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Date : 20130125

Dossier : IMM-3173-12

Référence : 2013 CF 053

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 janvier 2013

En présence de monsieur le juge O’Reilly

 

 

ENTRE :

 

GREGORY SHAWN JOHNSON

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Aperçu général

 

[1]               M. Gregory Shawn Johnson vit au Canada depuis 1988, année de son arrivée ici depuis la Jamaïque. Il avait 15 ans à l’époque. Il est devenu résident permanent deux ans plus tard.

 

[2]               En 2007, il a été déclaré coupable d’agression armée, de voies de fait graves et de négligence criminelle causant des lésions corporelles. La victime était sa fille âgée de deux ans. Il a été condamné à un emprisonnement de sept ans, moins trois ans au titre de sa détention préventive.

 

[3]               En 2008, compte tenu de son passé criminel, M. Johnson a été frappé d’interdiction de territoire.

 

[4]               Alors qu’il était incarcéré, on a diagnostiqué qu’il souffrait de schizophrénie. En 2010, il a été transféré au Centre régional de traitement (CRT) du pénitencier de Kingston. On lui a prescrit des antipsychotiques destinés à contrôler ses symptômes.

 

[5]               Après avoir purgé sa peine en 2011, M. Johnson a été transféré au Centre de détention de Toronto‑Ouest en attendant son expulsion. Il a sollicité un examen des risques avant renvoi (ERAR), mais l’agente chargée de l’examen a rendu une décision défavorable sur sa demande. L’agente a conclu que M. Johnson n’avait pas prouvé que sa vie serait menacée en Jamaïque ou qu’il serait exposé au risque de subir des traitements cruels et inusités.

 

[6]               M. Johnson fait valoir que l’agente a rendu une décision déraisonnable parce qu’elle n’a pas tenu compte de la preuve se rapportant à son état, qu’elle n’a pas reconnu que les personnes atteintes de maladies mentales sont couramment victimes de mauvais traitements en Jamaïque et qu’elle n’a pas cherché à comprendre la nature du risque auquel il se dit exposé.

 

[7]               Essentiellement, le seul point à décider est celui de savoir si la décision de l’agente était déraisonnable.

 

II.        La décision de l’agente

[8]               L’agente a examiné la preuve qui lui avait été soumise et qui concernait l’état de M. Johnson. Cette preuve comprenait le dossier médical communiqué par le Service correctionnel du Canada (le SCC) et le Centre de détention de Toronto‑Ouest, de même que la preuve documentaire se rapportant à la schizophrénie en général. Elle a aussi examiné la preuve intéressant en particulier les traitements pouvant être obtenus en Jamaïque, et de manière générale les conditions ayant cours en Jamaïque.

 

[9]               Le dossier médical est difficile à déchiffrer. Selon l’agente, ce dossier montrait que M. Johnson souffre de schizophrénie et présente les symptômes actifs de la maladie, mais il ne décrivait pas véritablement les symptômes en question. Le dossier mentionnait aussi que M. Johnson prend des antipsychotiques (olanzapine et rispéridone) et que, s’il cessait de les prendre, il ferait une rechute.

 

[10]           Cependant, l’agente a relevé que la preuve ne disait rien du passé médical de M. Johnson antérieur au diagnostic de schizophrénie, que l’information se rapportant à ses symptômes ou à l’observation du traitement prescrit était mince et que son réseau de soutien familial était peu détaillé. Vu que les symptômes peuvent varier considérablement, l’agente a estimé être dans l’impossibilité de tirer une conclusion sur les troubles schizophréniques particuliers de M. Johnson.

 

[11]           La preuve documentaire contenait des lettres de médecins portant sur d’autres patients. Les lettres font état des traitements restreints dont peuvent bénéficier les personnes souffrant de schizophrénie en Jamaïque. L’agente a accordé peu de poids à ces lettres car elles ne concernaient pas M. Johnson.

 

[12]           L’agente a évoqué d’autres éléments de preuve documentaires montrant que les personnes souffrant de troubles mentaux sont stigmatisées en Jamaïque. Les traitements sont généralement administrés en milieu communautaire plutôt qu’en établissement. La police reçoit une formation spéciale pour se familiariser avec les questions de santé mentale. Cependant, les antipsychotiques atypiques plus ou moins nouveaux ne sont pas tous accessibles, et certains patients sont sans abri.

 

[13]           Selon l’agente, la preuve ne montrait pas que M. Johnson ne pourrait pas obtenir en Jamaïque les traitements dont il a besoin. Les médicaments qu’il prend actuellement n’y sont peut‑être pas disponibles, mais l’agente n’était pas à même de conclure que d’autres médicaments ne feraient pas l’affaire. Puisqu’il semble que M. Johnson prend aujourd’hui ses médicaments, on peut imaginer qu’il continuera de suivre son traitement en Jamaïque.

 

[14]           L’agente a relevé aussi qu’il ne semblait guère établi que les personnes atteintes de maladies mentales sont couramment exploitées en Jamaïque. D’ailleurs, le pourcentage de sans-abris parmi ces personnes est très faible.

 

[15]           Elle a aussi évoqué la preuve documentaire attestant un taux de criminalité élevé en Jamaïque et un mauvais bilan en matière de droits de la personne dans ce pays. Cependant, la situation s’améliore et, en tout état de cause, le risque auquel est exposé M. Johnson serait un risque généralisé, c’est-à-dire un risque auquel toute la population est exposée.

 

[16]           En définitive, l’agente a conclu que M. Johnson n’avait pas établi l’existence d’un risque qui entrait dans les paramètres de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (voir l’annexe).

 

III.       La décision de l’agente était-elle déraisonnable?

 

[17]           M. Johnson signale trois aspects où l’agente a pu commettre une erreur. J’examinerai successivement chacun d’eux.

 

1.         L’agente a-t-elle omis de tenir compte de la preuve de nature médicale se rapportant à l’état de M. Johnson?

[18]           La preuve soumise à l’agente comprenait les renseignements suivants se rapportant à M. Johnson et aux questions le concernant :

         son schéma posologique (injections de rispéridone et ingestion de comprimés d’olanzapine);

         son état général était bon, mais il continuait d’avoir des hallucinations auditives, qui ne le dérangeaient pas énormément;

         il souffrait de symptômes psychotiques lors de son admission au pénitencier, mais ces symptômes ont disparu quand il a été traité avec des médicaments;

         ses symptômes réapparaîtraient probablement en quelques semaines sans les médicaments requis;

         on ne savait pas quels médicaments pouvaient être obtenus en Jamaïque;

         son représentant commis d’office croyait que M. Johnson n’était pas en mesure de comprendre la nature de la procédure d’examen des motifs de sa détention;

         information générale sur la schizophrénie et sur son traitement;

         information sur la situation ayant cours en Jamaïque et sur les ressources accessibles dans ce pays, y compris la disponibilité de médicaments anciens et le coût de médicaments plus récents, le niveau de discrimination à l’endroit des personnes atteintes de troubles mentaux, enfin le taux de sans-abrisme parmi les personnes atteintes de troubles mentaux.

[19]           À mon avis, la conclusion de l’agente – selon laquelle n’était pas suffisamment détaillée la preuve se rapportant à la santé mentale de M. Johnson et aux circonstances qu’il lui faudrait probablement affronter en Jamaïque – n’était pas déraisonnable. Les motifs de l’agente, exposés ci‑dessus, comportaient un résumé juste de la preuve concrète se rapportant à l’état de M. Johnson.

2.         L’agente a-t-elle omis de reconnaître que les personnes atteintes de troubles mentaux sont couramment victimes de mauvais traitements en Jamaïque?

[20]           Comme l’a reconnu l’agente, la preuve documentaire montrait que les personnes atteintes de troubles mentaux en Jamaïque sont souvent stigmatisées, malmenées ou victimes de discrimination, surtout celles qui ont été expulsées depuis l’étranger. Cependant, des documents montraient aussi que ces personnes peuvent souvent être soignées chez elles ou dans des structures communautaires, que la police est en général capable de calmer les personnes agitées et que des groupes bénévoles et des foyers collectifs offrent des traitements aux personnes atteintes de schizophrénie.

[21]           Vu l’ensemble de la preuve soumise à l’agente, il m’est impossible de dire que la conclusion de l’agente – pour qui les personnes atteintes de troubles mentaux ne sont pas en général victimes de mauvais traitements en Jamaïque – était déraisonnable.

3.         L’agente s’est-elle dispensée de chercher à comprendre la nature du risque auquel M. Johnson se dit exposé?

[22]           M. Johnson affirme que l’agente s’est abstenue à tort de reconnaître que les conditions qui l’attendent en Jamaïque équivalent à des traitements cruels et inusités.

[23]           Eu égard à la preuve examinée ci-dessus, il m’est impossible de souscrire à l’argument de M. Johnson. La preuve ne contenait pas de détails particuliers se rapportant à la situation personnelle ou aux besoins futurs de M. Johnson. Elle ne confirmait pas non plus l’argument de M. Johnson selon lequel il serait exposé à un risque appréciable de subir des mauvais traitements, d’être exploité et de devenir un sans-abri. Il m’est donc impossible de conclure que l’agente n’a pas compris la nature du risque à l’origine de la demande d’ERAR de M. Johnson.

 

IV.       Conclusion

[24]           La conclusion de l’agente constituait une issue qui pouvait se justifier au regard des faits et du droit. Elle n’était donc pas déraisonnable, et je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune des parties n’a proposé que soit certifiée une question de portée générale, et aucune question du genre n’est énoncée.

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Aucune question de portée générale n’est énoncée.

 

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


Annexe « A »

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

 

Personne à protéger

  97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Note marginale : Personne à protéger

  (2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001 c 27

 

Person in need of protection

  97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

  (2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3173-12

 

INTITULÉ :                                      GREGORY SHAWN JOHNSON

                                                            c

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 11 décembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     Le 25 janvier 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Alyssa Manning

POUR LE DEMANDEUR

 

Kristina Dragaitis

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Alyssa Manning

Bureau du droit des réfugiés

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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