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Date : 20130326

Dossier : IMM-5918-12

Référence : 2013 CF 312

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 mars 2013

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

 

SAU LING TONG

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse cherche à faire annuler la décision par laquelle une agente d’immigration (l’agente) a rejeté sa demande de résidence permanente présentée au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada. L’agente a conclu que le mariage de la demanderesse visait principalement des fins d’immigration. Pour les motifs qui suivent, la demande sera rejetée.

 

 

 

Les faits

[2]               La demanderesse, Mme Tong, est une citoyenne de la Chine. La demanderesse était venue au Canada pour la première fois le 22 juillet 2009. Elle demeurait chez son oncle. Elle avait prolongé son visa de visiteur au Canada et elle était restée au Canada jusqu’en février 2010.

 

[3]               Cinq mois plus tard, le 2 juillet 2010, la demanderesse avait tenté d’entrer de nouveau au Canada à titre de visiteuse, mais on lui avait refusé l’entrée et elle avait été mise en détention, car on soupçonnait qu’elle pourrait ne pas quitter le Canada à la fin de sa période de séjour autorisée. La demanderesse avait présenté une demande d’asile le 6 juillet 2010 et elle avait été libérée, moyennant un cautionnement garantissant le respect de certaines conditions.

 

[4]               Sept mois plus tard, le 29 janvier 2011, la demanderesse avait épousé M. Wang, un Canadien. Elle a demandé la résidence permanente au titre de la catégorie des époux au Canada le 1er juin 2011. La demanderesse a retiré sa demande d’asile le 11 juillet 2011.

 

[5]               La demanderesse avait rencontré son époux à Beijing en 1989, alors qu’elle était âgée de 17 ans. M. Wang vivait à proximité du père de la demanderesse, qu’elle visitait lors du congé scolaire. Elle avait vu M. Wang de nouveau en 1992, alors qu’elle travaillait comme guide touristique. Elle amenait des groupes de touristes au restaurant où il travaillait. M. Wang allait par la suite immigrer au Canada, mais il lui envoyait une carte postale tous les ans.

 

[6]               La demanderesse s’était mariée avec son premier époux en 1997; le couple a déménagé à Hong Kong en 2002. Lorsque son époux était devenu colérique et violent, elle avait commencé à travailler afin de pouvoir subvenir à ses propres besoins et de le quitter. Le couple s’était séparé en 2008 et avait divorcé en 2010.

 

[7]               Sa mère lui a suggéré de visiter son oncle au Canada, dans le but de s’éloigner de ses problèmes conjugaux. C’est ce qu’elle a fait en 2009, et elle a repris contact avec M. Wang. Ils ont voyagé ensemble et ils ont visité des sites touristiques. M. Wang lui a donné des cadeaux et de l’argent. À son départ, elle lui a promis de revenir au Canada pour le voir.

 

[8]               Lorsque la demanderesse était revenue au Canada en 2010, M. Wang avait joint la Marine royale canadienne. Il lui a rendu visite à Toronto et l’a demandé en mariage. Ils se sont épousés le 29 janvier 2011 et ils vivent maintenant ensemble.

 

La décision faisant l’objet du contrôle

[9]               Par lettre datée du 30 mai 2012, l’agente a rejeté sa demande de résidence permanente, en se fondant sur le paragraphe 4(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS /2002-227 (le Règlement), qui prévoit que :

4. (1) Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne si le mariage ou la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux, selon le cas :

a) visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi;

 

b) n’est pas authentique.

4. (1) For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common-law partner or a conjugal partner of a person if the marriage, common-law partnership or conjugal partnership

 

(a) was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act; or

 

(b) is not genuine.

 

 

[10]           L’agente a par la suite fourni un document intitulé [traduction] « Motifs de la décision rendue le 24 mai 2012 », afin de fournir des précisions quant au fondement de sa décision.

 

[11]           L’agente a indiqué qu’il s’agissait de la troisième demande de parrainage d’un conjoint présentée par M. Wang. Bien qu’elle ait estimé que cette situation était [traduction] « quelque peu inhabituelle », elle a mentionné que cela n’était pas en soi un motif de croire que son actuel mariage n’était pas authentique.

 

[12]           L’agente a mentionné que la demanderesse et son conjoint avaient donné des réponses compatibles concernant leur routine quotidienne et leurs intérêts. De plus, la demanderesse a fourni un certain nombre de photos, de lettres et de cartes d’appel. La demanderesse a conclu qu’elle [traduction] « devait se poser des questions sur l’étendue de cette preuve documentaire », car il semblait que la preuve avait été conservée pour les besoins de la demande de résidence permanente.

 

[13]           L’agente estimait qu’il y avait [traduction] « un grand nombre d’incohérences », ce qui l’a conduit à remettre en question la crédibilité des parties et à croire que le mariage visait principalement des fins d’immigration :

a.       Dans sa demande de prolongation de son visa, la demanderesse avait déclaré qu’elle louait un appartement à Toronto. Or, il s’est ensuite avéré qu’elle demeurait avec son oncle à l’appartement de ce dernier.

b.      La demanderesse avait déclaré qu’elle était sans emploi à son arrivée au Canada en 2010. Cependant, elle a mentionné dans sa demande de résidence permanente qu’elle travaillait comme esthéticienne avant de venir au Canada en 2009 ainsi qu’à son retour en 2010.

c.       Elle avait présenté une demande d’asile [traduction] « fondée sur aucun motif », dans laquelle elle avait indiqué qu’elle désirait [traduction] « à tout prix » rester au Canada.

d.      Il était « étrange » que la caution de la demanderesse n’était ni son oncle ni M. Wang.

e.       M. Wang a déclaré qu’il avait divorcé de sa première épouse parce qu’elle ne souhaitait pas immigrer au Canada. Cependant, lors du parrainage de sa deuxième épouse, il avait déclaré que son premier divorce était attribuable à l’infidélité de son ancienne épouse.

f.       M. Wang a déclaré que lui et sa deuxième épouse s’étaient séparés, parce que cette dernière était habituée à vivre une vie « décente » en Chine et qu’elle ne souhaitait pas travailler au Canada. L’agente a considéré cela comme une contradiction, puisque la deuxième épouse de M. Wang provenait d’une région rurale en Chine et qu’elle travaillait comme serveuse avant d’immigrer.

g.      La demanderesse et M. Wang ont déclaré qu’ils n’avaient pas de biens conjoints, ni de polices d’assurance‑vie dans lesquelles ils se désignaient mutuellement comme bénéficiaires. Ils avaient effectivement un compte conjoint, mais le solde de celui‑ci était bas, et des montants importants en avaient été retirés. Un retrait de 8 000 $ avait récemment été effectué : M. Wang a déclaré à ce sujet que ce retrait visait à payer les frais médicaux de la mère de la demanderesse en Chine. L’agente avait des doutes quant à cette explication, parce qu’ils n’avaient pas beaucoup d’argent dans le compte et parce que la demanderesse avait ses propres économies.

h.      M. Wang a produit un testament signé après l’entrevue, dans lequel il désignait la demanderesse en tant que bénéficiaire. Il a aussi fourni deux références qui confirmaient la relation entre lui et la demanderesse. Le testament mentionnait que M. Wang avait 40 ans, alors qu’en réalité, il était âgé de 44 ans. L’agente se demandait aussi pourquoi ces documents n’avaient pas été fournis avant l’entrevue.

 

La question en litige

 

[14]           La seule question en litige dans le contexte du présent contrôle judiciaire est de savoir s’il était raisonnable pour l’agente de conclure que le mariage visait principalement l’acquisition d’un statut. La Cour, lorsqu’elle applique la norme de contrôle de la raisonnabilité, examine « la justification de la décision, […] la transparence et […] l’intelligibilité du processus décisionnel » ainsi que « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47. La demanderesse prétend que les motifs de la décision ne répondent pas à cette norme.

 

[15]           La demanderesse prétend aussi que l’agente a manqué à l’équité procédurale en ne lui donnant pas l’occasion de produire une réponse au sujet de certaines des incohérences alléguées dans sa preuve ou en ne lui posant pas des questions supplémentaires raisonnables dont les réponses auraient pu dissiper les préoccupations que l’agente pouvait avoir.

 

[16]           La demanderesse soutient aussi que l’agente a manqué à l’équité procédurale en fournissant des motifs insuffisants. Cependant, bien que la lettre de décision soit brève, des motifs détaillés ont été fournis par la suite. De plus, l’insuffisance des motifs ne permet pas à elle seule de contester une décision. Au contraire, les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, au paragraphe 14. Par conséquent, aucune question ne se pose concernant l’équité procédurale.

 

Analyse

 

[17]           À titre préliminaire, la demanderesse a fourni, dans le contexte de la présente demande de contrôle judiciaire, un affidavit et des observations écrites contenant de nombreux éléments de preuve supplémentaires. Le contrôle judiciaire est effectué en fonction de la preuve dont disposait le décideur. Par conséquent, je n’ai pas tenu compte des éléments de preuve dont l’agente n’était pas saisie.

 

[18]           Je souscris aux prétentions de l’avocat, selon lesquelles certaines des incohérences, lorsqu’examinées individuellement, sont mineures. Je reconnais aussi qu’il aurait pu y avoir des explications permettant de justifier une partie des incohérences. Cependant, je ne conclus pas que cela rend la décision déraisonnable, ni qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale.

 

[19]           L’agente pouvait examiner à la loupe les incohérences dans la preuve, compte tenu des antécédents de la demanderesse en matière d’immigration et du fait qu’il s’agissait de la troisième fois que le répondant parrainait une épouse originaire de la Chine. Les circonstances dans lesquelles ces demandes avaient été présentées et la courte durée des mariages subséquents étayaient un examen plus minutieux de ce qui aurait autrement été considéré comme des écarts sans conséquence dans la preuve. On doit se rappeler que le répondant et sa première épouse s’étaient séparés peu après que cette dernière était devenue résidente permanente, et qu’ils divorçaient 22 mois plus tard. Le mariage avait duré moins de trois ans. Le deuxième mariage avait pris fin après quatre ans. Sans égard aux antécédents, l’agente a reconnu que l’affaire devait être tranchée sur le fond et que la question déterminante était de savoir si, en l’espèce, le mariage répondait aux exigences du Règlement.

 

[20]           En ce qui concerne l’authenticité du mariage, l’agente a tiré une inférence défavorable du témoignage de la demanderesse quant aux questions de savoir si elle avait un emploi avant d’arriver au Canada et où elle résidait à son arrivée. Dans la même veine, il était loisible à l’agente d’inférer que la demande d’asile n’était pas fondée, compte tenu du retrait de celle‑ci. Malgré que la demanderesse ait offert une explication, l’agente n’était pas tenue de l’accepter, et la preuve lui permettait de tirer l’inférence en question.

 

[21]           Je conclus aussi que l’agente pouvait tirer une inférence de l’incohérence dans la preuve du répondant en ce qui concerne les motifs de l’échec du premier mariage. Il a déclaré dans son témoignage que l’échec du mariage s’expliquait par une divergence d’opinions au sujet de l’endroit où ils allaient s’établir. Son ancienne épouse voulait vivre aux États-Unis, alors que lui voulait vivre au Canada. Cependant, dans sa demande de parrainage, il a déclaré que l’échec du mariage s’expliquait par l’infidélité de son ancienne épouse. Il s’agit d’une incohérence importante.

 

[22]           L’agente a fait remarquer que la demanderesse et le répondant n’ont pas de biens conjoints, à l’exception d’un compte bancaire, ni de polices d’assurance‑vie dans lesquelles ils se désignaient mutuellement comme bénéficiaires. Un testament, rédigé le 24 mai 2012 par M. Wang, a été reçu après les entrevues, le 28 mai 2012. Celui‑ci désignait la demanderesse comme bénéficiaire. Toutefois, le condo de M. Wang à Toronto appartient conjointement à lui et à son père.

 

[23]           Les relevés bancaires du compte conjoint, qui couvrent une période deux ans, faisaient état de soldes minimes, ainsi que le dépôt et retrait d’un important montant, soit 8 000 $. Lorsqu’on lui a demandé d’expliquer la raison de ce retrait, M. Wang a affirmé que c’était pour payer les frais médicaux de sa belle‑mère en Chine. L’agente avait des doutes quant à cette explication, puisque Mme Tong a affirmé qu’elle avait des économies de 10 000 $ dans un compte séparé.

 

[24]           En dernier lieu, l’agente a fait état de la correspondance entre Mme Tong et M. Wang, ainsi que des factures de téléphone qui indiquent que Mme Tong a appelé M. Wang pendant sa formation. Les premiers documents dataient de 2010, et les derniers coïncidaient avec la demande de résidence permanente, qui est datée de mai 2011. L’agente a conclu que :

 

[traduction]

[…] les preuves de leur relation ont été gardées à dessein, spécifiquement en vue de les présenter dans le contexte d’une demande de résidence permanente.

 

 

[25]           Une fois de plus, au vu de la preuve dans son ensemble et à la lumière de leurs antécédents respectifs en matière d’immigration, il était loisible à l’agente de tirer cette conclusion, compte tenu du dossier dont elle disposait.

 

[26]           Pour conclure, bien que la demanderesse et son répondant aient des justifications ou des explications à l’égard de certains des points en litige que l’agente estimait préoccupants, il leur incombait de fournir une preuve solide à l’appui de l’accueil de leur demande de résidence permanente. Ils devaient présenter la meilleure preuve possible. Après tout, ce sont eux qui connaissent et qui comprennent tous les aspects de leurs antécédents et de leur relation, et c’est à eux qu’appartient le fardeau de justifier les lacunes, les écarts et les incohérences qui ont raisonnablement été soulevés à l’égard de leurs récits. Bien que je souscrive à l’argument de l’avocat, selon lequel des questions d’équité procédurale pourraient se poser si le questionnement de l’agente n’ouvrait pas à la porte à des réponses complètes, ces préoccupations ne se présentent pas dans le contexte des faits de l’espèce.

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a pas de question à certifier.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5918-12

 

INTITULÉ :                                      SAU LING TONG

                                                            c

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 14 mars 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT :
                            LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     Le 26 mars 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Vladimir Semyonov

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Margherita Braccio

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Vladimir Semyonov

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

William F. Pentney,

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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