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Date : 20130308

Dossier : IMM‑4854‑12

Référence : 2013 CF 252

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 mars 2013

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

YASAR ARSLAN, SEHRIBAN ARSLAN,

EFE ARSLAN

(alias EFE YASAR ARSLAN)

 

 

 

demandeurs

 

ET

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

      MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 (la Loi), à l’encontre d’une décision rendue le 27 avril 2012 (la décision) par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié et selon laquelle le demandeur n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni n’est une personne à protéger au titre des articles 96 et 97 de la Loi.

 

LE CONTEXTE

[2]               Le demandeur est un Kurde de 45 ans, citoyen de la Turquie. La demanderesse est son épouse, également Kurde. Le demandeur mineur est leur fils de six ans. Les demandeurs vivaient à Adiyaman, en Turquie, avant de venir au Canada.

[3]               En avril 2004, le demandeur se rendait chez lui à pied après le travail lorsqu’il a été arrêté par une automobile. Deux hommes en sont sortis et ont pointé un fusil sur sa tempe en le poussant dans le véhicule. Les deux hommes étaient des policiers d’infiltration. Ils ont demandé au demandeur où il avait passé les célébrations du Norouz, le Nouvel An kurde. Les policiers lui ont dit que des agents de sécurité l’avaient vu prendre part aux fêtes locales. Ils lui ont demandé pourquoi il avait fait le signe de la victoire avec ses doigts à cette occasion et l’ont accusé d’être membre du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et d’être en faveur d’un État kurde indépendant.

[4]               Les policiers ont emmené le demandeur jusqu’aux abords de la ville. Ils l’ont battu sauvagement, le cognant avec la crosse d’une arme à feu. L’un deux a pointé son arme sur sa tempe et l’a averti de ne pas déposer de plainte s’il ne voulait pas être tué. Le demandeur a maintenant une large cicatrice sur le front où il a été frappé avec la crosse du fusil. Son cousin, un médecin, a soigné ses blessures, et le demandeur n’est pas allé travailler pendant une semaine pour reprendre ses forces.

[5]               En septembre 2009, la demanderesse se trouvait dans un parc avec son fils, le demandeur mineur, qui était alors âgé de deux ans et demi. Un adolescent l’a entendu parler avec son fils en kurde. Il lui a demandé pourquoi elle s’exprimait en kurde et lui a ordonné de quitter le parc. Il l’a ensuite bousculée pendant qu’elle soulevait son fils ce qui l’a fait tomber à la renverse. Son fils s’est assommé sur une barre de métal et s’est évanoui. Il a été emmené à l’hôpital où on l’a soigné pour une légère fracture.

[6]               Le 12 septembre 2010, la Turquie a tenu un référendum sur le projet de réforme de sa Constitution. Le Parti kurde pour la paix et la démocratie (le BDP) avait exhorté les Kurdes à boycotter ce référendum. Vers 18 h, après la fermeture des bureaux de scrutin, trois hommes se sont présentés chez le demandeur. L’un était l’administrateur du village et les deux autres étaient du Parti pour la justice et le développement (l’AKP). Ils ont demandé aux demandeurs la raison pour laquelle ils n’avaient pas voté. Les demandeurs leur ont répondu que c’étaient pour boycotter le projet, et les trois hommes sont repartis après les avoir insultés.

[7]               Le 20 septembre 2010, trois hommes armés se sont présentés au domicile des demandeurs et s’y sont introduits de force. Ils ont demandé au demandeur s’il était membre du PKK et s’il souhaitait un État kurde indépendant. Ils ont fouillé la maison et emporté tous les enregistrements musicaux et les journaux. Le demandeur leur a demandé s’ils avaient un mandat de perquisition, ce à quoi ils ont répondu que la police n’en a pas besoin et l’ont mis en état d’arrestation. Ils l’ont emmené au quartier général et l’ont interrogé et l’y ont gardé toute la nuit. Il a été accusé d’être un séparatiste kurde et a été battu à coups de pieds et de main. Il a été libéré le lendemain.

[8]               Les demandeurs ont quitté la Turquie le 17 novembre 2010 et ont présenté une demande d’asile au Canada le 30 novembre 2010.

LA DÉCISION SOUMISE AU CONTRÔLE

[9]               La Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté la demande d’asile des demandeurs considérant que leur preuve n’était pas crédible et qu’ils n’éprouvaient pas de crainte subjective de persécution.

Crédibilité

[10]           La SPR a conclu que les demandeurs n’étaient pas crédibles. La demanderesse a déclaré qu’elle ne s’était pas rendue au poste de police après l’incident dans le parc, car, comme il est illégal de parler le kurde en Turquie, la police n’aurait rien fait pour elle; la SPR a considéré que cela était faux. La demanderesse a également affirmé qu’il n’existe pas de réseau de télévision kurde légal, mais la SPR s’est reportée à des documents de référence qui affirmaient le contraire. La SPR a tiré une conclusion défavorable de la description qu’a faite la demanderesse de l’agression qu’elle avait subie, étant donné qu’elle résidait dans une région à prédominance kurde où il aurait été normal d’entendre les gens parler le kurde.

[11]           Le rapport médical que les demandeurs ont présenté pour décrire les blessures subies par leur fils lors de l’incident dans le parc ne corroborait pas l’assertion selon laquelle il avait fait l’objet d’une agression. Il mentionnait seulement que les blessures étaient attribuables à une chute sans préciser si la police avait été appelée. La SPR a déclaré que, à la lumière de l’autre document médical faisant suite à l’agression subie en 2004 par le demandeur (question traitée ci‑après), il était habituel de demander à une victime d’agression si elle souhaitait contacter la police.

[12]           Les deux demandeurs ont déclaré qu’après le référendum de septembre 2010, beaucoup de Kurdes ont été arrêtés à Adiyaman. Toutefois, aucun des nombreux documents dont disposait la SPR sur la situation dans le pays ne corroborait cette allégation. La SPR a tiré une conclusion défavorable de l’allégation des demandeurs selon laquelle le demandeur ainsi que d’autres avaient été arrêtés, battus et incarcérés pendant une nuit peu après le référendum.

[13]           Le demandeur a présenté une lettre émanant de son cousin médecin et datée du 28 décembre 2011, dans laquelle étaient décrites les blessures qu’il avait subies lors de l’agression de 2004. La SPR n’a pas accordé beaucoup de poids à cette lettre, car il ne s’agissait pas d’un rapport médical rédigé à l’époque de l’agression de 2004. La lettre ne précisait pas non plus si c’était la police qui avait attaqué le demandeur, et elle indiquait seulement que les blessures étaient [traduction] « attribuables à une agression ».

[14]           La lettre du médecin affirmait aussi que la victime avait demandé de ne pas contacter les autorités pour porter des accusations au criminel. La SPR a considéré que cette déclaration mettait en doute l’allégation du demandeur selon laquelle il avait été brutalisé par des agents de police. Le demandeur a déclaré que son cousin savait que c’était la police qui l’avait attaqué; la SPR a quant à elle estimé que si le cousin était au courant, il était inexplicable qu’il déclare que le demandeur avait préféré ne pas rapporter à la police des actes de violence que lui avaient infligés des policiers. C’est ainsi que la SPR a tiré une conclusion défavorable.

[15]           Pour ces motifs, la SPR a jugé que les demandeurs n’avaient pas présenté une preuve crédible et sérieuse.

Crainte subjective

[16]           La SPR a également conclu que les demandeurs n’avaient pas fait montre d’une crainte subjective de persécution en Turquie. Cela a entraîné le rejet de leur demande d’asile aux termes de l’article 96, puisque les intéressés doivent faire preuve d’une crainte à la fois subjective et objective, et a nui à leur demande de statut de personne à protéger aux termes de l’article 97, à défaut d’une crainte de menace de mort, de peines ou de traitements cruels et inusités ou encore de torture.

[17]           En 2010, le demandeur a séjourné en Finlande à deux reprises et la demanderesse s’y est rendue une fois. Ils ont déclaré avoir fait ces voyages pour rendre visite à des membres de leur famille et n’avoir jamais envisagé de demander l’asile en Finlande. Toutefois, quatre mois après leur dernier séjour en Finlande, ils ont quitté la Turquie pour le Canada afin d’y présenter leurs demandes d’asile.

[18]           La SPR a demandé aux demandeurs la raison pour laquelle ils n’avaient pas demandé l’asile pendant qu’ils se trouvaient en Finlande. Ils ont répondu qu’ils aimaient leur vie en Turquie et ne voulaient pas quitter leur pays. Ils avaient de bons emplois, possédaient un domicile et une automobile. Ils avaient déjà dû faire face à des difficultés en Turquie parce qu’ils étaient Kurdes, mais ils espéraient que la situation s’améliore. Ce n’est qu’en septembre 2010 lorsque leur demeure a été fouillée et que le demandeur a été incarcéré et battu qu’ils ont compris qu’ils ne pouvaient plus vivre en Turquie en toute sécurité. Ils ont déclaré que c’est à cette époque qu’ils ont commencé à éprouver une crainte subjective de persécution, et ils ont fui le pays deux mois après les événements de septembre.

[19]           Cependant, la preuve fournie par les demandeurs indique qu’eux‑mêmes et les membres de leur famille élargie avaient vécu des années tumultueuses. Par exemple, au cours de l’incident de 2004, le demandeur avait été mis en joue et avait été sévèrement battu à coups de poing et de pied et frappé avec la crosse d’une arme à feu.

[20]           Répondant à la question de savoir pourquoi il n’avait pas demandé l’asile durant le séjour en Finlande qui a suivi cet incident, le demandeur a dit qu’il était alors célibataire et que son fils n’était pas encore né. Ce n’est qu’après son arrestation de 2010 qu’il a compris que lui et les membres de sa famille étaient en danger en Turquie du simple fait de leur identité kurde. Il a réitéré qu’il menait une belle vie en Turquie jusqu’aux événements de 2010.

[21]           En juin 2005, la police a saccagé la demeure de la sœur de la demanderesse et torturé son mari en raison de son adhésion alléguée au PKK. Les policiers ont menacé de le tuer et l’ont averti qu’ils l’avaient à l’œil. D’après la sœur et le beau‑frère de la demanderesse, la police aurait brutalement agressé un millier de Kurdes qui célébraient le Norouz dans leur quartier en mars 2008. Beaucoup ont été gravement blessés, et de 70 à 80 d’entre eux ont été arrêtés, torturés et détenus pendant de longues périodes. Le beau‑frère était parmi ceux qui avaient été détenus. Par la suite, la police l’a régulièrement harcelé à son domicile pour lui demander pourquoi il donnait son soutien financier au PKK. C’est pour cette raison expresse que lui et sa femme ont quitté la Turquie pour le Canada.

[22]           Dans ce contexte, la SPR a dit qu’elle ne pouvait s’expliquer comment les demandeurs pouvaient espérer voir la situation s’améliorer; contrairement à ce qu’ils avaient prétendu, la vie était agitée après les événements de 2004. De plus, les menaces contre le beau‑frère de la demanderesse ont été proférées au domicile de sa mère en 2009 et en 2010, et ce, même après qu’il se fut enfui au Canada en juillet 2008.

[23]           La SPR a déclaré que si les événements allégués s’étaient bel et bien produits, les demandeurs auraient trouvé un moyen de rester en Finlande ou de quitter la Turquie avant l’époque où ils ont décidé de s’enfuir au Canada. L’incident allégué dans le parc auquel était partie la demanderesse se serait produit en septembre 2009. Cette dernière a déclaré qu’elle croyait que la police n’aurait jamais arrêté ni poursuivi en justice un Turc pour avoir agressé un Kurde. C’est pour cela que, dès ce moment, elle a été convaincue qu’elle ne pouvait bénéficier de la protection de l’État en Turquie; cependant, elle n’a malgré tout pas demandé la protection de la Finlande lors de son séjour de 2010.

[24]           La SPR a jugé qu’il n’était pas vraisemblable que les demandeurs aient pu bien vivre en Turquie jusqu’en 2010 compte tenu de l’absence de la protection de l’État, des agressions, de la détention du beau‑frère, des attaques massives menées contre les Kurdes lors des célébrations du Norouz et de la décision de la sœur de la demanderesse de s’enfuir du pays. Pourtant, les demandeurs ont déclaré ne pas avoir éprouvé de crainte subjective de persécution avant l’arrestation de 2010 et la détention du demandeur en 2010.

[25]           Par ailleurs, la demanderesse savait ce qui était arrivé à son beau‑frère après son arrestation, mais elle n’a rien fait lorsque son mari a été lui aussi arrêté en 2010. Elle n’a contacté aucun organisme de défense des droits de la personne ni aucun journaliste qui aurait pu intervenir ni n’a cherché à faire relâcher son mari. D’après ses dires, elle serait restée simplement à la maison. La SPR a jugé que le comportement de la demanderesse à l’époque de l’arrestation de son mari en 2010 mettait en évidence l’absence de crainte subjective.

[26]           Le demandeur a déclaré avoir craint d’être de nouveau arrêté après avoir été relâché par la police. Il n’a toutefois pas essayé de se cacher de la police à Adiyaman ou de quitter la ville. Pour s’expliquer, le demandeur a déclaré qu’il ne voyait pas la nécessité de se terrer. La SPR a estimé que cela aussi prouvait l’absence de crainte subjective.

[27]           Pour ces raisons, la SPR a refusé d’accorder l’asile aux demandeurs.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[28]           Dans le cadre du présent contrôle, les demandeurs soulèvent les questions suivantes :

a)                  Les conclusions de la SPR quant à la crédibilité étaient‑elles déraisonnables compte tenu de la preuve qui lui a été présentée?

b)                  La SPR a‑t‑elle fait erreur en concluant que les demandeurs n’avaient pas de crainte subjective?

c)                  La SPR a‑t‑elle contrevenu aux principes de la justice en négligeant d’aviser les demandeurs de l’insuffisance de documents faisant état des événements de septembre 2010 après avoir accepté l’assertion des demandeurs que ces documents étaient accessibles?

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[29]           La Cour suprême du Canada, dans Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, a conclu qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse exhaustive pour arrêter la bonne norme de contrôle. Plutôt, lorsque la norme de contrôle applicable à une question donnée présentée à la Cour est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse que la cour de révision doit entreprendre l’analyse des quatre facteurs qui permettent d’arrêter la bonne norme de contrôle.

[30]           Dans l’arrêt Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732 (CAF) (QL), la Cour d’appel fédérale écrivait au paragraphe 4 que la norme de contrôle applicable à une question relative à la crédibilité d’un témoin est celle de la décision raisonnable. De plus, dans la décision Elmi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 773, au paragraphe 21, le juge Max Teitelbaum a affirmé que les conclusions relatives à la crédibilité se situant au cœur même de la conclusion de fait que tire la SPR, il convient de les évaluer selon la norme de la décision raisonnable. Enfin, selon la décision Wu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 929, rendue par le juge Michael Kelen, la norme de contrôle à appliquer aux conclusions en matière de crédibilité est celle de la raisonnabilité (paragraphe 17). La norme de contrôle applicable à la première question soulevée dans la présente affaire est celle de la décision raisonnable.

[31]           Pour déterminer si la SPR a fait erreur en concluant à l’absence de crainte subjective chez le demandeur, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Mailvakanam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1422, au paragraphe 14). Il s’agit là d’une question mixte de fait et de droit à l’égard de laquelle il faut faire preuve de retenue. (Cornejo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 261, au paragraphe 17). La norme de la décision raisonnable est également applicable à la deuxième question.

[32]           Lors du contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. En d’autres termes, la Cour devrait intervenir seulement si la décision est déraisonnable du fait qu’elle déborde des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

[33]           La troisième question concerne la connaissance qu’avaient les demandeurs des éléments de preuve auxquels ils devaient répondre et la possibilité pour eux de répondre aux interrogations de la SPR. Il s’agit là d’une question d’équité procédurale (Qureshi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1081, au paragraphe 31), qui est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) c Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29).

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[34]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention – le réfugié – la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

[…]

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes – sauf celles infligées au mépris des normes internationales – et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

[…]

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

[…]

 

Person in Need of Protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care

 

 

[…]

 

 

LES ARGUMENTS

Les demandeurs

            Crédibilité

[35]           Les demandeurs font valoir que lorsque quelqu’un prétend sous serment de la véracité de certaines allégations, cela crée une présomption qu’elles sont vraies, à moins qu’il n’existe des raisons d’en douter (Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302). La SPR doit énoncer clairement les motifs sur lesquels se fondent ses conclusions défavorables quant à la crédibilité (Hilo c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] ACF no 228). La SPR ne peut tirer des conclusions défavorables quant à la crédibilité en faisant abstraction des éléments de preuve par lesquels les demandeurs cherchent à expliquer des contradictions apparentes (Frimpong c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] ACF no 441).

[36]           La SPR doit éviter de faire montre de zèle excessif lorsqu’elle attaque la crédibilité d’un demandeur, en particulier lorsque celui‑ci a eu recours à un interprète pour témoigner (Attakora c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] ACF n444 [Attakora]). En outre, la SPR doit tenir compte de la preuve globale qui lui a été présenté pour évaluer la crédibilité (Owusu‑Ansah c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] ACF no 442 [Owusu‑Ansah]).

[37]           Dans son jugement de la crédibilité, la SPR ne peut admettre d’office un élément qui ne fait pas véritablement l’objet d’une admission d’office (Lawal c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] ACF no 211). Les conclusions quant à la crédibilité doivent être fondées sur la preuve, et la SPR ne peut fonder les siennes sur des considérations non pertinentes (Owusu‑Ansah).

[38]           Les demandeurs avancent en outre que la crédibilité d’un demandeur d’asile ne constitue pas un facteur déterminant de l’issue de sa demande si elle remplit les composantes subjectives et objectives du critère de l’octroi du statut de réfugié (Attakora). Si la SPR rejette certains éléments de la preuve des demandeurs et en accepte d’autres, elle doit tout de même se fonder sur les éléments considérés comme crédibles pour déterminer si les demandeurs peuvent se voir reconnaître la qualité de réfugié au sens de la Convention (Rajaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] ACF no 1271).

[39]           La SPR a fondé sa décision relative à la crédibilité sur des conclusions déraisonnables. À la lumière de la preuve documentaire que la presse écrite et télévisée kurde est autorisée à diffuser en Turquie, la SPR a rejeté l’explication de la demanderesse selon laquelle celle‑ci n’a pas déposé de plainte à la police après l’incident du parc parce qu’elle ne pensait pas pouvoir en obtenir l’aide du fait de son identité kurde.

[40]           Selon la preuve présentée à la SPR, la culture kurde est réprimée en Turquie et les Kurdes n’ont pas le droit de célébrer le Norouz. La preuve documentaire précise que les policiers agissent souvent avec impunité, que les dirigeants violent souvent les droits de la personne et que les mécanismes indépendants de surveillance des droits de la personne sont rares.

[41]           Les conclusions devraient être fondées sur la preuve documentaire ou sur le bon sens (Divsalar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 ACF no 875). Dans la décision Pulido c Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2007 ACF no 281, au paragraphe 37, la Cour a affirmé ceci :

Cet argument soulève plusieurs problèmes. Tout d’abord, il est bien établi que lorsque la Commission tire des conclusions relatives à la vraisemblance, elle doit agir avec prudence, et que de telles conclusions ne devraient être tirées que dans les cas les plus évidents, par exemple lorsque les faits sortent tellement de l’ordinaire que le juge des faits peut raisonnablement conclure qu’il est impossible que l’événement en question se soit produit, ou lorsque la preuve documentaire dont dispose le tribunal démontre que les événements n’ont pas pu se produire de la façon dont l’affirme le demandeur : voir Divsalar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] A.C.F. n875, 2003 CFPI n653, au paragraphe 24. Ce n’est simplement pas le cas en l’espèce.

 

 

[42]           Les demandeurs avancent qu’il était déraisonnable que la SPR conclue qu’il était déraisonnable que la demanderesse n’ait pas voulu porter plainte à la police étant donné la violence que les policiers avaient déjà infligée à des membres de sa famille, la preuve documentaire donnant à croire que pareilles tentatives sont souvent futiles.

[43]           Il était également déraisonnable pour la SPR de tirer une conclusion défavorable du fait que le rapport médical faisant état des blessures subies par le demandeur mineur signalait seulement qu’elles étaient attribuables à une chute sans signaler d’agression. Les demandeurs avancent qu’il est absurde de s’attendre qu’un rapport médical fasse mention d’une agression ou d’une notification à la police. Cette information n’a pas sa place dans pareil type de rapport.

[44]           Le juge Donald Rennie a dit ce qui suit dans Paul Ulloa Argeta c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1146, aux paragraphes 31 et 32 :

Il était déraisonnable pour la Commission d’écarter le rapport médical parce qu’il ne mentionnait pas les coupures aux mains de la demanderesse. Cette dernière a indiqué dans son témoignage qu’il s’agissait de petites coupures qui ne nécessitaient pas de points de suture. Cette explication était raisonnable. Il était également déraisonnable pour la Commission d’écarter le rapport médical du demandeur parce qu’on y décrivait une blessure infligée par un objet très coupant, alors que le demandeur avait déclaré dans son témoignage qu’il avait subi de nombreuses coupures. Le rapport n’exclut pas la conclusion qu’il pouvait y avoir plus d’une coupure et rien n’indique qu’il ne s’agissait pas d’un document authentique.

 

En ce qui a trait aux rapports médicaux, les demandeurs s’appuient sur Mahmud c. Canada (MCI), [1999] A.C.F. n729, pour affirmer qu’il est déraisonnable de conclure qu’un document contredit le témoignage d’un demandeur à cause de ce qui n’y est pas mentionné, et non à cause de ce qui y est mentionné. La Cour a indiqué que lorsqu’un demandeur déclare sous serment que certaines allégations sont vraies, ces allégations sont présumées être vraies et qu’à première vue, les documents étayent les allégations du demandeur en l’absence d’une preuve contraire.

 

 

[45]           Dans Mahmud c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF no 729, la Cour s’est exprimée ainsi aux paragraphes 11 et 12 :

En effet, en l’espèce, la SSR a jugé que les lettres produites par le demandeur contredisaient sa preuve, non pour ce qu’elles disent, mais bien pour ce qu’elles gardent sous silence. En vertu de la jurisprudence, les lettres doivent être examinées pour ce dont elles font état. Elles appuient à première vue la preuve du demandeur, et ne contiennent aucun élément qui viendrait la contredire.

 

Par conséquent, la Cour conclut que l’approche adoptée par la SSR est contraire au droit. La décision de la SSR est donc annulée, et l’affaire est renvoyée pour réexamen devant un tribunal différemment constitué.

 

 

[46]           Étant donné que le rapport médical corroborait les dires de la demanderesse et compte tenu de la nature du rapport, les demandeurs font valoir qu’il était déraisonnable que la SPR s’en serve pour miner leur crédibilité.

[47]           La SPR a accordé un poids moindre à la lettre médicale rédigée par le cousin du demandeur parce qu’elle ne datait pas de l’époque de l’incident et qu’elle ne précisait pas que les blessures étaient dues à une agression policière. La SPR a également tiré une conclusion défavorable du fait que la lettre indiquait que le demandeur avait préféré ne pas faire rapport à la police : la SPR a trouvé qu’il était insensé que le cousin inscrive cette indication alors qu’il savait très bien que le demandeur avait été agressé par la police.

[48]           Les demandeurs affirment qu’il était déraisonnable que la SPR tire une conclusion défavorable de cette lacune, car le rapport relatait les faits dans l’ensemble. De plus, il était déraisonnable de la part de la SPR de tirer une conclusion défavorable à l’égard de la décision qu’avait prise le demandeur de ne pas aviser les autorités, étant donné que c’étaient les mêmes autorités qui l’avaient menacé et battu.

Équité de la procédure

[49]           La SPR a également tiré une conclusion défavorable de l’absence de preuves corroborant les arrestations des Kurdes après le référendum de septembre 2010. Lors de l’audience, la SPR a demandé à la demanderesse si elle pensait qu’une vérification permettrait de confirmer que ces arrestations avaient bel et bien eu lieu et que les domiciles de bon nombre d’autres Kurdes d’Adiyaman avaient aussi fait l’objet de saccages cette année‑là. La demanderesse a répondu que ces événements avaient bel et bien eu lieu. La SPR est ensuite passée à d’autres questions (se reporter à la page 286 du dossier des demandeurs).

[50]           Les demandeurs font valoir que, vu cet échange, il était injuste de la part de la SPR de tirer une conclusion défavorable de l’incapacité des demandeurs de produire une preuve corroborant ces arrestations. La SPR aurait dû aviser les demandeurs de son intention de conclure défavorablement à leur endroit et leur donner la possibilité de produire les rapports. Cependant, les demandeurs ont déduit de la réaction de la SPR que celle‑ci était satisfaite de la réponse de la demanderesse, et rien ne laissait présager qu’elle entendait tirer une conclusion défavorable à cet égard. Selon les demandeurs, la SPR a ainsi porté atteinte au principe de justice naturelle.

[51]           Dans la décision Romero v Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2011 FC 1452, aux paragraphes 98 et 99 et 101 et 103, la Cour a annulé une décision dans des circonstances semblables :

[traduction]

La demanderesse évoque l’iniquité procédurale parce que la SPR ne lui a pas demandé la raison pour laquelle elle avait omis de mentionner les menaces de mort dans le formulaire IMM 5611 qu’elle avait rempli. Elle fait valoir que, dans les faits, la SPR ne lui a posé aucune question au sujet de ce formulaire durant l’audience. Elle affirme que sa situation est comparable à l’affaire Kumara, précitée, où le juge Hughes avait ceci à dire sur le fait que la SPR n’avait pas demandé aux demandeurs de lui expliquer les incohérences relevées.

 

Quant à la première question de savoir si les demandeurs avaient justifié leur crainte, le commissaire a fondé sa décision sur cinq incidents qui sont mentionnés au dossier. Le commissaire a conclu que, en raison de contradictions apparentes, il existait des motifs de mettre en doute la sincérité des demandeurs à l’égard de chacun des incidents et, par conséquent, leur crainte ne pouvait pas être fondée. Cependant, à aucun moment les demandeurs n’ont eu la possibilité d’expliquer les prétendues contradictions ou de clarifier la question. Le commissaire a attendu que l’audience prenne fin, puis il a relevé d’apparentes contradictions et les a utilisées pour discréditer la demande des demandeurs. Comme l’écrivait le juge Russell dans la décision Shaiq c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 149, au paragraphe 77 :

 

77   Bien que la SPR ne soit pas tenue de faire part au demandeur de toutes ses réserves qui ont trait à la Loi et au règlement, l’équité procédurale exige effectivement qu’elle accorde au demandeur la possibilité d’aborder les problèmes soulevés au sujet de la crédibilité, de l’exactitude ou de l’authenticité des renseignements soumis (voir par exemple, le jugement Kuhathasan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] A.C.F. n587, au paragraphe 37. En conséquence, j’estime que la SPR aurait dû en l’espèce accorder au demandeur la possibilité d’aborder une question qui jouait un rôle essentiel en ce qui concerne la conclusion défavorable tirée quant à la crédibilité.

 

Dans le même registre, le juge Dubé dans l’arrêt Malala c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 94, a écrit ce qui suit aux paragraphes 23 et 24 :

 

23   Ma lecture de la transcription fait ressortir que la Commission aurait dû, à l’audience, donner une meilleure occasion à la demanderesse de présenter ses commentaires ou explications quant aux contradictions perçues par la Commission dans son témoignage. De plus, il semble que dans certains cas la Commission a fait preuve d’un zèle intempestif en découvrant des contradictions là où il n’y en a pas nécessairement.

 

24   Un examen de la jurisprudence sur cette question, brièvement résumée plus haut, fait ressortir qu’il n’y a pas unanimité. La jurisprudence établit toutefois qu’en général, il y a lieu d’informer un demandeur à l’audience des contradictions perçues afin de lui permettre d’offrir les explications pertinentes. Un demandeur doit avoir l’occasion de s’expliquer pleinement quant aux incohérences perçues. Lorsque la Commission privilégie la preuve documentaire par rapport au témoignage sous serment d’un demandeur, elle doit s’expliquer à ce sujet en termes clairs.

 

 

Bien qu’il ne soit pas nécessaire de porter chaque contradiction à l’attention du demandeur, lorsque, comme en l’espèce, la décision était clairement et uniquement fondée sur cinq apparentes contradictions, celles‑ci auraient dû être portées à l’attention des demandeurs. Dans chacun de ces cas, le dossier révèle que l’apparente contradiction n’a jamais été portée à l’attention des demandeurs. Quant au pot‑de‑vin que le frère aurait versé, le dossier révèle que le commissaire n’a pas tenu compte de la preuve selon laquelle le pot‑de‑vin a été versé non pas par le frère, mais par un intermédiaire. Quant à l’identification d’un membre de la famille éloignée, le dossier ne révèle pas, contrairement à la conclusion du commissaire, que ce membre a été identifié comme étant un membre des TLET. Quant à la raison pour laquelle les demandeurs ne pouvaient pas être retrouvés dans une petite ville, la preuve révèle qu’ils se tenaient cachés. En outre, comme nous le verrons plus loin, le commissaire a tiré des conclusions contradictoires quant à savoir s’il s’agissait d’une petite ville ou d’une grande région métropolitaine. En résumé, à la seule lecture du dossier, le commissaire aurait dû porter ces questions à l’attention des demandeurs avant de tirer des conclusions défavorables.

 

La demanderesse prétend que dans son cas aussi, le commissaire a gardé le silence et a attendu que l’audience prenne fin.

[…]

 

Bien que la SPR ait souligné que la « demandeure d’asile n’a pas fait mention de cette allégation lorsqu’elle a fait un rapport pour la première fois à Citoyenneté et Immigration Canada », la SPR a aussi signalé dans son analyse la contradiction entre l’allégation de menace de mort et la dénonciation de la police déposée au Salvador. Par conséquent, le défendeur estime que, même si la SPR n’a pas signalé à la demanderesse la contradiction relevée entre son témoignage et ce qu’elle a écrit dans le formulaire IMM 5611, elle a « tout de même mentionné que la preuve qu’elle a présentée révélait cette même contradiction ». En particulier, le défendeur affirme que la SPR a souligné l’incohérence et a donné à la demanderesse la possibilité de s’exprimer sur le rapport de police qui ne mentionnait pas la menace de mort alléguée.

 

Je crois que la demanderesse n’a pas réussi à expliquer les contradictions. Il ressort clairement de la décision que la conclusion défavorable extrêmement importante relativement à la crédibilité de l’allégation de menace de mort était fondée sur le fait que la demanderesse n’a pas soulevé cette allégation lorsqu’elle a déposé sa plainte à Citoyenneté et Immigration et qu’elle n’a pas non plus déposé une plainte auprès des autorités de son propre pays. Autrement dit, les omissions relevées tant dans le rapport de police que dans le formulaire IMM 5611 sont tout aussi pertinentes et importantes pour ce qui est de la conclusion défavorable quant à la crédibilité. Ces documents se soutiennent mutuellement. Il est impossible de déterminer quel aurait été le résultat de l’audience si la demanderesse avait été avisée de la divergence causée par l’omission sur le formulaire IMM 5611 et si elle avait eu la possibilité de s’expliquer. Si la SPR avait été satisfaite de son explication, elle aurait pu conclure que la demanderesse avait effectivement fait l’objet de menaces de mort. Cet élément aurait été déterminant pour la décision parce que la SPR aurait été obligée d’évaluer le risque, même si la demanderesse avait tort de croire que la police représentait un danger, si tant est qu’elle eût fait l’objet de menaces de mort.

 

Ainsi, pour ces raisons et en me fondant sur les affaires susmentionnées, je considère qu’il était injuste, compte tenu des circonstances de l’espèce, que la SPR se fonde sur les informations figurant dans le IMM 5611 et dans la déclaration ultérieure de la demanderesse relativement à la menace de mort pour conclure à une incohérence sans en faire part à la demanderesse et sans lui donner la possibilité de s’expliquer.

 

 

[52]           Les demandeurs font valoir que le même raisonnement s’applique en l’espèce. Ayant demandé si des documents étaient disponibles, et ayant apparemment accepté la réponse des demandeurs, la SPR aurait dû signaler aux demandeurs qu’elle se préoccupait de l’absence de preuves documentaires.

L’absence de crainte subjective

[53]           La SPR a estimé que les séjours passés par les demandeurs en Finlande étaient révélateurs de l’absence de crainte subjective et a rejeté leur explication selon laquelle ils n’avaient décidé de s’enfuir qu’après l’incident de septembre 2010. Les demandeurs font valoir qu’ils avaient expliqué très clairement qu’ils ne souhaitaient pas s’enfuir de Turquie à moins d’en être absolument forcés, car qu’ils vivaient bien en Turquie. Ils avaient expliqué que l’incident de 2004 s’était produit avant la naissance de leur fils. L’incident de 2009 les a effrayés, mais pas assez pour les pousser à s’enfuir. Ce n’est qu’après les incidents qui ont entouré le référendum que les demandeurs ont perdu tout espoir de voir la situation s’améliorer et qu’ils se sont décidés à s’enfuir.

[54]           Il est particulièrement déconcertant que la SPR se soit basée sur le fait que la sœur de la demanderesse se soit enfuie plus tôt, étant donné que sa demande d’asile a été acceptée et qu’elle a été jugée crédible. La Cour a jugé qu’une conclusion d’absence de crainte subjective constitue dans les faits une conclusion défavorable quant à la crédibilité (Yusuf c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] ACF no 1049). Comme la demande d’asile de la sœur de la demanderesse a été acceptée, les demandeurs font valoir que la SPR a eu tort de douter de leur crédibilité et de conclure que ces événements ne s’étaient pas produits.

[55]           Dans Giron c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] ACF no 481, la Cour d’appel fédérale a clairement affirmé qu’il n’était pas justifié de tirer une conclusion défavorable du fait que le demandeur n’avait pas quitté son pays après un acte de persécution.

La Section du statut de réfugié de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (« la Commission ») a choisi de fonder en grande partie sa conclusion en l’espèce à l’égard du manque de crédibilité, non pas sur des contradictions internes, des incohérences et des subterfuges, qui constituent l’essentiel du pouvoir discrétionnaire des juges des faits, mais plutôt sur l’invraisemblance des critères extrinsèques, tels que le raisonnement, le sens commun et la connaissance d’office, qui nécessitent tous de tirer des conclusions que les juges des faits ne sont pas mieux placés que les autres pour tirer.

 

La preuve documentaire démontre que le Guatemala a peut‑être la pire réputation des Amériques quant aux droits de la personne, et qu’une bonne partie des activités de son escadron de la mort est dirigée contre les étudiants, en particulier contre ceux fréquentant l’université du demandeur, et même contre les étudiants ordinaires qui ne sont pas des meneurs. Les conclusions de la Commission selon lesquelles le demandeur n’était pas un meneur et n’avait pas de preuve à présenter à propos des activités des escadrons de la mort sont tout à fait contraires à la preuve documentaire, compte tenu de cette dernière. En fait, le demandeur avait la réputation d’être un membre actif d’un groupe considéré comme étant antigouvernemental (Annexe, à la p. 39).

 

Selon le demandeur, s’il n’a pas révélé aux autres membres de son groupe les menaces qu’il a reçues, c’est qu’il avait peur des informateurs (Annexe, à la p. 41) et que l’affaire était extrêmement personnelle. Il n’a pas non plus parlé des menaces à sa mère ni à sa sœur, parce qu’elles étaient des femmes (Annexe, à la p. 22), bien que, en fin de compte, il ait effectivement dit à sa mère l’essentiel de ce qui se passait après qu’elle eut intercepté une menace téléphonique qu’on lui proférait (Annexe, à la p. 37). Voici la dernière observation de la Commission à cet égard (Dossier d’appel, à la p. 272).  

 

[traduction]

« S’il tenait cependant à protéger leur tranquillité d’esprit, comme il le disait, il n’est pas raisonnable de croire qu’il aurait continué, sans hésitation, l’activité même qui menaçait supposément leurs vies. »

 

La Commission peut difficilement tenir pour une réflexion objective, un conseil gratuit de lâcheté de cette nature considéré comme la seule norme de comportement possible. On peut dire la même chose de la conclusion suivante tirée par la Commission (Dossier d’appel à la p. 272): [traduction] « Dans un pays comme le Guatemala qui a de tristes antécédents en matière de droits de la personne, on pourrait s’attendre à ce qu’une personne qui est sérieusement menacée, irait se cacher. » Quant aux précautions, il n’est pas évident quelles il aurait pu prendre au‑delà de celles qu’il a prises, c’est‑à‑dire, renoncer à ses cours pendant un certain temps (Annexe, à la p. 34) et prendre certaines précautions dans la rue (Annexe, à la p. 32).

 

 

[56]           Par ailleurs, dans la décision Sundaram c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 572, la Cour a déclaré ce qui suit sur la question aux paragraphes 6 à 8 :

De plus, selon la demanderesse, la Commission souligne qu’elle ne juge pas vraisemblable que la demanderesse fasse une demande de passeport et « ensuite retourne dans le nord si elle risquait de faire l’objet d’extorsion et craignait que les TLET la forcent à épier des gens pour eux ». Toutefois, la demanderesse prétend que ces conclusions découlent d’une appréciation superficielle de la preuve. La demanderesse a fait une demande de passeport en vue d’aller rendre visite à sa fille au Canada et non pas en vue d’échapper aux TLET. À l’époque où elle a fait sa demande de passeport, la demanderesse n’avait bravé aucune demande des TLET et elle n’avait fait l’objet d’aucune demande d’extorsion, des faits manifestement mal interprétés par la Commission. C’était la réaction de l’armée qu’elle redoutait si les problèmes recommençaient et que les TLET l’obligeaient à épier pour eux.

 

Je suis porté à être d’accord avec la demanderesse sur ce point. La Commission semble ne pas avoir tenu compte du témoignage de la demanderesse selon lequel sa crainte subjective a pris naissance après qu’elle fut arrivée au Canada, qu’elle eut parlé à sa fille et à son mari, et qu’elle fut informée que les TLET la recherchaient et avaient demandé qu’elle entre en communication avec eux lorsqu’elle retournerait au Sri Lanka. La demanderesse n’a jamais prétendu avoir une crainte subjective avant ce moment, et par conséquent, il n’y a rien d’invraisemblable à ce qu’elle retourne dans le nord après avoir fait sa demande de passeport en vue d’aller voir sa fille. Elle n’avait aucune crainte subjective de persécution à ce moment‑là. Par conséquent, j’estime que cette conclusion de la Commission était manifestement déraisonnable.

 

La Commission invoque également le fait que la demanderesse n’ait pas quitté le Sri Lanka plus tôt comme exemple que celle‑ci n’avait aucune crainte subjective de persécution dans son village natal. Il s’agit là également d’une conclusion manifestement déraisonnable parce que, comme il a déjà été mentionné, la demanderesse ne prétendait pas avoir une crainte subjective de persécution à ce moment‑là.

 

 

[57]           Les demandeurs font valoir que le même raisonnement s’applique à leur cas. De plus, la Cour a conclu que le fait de se réclamer à nouveau de la protection des autorités n’empêche pas un demandeur de présenter une demande d’asile si d’autres actes de persécution viennent précipiter la fuite par la suite. Voici ce que la Cour avait à dire dans la décision Gurusamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 990, au paragraphe 40 :

En outre, la conclusion selon laquelle le demandeur s’est réclamé à nouveau de la protection le 19 septembre 2001 ne tient pas compte du fait qu’il a quitté le Sri Lanka en raison de deux incidents déclencheurs survenus après cette date. Les persécutions ultérieures à la date à laquelle elle se réclame de nouveau de la protection des autorités n’empêchent pas une personne de présenter une revendication du statut de réfugié sans devoir réfuter un argument portant sur le fait qu’elle s’est réclamée de la protection de son pays. Voir Prapahavan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 272, au paragraphe 17.

 

 

[58]           Les demandeurs ont clairement expliqué que c’est l’incident de septembre 2010 qui les a forcés à quitter le pays. Aussi la SPR a‑t‑elle fait erreur en se fondant sur la possibilité qu’avaient les demandeurs de se réclamer à nouveau de la protection des autorités.

Le défendeur

            Crédibilité

 

[59]           Le défendeur signale que la SPR a jugé que la demande d’asile des demandeurs n’était pas crédible pour diverses raisons. Par exemple, la demanderesse a déclaré qu’il est interdit de parler le kurde en Turquie, mais ce n’était pas ce qui ressortait de la preuve documentaire présentée à la SPR et selon laquelle la langue kurde est légale et qu’il existe même des chaînes de télévision et des journaux kurdes. À cet égard, la demanderesse a répondu qu’il n’existe pas de télévision kurde en Turquie (voir le dossier des demandeurs, aux pages 278 et 279). Le défendeur prétend que, comme ce témoignage oral divergeait de la preuve documentaire, la SPR pouvait certainement tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité de la demanderesse.

[60]           La demanderesse a déclaré qu’elle avait été agressée pour avoir parlé kurde dans un parc, et la SPR a souligné que les demandeurs vivaient dans une région à prédominance kurde où il aurait été normal d’entendre parler le kurde. Contrairement à ce qu’affirmaient les demandeurs, la SPR n’a pas tiré une conclusion défavorable du fait que la demanderesse a négligé de se rendre à la police après cette agression; la SPR a simplement trouvé invraisemblable sa description de l’incident. Le défendeur déclare que la SPR pouvait certainement trouver invraisemblable que la demanderesse se fasse attaquer pour cette raison.

[61]           La SPR pouvait également raisonnablement conclure que le rapport médical faisant état des blessures du fils du demandeur ne corroborait pas les allégations relatives à l’incident dans le parc. Étant donné les doutes quant à la crédibilité de l’allégation d’agression, la SPR était raisonnablement en droit de ne pas accorder à cet élément de preuve une valeur corroborante et une valeur probante suffisantes qui lui auraient permis de dissiper ses doutes quant à la crédibilité de l’incident. La SPR n’a pas fait erreur en tirant une conclusion défavorable du fait que le rapport ne mentionnait pas que le fils avait été blessé au cours de l’agression parce que la note médicale qui décrivait les blessures du demandeur mentionnait qu’on lui avait demandé s’il voulait signaler l’agression aux autorités.

[62]           De même, il était raisonnable que la SPR donne peu de poids à la lettre du médecin, cousin du demandeur. Cette lettre ne date pas de l’époque de l’agression, elle a été rédigée par un parent et ne mentionnait pas que c’étaient des agents de police qui avaient agressé le demandeur. Il était aussi raisonnable que la SPR tire une conclusion défavorable des omissions relevées dans le rapport; le cousin médecin savait que les blessures avaient été causées par les policiers, et le rapport a été rédigé après la date d’arrivée des demandeurs au Canada.

[63]           La SPR a souligné que la situation des Kurdes en Turquie faisait l’objet d’une volumineuse preuve documentaire, mais qu’aucun document ne corroborait l’allégation des demandeurs voulant que d’importants groupes de Kurdes eussent été arrêtés ou harcelés après le référendum de 2010 dans la région du domicile des demandeurs. Le défendeur avance qu’il était raisonnable que la SPR s’attende à trouver des documents faisant état de pareils actes de violence policière et qu’elle tire une conclusion défavorable de l’inexistence d’une preuve à cet effet.

[64]           Il était raisonnable que la SPR privilégie la preuve documentaire au témoignage des demandeurs. La Cour fédérale d’appel a jugé que le témoignage donné sous serment par le demandeur d’asile peut être réfuté lorsque la preuve documentaire ne mentionne pas un fait qu’on pourrait normalement s’attendre à y retrouver (Adu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] ACF no 114).

            Équité de la procédure

[65]           Contrairement à ce que prétendent les demandeurs, la SPR leur a fait savoir qu’elle analyserait la documentation sur les événements qui sont survenus en Turquie pour y chercher des éléments corroborant leurs affirmations (dossier des demandeurs, page 286). La SPR a indiqué que la preuve documentaire aurait dû mentionner les actes de violence policière dans la foulée du référendum de 2010, et les demandeurs le savaient. Il incombait aux demandeurs de fournir cette preuve et ils étaient représentés par un conseil à l’audience.

[66]           Le défendeur soutient que ce sont les circonstances de l’espèce qui déterminent s’il incombe à la SPR de signaler les contradictions aux demandeurs d’asile (Awolaja c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1240, au paragraphe 45; Dehghani‑Ashkezari c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 809, au paragraphe 14). En l’espèce, au début de l’audience, la SPR a clairement indiqué qu’elle entendait vérifier la preuve documentaire pour y chercher des éléments étayant la description qu’avaient faite les demandeurs des événements qui ont suivi le référendum de 2010. Si les demandeurs possédaient d’autres documents corroborant leurs dires, il leur incombait de les présenter à l’audience. De plus, les demandeurs n’ont pas été privés de la possibilité de répondre et ont bénéficié des services d’un conseil à l’audience.

[67]           Les motifs ne donnent pas à entendre que la SPR a omis de tenir compte de la description qu’ont faite les demandeurs de la façon dont les Kurdes avaient été traités dans la foulée du référendum. La SPR a mis dans la balance le témoignage verbal des demandeurs et la preuve documentaire. La Cour fédérale d’appel a jugé que le témoignage sous serment du demandeur d’asile pouvait être réfuté lorsque la preuve documentaire ne mentionne pas un fait qu’on pourrait normalement s’attendre à y retrouver. (Adu, précité, au paragraphe 1).

L’absence de crainte subjective

[68]           La SPR a rappelé que les demandeurs étaient venus au Canada pour présenter une demande d’asile quatre mois seulement après avoir séjourné en Finlande. Le retard d’un demandeur à demander l’asile constitue un facteur important dont elle peut tenir compte dans l’examen d’une demande et peut même porter un coup fatal à la demande si le demandeur est incapable d’expliquer ce retard de manière satisfaisante (Espinosa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1324, au paragraphe 16).

[69]           Les demandeurs ont dit que ce n’était qu’après le référendum de 2010 qu’ils ont conclu qu’il leur était impossible de continuer à vivre en Turquie. Toutefois, la SPR pouvait rejeter cette explication. La SPR a considéré que la déclaration des demandeurs selon laquelle ils vivaient bien en Turquie allait à l’encontre des faits qu’ils ont allégués. Étant donné les agressions brutales qu’eux et d’autres membres de leur famille avaient subies, il était raisonnable que la SPR trouve invraisemblable que les demandeurs affirment avoir mené une vie paisible en Turquie jusqu’en 2010 et qu’ils n’aient pas cherché un moyen de ne pas retourner en Turquie lorsqu’ils séjournaient en Finlande.

[70]           La SPR a aussi conclu que les mesures qu’ont prises les demandeurs après que le demandeur principal eut été arrêté en 2010 ne cadraient pas avec les allégations de crainte subjective. La SPR a fait valoir que la demanderesse n’a rien fait lorsque son époux a été arrêté et que, lorsqu’il a été libéré, ni l’un ni l’autre n’a cherché à se cacher de la police. Le défendeur prétend qu’il était raisonnable que la SPR considère que ce comportement n’est pas typique de personnes qui craignent pour leur vie.

[71]           Pour évaluer la crainte subjective, la SPR peut prendre en considération le comportement du demandeur (Espinosa, précitée). Le défendeur soutient que, en l’espèce, le comportement des demandeurs ne cadrait pas avec la preuve qu’ils ont présentée pour étayer leur allégation de mauvais traitements qu’eux‑mêmes et leur famille auraient supportés pendant de longues années en raison de leur identité kurde.

Réponse des demandeurs

[72]           Les demandeurs soulignent que, s’il n’est pas formellement illégal de parler le kurde, la preuve documentaire révèle que les Kurdes sont souvent victimes de discrimination et de persécution par les autorités et les groupes nationalistes turcs. Ils font valoir qu’il n’était pas raisonnable que la SPR juge invraisemblable l’allégation selon laquelle la demanderesse a été agressée pour avoir parlé en kurde, et que la SPR a commis une erreur en ne reconnaissant pas que le fait de s’exprimer en kurde, quoique légal, peut donner à lieu un traitement discriminatoire ou à des actes de persécution.

[73]           De plus, le fait que beaucoup de gens parlent en kurde ne met pas la demanderesse à l’abri de toute agression. La preuve documentaire met au jour de nombreux actes de discrimination à l’endroit des Kurdes.

[74]           Les demandeurs réitèrent que la demanderesse a déclaré à l’audience qu’elle pouvait produire des preuves des agressions postréférendaires, mais que la SPR ne les a pas demandées. Si la SPR entendait tirer une conclusion défavorable de l’absence de preuves documentaires, il lui incombait d’en aviser les demandeurs et de leur donner la possibilité de les présenter. Mais l’échange au cours de l’audience leur a fait croire que cette preuve n’était pas requise. Les demandeurs signalent également que le défendeur n’a pas réagi à l’argument invoquant la décision Paul Ulloa Argueta, précitée.

[75]           Quant à la crainte subjective, les demandeurs font valoir que le défendeur n’a pas tenu compte du fait que l’incident qui les a poussés à s’enfuir de la Turquie s’est produit après leur retour de Finlande.

ANALYSE

[76]           Mon analyse de la décision et du dossier me porte à conclure que des erreurs susceptibles de contrôle entachent un certain nombre de conclusions clés, si bien que l’affaire mérite d’être renvoyée en vue d’un nouvel examen.

[77]           Par exemple, la SPR tire une conclusion défavorable quant à la crédibilité de la déclaration qu’a faite la demanderesse au sujet de l’incident du parc de 2009 à savoir qu’il était illégal de s’exprimer en kurde en Turquie alors que la preuve documentaire faisait état du contraire. Mais voici ce en quoi consistait la véritable préoccupation de la SPR :

Je tire cette conclusion surtout du fait que les demandeurs d’asile vivaient dans une région à prédominance kurde où ce n’est pas inhabituel d’entendre une mère et son enfant parler kurde. La demandeure d’asile associée a déclaré que sa propre mère parlait seulement le kurde. Ce serait normal à Adiyaman de parler et d’entendre le kurde.

 

 

[78]           La préoccupation de la SPR ici ne réside pas dans les incohérences entre le témoignage des demandeurs et la preuve documentaire, mais plutôt dans le fait que l’agression commise par l’adolescent raciste dans le parc est invraisemblable parce que les demandeurs vivaient dans une région à prédominance kurde.

[79]           Les conclusions d’invraisemblance ne doivent être tirées que dans les cas les plus évidents. Comme le juge l’a déclaré dans la décision Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, au paragraphe 7 :

Un tribunal administratif peut tirer des conclusions défavorables au sujet de la vraisemblance de la version des faits relatée par le revendicateur, à condition que les inférences qu’il tire soient raisonnables. Le tribunal administratif ne peut cependant conclure à l’invraisemblance que dans les cas les plus évidents, c’est‑à‑dire que si les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre ou si la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le revendicateur le prétend. Le tribunal doit être prudent lorsqu’il fonde sa décision sur le manque de vraisemblance, car les revendicateurs proviennent de cultures diverses et que des actes qui semblent peu plausibles lorsqu’on les juge en fonction des normes canadiennes peuvent être plausibles lorsqu’on les considère en fonction du milieu dont provient le revendicateur. [Voir L. Waldman, Immigration Law and Practice, Markham, Ontario, Butterworths, 1992, au paragraphe 8.22].

 

 

[80]           Une agression commise par un adolescent raciste dans un parc ne peut être considérée comme invraisemblable tout simplement parce que les demandeurs habitent une région à prédominance kurde. La SPR aurait pu aller plus loin et demander des précisions à la demanderesse, mais elle a préféré s’en tenir à des déductions et conjecturer sur le comportement d’un adolescent raciste.

[81]           La SPR remet également en cause l’agression que dit avoir subie la demanderesse parce que le rapport médical concernant son fils mentionne seulement que ce dernier « est tombé ». Cela ne contredit pas la description des faits de la demanderesse. De plus, la SPR fonde sa conclusion défavorable sur le fait qu’« il n’est pas précisé dans le rapport médical que la police a été informée de l’agression ». La SPR semble accorder de l’importance à ce point parce que :

Il semble qu’en Turquie, lorsqu’une personne est blessée par suite d’une agression violente, il leur est suggéré d’informer la police de l’agression.

 

 

[82]           Cette présomption découle, nous dit‑on, de la preuve produite par les demandeurs eux‑mêmes :

J’ai tiré cette conclusion à partir du rapport médical établi par suite de l’agression qu’a subie le demandeur d’asile principal en 2004. Selon le rapport médical, le demandeur d’asile principal s’est fait demander s’il voulait signaler l’agression aux autorités. Dans le cas du rapport concernant le demandeur d’asile mineur, il n’y a rien qui indique que sa chute est plus qu’accidentelle.

 

 

[83]           Je le répète, rien dans le rapport ne contredit l’explication qu’ont donnée les demandeurs de la façon dont leur fils s’est blessé. La blessure est confirmée dans le rapport. La conclusion défavorable est fondée sur une simple conjecture de la SPR selon laquelle le rapport médical de 2009 aurait dû mentionner qu’une agression avait été commise, ou qu’on avait demandé aux demandeurs s’ils souhaitaient rapporter l’agression subie par le demandeur mineur. Il n’est pas raisonnable de déduire que le fait qu’on a demandé au demandeur s’il souhaitait rapporter l’agression qu’il avait subie en 2004 signifie qu’on lui a certainement demandé la même chose en 2009 et que cette suggestion aurait été mentionnée dans un formulaire.

[84]           Qui plus est, la SPR elle‑même met en cause le rapport médical de 2004 qu’elle désigne comme une lettre. Le rapport de 2004 ne suffit pas à déduire que, en Turquie, les médecins recommandent à la victime d’une agression violente de la notifier aux autorités et qu’ils le mentionnent cette suggestion dans leur rapport.

[85]           Pour conclure ce point, je ne crois pas que la conclusion défavorable de la SPR relativement à l’agression commise contre la demanderesse et le mineur dans le parc soit fondée.

[86]           L’agression commise par la police en 2004 à l’endroit du demandeur principal soulève aussi des questions semblables. Le rapport médical ne contredit pas le témoignage du demandeur. La SPR lui accorde peu de poids parce qu’il ne date pas de l’époque de l’agression et qu’il a été rédigé par le cousin du demandeur, médecin de sa profession. Même s’il y a lieu de s’interroger ici sur la valeur de cet élément de preuve, rien dans le rapport ne permet de rejeter la présomption de vérité accordée par le droit à la déclaration sous serment du demandeur. Voir la décision Maldonado, précitée.

[87]           Le rejet du témoignage du demandeur principal voulant qu’il ait été agressé par la police réside principalement dans le fait que le rapport du cousin médecin mentionne que le demandeur avait demandé de ne pas contacter les autorités pour porter une accusation au criminel. Cela concorde avec la déclaration du demandeur selon laquelle, après l’avoir battu et torturé en 2004, des policiers ont braqué une arme sur lui et l’ont menacé de le tuer s’il rapportait l’incident. La SPR a conclu que le fait que le demandeur ait préféré ne pas porter d’accusations au criminel contre les policiers « mine considérablement l’allégation du demandeur d’asile principal selon laquelle ce sont des policiers qui l’ont agressé. La SPR semble dire que si le cousin médecin avait mentionné cette suggestion, il aurait aussi mentionné les responsables de l’agression.

[88]           Il nous semble ici que la SPR a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité en se fondant sur un rapport médical qui, sans contredire la déclaration sous serment du demandeur, ne mentionne pas que l’agression a été commise par des policiers. Je pense que nous avons affaire ici à une conclusion défavorable fondée sur l’absence de confirmation dans le rapport médical, même si les faits décrits dans ledit rapport concordent entièrement avec le témoignage du demandeur. La Cour a souvent fait une mise en garde contre ce genre de déductions. Voir Pantas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 64, au paragraphe 102.

[89]           Je conviens aussi avec les demandeurs que l’analyse par la SPR du caractère subjectif de la crainte est déraisonnable. Ils ont été accablés par une oppression constante qui a atteint son comble lors d’un incident qui a précipité les choses à leur retour de Finlande. Dans l’ensemble, la SPR fonde sa conclusion sur la déclaration des demandeurs selon laquelle ils « vivaient bien en Turquie » :

Comment était‑ce possible que les demandeurs d’asile vivent bien en Turquie en tant que Kurdes en 2010? Étant donné le manque apparent de protection de l’État, les agressions, le fait que la police ait maintenu en détention le beau‑frère de la demandeure d’asile associée et agressé sa sœur, les allégations d’agressions massives contre les Kurdes à différentes célébrations de Newroz, la décision de la sœur de la demandeure d’asile associée de fuir la Turquie en 2010 à cause de la persécution continue alléguée, cela ne semble pas vraisemblable. Et pourtant, c’est ce qui ressort de leur témoignage. Encore une fois, ils ont déclaré qu’ils n’avaient pas de crainte subjective d’être maltraités avant l’arrestation et la détention du demandeur d’asile principal en 2010.

 

 

[90]           Il faut se rappeler que les demandeurs ont témoigné par l’intermédiaire d’un interprète. Il ressort clairement de l’ensemble du dossier que les demandeurs ont pu tolérer la situation qui sévissait en Turquie jusqu’à la dernière agression qu’ils ont subie en 2010 et au cours de laquelle leur domicile a été envahi et le demandeur a été battu et emporté sous les yeux de son jeune fils. C’est alors que les circonstances ont changé et que les hostilités ont pris une nouvelle ampleur. La SPR invoque le fait que la demanderesse n’a pas réagi, mais le demandeur n’a été détenu qu’une seule nuit. Il est difficile d’imaginer comment elle aurait pu durant cette courte période se rendre au poste de police, contacter un avocat ou un organisme de défense des droits de la personne ou encore des journalistes et s’occuper en même temps d’un jeune enfant.

[91]           La SPR néglige aussi de tenir compte du fait que, bien que le demandeur n’ait pas cherché à se cacher des autorités après avoir été libéré, les demandeurs ont immédiatement pris des dispositions pour quitter la Turquie et se rendre au Canada.

[92]           Je conviens également avec les demandeurs qu’il n’était pas raisonnable que la SPR se fie à la documentation générale sur la situation dans le pays pour tirer une conclusion défavorable au sujet des traitements infligés aux Kurdes de cette ville en particulier. Les demandeurs n’ont pas affirmé que des attaques étaient montées contre les Kurdes de tout le pays, et la SPR n’a pas consulté les médias de l’endroit pour comprendre ce qui s’était passé à Adiyaman. Toutefois, comme la SPR leur a effectivement demandé s’ils avaient des preuves documentaires, il y a lieu de se demander si les demandeurs étaient conscients des réserves de la SPR.

[93]           Pour conclure, j’estime que le juge a commis une erreur susceptible de contrôle qui justifie le réexamen de la décision.

[94]           Les avocats des parties conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier, ce qui est également l’avis de la Cour.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande est accueillie. La décision contrôlée est annulée, et l’affaire est renvoyée devant la SPR pour réexamen par un tribunal différemment constitué.

2.                  Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Marie‑Michèle Chidiac, trad.a.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑4854‑12

 

INTITULÉ :                                                  YASAR ARSLAN, SEHRIBAN ARSLAN, EFE ARSLAN

 

                                                                        ‑ et ‑

 

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 4 février 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                                         LE JUGE RUSSELL

 

DATE :                                                          Le 8 mars 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Clare Crummey

 

DEMANDEURS

 

Amy King

 

DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waldman and Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

DEMANDEURS

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

 

DÉFENDEUR

 

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