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Date : 20130228

Dossier : IMM-7573-12

Référence : 2013 CF 195

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 28 février 2013

En présence de monsieur le juge Shore

 

ENTRE :

NADIA ZANCHETTA

 

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I. Introduction

[1]               La demanderesse est une citoyenne canadienne dont l’époux a présenté une demande de résidence permanente à titre de membre de la catégorie du regroupement familial du fait de la relation qu’il entretient avec celle-ci, aux termes du paragraphe 12(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration [la SAI] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que des motifs d’ordre humanitaire [CH] ne justifiaient pas une dispense de l’application des critères d’interdiction de territoire prévus aux alinéas 36(1)b), 36(2)b) et 40(1)(a) de la LIPR.

 

II. La procédure judiciaire

[2]               Il s’agit d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la LIPR en vue de soumettre à un contrôle judiciaire la décision que la SAI a rendue le 29 juin 2012.

 

III. Le contexte

[3]               La demanderesse, Mme Nadia Zanchetta, est née en 1968 et son époux, citoyen des États‑Unis, est né en 1975. Les deux se sont mariés en 2001, et ils ont eu ensemble trois enfants, aujourd’hui âgés de dix (10), de six (6) et de trois (3) ans, tous citoyens canadiens.

 

[4]               L’époux de la demanderesse a été reconnu coupable au New Jersey de cambriolage en 1995, ainsi que de possession d’une arme en 1996. À l’audience, il a déclaré avoir été reconnu coupable de cambriolage après avoir été pris dans un magasin non surveillé, dans lequel il était entré par la porte laissée ouverte. Il soutient avoir plaidé coupable pour cette infraction de façon à éviter une peine d’emprisonnement. Il a ajouté que l’arme pour laquelle il a été reconnu coupable de possession était un stylo en forme de fléchette.

 

[5]               L’époux de la demanderesse est entré au Canada à titre de visiteur en 2005, et il vit et travaille ici dans l’illégalité depuis ce temps.

 

IV. La décision faisant l’objet du présent contrôle

[6]               La SAI a conclu que les motifs CH ne justifiaient pas une dispense de l’application des critères d’interdiction de territoire que prévoient les dispositions suivantes : (i) l’alinéa 36(1)b) de la LIPR, qui considère comme interdits de territoire pour grande criminalité les étrangers qui ont été déclarés coupables, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix (10) ans; (ii) l’alinéa 36(2)b) de la LIPR, qui considère comme interdits de territoire pour grande criminalité les étrangers qui ont été déclarés coupables, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de deux infractions qui ne découlent pas des mêmes faits et qui, commises au Canada, constitueraient des infractions à des lois fédérales; (iii) l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, qui considère comme interdits de territoire pour fausses déclarations les ressortissants qui, directement ou indirectement, font une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entrainer une erreur dans l’application de la LIPR.

 

[7]               La SAI a noté que les alinéas 36(1)b) et 36(2)b) s’appliquaient car : (i) le fait de commettre un cambriolage (dans une habitation) constitue un acte criminel punissable de l’emprisonnement à perpétuité ou (dans un lieu autre qu’une habitation) un acte criminel punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans aux termes de l’article 348 du Code criminel, LRC 1985, c C‑46 [le Code], et (ii) la possession d’armes ou de dispositifs en sachant ne pas être titulaire d’un permis qui l’autorise est un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de dix ans aux termes du paragraphe 92(2) du Code.

 

[8]               La SAI n’a pas accepté que l’époux de la demanderesse avait été reconnu coupable de possession d’un stylo en forme de fléchette car la demanderesse n’a pas présenté de preuve à l’appui de cette allégation.

 

[9]               La SAI a conclu que l’alinéa 40(1)a) de la LIPR s’appliquait à cause de présentations erronées sur des faits importants quant à un objet pertinent, ou de réticences sur ces faits, ce qui entraînait ou risquait d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR : (i) fournir de faux renseignements résidentiels et de fausses dates de cohabitation ainsi que des informations dissimulant le fait que l’époux de la demanderesse vivait illégalement au Canada, (ii) fournir de fausses informations en matière d’emploi dissimulant le fait qu’il travaillait illégalement, et (iii) fournir de fausses informations au sujet de déplacements faits entre le Canada et les États‑Unis.

 

[10]           La SAI a conclu que, si la criminalité était le seul motif d’interdiction de territoire, la situation familiale de l’époux de la demanderesse militerait en sa faveur, malgré les actes criminels qu’il avait commis; cependant, Étant donné qu’il ne s’était pas présenté devant le tribunal en n’ayant « rien à se rapprocher », qu’il « a[vait] fait montre d’un mépris total à l’égard de la loi » (paragraphe 14 de la décision), et qu’il avait cherché délibérément à tromper les autorités de l’immigration, la SAI ne lui accorderait pas de mesures discrétionnaires. La SAI en a été convaincue par le fait que l’époux n’avait pas rectifié plus tôt sa situation sur le plan de l’immigration et n’avait pas payé d’impôts au Canada ou aux États-Unis.

 

[11]           Pour ce qui est de l’intérêt supérieur des enfants de l’époux de la demanderesse, la SAI a reconnu que ceux-ci bénéficieraient de la présence constante de leur père et que le renvoi de ce dernier leur porterait préjudice. Cependant, ce facteur était insuffisant car l’époux de la demanderesse pouvait, aux États-Unis, continuer de subvenir aux besoins de sa famille et il n’y avait aucune preuve devant la SAI que la famille ne pouvait pas vivre avec lui aux États-Unis ou qu’elle ne pouvait pas lui rendre visite. La SAI a souligné que l’intérêt supérieur de tout enfant directement touché par une décision est un facteur qu’il y a lieu de prendre sérieusement en considération, mais qu’il ne s’agit pas d’un facteur déterminant.

 

[12]           Pour ce qui était des fausses déclarations et des réticences sur un fait important, la SAI a conclu que la demanderesse n’était pas crédible. Elle n’a pas ajouté foi à son explication selon laquelle son époux, au moment de remplir ses formulaires, n’avait pas saisi la distinction qu’il y avait entre son adresse postale et son adresse domiciliaire, ni au fait qu’elle qualifiait d’erreurs les fausses déclarations de son époux.

 

V. Les questions en litige

[13]           1) L’analyse d’équivalence que la SAI a effectuée est-elle raisonnable?

2) L’analyse des facteurs CH que la SAI a effectuée est-elle raisonnable?

 

VI. Les dispositions législatives applicables

[14]           Les dispositions législatives de la LIPR qui suivent sont pertinentes :

25.       (1) Sous réserve du paragraphe (1.2), le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire, soit ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada qui demande un visa de résident permanent, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

 

 

 

 

[...]

 

36.       (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

 

[...]

 

b) être déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans;

 

[...]

 

(2) Emportent, sauf pour le résident permanent, interdiction de territoire pour criminalité les faits suivants :

 

[...]

 

b) être déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de deux infractions qui ne découlent pas des mêmes faits et qui, commises au Canada, constitueraient des infractions à des lois fédérales;

 

[...]

 

40.       (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

 

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

 

[...]

25.       (1) Subject to subsection (1.2), the Minister must, on request of a foreign national in Canada who applies for permanent resident status and who is inadmissible or does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada who applies for a permanent resident visa, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

 

 

36.       (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

 

 

(b) having been convicted of an offence outside Canada that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years; or

 

 

(2) A foreign national is inadmissible on grounds of criminality for

 

 

...

 

(b) having been convicted outside Canada of an offence that, if committed in Canada, would constitute an indictable offence under an Act of Parliament, or of two offences not arising out of a single occurrence that, if committed in Canada, would constitute offences under an Act of Parliament;

 

 

 

...

 

40.       (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation

 

(a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act;

 

 

 

 

 

VII. La position des parties

[15]           La demanderesse est d’avis que la décision de la SAI est déraisonnable car elle n’analyse pas les facteurs énoncés dans la décision Ribic c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] DSAI no 4, et confirmés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Chieu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3, [2002] 1 RCS 84. Elle soutient par ailleurs que la SAI a omis d’appliquer les facteurs CH pertinents, lesquels font pencher la balance en faveur de son époux.

 

[16]           La demanderesse soutient que la SAI a minimisé la question de l’intérêt supérieur des enfants en en traitant de manière superficielle, sans l’examiner et sans la soupeser. Selon elle, les antécédents criminels de son époux et les informations erronées consignées dans les formulaires d’immigration le concernant ne l’emportent pas sur l’intérêt supérieur des enfants, pas plus que son emploi illégal ne milite contre la prise de mesures discrétionnaires, car c’était pour subvenir aux besoins de sa famille qu’il travaillait.

 

[17]           Enfin, la demanderesse soutient qu’il n’était pas loisible à la SAI d’entendre d’autres éléments de preuve sur la question de savoir si sa famille à elle pouvait déménager aux États‑Unis ainsi que sur la maladie de son père.

 

[18]           Le défendeur réplique que la SAI a examiné implicitement les facteurs énoncés dans la décision Ribic, mais qu’elle n’était pas tenue de procéder à une analyse détaillée, que la demanderesse conteste simplement le poids que la SAI a accordé à ces facteurs ainsi qu’à la preuve, et que la Cour n’est pas autorisée à soupeser de nouveau les preuves. Le défendeur ajoute que la SAI se devait de prendre en compte les antécédents de l’époux de la demanderesse en matière d’immigration.

 

VIII. L’analyse

La norme de contrôle applicable

[19]           L’analyse d’équivalence qu’a effectuée la SAI relativement à la loi du New Jersey en vertu de laquelle l’époux de la demanderesse a été reconnu coupable est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Sayer c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 144). L’analyse qu’a effectuée la SAI au sujet des facteurs CH, y compris la question de l’intérêt supérieur de l’enfant, est elle aussi susceptible de contrôle selon cette norme (Sinniah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1285).

 

[20]           Dans les cas où c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique, la Cour ne peut intervenir que si les motifs de la SAI ne sont pas « justifiés, transparents ou intelligibles ». Une décision raisonnable doit appartenir aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47).

 

1) L’analyse relative à l’équivalence que la SAI a effectuée est-elle raisonnable?

[21]           L’époux de la demanderesse a été reconnu coupable de cambriolage en vertu de l’article 2C :18-2 du New Jersey Code of Criminal Justice [Jersey Code], ainsi que de possession de certaines armes en vertu de l’article 2C :39-3(e) du Jersey Code (dossier certifié du tribunal [DCT], à la page 73).

 

[22]           Aux termes de l’article 2C :18-2 du Jersey Code, le mot « cambriolage » (burglary) signifie entrer ou rester subrepticement, et dans le but de commettre une infraction, dans une installation de recherche, dans un bâtiment ou dans une partie séparément sécurisée ou occupée de ces lieux (DCT, à la page 76). Il était raisonnable de conclure que cette interdiction était analogue à l’article 348 du Code, lequel interdit de s’introduire en un endroit par effraction en vue d’y commettre un acte criminel. L’infraction visée à l’article 348 étant un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de dix (10) ans, la SAI a conclu de manière raisonnable que l’époux de la demanderesse était interdit de territoire pour criminalité au sens de l’alinéa 36(1)b) de la LIPR.

 

[23]           L’article 2C :39-3(e) du Jersey Code interdit de posséder sciemment un couteau à lame sortant par gravité, un couteau à ouverture automatique, une dague, un poignard, un couteau à lame pointue, une trique, une garcette, un coup-de-poing américain, une matraque de type  « sac de sable », un lance-pierre, un ceste ou une bande de cuir semblable revêtue de bouts de lame de rasoir enfoncées dans du bois ou un couteau balistique, sans un objet légitime explicable (DCT, à la page 77). Il serait raisonnable de considérer que cette disposition est analogue au paragraphe 92(2) du Code, lequel interdit à quiconque d’avoir en sa possession une arme prohibée ou un dispositif prohibé sachant qu’il n’est pas titulaire d’un permis qui l’y autorise. L’infraction visée par le paragraphe 92(2) du Code est un acte criminel punissable d’un emprisonnement maximal de dix (10) ans. Il était raisonnable de conclure que l’époux de la demanderesse était interdit de territoire pour criminalité au sens de l’alinéa 36(1)b) de la LIPR.

 

[24]           L’observation de la demanderesse selon laquelle son époux a été déclaré coupable de possession d’un stylo en forme de fléchette, qui n’est pas une arme ou un dispositif prohibé par le Code, n’a pas été étayée par d’autres éléments de preuve. Il serait raisonnable d’accorder peu de poids à cette observation.

 

2)   L’analyse des facteurs CH que la SAI a effectuée, y compris l’intérêt supérieur de l’enfant, est-elle raisonnable?

 

[25]           Les facteurs énoncés dans la décision Ribic s’appliquent en vue de décider s’il existe des motifs CH qui justifient une dispense de l’application des dispositions d’interdiction de territoire que prévoient les alinéas 36(1)b), 36(2)b) et 40(1)a) de la LIPR (Tabuyo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 425, au paragraphe 10; Palmer c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2012 CF 1277). La SAI n’est toutefois pas tenue de procéder à une analyse point par point expresse des facteurs énoncés dans la décision Ribic (Iamkhong c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 355, 286 FTR 297, au paragraphe 43).

 

[26]           La SAI n’a pas fait expressément mention des facteurs énoncés dans la décision Ribic, mais elle en a tenu compte implicitement en faisant état de la gravité des infractions et des fausses déclarations de l’époux, des difficultés que son renvoi causerait à sa famille et à lui, ainsi que de la possibilité d’une réunification aux États-Unis (décision, aux paragraphes 12 et 29).

 

[27]           Pour contrôler l’analyse implicite que fait la SAI des facteurs énoncés dans la décision Ribic, la Cour réitère que ces facteurs ne sont pas exhaustifs, que leur poids est discrétionnaire et que « le poids à accorder à un facteur donné dépend des circonstances particulières de chaque cas » (Philistin c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2011 CF 1333, au paragraphe 17; Chieu, précité, au paragraphe 40).

 

[28]           Les facteurs énoncés dans la décision Ribic exigent que la SAI tienne compte de la gravité des infractions criminelles, de la probabilité de réadaptation ainsi que de la gravité des fausses déclarations (Tabuyo, précitée, aux paragraphes 12 à 14; Patel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 686, au paragraphe 32). Les infractions criminelles en litige ont été commises il y a près de vingt (20) ans, à une époque où l’époux de la demanderesse était jeune, et elles ne sont pas suffisamment graves pour conclure qu’il n’aurait pas pu se réadapter. Il serait raisonnable de conclure que le degré de gravité des infractions criminelles militerait en sa faveur. C’est essentiellement la conclusion qu’a tirée la SAI en concluant que ces infractions, à elles seules, commandent une certaine « clémence » (au paragraphe 12).

 

[29]           Il était toutefois raisonnable de conclure que les fausses déclarations de la demanderesse et de son époux sont sérieuses car elles minent l’intégrité de la LIPR.

 

[30]           L’époux de la demanderesse, même s’il vivait, s’il travaillait et s’il cohabitait avec la demanderesse dans l’illégalité depuis 2005, a déclaré dans sa demande de résidence permanente que : (i) son adresse domiciliaire se trouvait en Caroline du Nord, (ii) il était sans travail depuis 2005, (iii) il avait vécu entre l’année 2000 et la date de la demande en Caroline du Nord et avait omis les adresses canadiennes où il avait vécu au cours de cette période, (iv) il avait vécu chez son frère et ses parents aux États-Unis mais avait fait la navette pour vivre avec son épouse au Canada entre 1999 et 2009, et (v) il avait cohabité avec son épouse en 1998 et en 1999 mais, à la date de la demande, il ne vivait pas avec elle (DCT, aux pages 40, 43, 45, 53 et 120). À partir de ces déclarations, il était raisonnable de conclure que l’époux de la demanderesse avait fait, directement ou indirectement, une présentation erronée sur des faits importants ou une réticence sur ces faits, à savoir qu’il avait séjourné et travaillé illégalement au Canada, des faits qui risquaient d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR. Même la quatrième fausse déclaration fait entrer en jeu l’alinéa 40(1)(a) de la LIPR, car elle donne à penser que l’époux de la demanderesse ne vivait qu’à l’occasion avec son épouse au Canada et qu’il vivait de façon permanente aux États-Unis; cette fausse déclaration dissimule le fait important qu’est son séjour illégal au Canada. Compte tenu de ces fausses déclarations, la SAI pouvait raisonnablement ne pas ajouter foi à l’explication de la demanderesse selon laquelle son époux avait mal saisi la distinction qu’il y a entre une adresse postale et une adresse domiciliaire.

 

[31]           Il était raisonnable d’accorder peu de poids au temps que l’époux de la demanderesse avait passé au Canada, à son degré d’établissement, au degré de soutien de la collectivité en sa faveur, à l’effet de son expulsion sur sa famille, ainsi qu’aux difficultés que son renvoi causerait. Le demandeur étant en mesure de retourner aux États-Unis, il était raisonnable de conclure qu’aucun de ces facteurs n’établissait l’existence de difficultés excessives. Certes, la famille de la demanderesse dépend économiquement de l’époux, mais il était raisonnable de conclure qu’il s’agissait là d’un facteur neutre car celui-ci peut légalement travailler aux États-Unis. Dans le même ordre d’idées, il n’est pas déraisonnable d’inférer, en tenant compte de la proximité géographique et culturelle des États-Unis, que le renvoi de l’époux causerait bien quelques difficultés, mais pas des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. Il ressort clairement de la jurisprudence que les difficultés doivent atteindre le niveau des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives (Ambassa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 158, au paragraphe 46).

 

[32]           Quant aux questions relatives à l’état de santé du père de la demanderesse, la Cour fait remarquer que les décideurs sont raisonnablement en droit d’accorder peu de poids aux problèmes de santé qui ne sont pas étayés par des preuves médicales (Koonjoo c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2011 CF 1211, 298 FTR 255, au paragraphe 22). La demanderesse a fait état des problèmes de santé de son père à l’audience tenue devant la SAI, mais il ressort du dossier qu’elle n’a rien fait pour présenter des preuves médicales à l’appui de ce qu’elle avançait.

 

[33]           Enfin, la SAI se doit d’être « réceptive, attentive et sensible » à l’intérêt supérieur des enfants touchés au moment de trancher une demande CH (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, au paragraphe 75). Dans l’arrêt Hawthorne c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475, [2003] 2 CF 555, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’on applique la règle de l’intérêt supérieur de l’enfant visée au paragraphe 25(1) de la LIPR « en considérant le bénéfice que retirerait l’enfant si son parent n’était pas renvoyé du Canada ainsi que les difficultés que vivrait l’enfant, soit advenant le renvoi de l’un de ses parents du Canada, soit advenant qu’[il] quitte le Canada volontairement [s’il] souhaite accompagner son parent à l’étranger » et qu’on évalue les difficultés « par rapport aux autres facteurs, y compris les considérations d'intérêt public, qui militent en faveur ou à l'encontre du renvoi du parent » (aux paragraphes 4 et 6). Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Legault, 2002 CAF 125, [2002] 4 CF 358, la Cour fédérale a déclaré que la présence des enfants n’est pas déterminante et qu’il ne s’agit là que de l’un des facteurs qu’un décideur se doit d’examiner et de soupeser (au paragraphe 12).

 

[34]           La SAI a conclu de manière raisonnable que « dans les circonstances de l’espèce, ce facteur [l’intérêt supérieur de l’enfant] ne constitu[ait] pas à lui seul un motif d’ordre humanitaire suffisant » (au paragraphe 28). La commissaire a conclu qu’il serait avantageux pour les enfants que leur père soit présent au Canada et que le renvoi de ce dernier leur serait préjudiciable. La SAI était néanmoins en droit de soupeser ce facteur par rapport aux strictes considérations d’intérêt public qui militaient contre l’époux de la demanderesse, à savoir ses fausses déclarations, qui minaient l’intégrité de la loi canadienne en matière d’immigration. Compte tenu de la proximité géographique et culturelle du Canada et des États-Unis, il ne serait pas déraisonnable de conclure que ces considérations d’intérêt politique avaient plus de poids que l’intérêt supérieur des enfants. Quoi qu’il en soit, il n’est pas permis à la Cour de réévaluer les facteurs CH qu’un décideur a pris en compte et soupesés (Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, [2010] 1 RCF 360, au paragraphe 24).

 

IX. Conclusion

[35]           Pour tous les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse soit rejetée. Il n’y a pas de question de portée générale à certifier.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7573-12

 

INTITULÉ :                                      NADIA ZANCHETTA c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :              MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 26 FÉVRIER 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                     LE 28 FÉVRIER 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Debbie Mankovitz

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Michèle Joubert

Sonia Bédard

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Grey Casgrain

Avocats

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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