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Date : 20130301

Dossier : IMM-2318-12

Référence : 2013 CF 216

[traduction FRANÇAISE certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 1er mars 2013

En présence de monsieur le juge Martineau

 

 

ENTRE :

 

BEDRI DINA, DIJANA DINA ET ANDI DINA

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs contestent la légalité de la décision rendue le 27 janvier 2012 par G. Van Fleet, agent principal d’immigration [l’agent] de Citoyenneté et Immigration Canada [CIC] par laquelle l’agent a refusé leur demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire [la demande CH]. L’agent a conclu que les demandeurs ne subiraient pas de difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées s’ils devaient présenter leur demande de résidence permanente de l’extérieur du Canada.

 

[2]               M. Bedri Dina, le demandeur principal, est un citoyen du Kosovo. Son épouse, Mme Dijana Dina et son fils, Andi Dina, sont aussi des citoyens du Kosovo et ils sont inclus dans la présente demande de contrôle judiciaire. Les demandeurs ont obtenu des permis de résidents temporaires et sont arrivés au Canada le 29 février 2008. Ils ont demandé l’asile dix jours plus tard. Leur demande a été refusée le 21 février 2011.

 

[3]               Ultérieurement, en juillet 2011, les demandeurs ont présenté une demande CH, et en août 2011, une demande d’examen des risques avant renvoi [la demande d’ERAR]. La demande d’ERAR était fondée sur le risque allégué du préjudice que les demandeurs subiraient de la part des opposants à la force pour le Kosovo (la KFOR), qui menaçaient de tuer la famille du demandeur principal en raison de son association avec les forces internationales. La demande CH soulevait des questions relatives au degré d’établissement au Canada, à l’intérêt supérieur de l’enfant, aux difficultés à quitter le Canada, et au risque au Kosovo.

 

[4]               La demande d’ERAR et la demande CH ont toutes les deux été tranchées par le même agent qui a décidé en même temps, dans des décisions séparées rendues le 27 janvier 2012, que les demandeurs n’étaient pas exposés à un risque, et que leur cas ne justifiait pas une exemption en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Bien que les demandeurs aient été renvoyés du Canada le 5 juillet 2012, les parties s’accordent pour dire que la présente demande de contrôle judiciaire n’est pas théorique, et demandent à la Cour de statuer sur son bien‑fondé.

 

[5]               Devant la Cour, les demandeurs allèguent que : 1) l’agent a appliqué le mauvais critère dans son analyse des difficultés démesurées en omettant de tenir compte de façon appropriée du risque; 2) l’agent a commis une erreur en appliquant le critère des difficultés démesurées dans l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant. Ces questions commandent l’application de la norme de la décision correcte comme la Cour l’a décidé  dans KMP c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 981, au paragraphe 18 [KMP]. Les parties conviennent que ces deux questions sont déterminantes.

 

[6]               Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Hawthorne, 2002 CAF 475, [2003] 2 CF 555, la Cour d’appel fédérale a répété que l’intérêt supérieur de l’enfant n’est pas nécessairement déterminant. Faisant référence au caractère non contraignant des lignes directrices du chapitre IP5 du Guide de l’immigration, le juge Décary a fait la mise en garde importante suivante, au paragraphe 9 : « Il va de soi […] que le concept de difficultés injustifiéesn’est pas approprié lorsqu’il s’agit d’évaluer les difficultés auxquelles s’exposent les enfants innocents. Les enfants méritent rarement, sinon jamais, d’être exposés à des difficultés. »

 

[7]               En l’espèce, l’agent a apparemment [traduction] « pris en compte de façon favorable et importante » le facteur relatif à l’intérêt supérieur de l’enfant. Andi Dina avait 17 ans au moment de l’appréciation. Il fréquentait l’école secondaire, il avait terminé un programme de leadership, et son école l’avait récompensé par plusieurs prix. Il était un joueur de soccer primé, un pianiste talentueux, et il travaillait à temps partiel au magasin No Frills. Andi s’était indubitablement bien adapté au mode de vie canadien, et il aurait beaucoup moins d’occasions au Kosovo, où la situation générale du pays est difficile économiquement et politiquement, et où il y a beaucoup de conflits qui entraînent de l’insécurité en particulier pour la jeune génération.

 

[8]               En fait, dans la décision contestée, l’agent a conclu que le fait de retourner au Kosovo causerait des difficultés psychologiques et des souffrances à Andi en raison de la situation du pays, et il en est arrivé à une telle conclusion même s’il a décidé [traduction] « qu’il bénéficierait du soutien de ses parents et de ses frères et sœurs pour faciliter sa transition ». Pour ces motifs, l’agent a conclu [traduction] « qu’en général, sur la base des renseignements dont il dispose, […] il serait dans l’intérêt supérieur d’Andi de demeurer au Canada pendant qu’il présente une demande de statut de résident permanent ».

 

[9]               Toutefois, malgré ces conclusions particulières relatives aux difficultés d’Andi, qui était encore un enfant mineur au moment de l’examen, l’agent a néanmoins rejeté la demande CH aux motifs que [traduction] « individuellement et en général, les éléments présentés par les demandeurs [cela inclut Andi] dans la présente affaire ne suffisent pas à établir qu’ils subiraient des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées s’ils devaient présenter leur demande de résidence permanente de l’extérieur du Canada ». [Non souligné dans l’original.] L’explication générale qu’a donné l’agent à l’appui de sa conclusion est que [traduction] « les difficultés qu’ils [y compris Andi] pourraient subir semblent être semblables au degré de difficultés subies par d’autres personnes auxquelles on demande de présenter une demande de statut de résident permanent de l’extérieur du Canada ».

 

[10]           À la lecture des motifs de l’agent, il est évident qu’il a commis une erreur lorsqu’il a inclus le fardeau de difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées dans son appréciation des difficultés que subirait Andi dont l’intérêt supérieur est de demeurer au Canada, tout en concluant que le degré des difficultés qu’Andi pourrait subir semblait être [traduction] « semblabl[e] au degré de difficultés subies par d’autres personnes auxquelles on demande de présenter une demande de statut de résident permanent de l’extérieur du Canada ».

 

[11]           Que le raisonnement de l’agent soit qualifié d’erreur de droit ou de conclusion abusive ou arbitraire, je suis convaincu qu’il s’agit d’une erreur susceptible de contrôle et cela suffit à accueillir la demande : KMP, précitée, aux paragraphes 25, 27, 34, 35 et 43; Arulraj c Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 529, au paragraphe 15. Par conséquent, il n’est pas nécessaire aujourd’hui de trancher la question de savoir si l’agent a aussi appliqué le mauvais critère dans son appréciation des difficultés liées aux facteurs de risque à la lumière des modifications apportées en 2010 et de l’interprétation faite par la Cour du nouveau paragraphe 25(1.3) de la LIPR (Caliskan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1190; Serrano Lemus c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1274).

 

[12]           Les avocats conviennent que la présente affaire ne soulève pas de question de portée générale.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est accueillie. La décision contestée est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent d’immigration de CIC pour qu’il rende une nouvelle décision. Aucune question n’est certifiée.

 

« Luc Martineau »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale

 

 

 

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