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Date : 20130228

Dossier : IMM‑7457‑12

Référence : 2013 CF 209

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 28 février 2013

En présence de monsieur le juge Shore

 

 

ENTRE :

 

MATTHEW L.L. ENRIGHT

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I. Introduction

[1]               Le demandeur, M. Matthew L.L. Enright, un citoyen canadien, a parrainé la demande de résidence permanente de Mme Natalia Kuryashkina, une citoyenne de la Russie, au titre de la catégorie du regroupement familial définie au paragraphe 12(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié selon laquelle leur relation de conjoints de fait ou de partenaires conjugaux n’était pas authentique et visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la LIPR.

 

II. Procédure judiciaire

[2]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application du paragraphe 72(1) de la LIPR, de la décision du 21 juin 2012 de la SAI.

 

III. Contexte

[3]               Le demandeur est né en 1953 et Mme Kuryashkina est née en 1957.

 

[4]               En 1998, Mme Kuryashkina a tenté une première fois d’entrer au Canada sur l’invitation d’un homme qu’elle avait rencontré grâce à une annonce privée, mais sa demande de visa de visiteur a été refusée.

 

[5]               Le 20 février 2000, Mme Kuryashkina est entrée au Canada sans visa de visiteur et a présenté une demande pour obtenir le statut de réfugié, mais sa demande a été rejetée en août 2000.

 

[6]               En décembre 2000, Mme Kuryashkina a épousé un ressortissant russe qui a parrainé une demande de résidence permanente pour elle. En mai 2002, la demande a été retirée et Mme Kuryashkina a divorcé de son époux en février 2003 en raison de mauvais traitements.

 

[7]               En 2002, Mme Kuryashkina a présenté une demande d’exemption fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR). 

 

[8]               La demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et la demande d’ERAR de Mme Kuryashkina ont été rejetées le 17 juin 2003.

 

[9]               Un mandat d’arrêt a été délivré à l’encontre de Mme Kuryashkina le 23 juillet 2003, et puisqu’elle ne s’est pas présentée le jour de son renvoi le 30 octobre 2003, un autre mandat d’arrêt a été délivré contre elle.

 

[10]           Le 17 août 2004, Mme Kuryashkina a rencontré le demandeur et ils ont commencé à se fréquenter en septembre 2004.

 

[11]           Le demandeur et Mme Kuryashkina affirment qu’ils cohabitent à l’adresse du demandeur depuis septembre 2004.

 

[12]           Le 3 février 2005, Mme Kuryashkina s’est rendue au bureau de Mme Venturelli (son ancienne avocate) pour demander de récupérer son dossier juridique, et elle a donné son numéro de téléphone à l’assistante de Mme Venturelli.

 

[13]           Le 9 février 2005, Mme Kuryashkina a été arrêtée à une adresse différente de celle du demandeur. Un faux nom figurait sur la boîte aux lettres, bien que le bail signé le 1er septembre 2004 fût à son nom.

 

[14]           De février 2005 à septembre 2005, Mme Kuryashkina a logé dans une chambre de motel à Plattsburgh (New York), aux frais du demandeur qui la visitait fréquemment.

 

[15]           Le 15 mars 2005, Mme Kuryashkina a déposé une plainte auprès du Barreau du Québec aux motifs que i) Mme Venturelli et son assistante lui avaient conseillé de dissimuler sa nouvelle adresse à Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) et d’inscrire un faux nom sur sa boîte aux lettres pour éviter le renvoi; ii) un autre avocat lui a conseillé de demeurer au Canada en dépit de la mesure de renvoi et lui a dit qu’il pourrait obtenir une autorisation du ministre pour qu’elle puisse rester au pays; iii) l’assistante de Mme Venturelli a informé CIC des allées et venues de Mme Kuryashkina en février 2005 et a été responsable de son arrestation le 9 février 2005; iv) l’assistante de Mme Venturelli a refusé de remettre à Mme Kuryashkina son propre dossier juridique après sa demande en février 2005 (la plainte).

 

[16]           En septembre 2005, Mme Kuryashkina est retournée au Canada après avoir reçu un nouveau passeport.

 

[17]           Le 9 juin 2006, la demande de résidence permanente de Mme Kuryashkina parrainée par le demandeur a été refusée, car elle était entrée au Canada sans autorisation.

 

[18]           Après qu’une mesure de renvoi a été prise à l’encontre de Mme Kuryashkina le 28 juin 2006 et confirmée le 28 août 2006, Mme Kuryashkina a été renvoyée du Canada le 28 août 2006.

 

[19]           Le 9 novembre 2006, Mme Kuryashkina a présenté une autre demande de résidence permanente parrainée par demandeur (la demande de RP).

 

[20]           En 2009, le syndic du Barreau du Québec a jugé la plainte non crédible. 

 

[21]           Le 19 janvier 2011, la SAI a rejeté la demande de RP au motif que la relation entre Mme Kuryashkina et le demandeur n’était pas authentique et visait principalement l’acquisition du statut de résident permanent au Canada.

 

[22]           Le 3 novembre 2011, la Cour fédérale a autorisé le contrôle judiciaire de la décision de la SAI.

 

[23]           Le 2 août 2011, le Comité de révision du Barreau du Québec a confirmé qu’il n’y avait aucune raison de porter plainte auprès du Conseil de discipline.

 

[24]           Le 14 décembre 2011, le demandeur a donné 15 000 dollars canadiens à Mme Kuryashkina pour qu’elle achète une maison en Russie. Le demandeur a produit des preuves d’autres transferts de fonds à Mme Kuryashkina.

 

[25]           Le 17 mai 2012, Mme Venturelli et son assistante ont nié les allégations de Mme Kuryashkina devant la SAI.

 

[26]           Le 21 juin 2012, la SAI a encore une fois rejeté la demande de RP.

 

IV. Décision faisant l’objet du contrôle

[27]           Conformément à l’article 4 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227(le Règlement), la SAI a conclu que Mme Kuryashkina ne pouvait pas être considérée comme la conjointe de fait ou la partenaire conjugale du demandeur au sens du Règlement et de la LIPR parce que leur relation de conjoints de fait ou de partenaires conjugaux visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la LIPR et n’était pas authentique.

 

[28]           Au sujet de la crédibilité de Mme Kuryashkina en général, la SAI a tiré des inférences négatives du fait qu’elle n’a pas révélé son adresse à CIC, qu’elle ne se rapportait pas volontairement, qu’elle était employée illégalement au Canada et qu’elle a fait des témoignages contradictoires au sujet de la récupération de son dossier juridique.

 

[29]           La SAI n’a pas cru l’allégation de Mme Kuryashkina selon laquelle elle aurait reçu un mauvais conseil juridique, c’est‑à‑dire d’enfreindre la mesure de renvoi prononcée contre elle. Selon la SAI, Mme Kuryashkina a porté plainte à l’encontre de presque tous les six avocats qui l’ont représentée, ses allégations n’étaient pas fondées, et sa plainte a été rejetée par le Barreau du Québec.

 

[30]           La SAI doutait de la crédibilité du demandeur et de Mme Kuryashkina relativement à l’authenticité de leur relation de conjoints de faits ou de partenaires conjugaux, compte tenu des éléments suivants : i) leurs témoignages contradictoires au sujet de leurs fréquentations, de leur vie sexuelle, de leur historique de cohabitation, de l’emploi qu’elle occupait depuis son retour en Russie, et de la peur de prendre l’avion du demandeur; ii) le fait qu’elle ne lui avait pas dit qu’elle n’avait pas de statut au moins jusqu’à deux mois après qu’ils aient commencé à cohabiter; iii) le fait que Mme Kuryashkina avait loué son propre appartement; iv) le fait qu’elle n’avait pas fait mention de l’appartement sur sa demande de RP; iv) le fait qu’elle avait inscrit un faux nom sur sa boîte aux lettres; et v) le fait qu’elle avait affirmé, lors de son arrestation, que son petit ami s’appelait Robert Price (le nom fictif que le demandeur utilise comme enquêteur privé).

 

[31]           La SAI n’a pas non plus trouvé crédibles les allégations du demandeur selon lesquelles il ignorait que Mme Kuryashkina avait besoin d’une autorisation pour rentrer de nouveau au Canada en septembre 2005. La SAI a estimé qu’il était peu probable que le demandeur n’arrive pas à obtenir de conseils juridiques à ce sujet étant donné qu’il cherchait activement à en obtenir sur les autres problèmes d’immigration de Mme Kuryashkina. La SAI a également constaté que les mesures de renvoi de Mme Kuryashkina faisaient mention de la condition d’autorisation de réadmission.

 

[32]           Selon la SAI, la relation entre le demandeur et Mme Kuryashkina ne pouvait être qualifiée d’union de fait. Le demandeur et Mme Kuryashkina ne pouvaient pas établir qu’ils avaient habité ensemble pendant au moins un an au 30 août 2006, date à laquelle le demandeur avait présenté une demande de parrainage de la demande de résidence permanente de Mme Kuryashkina.

 

[33]           La SAI a également conclu que le demandeur et Mme Kuryashkina n’avaient pas démontré que, selon la balance des probabilités, ils étaient des partenaires conjugaux. Après avoir appliqué les facteurs exposés par la Cour suprême du Canada dans M c H., [1999] 2 RCS 3, il a été observé que le demandeur et Mme Kuryashkina avaient cohabité pendant un certain temps, s’étaient comportés comme un couple, avaient communiqué fréquemment de façon continue, et que le demandeur avait soutenu financièrement Mme Kuryashkina lorsqu’elle était retournée en Russie.

 

[34]           Remarquant que le demandeur était le seul à avoir apporté son soutien financier, la SAI a néanmoins conclu que la relation était à sens unique. Bien qu’elle ait estimé que les intentions du demandeur étaient authentiques, elle a conclu que Mme Kuryashkina avait noué et poursuivi la relation dans le seul but d’acquérir la résidence permanente. Les autres facteurs qui ont convaincu la SAI étaient qu’ils ne s’étaient pas visités dans les six années qui avaient suivi le retour de Mme Kuryashkina en Russie, qu’ils n’avaient pas discuté d’autres solutions possibles advenant le rejet de la demande, et que Mme Kuryashkina s’était soustraite des mesures de renvoi dans le passé, en plus des divers problèmes relatifs à la crédibilité.

 

V. Questions en litige

[35]           1)   La SAI a‑t‑elle conclu raisonnablement que la relation de conjoints de fait ou de partenaires conjugaux entre le demandeur et Mme Kuryashkina visait principalement l’acquisition d’un privilège ou d’un statut aux termes de la LIPR?

2)   Les conclusions de la SAI relativement à la crédibilité étaient‑elles raisonnables?

 

VI. Dispositions législatives pertinentes

[36]           Les dispositions pertinentes du Règlement sont les suivantes :

4.      (1) Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne si le mariage ou la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux, selon le cas :

 

a) visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi;

 

b) n’est pas authentique.

4.     (1) For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common‑law partner or a conjugal partner of a person if the marriage, common‑law partnership or conjugal partnership

 

(a) was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act; or

 

(b) is not genuine.

 

VII. Thèse des parties

[37]           Le demandeur affirme que la décision repose sur des conclusions de fait erronées, que la SAI a tirées de façon abusive et arbitraire ou sans avoir tenu compte des éléments dont elle disposait. Selon le demandeur, la SAI a tiré ses conclusions de fait en omettant de manière déraisonnable d’examiner les explications que lui‑même et Mme Kuryashkina lui ont données en réponse à ses questions.

 

[38]           Le demandeur est également d’avis qu’il était déraisonnable de conclure que lui‑même et Mme Kuryashkina n’avaient pas une relation de conjoints de fait ou de partenaires conjugaux ou, compte tenu des antécédents en matière d’immigration de Mme Kuryashkina, que la relation visait principalement pour elle l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la LIPR.

 

[39]           Le défendeur soutient que la SAI a raisonnablement conclu que le demandeur et Mme Kuryashkina n’avaient pas une relation de conjoints de fait ou de partenaires conjugaux et que, pour Mme Kuryashkina, la relation visait principalement l’acquisition d’un statut sous le régime de la LIPR. Le défendeur avance que la SAI pouvait se fonder sur les incohérences et les invraisemblances au dossier pour en conclure que le demandeur et Mme Kuryashkina ne sont pas crédibles et que les antécédents en matière d’immigration de Mme Kuryashkina démontrent que sa relation de conjoints de fait ou de partenaires conjugaux n’était pas authentique et visait principalement l’acquisition du statut de résident permanent.

 

[40]           Le défendeur avance également que le demandeur et Mme Kuryashkina n’avaient pas présenté suffisamment d’éléments de preuve probants établissant qu’ils avaient une relation de conjoints de fait ou de partenaires conjugaux. Le défendeur fait observer que le demandeur et Mme Kuryashkina n’étaient pas des conjoints de fait, car ils ne pouvaient démontrer qu’ils avaient habité ensemble pendant au moins un an. Sur la question de savoir s’ils avaient une relation de partenaires conjugaux, le défendeur est d’avis que la preuve d’une relation amoureuse seule ne répond pas à la définition de relation de partenaires conjugaux au sens de l’article 2 du Règlement. Selon le défendeur, il était raisonnable de conclure que le demandeur et Mme Kuryashkina n’avaient pas une relation de partenaires conjugaux.

 

VIII. Analyse

Norme de contrôle

[41]           La norme de la décision raisonnable s’applique aux conclusions de la SAI sur la crédibilité et sur la mauvaise foi d’une relation au sens de l’article 4 du Règlement (Wiesehahan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 656; Kitomi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1293).

 

[42]           Selon la norme de la décision raisonnable, la Cour ne peut intervenir que si les motifs de la SAI ne sont pas « justifiés, transparents ou intelligibles ». Pour satisfaire à cette norme, la décision doit également appartenir « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47).

 

(1) La SAI a‑t‑elle conclu raisonnablement que la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux entre le demandeur et Mme Kuryashkina visait principalement l’acquisition d’un privilège ou d’un statut sous le régime de la LIPR?

 

[43]           Il est crucial de savoir en l’espèce si la SAI pouvait raisonnablement conclure que la relation de conjoints de fait ou de partenaires conjugaux entre le demandeur et Mme Kuryashkina visait principalement l’acquisition d’un privilège ou d’un statut aux termes de la LIPR.

 

[44]           Les antécédents en matière d’immigration de Mme Kuryashkina pourraient permettre de conclure que sa relation de conjoints de fait ou de partenaires conjugaux avec le demandeur visait principalement l’acquisition de la résidence permanente. Depuis 2000, Mme Kuryashkina a fait les démarches suivantes pour obtenir un statut juridique au Canada : une demande d’asile, une demande de résidence permanente parrainée par son ex‑époux, une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, une demande d’ERAR, et deux demandes de résidence permanente parrainées par le demandeur. Mme Kuryashkina a également tenté de demeurer illégalement au Canada en désobéissant à une mesure de renvoi, en dissimulant son adresse à CIC, et en inscrivant un faux nom sur sa boîte aux lettres.

 

[45]           Les antécédents en matière d’immigration d’un demandeur peuvent être pertinents lorsqu’il s’agit de décider si un mariage ou une relation entre partenaires est de bonne foi (Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 23, 403 FTR 271, au paragraphe 15). De tels éléments de preuve ne sont toutefois pas décisifs au regard de contre‑preuves. Dans Elahi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 858, 394 FTR 90, le juge Richard Mosley soutient que la SAI ne pouvait conclure à l’existence d’un mariage de mauvaise foi en se fondant sur les seules tentatives du demandeur de s’établir au Canada lorsqu’il existait des éléments de preuve démontrant l’authenticité de la relation (paragraphes 18 et 19).

 

[46]           L’on pourrait raisonnablement conclure qu’un demandeur qui cherche continuellement à demeurer au Canada par des moyens légaux et illégaux a noué une relation pour acquérir un privilège ou un statut sous le régime de la LIPR. Étant donné que cette conclusion ne peut être tirée dans toutes les circonstances, les antécédents en matière d’immigration d’un demandeur ne sauraient être déterminants, et la SAI est tenue d’examiner les éléments de preuve qui contredisent cette conclusion.

 

[47]           En ce qui a trait aux conclusions négatives tirées par la SAI relativement à la crédibilité examinées précédemment, le demandeur et Mme Kuryashkina n’ont pas présenté d’éléments de preuve contredisant la conclusion selon laquelle Mme Kuryashkina avait noué la relation de conjoints de fait ou de partenaires conjugaux principalement pour acquérir la résidence permanente.

 

[48]           S’il existait une relation de soutien financier entre le demandeur et Mme Kuryashkina, la conclusion de la SAI sur l’intention première qui a poussé Mme Kuryashkina à nouer la relation n’est pas réfutée pour autant. Le soutien ne provenait que d’un côté, ce qui témoigne des principales intentions du demandeur uniquement et non de celles de Mme Kuryashkina. Dans Dalumay c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1179, la juge Jocelyne Gagné soutient que la preuve d’un soutien financier unilatéral apporté par l’épouse ne contredit pas la conclusion selon laquelle l’époux s’était marié principalement pour acquérir un statut sous le régime de la LIPR (au paragraphe 32).

 

[49]           Ni le divorce de Mme Kuryashkina de son époux ni son refus allégué de l’offre de parrainage d’un autre homme ne contredisent les conclusions de la SAI sur son intention première. Bien que la SAI n’ait pas précisément traité de ces aspects des antécédents en matière d’immigration de Mme Kuryashkina, l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708 permet à la Cour d’« examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat » (au paragraphe 15).

 

[50]           Le divorce de Mme Kuryashkina d’avec son ex‑époux et le rejet subséquent de sa demande de résidence permanente donnent à penser qu’elle ne resterait pas avec un époux violent pour acquérir le statut de résident permanent. Comme Mme Kuryashkina a présenté une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et une demande d’ERAR durant la période où elle a quitté son ex‑époux, son divorce ne perturbe pas nécessairement le portrait général de ses antécédents en matière d’immigration. Par conséquent, il ne contredit pas la conclusion de la SAI selon laquelle elle était déterminée à acquérir un statut sous le régime de la LIPR. Pour ce qui est de l’offre de parrainage refusée, cette allégation n’est étayée par aucune preuve à part les propres déclarations de Mme Kuryashkina. Étant donné que la SAI a conclu que Mme Kuryashkina n’était pas crédible, il appartiendrait aux issues possibles acceptables d’accorder peu d’importance à cette allégation.

 

[51]           Le critère établi à l’article 4 du Règlement est disjonctif plutôt que conjonctif. La constatation qu’un mariage ou une relation de conjoints de fait ou de partenaires conjugaux visait principalement l’acquisition d’un statut sous le régime de la LIPR suffit pour que la disposition s’applique (Keo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1456, 401 FTR 278, au paragraphe 13).

 

[52]           Compte tenu des problèmes de crédibilité mentionnés précédemment et de l’absence de contre‑preuves, il y aurait lieu de déduire des antécédents en matière d’immigration de Mme Kuryashkina qu’elle a vraisemblablement noué la relation dans le principal but d’acquérir la résidence permanente. Puisque la conclusion sur le but principal de Mme Kuryashkina appartient aux conclusions possibles acceptables, il n’est pas nécessaire d’examiner l’authenticité de la relation entre les partenaires.

 

2) Les conclusions de la SAI relativement à la crédibilité étaient‑elles raisonnables?

[53]           Examinées dans leur ensemble (dans la décision du 17 mai 2012), les conclusions de la SAI quant à la crédibilité de Mme Kuryashkina sont raisonnables. Comme le juge John O’Keefe le déclare dans Kambanda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1267, les décideurs peuvent prendre en considération les incohérences au moment d’apprécier la crédibilité si elles ont « un lien rationnel avec la crédibilité du demandeur » et sont « en soi suffisamment importantes pour que l’on mette en doute cette crédibilité ». Le caractère raisonnable de la conclusion sur la crédibilité ne doit toutefois pas reposer sur le fait d’« examiner à la loupe des questions accessoires » (au paragraphe 42).

 

[54]           Des incohérences relatives aux questions essentielles qui sont raisonnablement liées à la crédibilité de Mme Kuryashkina et qui sont suffisamment importantes pour jeter un doute sur sa crédibilité ressortent du dossier. Le dossier contenait par exemple des preuves selon lesquelles le demandeur et Mme Kuryashkina avaient commencé à cohabiter en septembre 2004 (dossier certifié du tribunal [DCT] à la page 643) ou en novembre 2004 (DCT à la page 582), mais aussi d’autres preuves selon lesquelles Mme Kuryashkina continuait d’habiter [traduction] « de temps en temps » un appartement qu’elle avait loué à son nom (dont elle n’a pas divulgué l’adresse sur sa demande de RP) (DCT à la page 532). Mme Kuryashkina a également rendu un témoignage contradictoire sur la question de savoir si elle avait récupéré un exemplaire partiel de son dossier juridique auprès de l’assistante de Mme Venturelli, ou aucun exemplaire (DCT aux pages 340 et 529). Les témoignages contradictoires de Mme Venturelli et de son adjointe, d’une part, et de Mme Kuryashkina, d’autre part, sont aussi raisonnablement liés à la crédibilité de Mme Kuryashkina et sont suffisamment importants. Compte tenu du rejet de la plainte par le Barreau du Québec et des autres problèmes de crédibilité entourant le témoignage de Mme Kuryashkina, il était raisonnable de retenir les témoignages de Mme Venturelli et de son assistante.

 

[55]           Les conclusions de la SAI quant à la crédibilité sont également raisonnables compte tenu du témoignage contradictoire de Mme Kuryashkina sur la question de savoir si le demandeur avait déjà pris l’avion. Le fait que le demandeur avait peur de voler en avion les empêchait de se rencontrer et constituait un élément central pour ce qui était d’établir l’authenticité de la relation. Ce n’était pas une question périphérique. Confrontée à son témoignage antérieur selon lequel le demandeur « n’avait jamais pris l’avion de sa vie », Mme Kuryashkina a choisi de nier ses remarques inscrites au dossier : [traduction] « Eh bien, je n’ai jamais dit qu’il n’avait jamais pris l’avion auparavant. Après que nous nous soyons rencontrés, il n’a plus jamais pris l’avion. Je n’ai jamais dit ça » (DCT aux pages 348 et 388). La question dont il faut se préoccuper n’est pas qu’il y a incohérence entre le fait que le demandeur a déclaré avoir peur de prendre l’avion et qu’il l’avait déjà pris dans le passé; ce qui est préoccupant est plutôt que Mme Kuryashkina a désavoué ses précédentes observations. Puisqu’elle a choisi de se contredire de façon si manifeste, cette incohérence compromet sa crédibilité et est considérée comme suffisamment importante, conformément à la décision Kambanda, précitée.

 

IX. Conclusion

[56]           Pour tous les motifs exposés ci‑dessus, la demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur est rejetée. Aucune question de portée générale n’est proposée aux fins de certification.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Myra‑Belle Béala De Guise

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑7457‑12

 

INTITULÉ :                                                  MATTHEW L.L. ENRIGHT c
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 28 février 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 28 février 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Harry Blank

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Sébastien Dasylva

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Harry Blank

Avocat

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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