous serment du demandeur avaient été présentées à la SPR. La SPR a conclu que le demandeur avait manqué de cohérence quant aux dates de divers événements importants et aux endroits où ils s’étaient produits, ou quant au contenu des appels téléphoniques avec les extorqueurs allégués, et que le comportement du demandeur ne concordait pas toujours avec sa crainte subjective alléguée. Pour accepter que le demandeur était encore menacé par le groupe Karuna, la SPR aurait d’abord dû conclure qu’il l’avait déjà été, ce qui n’est pas le cas. Comme mon collègue le juge Barnes l’a statué dans des circonstances semblables, l’arrêt Raza ne signifie pas que « dans le cadre du processus d’ERAR, on puisse procéder à un nouvel examen de la preuve déjà soumise à la CISR ou qui aurait dû lui être soumise, mais qui ne l’a pas été. Un ERAR n’est pas un appel d’une décision de la CISR et ne donne pas la possibilité de prétendre que la CISR a mal interprété la preuve dont elle disposait » : Kadjo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1050 [Kadjo], au paragraphe 12.

 

[34]           En outre, le demandeur n’a pas établi que les lettres n’étaient pas normalement accessibles pour qu’il puisse les présenter lors de son audience devant la SPR, ni qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il ait présenté les éléments de preuve lors de cette audience. Le fait que les lettres datent d’après la décision de la SPR importe peu. En ce qui concerne la plainte, le demandeur aurait pu obtenir cet élément de preuve par son ami Arasaratnam sans mettre son épouse ni sa sœur en danger.

 

[35]           Pour tous les motifs susmentionnés, je conclus que l’agent d’ERAR n’a pas commis d’erreur en interprétant et en appliquant l’alinéa 113a) de la LIPR.

 

ii)                  L’équité procédurale obligeait‑elle l’agent d’ERAR à interroger le demandeur ou à aviser celui‑ci de ses doutes concernant la crédibilité et à lui offrir la possibilité de dissiper ces doutes?

 

[36]           L’avocat du demandeur soutient que l’agent d’ERAR a manqué à son obligation d’équité procédurale en n’interrogeant pas le demandeur et en ne lui offrant pas la possibilité de dissiper ses doutes concernant la crédibilité. Selon le demandeur, la décision aurait nécessairement été favorable si ses nouveaux éléments de preuve avaient été acceptés.

 

[37]           L’agent d’ERAR a le pouvoir discrétionnaire de tenir une audience en vertu de l’alinéa 113b) de la LIPR si certains facteurs prescrits, énoncés à l’article 167 du RIPR, sont respectés. Il est de droit constant que les trois facteurs énoncés à l’article 167 doivent être respectés pour que l’agent justifie sa décision de convoquer une audience. Même quand ces trois facteurs sont respectés, ils ne font que créer une présomption en faveur de la tenue d’une audience aux termes de l’alinéa 113b); ils ne signifient pas que la loi impose à l’agent d’ERAR l’obligation de tenir une audience. Ces deux dispositions sont libellées comme suit :

Examen de la demande

 

113. Il est disposé de la demande comme il suit :

 

b) une audience peut être tenue si le ministre l’estime requis compte tenu des facteurs réglementaires;

 

 

 

Facteurs pour la tenue d’une audience

 

167. Pour l’application de l’alinéa 113b) de la Loi, les facteurs ci-après servent à décider si la tenue d’une audience est requise :

a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

 

Consideration of application

 

113. Consideration of an application for protection shall be as follows:

(b) a hearing may be held if the Minister, on the basis of prescribed factors, is of the opinion that a hearing is required;

 

 

Hearing — prescribed factors

 

167. For the purpose of determining whether a hearing is required under paragraph 113(b) of the Act, the factors are the following:

(a) whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant’s credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

(b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and

(c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.

 

 

[38]           Il est souvent difficile de faire la distinction entre une conclusion de preuve insuffisante et une conclusion défavorable quant à la crédibilité, mais ce n’est toutefois pas le cas en l’espèce. Étant donné que l’agent d’ERAR a déterminé que la preuve sur la situation au Sri Lanka, la plainte déposée en 2008, les lettres et l’affidavit sous serment ne constituaient pas de nouveaux éléments de preuve pouvant être présentés aux termes de l’alinéa 113a), il s’ensuit clairement que la décision de l’agent était fondée non pas sur le manque de crédibilité, mais sur l’insuffisance de la preuve. Par conséquent, le premier facteur énuméré à l’article 167 n’entrait pas en jeu, et une audience n’était pas requise.

 

[39]           Même si les nouveaux éléments de preuve déposés par le demandeur étaient acceptés et réputés satisfaire au critère applicable aux nouveaux éléments de preuve établi à l’alinéa 113a), et même s’ils pouvaient être considérés comme des éléments concernant la crédibilité du demandeur, ce serait encore insuffisant pour justifier une audience. Tout d’abord, les lettres et la plainte viennent de tiers, et il est difficile de savoir ce que le demandeur aurait pu leur ajouter :

Ces lettres me font que reprendre en partie le récit de ce que M. Kadjo a vécu en Côte d’Ivoire et le seul nouveau renseignement contenu dans celles-ci indiquait que, depuis son départ du pays, les autorités sont toujours à la recherche de M. Kadjo dans l’objectif déclaré de l’arrêter et de le torturer. M. Kadjo n’était pas en position de discuter de la fiabilité de cette preuve, car il n’était pas au courant des renseignements qu’elle comportait. Dans le contexte d’une demande d’ERAR, la tenue d’une audience n’est permise que si les conditions énoncées à l’article 167 sont satisfaites et que s’il y « l’existence d’éléments de preuve […] qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur […] Il doit s’agir d’éléments de preuve que le demandeur est en mesure de traiter, ce qui est rarement le cas lorsque de nouveaux renseignements émanent d’une tierce partie, et qui comportent des questions qui ne peuvent être directement attestées par le demandeur. Dans ce contexte, le défaut de tenir une audience n’est pas un manque à l’obligation d’équité et l’agente n’était pas tenue d’expliquer pourquoi une audience n’a pas été tenue.

 

Décision Kadjo, susmentionnée, au paragraphe 19.

 

[40]           De plus, une lecture attentive de la décision de la SPR révèle que la demande d’asile présentée par le demandeur a été rejetée en raison d’un certain nombre de réserves exprimées à l’égard de la crédibilité du demandeur. Je conclus que la preuve présentée par le demandeur à l’agent d’ERAR, même si elle avait été jugée véridique et acceptée, n’aurait pas suffi pour qu’une décision favorable soit rendue au terme de l’ERAR. Comme la Cour l’a souligné dans Selduz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 583, aux paragraphes 28 à 31, quand les allégations soumises par un demandeur ont été rejetées par un agent d’ERAR, le demandeur devrait répondre à la totalité des conclusions tirées par la SPR pour obtenir une décision favorable au terme de l’ERAR. Ici, les lettres ne font que montrer qu’on s’intéresse encore au demandeur, mais n’expliquent pas les divergences et les incohérences relevées dans le témoignage du demandeur, ni le fait qu’il n’a eu aucun problème à voyager et à obtenir un passeport. Si je tiens compte en plus du fait que les lettres ont été rédigées par des parties intéressées et qu’aucune raison n’a été avancée pour expliquer pourquoi elles n’avaient pas été présentées à la SPR, je ne puis que conclure que ces « nouveaux » éléments de preuve ne justifieraient pas que la protection soit accordée et donc qu’une audience soit tenue.

 

[41]           Par conséquent, je suis d’avis que l’agent d’ERAR n’a pas commis d’erreur en n’accordant pas d’entrevue au demandeur.

 

iii)                L’agent d’ERAR a‑t‑il manqué à l’obligation d’équité procédurale en faisant abstraction des observations, de la déclaration sous serment du demandeur et des éléments de preuve sur la situation au Sri Lanka ou en omettant de les apprécier?

 

[42]           Le demandeur soutient que l’agent d’ERAR a fait abstraction des observations présentées par son avocat, de sa déclaration sous serment et de la preuve sur la situation au Sri Lanka postérieure à la décision prise par la SPR à la suite de sa demande d’asile. Ces documents exposent et décrivent un autre motif de risque auquel le demandeur serait exposé à titre de Tamoul revenant du Canada (une classe de personnes que les autorités sri‑lankaises associent aux TLET), les rencontres récentes entre les forces de sécurité sri‑lankaises et l’épouse ainsi que les enfants du demandeur, et la détérioration rapide de la situation des Tamouls au Sri Lanka. Le demandeur affirme qu’il s’agit d’éléments de preuve pertinents et contradictoires, et que l’agent d’ERAR était tenu d’expliquer pourquoi ils n’étaient pas convaincants.

 

[43]           Je ne suis pas d’accord pour dire que l’agent d’ERAR a ignoré la preuve sur la situation au Sri Lanka postérieure à la décision de la SPR. L’agent d’ERAR a expressément déclaré que les articles datant d’après la décision de la SPR ne pouvaient être considérés comme de nouveaux éléments de preuve, car le demandeur n’avait pas expliqué en quoi ces articles s’appliquaient à sa situation personnelle ni comment ils réfutaient bon nombre des conclusions tirées par la SPR moins d’un an auparavant. Il est de droit constant que la preuve sur la situation dans le pays d’origine ne suffit pas à elle seule à établir l’existence d’un risque personnel.

 

[44]           L’allégation selon laquelle le demandeur était particulièrement exposé à un risque à titre de demandeur d’asile débouté au Canada n’a pas été soumise à la SPR, mais seulement mentionnée brièvement sur quatre lignes dans les observations de 23 pages présentées par l’avocat du demandeur dans le cadre de la demande d’ERAR, et elle n’a pas été corroborée. Dans ce contexte, l’agent d’ERAR ne peut être blâmé de ne pas en avoir tenu compte.

 

[45]           Je conclus donc que l’agent d’ERAR a fait un examen raisonnable de la preuve.

 

[46]           Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 


 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

 

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Johanne Brassard, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3545-12

 

INTITULÉ :                                      packiyarajah ponniah   ET   mci

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 13 décembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 17 avril 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Hadayt Nazami

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Nadine Silverman

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jackman Nazami & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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