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Date : 20130410

Dossier : IMM-6148-12

Référence : 2013 CF 356

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 avril 2013

En présence de madame la juge Snider

 

 

ENTRE :

 

SOHAIL NADEEN REHMAT DIN, PAKEEZA SOHAIL NADEEM, MARHAMAH SOHAIL, MOHAMMAD UMAIR SOHAIL ET MOMENA SOHAIL, représentés par leur tuteur à l’instance SOHAIL NADEEN REHMAT DIN

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs – le demandeur, son épouse (la demanderesse) et leurs trois enfants – sont des citoyens du Pakistan venus au Canada en 2005 après avoir demeuré aux Émirats arabes unis (EAU) pendant de nombreuses années. Les membres de la famille ont demandé l’asile au Canada parce qu’ils craignaient d’être victimes d’un crime d’honneur au Pakistan. Dans une décision datée du 27 juin 2008 (la décision de la SPR), la demande d’asile a été rejetée pour plusieurs motifs, dont une conclusion défavorable sur la crédibilité selon laquelle « les incidents, tels qu’ils ont été décrits, n’ont jamais eu lieu ». La Cour fédérale a rejeté une demande d’autorisation de contrôle judiciaire de cette décision. Une décision défavorable a été rendue au terme d’un examen des risques avant renvoi (ERAR) en février 2010.

 

[2]               Les demandeurs ont présenté depuis le Canada une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire (CH) en septembre 2009. Dans une décision datée du 24 mai 2012 (la décision CH), un agent principal d’immigration (l’agent) a déterminé que les considérations d’ordre humanitaire ne justifiaient pas une dispense de l’habituelle obligation de présenter sa demande de l’extérieur du Canada. Les demandeurs cherchent à faire annuler la décision CH.

 

[3]               Les demandeurs affirment que l’agent a commis une erreur :

 

1.                  en n’étant pas réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur des trois demandeurs mineurs;

 

2.                  en n’appréciant pas de manière raisonnable le degré d’établissement des demandeurs au Canada;

 

3.                  en n’appréciant pas de manière raisonnable les difficultés qu’éprouveraient les demandeurs au Pakistan.

 

[4]               Pour les motifs qui suivent, l’intervention de la Cour n’est pas justifiée.

 

Norme de contrôle

 

[5]               La norme de contrôle de la décision raisonnable est celle qui s’applique à une décision discrétionnaire relative à une demande CH (Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, au paragraphe 18, [2010] 1 RCF 360). Comme la Cour suprême l’a statué dans Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir], « [l]e caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel ». La cour de révision doit aussi examiner si « la décision [appartient] aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

Intérêt supérieur des enfants

 

[6]               En appréciant une demande CH aux termes de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), l’agent doit être « réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt supérieur des enfants directement touchés (voir, par exemple, Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, au paragraphe 75, 174 DLR (4th) 193; Legault c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, au paragraphe 12, 212 DLR (4th) 139).

 

[7]               Les demandeurs soutiennent que l’agent a mal apprécié l’intérêt supérieur des enfants demandeurs. Je ne suis pas d’accord.

 

[8]               Bien que l’agent n’ait peut-être pas employé des termes idéaux, il a raisonnablement tenu compte des circonstances des enfants dans le contexte des observations soumises. Pour éviter d’accorder plus d’importance à la forme qu’au fond, il faut prendre en considération le contexte de la décision de l’agent.

 

[9]               Premièrement, l’agent s’est demandé en quoi consistait l’intérêt supérieur des enfants et a examiné leurs résultats scolaires, le retard cognitif particulier d’un des enfants, l’exposition des enfants à leurs racines pakistanaises et la présence de membres de la famille élargie au Pakistan.

 

[10]           Bien que l’agent ait commenté la capacité des enfants de composer avec le changement, leur intérêt supérieur n’a pas été mesuré en fonction de ce critère. À la lecture de la décision dans son ensemble, je suis plutôt convaincue que l’agent a évalué la mesure dans laquelle l’intérêt des enfants serait compromis par le renvoi. Je trouve pertinent le fait que l’agent n’ait pas employé les termes « difficultés excessives » ou « besoins fondamentaux », qui traduisaient l’application d’une norme inappropriée dans Williams c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 166, aux paragraphes 63 à 66, [2012] ACF no 184, et Sebbe c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 813, aux paragraphes 15 et 16, 10 Imm LR (4th) 321.

 

[11]           Deuxièmement, la décision doit être examinée dans le contexte des observations qui avaient été présentées à l’agent. Il incombait aux demandeurs d’inclure des renseignements pertinents sur les enfants et d’expliquer l’effet que des circonstances particulières avaient sur eux (Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, au paragraphe 8, [2004] 2 RCF 635). Les demandeurs ont omis des renseignements importants dans leurs observations écrites « à [leurs] risques et périls ».

 

[12]           Les observations présentées en l’espèce étaient brèves et générales, centrées sur le degré d’établissement des enfants et de la famille au Canada. Les demandeurs n’ont pas attiré l’attention de l’agent sur certains points soulevés lors du contrôle judiciaire, dont les difficultés économiques particulières, le risque pour les enfants et les obstacles que doivent surmonter les filles pour poursuivre leurs études au Pakistan. Les demandeurs ont également omis de fournir des éléments de preuve sur le traitement de l’enfant chez qui un retard cognitif a été diagnostiqué.

 

[13]           L’agent a souligné qu’il était dans l’intérêt supérieur des enfants de pouvoir étudier et d’avoir le soutien de leurs parents, mais qu’il s’agissait de préoccupations générales qui s’appliqueraient à tous les enfants visés par un renvoi. Il était loisible à l’agent de conclure que les demandeurs n’avaient pas précisé comment l’intérêt supérieur des enfants serait compris outre mesure.

 

[14]           En somme, l’analyse de l’intérêt supérieur des enfants faite par l’agent présente les attributs nécessaires de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité. L’agent n’a pas omis d’examiner en quoi consistait l’intérêt supérieur des enfants et n’a pas appliqué une norme artificiellement basse pour minimiser cet intérêt.

 

Degré d’établissement

 

[15]           Lorsqu’il examine une demande CH, un des facteurs que doit apprécier l’agent est le degré d’établissement des demandeurs au Canada. Les demandeurs affirment que, compte tenu du temps passé et de leurs activités au Canada, l’analyse de leur degré d’établissement est déraisonnable. À mon avis, toutefois, la décision de l’agent est justifiable.

 

[16]           Je conviens avec les demandeurs que c’est une erreur de minimiser le degré d’établissement d’un demandeur d’une manière qui ne tienne pas compte des circonstances particulières du demandeur (voir, par exemple, Jamrich c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 804, au paragraphe 29, [2003] ACF no 1076; Raudales c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 385, aux paragraphes 18 et 19, [2003] ACF no 532).

 

[17]           Toutefois, en l’espèce, l’agent a raisonnablement analysé tous les éléments de preuve présentés par les demandeurs relativement à leur établissement au Canada.

 

[18]           Citant les remarques faites par le juge de Montigny dans Serda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 356, au paragraphe 21, [2006] ACF no 425, l’agent a jugé important le fait que les demandeurs n’ont pas quitté le Canada quand leurs mesures de renvoi ont pris effet. À ce moment-là, la décision de demeurer au Canada dépendait raisonnablement de la volonté des demandeurs.

 

[19]           Comme il est mentionné dans Shallow c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 749, au paragraphe 9, [2012] ACF no 745 :

L’établissement au Canada, sauf s’il est inhabituel et ne procède pas d’un choix, ne représenterait normalement pas un facteur militant en faveur des demandeurs. Dans le meilleur des cas, ce facteur sera habituellement neutre.

 

[20]           Par conséquent, l’agent n’a pas minimisé le degré d’établissement des demandeurs ni tiré de conclusions contraires à leurs circonstances personnelles. L’analyse du degré d’établissement est raisonnable.

 

Difficultés au Pakistan

 

[21]           En examinant une demande CH, l’agent doit tenir compte des difficultés auxquelles serait exposé le demandeur dans son pays d’origine.

 

[22]           Le principal élément des observations présentées par les demandeurs consistait en une réitération du risque qu’ils soient victimes d’un crime d’honneur auquel la SPR n’avait pas prêté foi.

 

[23]           En appréciant ce risque, l’agent a reconnu que le critère de l’article 96 et de l’article 97 de la LIPR était différent du critère des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives s’appliquant aux demandes CH. Néanmoins, la lettre et la preuve documentaire produites par les demandeurs ne suffisaient pas à écarter la conclusion sur la crédibilité tirée par la SPR. En outre, les demandeurs n’ont pas abordé la possibilité de refuge intérieur proposée par la SPR.

 

[24]           L’agent a aussi conclu que les demandeurs pourraient utiliser les compétences, la formation et l’expérience acquises au Canada à leur retour au Pakistan.

 

[25]           Les demandeurs contestent trois aspects de l’analyse de l’agent : les difficultés économiques, les problèmes de violence et de sécurité, et les difficultés psychologiques.

 

Difficultés économiques

 

[26]           L’agent a tiré une conclusion raisonnable en estimant que les demandeurs ne subiraient pas de difficultés économiques. Étant donné l’expérience de travail du demandeur et de la demanderesse, il était raisonnable pour l’agent de conclure que les demandeurs adultes avaient des compétences professionnelles transférables qu’ils pourraient utiliser au Pakistan. Cette conclusion ne relevait pas de la conjecture ni n’allait à l’encontre de la preuve.

 

Problèmes de violence et de sécurité

 

[27]           Comme la Cour l’a statué dans Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 94, aux paragraphes 11 et 12, [2003] 3 CF 172, il incombe au demandeur de soumettre à l’attention de l’agent toutes les considérations d’ordre humanitaire pertinentes. Les risques posés par la violence fondée sur le sexe et les piètres conditions de sécurité allégués par les demandeurs lors du contrôle judiciaire n’ont pas été portés à l’attention de l’agent dans les observations écrites des demandeurs. Ces observations décrivent seulement le risque de crime d’honneur, que l’agent a analysé à fond. L’analyse de l’agent ne contient aucune erreur susceptible de contrôle sur ce point.

 

Difficultés psychologiques

 

[28]           Dans le cadre de leur demande CH, les demandeurs ont obtenu l’opinion d’un psychiatre. Selon le rapport du psychiatre :

[traduction] Il serait inhumain et carrément désastreux de condamner les membres de la famille à retourner au Pakistan, où tout indique que leur vie serait hautement instable et que même leur sécurité physique serait constamment menacée, sans parler des ravages émotionnels qui les frapperaient tous.

 

[29]           L’agent n’a pas fait abstraction du rapport, mais y a accordé peu de poids.

 

[30]           Il appartient à l’agent d’apprécier les rapports médicaux et de leur attribuer un poids. Si l’agent fait des remarques exactes sur le traitement décrit et ne rejette pas sans fondement la preuve d’expert, alors son analyse est raisonnable.

 

[31]           En l’espèce, l’agent avait un motif raisonnable d’attribuer un poids inférieur au rapport du psychiatre. Le rapport contenait des renseignements sur les expériences que le psychiatre avait lui‑même vécues au Pakistan. Le psychiatre s’est également fié, du moins en partie, à l’auto‑évaluation des demandeurs, ce qui était pertinent dans le contexte de la conclusion sur la crédibilité tirée par la SPR. En outre, le psychiatre ne recommandait pas d’autres traitements pour la dépression et l’anxiété dans son rapport, et les demandeurs n’ont fourni aucun élément de preuve pour établir qu’ils avaient cherché à obtenir d’autres traitements.

 

[32]           Les affaires invoquées par les demandeurs sont différentes de l’espèce. La décision Romiluyi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1194, au paragraphe 5, [2006] ACF no 1500, a trait à la formation d’une conclusion globale défavorable quant à la crédibilité dans le contexte d’une demande d’asile. Dans Mile c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1450, au paragraphe 22, [2005] ACF no 1450, le rapport médical a été rejeté seulement parce qu’il avait été présenté par intérêt. Par contre, en l’espèce, le rapport médical a été rejeté pour les trois autres motifs susmentionnés.

 

[33]           En résumé, l’analyse du rapport du psychiatre ne contient aucune erreur susceptible de contrôle.

 

Conclusion

 

[34]           Par conséquent, je ne suis pas convaincue que la décision de l’agent soit déraisonnable. J’aurais peut-être soupesé la preuve différemment, mais je suis néanmoins convaincue que la décision, dans l’ensemble, appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

[35]           Aucune des parties n’a soumis de question aux fins de certification.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

1.                  la demande de contrôle judiciaire est rejetée;

 

2.                  aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Judith A Snider »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Johanne Brassard, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6148-12

 

INTITULÉ :                                      DIN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 28 mars 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 10 avril 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Daniel Kingwell

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Asha Gafar

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mamann, Sandaluk & Kingwell s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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