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Date : 20130124

Dossier : IMM-4382-12

Référence : 2013 CF 73

Ottawa (Ontario), le 24 janvier 2013

En présence de monsieur le juge Martineau 

 

ENTRE :

 

FARIDEH NOUHI

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse, une citoyenne d’Iran, craint être persécutée dans son pays à cause de ses opinions politiques imputées et de son appartenance à un groupe social particulier. Elle conteste la légalité d’une décision rendue le 12 avril 2012 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié [tribunal] rejetant sa demande d’asile.

 

[2]               L’existence d’une crainte subjective n’est pas véritablement en cause et le tribunal ne remet pas sérieusement en question le récit que l’on retrouve dans le Formulaire de Renseignements Personnels [FRP] de la demanderesse, bien qu’il ait des doutes sur la véracité de certaines allégations, et sur lesquelles, nous reviendrons plus loin dans ces motifs. Essentiellement, le tribunal conclut que la demanderesse ne risque pas d’être persécutée advenant un retour en Iran puisque son fils est déjà en prison et que son autre fille qui vit en Iran n’a pas été arrêtée par la police.

 

[3]               La décision sous étude doit être examinée en fonction de la norme de la raisonnabilité. Il s’agit de savoir en l’espèce si les conclusions d’invraisemblance et les inférences négatives faites par le tribunal sont raisonnables et reposent sur la preuve comme le prétend le défendeur, ou plutôt, si celles-ci sont purement gratuites, spéculatives et déraisonnables comme le prétend au contraire la demanderesse.

 

[4]               Les allégations qu’il faut tenir pour avérées sont relativement simples. La demanderesse est âgée de 66 ans. Elle la mère d’un fils, Ali, qui vivait avec elle en Iran, et de deux filles, Maryam et Fatemeh, la première vivant au Canada et l’autre en Iran. En juin 2009, Ali participe à des manifestions populaires contestant le résultat des élections présidentielles. À la mi-septembre 2009, deux amis de son fils, Babak et Hamid, viennent se réfugier dans sa résidence. La police vient les arrêter, et du même coup, elle arrête aussi la demanderesse alors que son fils est absent. La demanderesse est interrogée par la police au sujet de son fils; elle est remise en liberté le soir même. Trois jours plus tard, elle est de nouveau interrogée au sujet du fils. Dans les mois qui suivent, la demanderesse reçoit diverses menaces téléphoniques, toujours en rapport avec son fils. La demanderesse arrive à Montréal le 26 mai 2010, munie d’un visa de séjour temporaire et elle fait sa demande d’asile le 31 août 2010. Peu après, son fils est arrêté, et il est incarcéré depuis lors. Toutefois, les autorités iraniennes permettent à Fatemeh de lui rendre visite en prison. Les autorités continuent de s’intéresser à la demanderesse.

 

[5]               Il est vrai que le tribunal peut tirer des « conclusions raisonnables basées sur les invraisemblances » (Huang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2012 CF 1004 au para 30, [2012] ACF no 1090), mais il n’y a rien dans l’ensemble de la preuve au dossier qui soutient les inférences négatives et les conclusions d’invraisemblance du tribunal, lorsque l’on considère l’ensemble du témoignage de la demanderesse et les autres preuves documentaires au dossier. À mon avis, plusieurs conclusions du tribunal sont gratuites ou spéculatives, et les motifs que l’on retrouve aux paragraphes 7 à 10 de la décision ne me permettent pas de conclure que le rejet de la demande d’asile constitue une issue acceptable en regard de la preuve et du droit applicable. Il y a lieu d’intervenir en l’espèce.

 

[6]               Ainsi, en concluant que la demanderesse a été libérée le jour de son arrestation, fort probablement parce que les autorités iraniennes ont conclu que la demanderesse n’était pas complice de la décision d’offrir un refuge à des personnes qui désiraient fuir les autorités iraniennes, le tribunal ignoré les explications raisonnables de la demanderesse et la preuve médicale au dossier. Il semble bien que la demanderesse a souffert d’un malaise en détention, ce qui, selon le récit de la demanderesse, a provoqué sa libération, ce qui est plausible en l’espèce.

 

[7]               D’autre part, la conclusion d’absence de risque se fonde beaucoup sur le fait que jusqu’ici, la fille de la demanderesse, Fatemeh, n’a pas été détenue. Une fois encore, le tribunal ne tient pas compte de la preuve au dossier. Il faut se rappeler que les fugitifs, Babak et Hamid, ont été trouvés et arrêtés au domicile de la demanderesse, non pas chez sa fille. De plus, la preuve documentaire indique que les membres de la famille d’une personne détenue pour des motifs politiques – comme le fils de la demanderesse – sont toujours à risque d’être arrêtés ou harcelés, surtout lorsqu’on veut faire pression sur le prisonnier politique. Les mères sont souvent ciblées. Or, rappelons que Ali est incarcéré à la prison d’Evin, une prison pour les prisonniers politiques, ce que semble ignorer le tribunal.

 

[8]               Le tribunal se base également sur le fait que la demanderesse a pu quitter l’Iran le 26 mai 2010. Néanmoins, le tribunal semble du même coup faire fi de la preuve documentaire à l’effet qu’il est plutôt rare que le gouvernement iranien interdise à ses ressortissants de quitter le pays, alors que la demanderesse n’a pas le profil des personnes dont les autorités iraniennes interdisent de voyager à l’étranger. Dans son analyse très sommaire, le tribunal ne tient pas non plus compte que les autorités iraniennes ont continué de harceler la demanderesse après sa libération et de poser des questions à propos de la demanderesse.

 

[9]               Le tribunal tire également une inférence négative du fait que Fatemeh ne mentionne pas explicitement dans sa lettre, qui corrobore entièrement le témoignage de la demanderesse, que les autorités ont interrogé Ali au sujet de la demanderesse, ce qui m’apparaît également déraisonnable. Il n’y a aucune contradiction apparente entre le témoignage de la demanderesse et la lettre de Fatemeh, alors que selon la preuve non contredite au dossier, en août 2010, les autorités ont indiqué à Fatemeh qu’ils désiraient interroger la demanderesse à propos de Babak et Hamid et que le dossier de cette dernière était toujours ouvert.

 

[10]           Même si la Cour jouit d’une certaine discrétion pour compléter des motifs défectueux ou insuffisants, encore faut-il qu’elle soit satisfaite que, dans l’ensemble, le raisonnement du tribunal se tient et repose sur la preuve au dossier. Ce n’est pas le cas en l’espèce. Ici, le tribunal n’a relevé aucune contradiction dans le récit du FRP et le témoignage de la demanderesse. Le raisonnement du tribunal repose exclusivement sur ce qui lui apparaissait comme des invraisemblances. Or, la version présentée sur ces points précis par la demanderesse est tout aussi vraisemblable, l’ensemble de son témoignage n’étant pas généralement remis en doute par le tribunal.

 

[11]           Bien que la demanderesse ait également soulevé plusieurs autres motifs d’intervention, il reste que, cumulativement, les erreurs ou les omissions soulignées plus haut sont déterminantes et suffisent pour casser la décision du tribunal qui est déraisonnable en l’espèce. Il ne m’apparaît donc pas opportun de me substituer au tribunal afin de trouver moi-même de nouveaux arguments de rejet de la demande d’asile, ce qui équivaudrait à réécrire la décision contestée. Dans l’intérêt de la justice, une nouvelle détermination de la demande d’asile par un décideur différent m’apparaît nécessaire. Bien entendu, le tribunal aura tout le loisir, s’il le souhaite, de se prononcer à nouveau sur la crédibilité du récit de la demanderesse et le risque personnalisé qu’elle peut encourir à la lumière de son profil particulier et des éléments objectifs qu’on retrouve dans la preuve documentaire.

 

[12]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie. Aucune question d’importance générale ne se soulève en l’espèce.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié est annulée et l'affaire est renvoyée à un tribunal constitué différemment afin qu’une nouvelle audience ait lieu et qu’une nouvelle décision relative à la demande d’asile de la demanderesse soit rendue. Aucune question n’est certifiée.

 

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4382-12

 

INTITULÉ :                                      FARIDEH NOUHI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             17 janvier 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :                     24 janvier 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Annie Bélanger

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Me Catherine Brisebois

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Bélanger, Fiore, avocats

St-Laurent (Québec)

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

William F. Pentney,

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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