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Dossier : 20130412

Dossier : IMM‑6641‑12

Référence : 2013 CF 347

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 12 avril 2013

En présence de monsieur le juge Simon Noël

 

 

ENTRE :

 

SVETLANA SMIRNOVA

ET ARTEM BELOUSOV

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, déposée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], de la décision du 11 juin 2012 par laquelle la Section de la protection des réfugiés [la SPR] a jugé que les demandeurs n’ont ni qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger.

 

I.          Les faits

[2]               La demanderesse principale est la mère du demandeur mineur. Ils sont citoyens de Russie, d’origine ethnique juive.

 

[3]               En Russie, la demanderesse principale a été victime d’agressions physiques à cause de son origine ethnique juive. En 1998, après qu’une voisine l’eut poussée, elle s’est fracturé l’auriculaire et, en octobre 2008, elle a été battue par des nationalistes après s’être querellée avec une collègue. Elle a aussi constamment fait l’objet d’insultes et de menaces à caractère antisémite, tant dans son voisinage qu’au travail. Elle craignait de quitter sa maison et vivait toujours dans la peur.

 

[4]               Le fils de la demanderesse principale a été victime de violence psychologique et d’agressions verbales semblables. En octobre 2003, des enfants l’ont obligé à grimper dans un arbre et il s’est cassé le bras en tombant. Pendant qu’il pleurait, couché sur le sol, les autres enfants riaient et l’insultaient.

 

[5]               Elle a déclaré l’agression de 1999 à la police, mais les policiers n’ont pas tenu compte de sa plainte à cause de son origine ethnique juive et ils lui ont dit de régler elle‑même ses problèmes. En ce qui concerne les incidents de 2005 et de 2008, elle n’a pas porté plainte à la police.

 

[6]               En 2005, la demanderesse principale a fait l’objet d’insultes antisémites de la part de son nouveau superviseur. Lorsqu’elle a menacé de déposer une plainte contre lui, ce dernier a répondu qu’il la licencierait. Elle a commencé à remarquer que ses effets personnels étaient endommagés ou vandalisés et que des signes antisémites, comme des swastikas, y étaient apposés.

 

[7]               Au cours d’une pause, le superviseur de la demanderesse principale s’est approché d’elle, a tenu une paire de ciseaux contre son dos et a menacé de la tuer si elle ne démissionnait pas. Il lui a dit que les Juifs n’étaient pas les bienvenus à cet endroit parce qu’il n’y avait pas suffisamment de travail pour les femmes russes. La demanderesse principale a démissionné, puis a trouvé du travail dans un autre domaine.

 

[8]               En octobre 2008, la demanderesse principale a décidé de fuir la Russie avec son fils et ils ont demandé l’asile au Canada le 21 décembre 2008.

 

II.        Décision faisant l’objet du contrôle

[9]               La SPR a estimé que les mauvais traitements subis par les demandeurs peuvent être considérés comme de la discrimination ou du harcèlement, mais qu’ils n’étaient pas suffisamment graves pour équivaloir à de la persécution au sens de la loi.

 

[10]           De plus, la SPR a souligné que la demanderesse principale n’a à l’audience aucun élément de preuve établissant qu’elle était Juive ou perçue comme Juive, et elle a simplement remis à la SPR une copie d’un document montrant que ses grands‑parents maternels étaient de nationalité juive et son certificat de naissance établissant la nationalité russe de ses parents.

 

[11]           La SPR a aussi estimé que la demanderesse principale n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve crédibles à l’appui de sa demande d’asile. Pour un certain nombre de motifs, la SPR a tiré une inférence défavorable quant à la véracité des agressions physiques dont elle aurait été victime.

 

[12]           Premièrement, la demanderesse principale a déclaré dans son formulaire de renseignements personnels [FRP] qu’une voisine l’avait agressée en 1999, mais le certificat médical qu’elle avait fourni attestant cette agression datait de 1998; cette contradiction a été soulevée pour la première fois au cours de l’audience et elle a simplement déclaré qu’une erreur de sa part quant aux dates était possible étant donné qu’elle était extrêmement tendue à l’époque. La SPR a souligné le fait qu’elle avait eu un mois pour décompresser entre la date de son arrivée au Canada le 21 décembre 2008 et la rédaction de son FRP, le 17 janvier 2009.

 

[13]           Deuxièmement, la SPR n’a pas cru le témoignage de la demanderesse principale selon lequel elle n’avait pas obtenu un certificat médical relatif aux traitements médicaux qu’elle avait reçus en octobre 2008 après l’avoir demandé; la SPR a ajouté que si la demanderesse n’avait pas pu l’obtenir au moment où elle l’avait demandé, elle n’a fourni aucun motif valable qui l’aurait empêchée de se le procurer quelques jours plus tard.

 

[14]           Troisièmement, la SPR a conclu que la demanderesse principale n’avait pas fourni une explication raisonnable et valable du fait qu’elle ne possédait aucun document pour étayer l’agression physique dont elle aurait été victime en octobre 2008. La SPR a souligné que sa mère avait été en mesure de fournir des certificats médicaux pour l’incident de 1998 et la blessure de son fils en 2003. Après avoir jugé que les allégations de la demanderesse principale n’étaient pas crédibles, la SPR a tiré une inférence défavorable du défaut de fournir des éléments de preuve documentaires relatifs à l’incident de 2008, sans explication raisonnable, compte tenu particulièrement du fait que la demanderesse principale estime que cet incident est l’événement déclencheur qui l’a poussée à quitter la Russie.

 

[15]           La SPR a aussi conclu que la demanderesse principale n’avait pas présenté d’éléments de preuve clairs et convaincants pour réfuter la présomption de protection de l’État. La SPR a reconnu que de nombreux crimes haineux, y compris ceux qui sont motivés par l’antisémitisme, font uniquement l’objet de poursuites dans le cadre d’accusations générales de « hooliganisme » et que les organismes d’application de la loi n’enquêtent pas toujours comme il se doit sur les crimes commis contre des organisations religieuses, mais elle a estimé que, dans plusieurs circonstances, le gouvernement avait poursuivi efficacement des citoyens pour activités antisémites. La SPR a aussi renvoyé à un élément de preuve faisant état d’un regain de dynamisme au sein de la population d’origine ethnique juive de Russie, de même que dans ses activités religieuses et culturelles.

 

[16]           La SPR a souligné que demanderesse principale avait indiqué dans son témoignage qu’elle avait porté plainte à la police après l’incident de l’agression physique de 1999, mais que les policiers lui auraient dit de régler elle‑même ses problèmes, et qu’elle n’avait pas porté plainte à la police au sujet d’une autre agression survenue en 2005 parce que les policiers n’avaient pas tenu compte de ses plaintes antérieures. Cependant, la SPR a estimé que la preuve ne démontrait pas qu’il aurait été objectivement déraisonnable pour la demanderesse principale d’effectuer d’autres tentatives en vue d’obtenir la protection de l’État, comme essayer de trouver et de solliciter l’aide des autorités policières supérieures ou d’autres organismes gouvernementaux.

 

[17]           La SPR a enfin conclu que les demandeurs avaient une possibilité de refuge intérieur [PRI] valable s’ils s’installaient dans une autre ville de Russie, comme Saint‑Pétersbourg, étant donné qu’il serait très improbable que la demanderesse principale soit définie ou perçue comme étant d’origine ethnique juive si elle s’établissait dans une ville où personne ne la connaissait et que les difficultés associées aux inconvénients du départ et de la réinstallation n’étaient pas en elles‑mêmes suffisantes pour qu’une PRI soit jugée déraisonnable. Elle a ajouté que la demanderesse principale est en possession d’un certificat de naissance attestant qu’elle est de nationalité russe et qu’il n’y est pas fait mention de son origine ethnique juive.

 

III.       Questions en litige

[18]           Comme les demandeurs l’ont mentionné dans leurs observations écrites, la présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

 

1.   La SPR a‑t‑elle commis une erreur en concluant que le traitement subi par les demandeurs équivalait à de la discrimination, mais non à de la persécution?

 

2.   La SPR a‑t‑elle commis une erreur dans son appréciation de la crédibilité de la demanderesse principale?

 

3.   La SPR a‑t‑elle commis une erreur dans son appréciation de la protection de l’État?

 

4.   La SPR a‑t‑elle commis une erreur dans son appréciation de la question de savoir si les demandeurs disposaient d’une possibilité de refuge intérieur?

 

IV.       Norme de contrôle

[19]           Toutes les questions doivent faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable. La conclusion de la SPR selon laquelle la discrimination subie par les demandeurs n’équivalait pas à de la persécution est une question mixte de fait et de droit qui doit faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 53 [Dunsmuir]). La conclusion de la SPR quant à la crédibilité des demandeurs, l’appréciation de la protection de l’État et l’analyse sur la PRI sont des questions de fait; elles doivent donc faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir, précitée, au paragraphe 53).

 

V.        Analyse

A.  La SPR a‑t‑elle commis une erreur en concluant que le traitement subi par les demandeurs équivalait à de la discrimination, mais non à de la persécution?

 

(1)  Observations des demandeurs

[20]           Les demandeurs soutiennent que, selon le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, Genève, janvier 1992, et la jurisprudence des tribunaux canadiens, les effets cumulatifs de la persécution peuvent équivaloir à de la persécution; or, la SPR n’a pas tenu compte de cette possibilité. La demanderesse principale affirme que le traitement qu’elle‑même et d’autres personnes d’origine ethnique juive de son voisinage ont subi était systématique et constant et que, au moins de façon cumulative, équivalait à de la persécution. Elle soutient que la SPR a commis une erreur en restreignant son analyse aux agressions physiques dont elle‑même et son fils ont été victimes.

 

(2)  Observations du défendeur

[21]           Selon le défendeur, la SPR a appliqué le critère pertinent en ce qui concerne la persécution. Le défendeur allègue que la SPR a tenu compte de la situation des demandeurs de même que de la preuve documentaire et qu’elle a conclu de façon raisonnable que le traitement qu’ils avaient subi ne correspondait pas à une négation constante et systématique de leurs droits. Il ajoute que la demanderesse principale était en mesure de travailler, d’obtenir des soins médicaux au besoin et que son fils pouvait fréquenter l’école.

 

(3)  Analyse

[22]           Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Ward, [1993] ACS 74, 20 IMM LR (2d) 85, au paragraphe 63 [Ward], la Cour suprême a formulé le commentaire suivant au sujet du sens du terme « persécution » dans le contexte de la définition du terme réfugié au sens de la Convention :

[…] Par exemple, on a donné le sens suivant au mot « persécution » qui n’est pas défini dans la Convention : [traduction] « violation soutenue ou systémique des droits fondamentaux de la personne démontrant l’absence de protection de l’État »; voir Hathaway, op. cit., aux pp. 104 et 105. […]

 

[23]           Il a été établi dans la jurisprudence que des discriminations multiples peuvent équivaloir à de la persécution au sens de l’article 96 de la LIPR (Ampong c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 35, 87 IMM LR (3d) 279, au paragraphe 42). En ce qui concerne la distinction entre discrimination et persécution, la Cour d’appel a formulé les commentaires suivants dans l’arrêt Sagharichi c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 182 NR 398, 1993 CarswellNat 316, au paragraphe 3 :

 

Il est vrai que la ligne de démarcation entre la persécution et la discrimination ou le harcèlement est difficile à tracer, d’autant plus que, dans le contexte du droit des réfugiés, il a été conclu que la discrimination peut fort bien être considérée comme équivalant à la persécution. Il est également vrai que la question de l’existence de la persécution dans les cas de discrimination ou de harcèlement n’est pas simplement une question de fait, mais aussi une question mixte de droit et de fait, et que des notions juridiques sont en cause. Toutefois, il reste que, dans tous les cas, il incombe à la Section du statut de réfugié de tirer sa conclusion dans le contexte factuel particulier, en effectuant une analyse minutieuse de la preuve présentée et en soupesant comme il convient les divers éléments de la preuve, et que l’intervention de cette Cour n’est pas justifiée à moins que la conclusion tirée ne semble arbitraire ou déraisonnable.

 

[24]           En l’espèce, la SPR a tenu compte du caractère cumulatif des agressions et des injures à caractère ethnique qu’ont subies les demandeurs dans le cadre de son évaluation de la question de savoir si les traitements dont ils avaient été victimes équivalaient à de la persécution. Dans sa décision, elle évoque l’incident qui s’est produit en 1999, les divers lieux de travail de la demanderesse principale, l’incident de 2005 impliquant son superviseur et l’incident d’octobre 2008, lors duquel elle s’est querellée avec une collègue et a été battue par des nationalistes de la RNU.

 

[25]           La SPR n’a pas commis d’erreur étant donné qu’elle s’est penchée sur la question de savoir si le cumul de tous ces incidents équivalait à de la persécution, même si la crédibilité de la demanderesse principale relativement à certains de ces incidents prête flanc à la critique. En effet, elle a correctement évalué la situation des demandeurs à la lumière des concepts de discrimination et de persécution; elle a jugé que les incidents qui les ont visés constituaient de la discrimination et que le traitement qu’ils ont subi n’atteignait pas le niveau de la persécution. La conclusion tirée par la SPR fait partie des issues possibles acceptables au regard des faits et du droit.

 

B.   La SPR a‑t‑elle commis une erreur dans son appréciation de la crédibilité de la demanderesse principale?

 

(1)  Observations des demandeurs

[26]           La demanderesse principale soutient qu’il était déraisonnable de la part de la SPR de tirer une inférence défavorable du fait qu’elle avait mentionné dans son FRP une agression survenue en 1999 alors que ses documents médicaux faisaient état de l’année 1998, étant donné qu’une longue période de temps s’était écoulée depuis l’incident. Elle soutient aussi que la SPR a commis une erreur en justifiant cette inférence défavorable par l’observation selon laquelle elle avait disposé d’un mois, entre le moment de son arrivée au Canada et celui où elle a rempli son FRP, pour décompresser. Elle souligne aussi que l’observation de la SPR selon laquelle « [é]trangement, elle s’est souvenue de tous les autres détails de sa demande d’asile » est déraisonnable parce que la SPR s’est appuyée sur le fait qu’il n’existait pas d’autres contradictions pour justifier d’une façon ou d’une autre une inférence défavorable quant à sa crédibilité.

 

[27]           De même, la demanderesse principale conteste l’observation de la SPR selon laquelle elle n’a pas corrigé la date qui figure dans son FRP après avoir reçu les documents médicaux en mars 2012 ou avant cette date, malgré le fait que le traducteur n’avait pas inscrit la date dans la version anglaise. La SPR n’a pas jugé que ce fait constitue tout simplement une erreur.

 

[28]           De plus, la demanderesse principale conteste la déclaration de la SPR selon laquelle elle « n’a donné aucune raison pour expliquer pourquoi sa mère n’a pas obtenu de certificat médical pour l’incident d’octobre 2008 », étant donné que la SPR ne lui a jamais demandé si sa mère avait essayé d’obtenir le certificat médical. La demanderesse principale soutient que la SPR s’est livrée à un raisonnement circulaire en se fondant sur une conclusion déraisonnable quant à sa crédibilité pour juger que la demanderesse principale n’avait pas présenté suffisamment de documents pour étayer sa demande d’asile.

 

(2)  Observations du défendeur

[29]           Le défendeur soutient de son côté que la conclusion défavorable de la SPR quant à la crédibilité est raisonnable vu les contradictions entre le FRP de la demanderesse principale et le certificat médical relatif à l’agression datant de 1998 et que cette conclusion a aussi un effet déterminant sur l’issue de la demande d’asile des demandeurs. Selon le défendeur, les arguments des demandeurs reviennent à demander à la Cour de réévaluer la preuve dont était saisie la SPR et ne répondent pas aux préoccupations de la SPR selon lesquelles la demanderesse principale n’a corrigé la contradiction en cause qu’au moment où elle a été mentionnée. De plus, le défendeur souligne que l’argument de la demanderesse principale déforme le raisonnement de la SPR parce que cette dernière n’a jamais affirmé que la demanderesse principale ne disposait d’aucune marge d’erreur.

 

[30]           En ce qui concerne la déclaration de la SPR selon laquelle la demanderesse principale « n’a donné aucune raison pour expliquer pourquoi sa mère n’a pas obtenu de certificat médical pour l’incident d’octobre 2008 », le défendeur soutient que vu les inquiétudes de la SPR quant à la crédibilité de la demanderesse principale, la conclusion qu’elle a tirée quant au manque d’éléments de preuve corroborants et à l’absence d’une explication valable de la part de la demanderesse principale est raisonnable. Le défendeur souligne qu’il incombe aux demandeurs d’obtenir des éléments de preuve corroborants pour étayer les aspects importants de leur demande d’asile.

 

(3)  Analyse

[31]           La SPR a fourni deux raisons pour justifier sa conclusion défavorable en matière de crédibilité : la demanderesse principale a déclaré dans son FRP qu’une des agressions était survenue en 1999 alors que ses documents médicaux mentionnaient 1998 comme date de l’incident et elle n’a pas fourni de certificat médical relatif à l’incident qui serait survenu en octobre 2008.

 

[32]           La SPR a raisonnablement tiré une inférence défavorable de la contradiction entre le FRP de la demanderesse principale et son certificat médical relativement à la date de l’incident impliquant sa voisine. Cette inférence défavorable est logiquement appuyée sur les éléments de preuve dont la SPR était saisie et elle est raisonnable. Cependant, l’importance accordée à cette contradiction par la SPR se situe à la limite de ce qui est acceptable selon le critère de la décision raisonnable.

 

[33]           La SPR a déclaré que la demanderesse principale « n’a donné aucune raison pour expliquer pourquoi sa mère n’a pas obtenu de certificat médical pour l’incident d’octobre 2008 », mais elle ne lui a jamais demandé si sa mère avait essayé d’obtenir le certificat médical en question. Cependant, cette décision n’est pas déraisonnable étant donné que la SPR avait interrogé abondamment la demanderesse principale sur les motifs pour lesquels elle avait été incapable de se procurer une copie de son dossier médical en Russie. La demanderesse principale a expliqué qu’il n’avait pas été possible d’en obtenir une copie, mais la preuve révèle que sa mère lui avait remis des copies des documents médicaux relatifs aux autres incidents. Cette conclusion se situe nettement à l’intérieur des paramètres de la norme de la décision raisonnable et affaiblit l’ensemble de la crédibilité de la demanderesse principale.

 

[34]           Par conséquent, la conclusion défavorable de la SPR en matière de crédibilité sur ce point est justifiée dans les circonstances. De plus, il faut reconnaître que la demanderesse principale n’a pas fourni cet élément de preuve corroborant pour étayer sa demande d’asile, un élément de preuve qui revêt une grande importance, et qu’il lui incombe de déposer tous les documents pertinents relatifs à sa demande d’asile. En effet, lorsqu’il existe des motifs valables de mettre en doute la crédibilité d’un demandeur d’asile, le défaut de fournir des documents corroborants est un élément dont la SPR peut tenir compte à bon droit si elle ne reconnaît pas, comme en l’espèce, la valeur de l’explication fournie par la demanderesse principale pour justifier l’omission de produire ledit élément de preuve (Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2003), 233 FTR 166, 2003 CarswellNat 1391, au paragraphe 9). Les conclusions de la SPR en matière de crédibilité sont raisonnables et la Cour ne devrait pas intervenir dans les circonstances.

 

C.   La SPR a‑t‑elle commis une erreur dans son appréciation de la protection de l’État?

 

(1)  Observations des demandeurs

[35]           Les demandeurs soutiennent que la SPR a agi de façon déraisonnable en concluant qu’il n’aurait pas été objectivement déraisonnable de s’attendre à ce que la demanderesse principale cherche à obtenir l’aide des autorités policières supérieures ou d’autres organismes gouvernementaux dans les cas où les policiers ont ignoré ses plaintes, particulièrement dans un « État démocratique », étant donné que la Russie ne peut pas être considérée comme un pays démocratique. La SPR a évoqué la corruption des forces policières en Russie et l’absence de choix politiques et de liberté d’expression.

 

[36]           Les demandeurs soutiennent aussi que la SPR n’a pas pris en compte les nombreux documents dont elle était saisie qui démontrent que les personnes d’origine ethnique juive sont persécutées en Russie et qu’elles n’ont pas la possibilité de se réclamer de la protection de l’État. La SPR a commis une erreur parce qu’elle a reconnu expressément que le caractère insuffisant des enquêtes et l’impunité font encore problème. La SPR a donc commis une erreur en n’abordant pas les éléments de preuve qui contredisent directement ses conclusions.

 

(2)  Observations du défendeur

[37]           Le défendeur soutient que la SPR a agi de façon raisonnable en concluant que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de la protection de l’État et que cette conclusion joue un rôle déterminant dans l’issue de la demande d’asile. Selon le défendeur, la SPR n’est pas tenue d’aborder chacun des éléments de preuve qui lui est soumis et le simple fait qu’un gouvernement ne réussisse pas toujours à protéger ses citoyens n’est pas suffisant pour étayer une allégation selon laquelle les victimes n’ont pas la possibilité de se réclamer de cette protection.

 

(3)  Analyse

[38]           Il est bien établi qu’un État est présumé être en mesure de protéger ses citoyens (Ward, précité) et que plus les institutions d’un État sont démocratiques, plus le demandeur d’asile devra avoir cherché à épuiser les recours qui s’offrent à lui (Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, 282 DLR (4th) 413), au paragraphe 57. De plus, le fait de ne pas assurer localement une exécution efficace des lois ne constitue pas un défaut de protection de l’État (Flores Carrillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, 69 IMM LR (3d) 309), au paragraphe 32.

 

[39]           La conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse principale aurait dû tenter d’obtenir l’aide des autorités supérieures est raisonnable dans les circonstances étant donné qu’il lui incombait de réfuter la présomption de protection de l’État. La SPR a établi à bon droit que le défaut de la demanderesse principale de déclarer à la police l’incident impliquant son superviseur était déraisonnable parce que, même si ses tentatives antérieures d’obtenir la protection de l’État avaient échoué, elle aurait dû essayer d’obtenir l’aide d’autres organismes gouvernementaux. En effet, la preuve révèle que le gouvernement russe a déjà poursuivi des citoyens pour activités antisémites; par conséquent, elle démontre que le gouvernement russe est en mesure de protéger ses citoyens. Il n’est pas nécessaire que la protection de l’État soit parfaite, mais elle doit quand même être suffisante (Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c Villafranca, 18 IMM LR (2d) 130, 99 DLR (4th) 334).

 

[40]           Dans sa décision, la SPR a reconnu qu’une partie de la preuve démontrait l’existence d’une certaine impunité, mais elle a aussi souligné de nombreux éléments de la preuve selon lesquels le gouvernement russe avait fait condamner des citoyens pour activités, déclarations ou publications antisémites. Par conséquent, la Cour ne considère pas que la SPR a déraisonnablement ignoré des documents sur la capacité de l’État russe de protéger adéquatement les personnes d’origine ethnique juive contre l’antisémitisme en Russie. Il est évident que les demandeurs souhaiteraient que la Cour réévalue la preuve documentaire en leur faveur. Or, ce n’est pas le rôle de la Cour. L’image du pays présentée par la SPR semble équilibrée et confirmée par des documents pertinents.

 

D.  La SPR a‑t‑elle commis une erreur dans son appréciation de la question de savoir si les demandeurs disposaient d’une possibilité de refuge intérieur?

 

(1)  Observations des demandeurs

[41]           Les demandeurs soutiennent que la SPR a commis une erreur en déclarant qu’il aurait été plus facile de se rendre dans une autre région de la Russie plutôt que de venir au Canada étant donné qu’aucun membre de la famille de la demanderesse principale ne vit au Canada. La demanderesse déclare que son ex‑mari, père biologique de son enfant, et son mari actuel, vivent au Canada.

 

[42]           Les demandeurs soutiennent aussi que vu leur argument selon lequel la SPR n’a pas correctement pris en compte la preuve sur la situation des personnes d’origine ethnique juive en Russie et sur la possibilité de se réclamer de la protection de l’État, la décision de la SPR concernant une PRI valide est nécessairement erronée.

 

(2)  Observations du défendeur

[43]           Selon le défendeur, les demandeurs n’ont pas réussi à fournir une preuve claire et convaincante selon laquelle la protection de l’État était insuffisante en Russie en général et à Saint‑Pétersbourg en particulier. Le défendeur ajoute que la conclusion relative à la PRI était raisonnable vu les documents sur la situation dans le pays.

 

(3)  Analyse

[44]           L’examen de la validité d’une PRI comporte deux parties. Premièrement, la SPR doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur d’asile ne risque pas sérieusement d’être persécuté dans la partie du pays où il existe une PRI. Deuxièmement, il doit être raisonnable pour le demandeur d’asile d’y chercher refuge vu sa situation personnelle (voir Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 140 NR 138, 31 ACWS (3d) 139 (CAF); Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 22 IMM LR (2d) 241, 109 DLR (4th) 682 (CAF)).

 

[45]           Il n’est pas pertinent de répondre à la question de savoir si le demandeur d’asile a de la famille dans le pays où l’asile est recherché pour évaluer la PRI. L’essentiel de l’évaluation par la SPR de la validité d’une PRI était la suivante, soit qu’« [i]l est grandement improbable qu’elle soit définie ou perçue comme étant d’origine ethnique juive si elle s’installe dans d’autres villes où personne ne la connaît ». La demanderesse principale n’a pas contesté cette conclusion et, par conséquent, l’évaluation qu’a faite la SPR de la validité d’une PRI est raisonnable. Comme le soulignait la SPR au paragraphe 7 de sa décision, la demanderesse principale n’a pas fourni d’éléments de preuve pour démontrer qu’elle était considérée comme une personne d’origine ethnique juive à cause de son comportement, de ses actions ou des perceptions que les gens pouvaient avoir d’elle.

 

[46]           Les parties n’ont pas proposé de question à certifier, et aucune ne le sera.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Simon Noël »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑6641‑12

 

 

INTITULÉ :                                                  SVETLANA SMIRNOVA ET AUTRES c
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 3 avril 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE NOËL

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 12 avril 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Arthur I. Yallen

James Lawson

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Julie Waldman

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Yallen Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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