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Date : 20130130

Dossier : T-877-11

Référence : 2013 CF 101

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 30 janvier 2013

En présence de monsieur le juge Harrington

 

ACTION RÉELLE EN MATIÈRE D’AMIRAUTÉ CONTRE LE NAVIRE
HELIOS I ET ACTION PERSONNELLE

 

ENTRE :

 

RUDY HAGEDORN, GREGORY SHERWOOD, PAMELA FEATHERSONE, ADRIAN BARRETT, GREG ROHLAND et BAYSHORE GARDENS REAL ESTATE HOLDINGS LIMITED

et JOSEPH LOUIS GORFINKLE

 

 

demandeurs

 

et

 

 

LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE HELIOS I, LE NAVIRE HELIOS I et

SHASTA EQUITIES LTD., LORNE SHANDRO,

LE RÉPARATEUR PIERRE UNTEL,

LA SOCIÉTÉ DE RÉPARATION PIERRE UNTEL et

WEBASTO PRODUCT NORTH AMERICA, INC.

 

 

et

 

 

 

 

 

 

défendeurs

 

 

 

WEBASTO PRODUCT NORTH AMERICA, INC., KENT CARBIS YACHT SALES LTD.,

SHASTA EQUITIES LTD. et

LORNE SHANDRO

 

 

 

Mis en cause

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Le point soulevé dans le présent appel formé contre une ordonnance du protonotaire Lafrenière est celui de savoir si certains documents en la possession des défendeurs et des mis en cause, Shasta Equities Ltd. et Lorne Shandro, sont soustraits à la communication pour cause de privilège.

 

[2]               Le protonotaire a estimé que les documents n’étaient pas protégés et qu’ils pouvaient donc être communiqués.

 

[3]               Les appelants Shasta et Sandro sont les propriétaires ou autres personnes ayant un droit sur le yacht Helios I. Un incendie a éclaté dans le yacht le matin du 13 octobre  2009, à une marina située à Coal Harbour, sur l’île de Vancouver. Le feu s’est rapidement propagé aux yachts voisins.

 

[4]               Paul Mendham, le courtier qui avait passé le contrat d’assurance sur le Helios I, fut rapidement informé du sinistre. Il a nommé Timothy McGivney, du cabinet Aegis Marine Surveyors Ltd., et Chris Reed, du cabinet Sereca Fire Consulting Ltd., pour, selon ses propres mots, [TRADUCTION] « qu’ils se rendent sur les lieux et enquêtent sur l’incendie au nom des assureurs. Croyant que les mis en cause allaient sans doute exercer des recours contre les défendeurs, j’ai informé M. McGivney et M. Reed qu’ils étaient embauchés au nom des avocats et que les avocats communiqueraient avec eux sous peu pour leur donner des instructions et les guider dans leur enquête. Je leur ai dit également qu’ils relèveraient directement des avocats ».

 

[5]               Il a ensuite retenu les services de Kim Wigmore, du cabinet d’avocats Whitelaw Twining. Il l’a informé que, selon lui, le Helios I avait été lourdement endommagé par l’incendie et que d’autres navires de plaisance l’avaient été également : [TRADUCTION] « J’ai donc demandé à Me Wigmore, au nom des assureurs, de procéder à toutes les investigations nécessaires afin de pouvoir contester les recours qui, selon moi, seraient exercés par les propriétaires de ces autres navires ». Rien ne permet d’affirmer que Me Wigmore devait examiner la police d’assurance ou que M. Mendham n’était pas autorisé à retenir ses services.

 

[6]               Dans son affidavit, Me Wigmore écrit que, plus tard cet après-midi-là, un certain John Bromley, associé du cabinet d’avocats Bull Housser & Tupper, a communiqué avec son bureau. M. Bromley affirmait représenter les propriétaires de plusieurs navires endommagés par l’incendie et il demandait une inspection commune du Helios I. Un accord fut conclu.

 

[7]               Me Wigmore a alors conféré avec M. Reed et lui a demandé [TRADUCTION] « de procéder à une inspection du Helios I pour déterminer la cause et l’origine de l’incendie, et de présenter un rapport directement à [leur] bureau, accompagné d’un avis préliminaire afin de faciliter [leur] enquête ».

 

[8]               M. Reed a mené une expertise conjointe avec des experts engagés par les avocats des propriétaires des autres navires, puis a rédigé un rapport, lequel fut envoyé à Me Wigmore.

 

[9]               Me Wigmore a alors demandé au cabinet Canadian Claims Services Inc. de mener une entrevue avec M. Shandro, entrevue qui devait principalement faciliter la contestation d’éventuels recours contre Shasta et contre M. Shandro.

 

[10]           Dans le litige, un doigt accusateur est pointé sur la société Webasto Product North America, Inc., défenderesse et mise en cause, vu que le Helios I était équipé d’un appareil chauffe-liquide Webasto de refroidissement au fuel, dont la défaillance avait entraîné, causé ou accéléré l’incendie.

 

[11]           Webasto voudrait que soient produits les documents établis et envoyés à Me Wigmore.

 

[12]           L’article 223 des Règles des Cours fédérales oblige chacune des parties à signifier un affidavit de documents, accompagné d’une liste séparée des documents pour lesquels un privilège de non-divulgation est revendiqué, ainsi qu’un exposé des motifs de chaque revendication de privilège de non-divulgation.

 

[13]           Le protonotaire a d’abord estimé que l’affidavit ne décrivait pas suffisamment les documents et n’exposait pas les motifs des revendications du privilège. Une nouvelle liste fut établie et les documents furent remis à la Cour sous pli scellé. Me Wigmore et M. Mendham ont produit des affidavits exposant les circonstances dans lesquelles les documents avaient été établis.

 

[14]           Dans une décision de six pages, le protonotaire a ordonné que les documents 3 à 20 et 22 du nouvel affidavit de documents soient produits.

 

LES DOCUMENTS EN CAUSE

[15]           Le document 3 est le rapport initial du cabinet Aegis Marine Surveyors Ltd. remis à Me Wigmore le lendemain de l’incendie. Son auteur, M. McGillivray, y écrit que [TRADUCTION] « l’expertise a été menée dans le dessein de déterminer la cause, la nature et l’étendue des dommages subis en conséquence d’un incendie survenu le matin du 13 octobre 2009—. » Il fait remarquer que, outre M. Shandro, étaient également présents d’autres propriétaires de yachts, des membres des services de police et d’incendie de Vancouver, des représentants de la marina et des représentants de la Société du port de Vancouver, ainsi que des représentants de la Garde côtière canadienne. Il fournissait une liste des autres yachts endommagés par l’incendie et a donné des précisions sur le sinistre d’après un entretien avec M. Shandro, ainsi que quelques détails portant sur l’inspection.

 

[16]           Le document 4 est le rapport de Sereca daté du 20 octobre 2009. Ce rapport est un compte rendu de l’inspection et fait état de divers scénarios qui justifiaient plus ample analyse. L’auteur, M. Reed, y disait aussi qu’il coordonnait l’examen du Helios I avec les parties représentant les autres yachts endommagés.

 

[17]           Le document 5 est un rapport établi par le cabinet Canadian Claims Services Inc. à la demande de Me Wigmore. Ce cabinet fut invité le 4 novembre 2009 à recevoir M. Shandro afin d’obtenir de lui une déclaration enregistrée, ainsi que d’autres documents se rapportant à l’incendie. Au document 5 étaient annexés des rapports fournis par M. Shandro sur les expertises menées par Western Marine Surveyors plusieurs années auparavant, de même qu’une estimation de la valeur marchande.

 

[18]           Les documents 6 à 20 sont des mises à jour faites par les commissaires d’avaries portant sur les dommages causés aux autres yachts et sur la question de savoir s’il était économiquement réaliste de les réparer.

 

[19]           Finalement, le document 22 est un autre rapport, en date du 19 mars 2011, adressé par Canadian Claims Services à Me Wigmore, informant celui-ci de l’état actuel du dossier.

 

LA DÉCISION DONT APPEL EST INTERJETÉ

[20]           Le protonotaire faisait observer que le point litigieux était de savoir si les documents bénéficiaient du privilège relatif au litige plutôt que du privilège du secret professionnel de l'avocat. Se fondant sur l’arrêt Blank c Canada (Ministre de la Justice), 2006 CSC 39, [2006] 2 RCS 319, il a jugé que la partie revendiquant le privilège devait prouver a) que le litige était en cours ou était raisonnablement envisagé à la date d’établissement du document, et b) que l’établissement du document avait pour objet principal la préparation de ce litige. Après avoir examiné la preuve contenue dans les affidavits de Me Wigmore et de M. Mendham, ainsi que les documents, il exposait ainsi l’essentiel de sa décision :

[TRADUCTION] Il semble que, à la date de l’incendie, et pendant au moins quelque temps par la suite, les représentants de l’assureur des défendeurs enquêtaient sur les faits et circonstances entourant la cause et l’origine de l’incendie et sur les dommages consécutifs à cet incendie. On pouvait certes imaginer que les tiers lésés engageraient un litige, mais ni les défendeurs ni leur assureur n’étaient en position de déterminer si une éventuelle réclamation serait couverte par l’assurance, ni d’établir la nature d’un éventuel différend, encore moins de dire si le différend pourrait être réglé sans litige, tant que ne seraient pas faites les constatations préliminaires sur les causes de l’incendie.

 

[21]           Le protonotaire n’a pas été persuadé que les documents en cause avaient été [traduction] « totalement ou principalement » établis en prévision d’un litige. Il s’est fondé sur l’arrêt Waugh v British Railways Board [1980] AC 521 (Chambre des lords), à la page 541, et sur l’arrêt Hamalainen c Sippola, 9 BCAC 254, 1991 CanLII 440 (CA CB), [1991] BCJ No 3614 (QL), aux pages 9, 14 et 16.

 

LES POINTS EN LITIGE

[22]           Il y a trois points à décider. Le premier est de savoir si la décision du protonotaire était de nature discrétionnaire. Le deuxième est de savoir si les documents bénéficient d’un privilège de non-divulgation, et le troisième est de savoir s’ils devraient malgré tout être divulgués.

 

ANALYSE

[23]           Les parties ont tenu pour acquis que la décision du protonotaire était de nature discrétionnaire. Cela étant, le juge saisi de l’appel doit d’abord se demander si l’effet potentiel de l’ordonnance du protonotaire était déterminant pour l’issue du principal. Dans l’affirmative, il doit reprendre l’affaire depuis le début, qu’il soit ou non en accord avec l’ordonnance. Si l’effet potentiel de l’ordonnance n’était pas déterminant pour l’issue de l’affaire, la Cour ne doit pas intervenir à moins que l’ordonnance ne soit entachée d’erreurs flagrantes, au sens où le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits (arrêt Merck & Co c Apotex Inc., 2003 CAF 488, [2004] 2 RCF 459).

 

[24]           Si la décision du protonotaire n’est pas de nature discrétionnaire, la norme de contrôle applicable à une question de droit est celle de la décision correcte. S’il s’agit de conclusions de fait, la décision ne devrait être annulée qu’en cas d’erreur manifeste et dominante (arrêt Stein c The Kathy K, [1976] 2 RCS 802; arrêt Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 RCS 235).

 

[25]           Les deux parties ont tenu pour acquis que la décision du protonotaire était de nature discrétionnaire. Webasto a souligné que les ordonnances discrétionnaires se rapportant à la communication de documents sont rarement jugées déterminantes pour l’issue du principal. Shandro et Shasta font valoir qu’il y a un temps et un lieu pour la production de rapports d’expertise et que ces rapports ne sauraient être produits au stade de la communication de documents. Les deux parties se sont inspirées d’un jugement de M. le juge Russell, Brass c Sa Majesté la Reine, 2012 CF 927. Les circonstances de ce précédent étaient beaucoup plus complexes que celles de la présente espèce. Il s’agissait là encore d’un appel à l’encontre d’une décision du protonotaire Lafrenière portant sur la production de documents. Certains documents pour lesquels un privilège de non-divulgation avait été revendiqué avaient été produits par mégarde, tandis que d’autres s’étaient retrouvés entre les mains des demandeurs sans que l’on sache comment. L’affaire concernait des questions d’indemnisation à la suite de la construction, par Manitoba Hydro, d’un barrage sur la rivière Saskatchewan. Il y avait eu 30 années de pourparlers, suivies de 20 années de procédures. En fin de compte, les documents qui bénéficiaient du privilège du secret professionnel de l'avocat sont demeurés soustraits à la divulgation. Les documents qui avaient auparavant bénéficié du privilège relatif au litige ont été produits.

 

[26]           Dans l’espèce Brass, tout comme dans la présente espèce, les parties avaient tenu pour acquis que l’ordonnance du protonotaire était de nature discrétionnaire. Leurs divergences étaient les suivantes : Les documents étaient-ils déterminants? Y avait-il eu renonciation au privilège? Finalement, en tout état de cause, certains des documents devraient-ils être produits dans l’intérêt public afin de prévenir une fraude par interprétation?

 

[27]           Au paragraphe 80, monsieur le juge Russell écrivait : « à mon avis, le point de savoir si un document donné est protégé par privilège ne peut, en soi, être déterminant pour l’issue du principal ». Malheureusement, il m’est impossible de partager cette opinion. Selon moi, la question n’est pas de savoir si la production des documents est déterminante pour l’issue du principal, mais plutôt de savoir si elle est déterminante pour l’idée fondamentale que nous nous faisons de la justice. Par exemple, ayant estimé que les documents considérés dans la présente affaire ne faisaient pas intervenir le privilège relatif au litige, il eût sans doute été loisible au protonotaire de reporter la production des rapports d’expertise jusqu’à ce que les parties se disposent à tenir une conférence de conciliation. Une telle décision serait de nature discrétionnaire.

 

[28]           Supposons cependant que le protonotaire ait conclu que quelques-uns ou la totalité des documents bénéficiaient du privilège relatif au litige ou du privilège du secret professionnel de l'avocat. Pouvait-il néanmoins, à son gré, ordonner leur production? Je ne le crois pas.

 

[29]           Le cas d’espèce faisant autorité ici est l’arrêt Blank rendu par la Cour suprême. Dans cette affaire-là, il était nécessaire de faire la distinction entre, d’une part, le privilège du secret professionnel de l'avocat ou privilège de la consultation juridique et, d’autre part, le privilège relatif au litige, étant donné que le litige à l’égard duquel les documents avaient été établis avait pris fin longtemps auparavant.

 

[30]           Monsieur le juge Fish faisait observer que le privilège du secret professionnel de l'avocat avait été fermement établi depuis des siècles car notre système de justice « dépend d’une communication complète, libre et franche entre ceux qui ont besoin de conseils juridiques et ceux qui sont les plus aptes à les fournir » (paragraphe 26).

 

[31]           S’agissant du privilège relatif au litige, il s’exprimait ainsi, au paragraphe 27 :

Par ailleurs, le privilège relatif au litige n’a pas pour cible, et encore moins pour cible unique, les communications entre un avocat et son client. Il touche aussi les communications entre un avocat et des tiers, ou dans le cas d’une partie non représentée, entre celle‑ci et des tiers. Il a pour objet d’assurer l’efficacité du processus contradictoire et non de favoriser la relation entre l’avocat et son client. Or, pour atteindre cet objectif, les parties au litige, représentées ou non, doivent avoir la possibilité de préparer leurs arguments en privé, sans ingérence de la partie adverse et sans crainte d’une communication prématurée.

 

[32]           Il reprenait, au paragraphe 28, les propos tenus par R.J. Sharpe, aujourd’hui juge à la Cour d’appel de l’Ontario, au cours de la conférence intitulée « Claiming Privilege in the Discovery Process », dans Law in Transition : Evidence [1984] Special Lectures of the Law Society of Upper Canada, 163. Le juge Sharpe disait notamment ce qui suit :

[TRADUCTION] Le privilège relatif au litige, en revanche, est adapté directement au processus du litige. Son but ne s’explique pas valablement par la nécessité de protéger les communications entre un avocat et son client pour permettre au client d’obtenir des conseils juridiques, soit l’intérêt que protège le secret professionnel de l’avocat. Son objet se rattache plus particulièrement aux besoins du processus du procès contradictoire. Le privilège relatif au litige est basé sur le besoin d’une zone protégée destinée à faciliter, pour l’avocat, l’enquête et la préparation du dossier en vue de l’instruction contradictoire. Autrement dit, le privilège relatif au litige vise à faciliter un processus (le processus contradictoire), tandis que le secret professionnel de l’avocat vise à protéger une relation (la relation de confiance entre un avocat et son client).

 

[33]           Néanmoins, comme l’écrivait ensuite M. le juge Fish, le privilège relatif au litige et le privilège de la consultation juridique servent une cause commune, à savoir « l’administration sûre et efficace de la justice conformément au droit ».

 

[34]           Il ajoutait ce qui suit, au paragraphe 34 : « l’objet du privilège relatif au litige est, je le répète, de créer une “zone de confidentialité” à l’occasion ou en prévision d’un litige ». L’arrêt Blank concernait un litige qui avait pris fin. La présente affaire concerne un litige qui n’avait pas encore commencé.

 

[35]           Comme l’écrivait le protonotaire Lafrenière, il appartient à la partie qui revendique le privilège relatif au litige de prouver, pour chaque document, a) que le litige était en cours ou était raisonnablement envisagé à la date d’établissement du document, et b) que l’établissement du document avait pour objet principal la préparation de ce litige.

 

[36]           Ayant conclu que l’ordonnance du protonotaire n’était pas de nature discrétionnaire, je dois maintenant me demander s’il a commis une erreur de droit ou une erreur manifeste et dominante dans une conclusion de fait, compte tenu de la preuve qu’il avait devant lui, à savoir les affidavits de MM. Mendham et Wigmore, et les documents eux-mêmes.

 

[37]           À mon avis, il a commis une erreur de droit pour ce qui concerne le document 5, à savoir le rapport de l’entrevue menée avec M. Shandro par le cabinet Canadian Claims Services, à la requête de Me Wigmore. Cette entrevue bénéficiait du privilège du secret professionnel de l'avocat, tout comme elle en aurait bénéficié si elle avait été menée par Me Wigmore lui-même, ou par un employé de son bureau, plutôt que par un représentant. Cependant, les rapports d’expertise annexés au rapport d’entrevue, qui avaient été rédigés par Western Marine Surveyors avant l’incendie, ne bénéficient d’aucun privilège.

 

[38]           Les autres documents bénéficient tous du privilège relatif au litige. Selon la jurisprudence, il existe une ligne de démarcation entre le stade de l’enquête et le stade du litige, selon évidemment les circonstances de chaque cas. Voir par exemple l’arrêt Hamalainen c Sippola, précité.

 

[39]           Dans le contexte maritime, des rapports d’expertise sur le débarquement peuvent être exigés automatiquement car il est toujours possible que la cargaison ait été endommagée et qu’une réclamation soit présentée. C’était le cas dans l’espèce Marubeni Corp c Gear Bulk Ltd, (1986) 4 FTR 265, [1986] ACF n° 364. Monsieur le juge Strayer, alors juge de la Cour, écrivait que ces rapports devaient avoir été établis pour être remis à l’avocat et pour que celui-ci s’en serve dans le cadre d’un litige existant, ou d’un litige envisagé au moment de leur établissement. Puisque selon lui la preuve montrait que ces rapports étaient établis dans le cours ordinaire des choses, aucun litige n’existait lorsqu’ils avaient été établis, et rien n’indiquait non plus qu’un litige était explicitement envisagé.

 

[40]           L’un des précédents mentionnés par M. le juge Strayer était la décision Santa Ursula Navigation SA c Administration de la Voie maritime du Saint-Laurent, [1981] ACF n° 428, 25 CPC 78. Les faits étaient fort différents. Les armateurs avaient engagé des procédures pour les avaries prétendument causées à leur navire par le mauvais état de défenses situées le long du mur de guidage de l’une des écluses de la Voie maritime. Les documents en cause avaient été établis après l’accident et à la demande des avocats de la défenderesse, en prévision d’un procès. M. le juge Dubé, qui avait parcouru les documents un par un, avait jugé que certains d’entre eux étaient protégés par un privilège.

 

[41]           Je dois conclure, au vu des circonstances de la présente affaire, que le protonotaire a manifestement erré dans ses conclusions de fait, compte tenu des arrêts Kathy K et Housen c Nikolaisen, précités. Les propriétaires des autres yachts, par l’intermédiaire d’avocats, avaient demandé une expertise conjointe du Helios I le jour même de l’incendie. L’expertise demandée avait pour seul objet de déterminer la cause de l’incendie, et ainsi d’évaluer les chances de succès d’un recours contre le Helios I. L’idée de faire intervenir Me Wigmore avait pour seul objet la contestation ou la conduite de réclamations si les circonstances le justifiaient. Les parties se trouvaient dans une procédure contradictoire avant même que ne soient établis les documents. C’est là un contexte fort différent de celui de l’espèce Hamalainen, qui concernait certains rapports d’experts en assurance établis pour la Société d’assurance de la Colombie-Britannique en vertu d’un régime d’assurance obligatoire. Plus à propos est la décision Canada (Commissaire à la protection de la vie privée) c Air Canada, 2010 CF 429, 367 FTR 76, [2010] ACF n° 504 (QL). Des rapports sur un incident survenu à bord d’un vol Air Canada Jazz avaient été établis alors que la compagnie aérienne et le passager concerné se trouvaient manifestement dans une relation de nature contradictoire. La Cour a jugé que ces rapports étaient protégés par le privilège relatif au litige.

 

[42]           Les autres documents étaient des documents de suivi qui bénéficient eux aussi du privilège relatif au litige.

 

[43]           Les parties sont bien conscientes qu’un fait n’est pas soustrait à la divulgation parce qu’il a été constaté par un expert, voire par un avocat. Quand le représentant d’une partie est prié, au cours de l’enquête préalable, de dire ce qu’il tient pour véridique sur la foi de renseignements concernant tel ou tel aspect, les faits et les renseignements doivent être divulgués quelle que soit leur source.


ORDONNANCE

            POUR LES MOTIFS EXPOSÉS CI-DESSUS;

            LA COUR ORDONNE :

1.                  L’appel est accueilli, sauf pour ce qui concerne les expertises établies par Western Marine Surveyors, annexées au document 5.

 

2.                  Les appelants ont droit à leurs dépens.

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-877-11

 

INTITULÉ :                                      RUDY HAGEDORN et autres c

                                                            LE NAVIRE  HELIOS I et autres

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              VANCOUVER (C.-B.)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 21 JANVIER 2013

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE:                       LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                     LE 30 JANVIER 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Néant

 

 

 

 

Néant

POUR LES DEMANDEURS

Rudy Hagedorn, Gregory Sherwood, Pamela Feathersone, Adrian Barrett, Greg Rohland et

Bayshore Gardens Real Estate Holdings Limited

 

POUR LE DEMANDEUR

Joseph Louis Gorfinkle

 

Franco R. Cabanos

POUR LES DÉFENDEURS et MIS EN CAUSE

Shasta Equities Ltd. et Lorne Shandro

 

James Doyle

Vernon J. Pahl

 

Néant

POUR LA DÉFENDERESSE et MISE EN CAUSE

Webasto Product North America, Inc.

 

POUR LA MISE EN CAUSE

Kent Carbis Yacht Sales Ltd.

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Bull Housser & Tupper, s.r.l.

Vancouver (C.-B.)

 

 

Stikeman Elliott, s.r.l.

Vancouver (C.-B.)

POUR LES DEMANDEURS

Rudy Hagedorn, Gregory Sherwood, Pamela Feathersone, Adrian Barrett, Greg Rohland et

Bayshore Gardens Real Estate Holdings Limited

POUR LE DEMANDEUR

Joseph Louis Gorfinkle

 

Whitelaw Twining Law Corporation

Vancouver (C.-B.)

 

POUR LES DÉFENDEURS et MIS EN CAUSE Shasta Equities Ltd. et Lorne Shandro

 

Guild Yule, s.r.l.

Vancouver (C.-B.)

 

Lawyers West, s.r.l.

North Vancouver (C.-B.)

 

POUR LA DÉFENDERESSE et MISE EN CAUSE

Webasto Product North America, Inc.

 

POUR LA MISE EN CAUSE

Kent Carbis Yacht Sales Ltd.

 

 

 

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