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Date : 20130408

Dossier: IMM-8035-12

Référence : 2013 CF 351

Ottawa (Ontario), le 8 avril 2013

En présence de madame la juge Gleason 

 

ENTRE :

 

FAZAA ALBERT

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECION CIVILE

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur, un citoyen du Liban, est membre de longue date du Parti Social Nationaliste Syrien [le PSNS]. Il est arrivé au Canada avec sa famille en 2009 et a demandé l’asile, alléguant être exposé à un risque en Liban du fait de son appartenance au PSNS. En application de l’article 44 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [la LIPR ou la Loi], le défendeur a déféré à la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la SI] un rapport d’interdiction de territoire visant le demandeur. Dans une décision datée du 27 juillet 2012, la SI a pris une mesure d’expulsion à l’encontre du demandeur, soutenant qu’il existait des motifs raisonnables de croire que le demandeur avait été membre du PSNS et que le PSNS était un groupe terroriste. Elle a donc déterminé que le demandeur était interdit de territoire en vertu des alinéas 34(1)c) et f) de la LIPR.

 

[2]               Dans la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur soutient que la décision de la SI devrait être annulée au motif que sa conclusion était déraisonnable du fait que le demandeur n’était en aucun cas complice de quelque attentat terroriste auquel se serait livré le PSNS. Il soutient en outre que la conclusion que le PSNS est une organisation terroriste est déraisonnable, le PSNS étant et ayant toujours été un parti politique légitime au Liban et que, dans une certaine mesure, tous les partis politiques du pays ont dû se livrer à une forme quelconque d’activités terroristes dans le contexte de la longue guerre civile.

 

[3]               Le défendeur soutient pour sa part que la décision de la SI devrait être maintenue, ayant été fondée sur le critère approprié relatif à l’article 34 de la LIPR. Il soutient que les conclusions de la SI à l’égard de la nature du PSNS et de l’appartenance du demandeur à cette organisation sont amplement étayées par la preuve dont elle disposait.

 

[4]               Je suis d’accord avec le défendeur et, pour les motifs qui suivent, j’ai conclu qu’il convient de rejeter la présente demande.

 

I.          La norme de contrôle applicable

[5]               La norme de la décision raisonnable s’applique au contrôle judiciaire des conclusions de la SI en ce qui a trait à l’existence de motifs raisonnables de croire qu’une personne est membre d’une organisation et qu’une organisation est, a été ou sera l’auteure d’un acte terroriste. Toutes ces conclusions sont des conclusions de fait ou mixtes de fait et de droit (Poshteh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 85 aux para 23-24).

 

II.        L’interprétation de l’article 34 de la LIPR faite par la SI est raisonnable

[6]               En ce qui concerne l’interprétation de l’article 34 de la LIPR, il ressort manifestement de son libellé que la notion de complicité n’a aucune incidence sur la question de déterminer s’il existe des motifs de croire qu’une personne est membre d’une organisation terroriste dans le cadre d’une enquête relative à l’interdiction de territoire en application de cet article. La notion de complicité entre uniquement en ligne de compte lorsqu’il s’agit de déterminer si une personne peut avoir la qualité de réfugié malgré les dispositions de l’article 98 da la LIPR, qui incorpore dans la Loi les motifs d’exclusion de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] RT Can no 6 [la Convention]. Cela ressort clairement des divergences dans le libellé utilisé dans les deux articles.

 

[7]               Les articles 33 et 34 de la LIPR, qui traitent de l’interdiction de territoire, prévoient notamment ce qui suit :

 

Interprétation

 

33. Les faits — actes ou omissions — mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.

 

 

Sécurité

34. (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants :

 

a) être l’auteur d’actes d’espionnage ou se livrer à la subversion contre toute institution démocratique, au sens où cette expression s’entend au Canada;

 

b) être l’instigateur ou l’auteur d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force;

 

c) se livrer au terrorisme;

 

d) constituer un danger pour la sécurité du Canada;

 

e) être l’auteur de tout acte de violence susceptible de mettre en danger la vie ou la sécurité d’autrui au Canada;

 

f) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé aux alinéas a), b) ou c).

Exception

 

(2) Ces faits n’emportent pas interdiction de territoire pour le résident permanent ou l’étranger qui convainc le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national.

Rules of interpretation

 

33. The facts that constitute inadmissibility under sections 34 to 37 include facts arising from omissions and, unless otherwise provided, include facts for which there are reasonable grounds to believe that they have occurred, are occurring or may occur.

 

Security

34. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on security grounds for

 

(a) engaging in an act of espionage or an act of subversion against a democratic government, institution or process as they are understood in Canada;

 

(b) engaging in or instigating the subversion by force of any government;

 

(c) engaging in terrorism;

 

(d) being a danger to the security of Canada;

 

(e) engaging in acts of violence that would or might endanger the lives or safety of persons in Canada; or

 

(f) being a member of an organization that there are reasonable grounds to believe engages, has engaged or will engage in acts referred to in paragraph (a), (b) or (c).

Exception

 

(2) The matters referred to in subsection (1) do not constitute inadmissibility in respect of a permanent resident or a foreign national who satisfies the Minister that their presence in Canada would not be detrimental to the national interest.

 

[8]               En revanche, l’article 98 et les dispositions pertinentes de la Convention sont ainsi libellés :

98. La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

 

Article 1F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

 

a ) Qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un rime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;

 

b ) Qu'elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil avant d'y être admises comme réfugiés;

 

c ) Qu'elles se sont rendues coupables d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.

98. A person referred to in section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention refugee or a person in need of protection.

 

 

Article 1F. The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that:

 

(a) He has committed a crime against peace, a war crime, or a crime against humanity, as defined in the international

instruments drawn up to make provision in respect of such crimes;

 

 

(b) He has committed a serious non-political crime outside the country of refuge prior to his admission to that country

as a refugee;

 

(c) He has been guilty of acts contrary to the purposes and principles of the United Nations.

 

 

[9]               La présente Cour a maintes fois conclu que la présence de divergences dans le libellé de ces deux dispositions signifie qu’il n’est nullement tenu compte du degré de participation aux activités terroristes d’une organisation dans les enquêtes menées en application du paragraphe 34(1) de la LIPR. (Voir Miguel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 802 aux para 22-31 [Miguel]; Saleh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 303 au para 19; Ismeal c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2010 CF198 au para 23; Tjiueza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1260 au para 31; Omer c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 478 au para 11.) En outre, compte tenu du libellé du paragraphe 34(1), le fait qu’une personne interdite de territoire ait été membre de l’organisation au moment où celle-ci se livrait à des actes terroristes est dénué de pertinence (Al Yamani c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2006 CF 1457 au para 12).

 

[10]           C’est ainsi à tort que le demandeur s’appuie sur la jurisprudence traitant de complicité dans le contexte de l’article 98 de la LIPR et sur l’affirmation que le demandeur n’était pas personnellement impliqué dans les actes terroristes commis par le PSNS; ces notions sont entièrement dénuées de pertinence en ce qui concerne l’enquête relative à l’interdiction de territoire en application du paragraphe 34(1) de la LIPR.

 

[11]           Ce qui est pertinent est plutôt la question de savoir si le PSNS a été, est ou sera l’auteur d’actes terroristes, de même que celle de savoir si le demandeur était membre du PSNS. Comme le souligne à juste titre le défendeur, l’article 33 de la LIPR prévoit que ces faits sont établis s’il est démontré qu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir, ce qui représente un fardeau de preuve moins onéreux que la prépondérance des probabilités (Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CSC 40 au para 114; Charkaoui c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CSC 9 au para 39).

 

[12]           La SI a alors tranché les bonnes questions, à savoir s’il y avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur était membre du PSNS et que le PSNS est une organisation qui est, a été ou sera l’auteure d’un acte terroriste.

 

III.       Les conclusions factuelles de la SI sont raisonnables

[13]           En l’espèce, le demandeur a d’emblée admis qu’il était membre du PSNS, tant à l’agent de Citoyenneté et Immigration Canada qui l’a interrogé que dans son témoignage auprès de la SI. Il a en effet été membre du parti pendant plus de 45 ans, et il en était toujours membre au moment de son arrivée au Canada. Il a confirmé qu’il appuyait les objectifs du parti et admis avoir mené plusieurs activités au nom de celui-ci au cours des années, par exemple en voyageant pour le parti durant la guerre civile libanaise, en se joignant en son nom au Coalition Opposition Group au Liban en 2008, et en agissant à titre de coordinateur du parti durant les élections libanaises de 2009. La SI était ainsi amplement fondée de conclure que le demandeur était membre du PSNS. La présente espèce se distingue alors de l’arrêt Miguel, sur lequel se fonde le demandeur, puisque Mme Miguel n’avait jamais été membre de l’organisation terroriste en cause, dont elle appuyait simplement les objectifs.

 

[14]           Donc, la conclusion de la SI portant qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur était membre du PSNS est inattaquable.

 

[15]           Dans un même ordre d’idées, il n’y a aucune raison de modifier sa conclusion que le PSNS s’est livré au terrorisme. En effet, comme le souligne le défendeur, le demandeur n’a nullement contesté cet élément devant la SI : c’est seulement devant la présente Cour qu’il soulève l’argument que le PSNS n’est pas une organisation terroriste.

 

[16]           Pour en arriver à la conclusion que le PSNS s’était livré au terrorisme, la SI a appliqué la définition de terrorisme établie par la Cour suprême dans l’arrêt Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1 au para 98 [Suresh] :

98        À notre avis, on peut conclure sans risque d'erreur, suivant la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme, que le terme « terrorisme » employé à l'art. 19 de la Loi inclut tout « acte destiné à tuer ou blesser grièvement un civil, ou toute autre personne qui ne participe pas directement aux hostilités dans une situation de conflit armé, lorsque, par sa nature ou son contexte, cet acte vise à intimider une population ou à contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s'abstenir d'accomplir un acte quelconque ». Cette définition traduit bien ce que l'on entend essentiellement par « terrorisme » à l'échelle internationale. Des situations particulières, à la limite de l'activité terroriste, susciteront inévitablement des désaccords. Le législateur peut toujours adopter une définition différente ou plus détaillée du terrorisme. La question à trancher en l'espèce consiste à déterminer si le terme utilisé dans la Loi sur l'immigration a un sens suffisamment certain pour être pratique, raisonnable et constitutionnel. Nous estimons que c'est le cas.

 

[17]           La SI a ensuite souligné que la preuve établissait que le PSNS avait tenté un coup d’État en 1961, enlevé des civils en 1979, commis des attentats-suicide à la bombe dans les années 1970 et 1980 dans lesquels ont péri des civils libanais et des membres des forces armées israéliennes, utilisé, en 2008, des grenades dans des régions densément peuplées, et tué de nombreux civils. Il y avait devant la SI la preuve documentaire appuyant ces conclusions. De plus, bien que le demandeur conteste ce point, certains éléments de preuve suggèrent que le PSNS aurait été responsable de l’assassinat d’un ancien président syrien.

 

[18]           Ces activités correspondent à la définition de terrorisme établie dans l’arrêt Suresh. Qui plus est, dans Kablawi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 888, la présente Cour a confirmé le caractère raisonnable d’une décision de la SI portant que le PSNS s’était livré au terrorisme. Les paragraphes 55 et 56 de cette décision s’appliquent en l’espèce avec autant de force :

55        À l'audience, l'avocate du défendeur a renvoyé la Cour à un reportage tendant à démontrer l'implication du PSNS dans le terrorisme. L'article du New York Times, qui est daté du 18 mai 1988, porte sur trois membres du PSNS qui avaient tenté d'introduire une bombe aux États-Unis pour assassiner un de leurs opposants. L'article signalait que le FBI avait déclaré que le PSNS était responsable d'une série d'actes terroristes, dont l'assassinat, en 1982, du président désigné libanais Bashir Gemayel.

 

56        Il ressort de la preuve que le PSNS satisfait au critère prévu à l'alinéa 34(1)f). Le PSNS a terrorisé ou tenté de terroriser des civils au cours des nombreuses années de son existence:

 

1. tentative ratée de coup d'État de 1961 contre le gouvernement libanais au cours de laquelle il y a eu une prise d'otages;

 

2. série d'attentats suicides et d'attentats à la voiture piégée dans des villes et des localités du Liban pendant la guerre civile libanaise au cours desquels des civils comme des combattants ont perdu la vie;

 

3. assassinat du président libanais en 1982;

 

4. tentative d'assassinat de membres de factions rivales du PSNS qui étaient vraisemblablement aussi des civils au cours d'attentats à la voiture piégée commis aux États-Unis.

 

L'agent a mentionné ces incidents et conclu qu'ils démontraient que le PSNS s'était livré à des actes de terrorisme.

 

 

[19]           Ainsi, la conclusion de la SI qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le PSNS s’était livré au terrorisme est raisonnable.

[20]           Conséquemment, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

[21]           Lors de l’audience, l’avocat du demandeur, ayant indiqué qu’il souhaitait proposer une question à certifier, a été autorisé à soumettre sa question au plus tard le 18 mars 2013. Il n’a rien soumis. Le défendeur est d’avis que l’espèce ne soulève aucune question qui mériterait d’être certifiée. Je suis d’accord avec le défendeur que l’espèce ne soulève aucune question de portée générale, et, par conséquent, n’en certifierai aucune.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.                  Aucune question de portée générale n’est certifiée; et

3.                  Le tout sans frais.

 

 

« Mary J.L. Gleason »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-8035-12

 

INTITULÉ :                                      FAZAA ALBERT c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             14 mars 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           LA JUGE GLEASON

 

DATE DES MOTIFS :                     8 avril 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Anthony Karkar

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Michèle Joubert

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Anthony Karkar

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Deputy Attorney General of Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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