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Date : 20130124

Dossier : IMM-4469-12

Référence : 2013 CF 64

Montréal (Québec), le 24 janvier 2013

En présence de monsieur le juge Simon Noël

 

ENTRE :

 

SAMUEL SANCHEZ CASTILLO

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, rendue le 17 avril 2012, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. La SPR a conclu que le demandeur n’est ni un réfugié au sens de la Convention aux termes de l’article 96 de la LIPR, ni une personne à protéger selon l’article 97 de la LIPR.


I.          Faits

[2]               Le demandeur dit craindre son patron, Hugo, le propriétaire de la pharmacie Farmapronto, ainsi que ses alliés, des policiers judiciaires fédéraux. Il prétend être menacé, car il aurait refusé de distribuer de la drogue dans des collèges.

 

[3]               Le demandeur aurait fait deux tentatives de plaintes auprès de la police municipale à Mexico.

 

[4]               Le demandeur affirme ne pas avoir épuisé tous les recours pour obtenir la protection de l’État parce qu’il avait peur. En effet, il a témoigné à l’effet que sa mère et lui avaient imaginé que les autorités mexicaines protégeraient Hugo et les deux anciens membres de l’Agence fédérale d’investigation [AFI] plutôt que sa mère et lui. L’avocat du demandeur aurait confirmé cette possibilité. Il n’a pas porté plainte à la police fédérale.

 

[5]               Le demandeur a décidé de quitter le Mexique le 23 juillet 2008 et est arrivé à Vancouver le 4 août 2008. Il a revendiqué le statut de réfugié le 7 septembre 2010 à Montréal.

 

[6]               Le 5 septembre 2010, alors qu’il était au Canada, il a reçu un courriel de sa sœur confirmant que ses poursuivants sont des membres de l’AFI.

 


II.        Décision révisée

[7]               La SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur en basant majoritairement sa décision sur un problème de crédibilité à cause d’omissions importantes et de contradictions dans le témoignage du demandeur, dont les plus importantes sont relatées dans la décision. 

 

[8]               D’abord, le demandeur affirme que deux policiers de l’AFI se seraient présentés chez lui au Mexique le 5 septembre 2010. Cependant, il affirme qu’il ne peut fournir une copie du courriel de sa sœur qui confirme que les agents persécuteurs sont membres de l’AFI et explique qu’il n’a pas pensé à garder une copie de ce courriel.

 

[9]               Deuxièmement, le demandeur s’est contredit au sujet du nombre de plaintes écrites déposées à la police municipale. Il a, dans un premier temps, prétendu avoir déposé trois plaintes par écrit à la police municipale pour ensuite affirmer qu’il avait plutôt fait deux tentatives de plaintes. De plus, le demandeur a fourni trois dates précises auxquelles les plaintes auraient été déposées pour ensuite se rétracter. Ainsi, la SPR a considéré que cela mine la crédibilité du demandeur.

 

[10]           Troisièmement, le demandeur a prétendu avoir eu recours aux services d’un avocat au Mexique, Me Guzman, qui devait lui fournir des preuves servant à corroborer son témoignage, dont une copie de la plainte déposée, et aurait ainsi effectué une enquête. Il prétend cependant n’avoir rien reçu de ce dernier. Invité à expliquer ce que l’avocat a fait pour lui, le demandeur a répondu de manière confuse, affirmant d’abord qu’il ne savait pas ce que l’avocat a fait pour ensuite dire qu’il sait que l’avocat a indiqué à sa mère qu’il s’est présenté pour obtenir une copie de la plainte. La SPR a conclu que les réponses confuses du demandeur minent sa crédibilité.

[11]           Enfin, la SPR a considéré que le demandeur manque de crédibilité, car il n’a pas mentionné dans son récit que son avocat, Me Guzman, aurait confirmé que sa crainte de ne pas être protégé par les autorités est bien fondée étant donné que celles-ci appuient Hugo et les deux anciens membres de l’AFI. Invité à expliquer la raison pour laquelle il n’a pas mentionné ce fait, le demandeur a répondu qu’il n’y avait pas pensé.

 

[12]           La SPR a ensuite considéré que même si le demandeur était crédible quant à son récit, il n’a pas renversé la présomption de la protection de l’État.

 

[13]           Le demandeur n’a pas porté plainte à la police fédérale malgré qu’il prétend que les personnes impliquées sont membres de l’AFI, donc des employés du gouvernement fédéral. Le demandeur a fourni comme simple explication qu’il avait peur. Or, la preuve documentaire démontre qu’au Mexique, lorsqu’une personne est témoin d’un acte de corruption au sein de l’administration fédérale, celle-ci peut porter plainte aux bureaux du Secrétariat de la fonction publique ainsi que par téléphone, en utilisant le service SACTEL.

 

[14]           Dans les circonstances, le demandeur n’a pas présenté de preuve claire et convaincante pour renverser la présomption de la protection de l’État, d’autant plus qu’il n’a pas épuisé tous les recours qui s’offraient à lui au Mexique. En effet, il est reconnu qu’un État démocratique est présumé être en mesure de protéger ses citoyens.

 

III.       Position du demandeur

[15]           Le demandeur allègue que les conclusions de la SPR au sujet de sa crédibilité sont erronées.

[16]           Dans un premier temps, le demandeur soumet que la SPR reproche de manière erronée au demandeur de ne pas avoir fait mention du courriel reçu le 5 septembre 2010. De plus, même si le demandeur ne pouvait fournir des éléments de preuve confirmant qu’il a bien reçu ce courriel, la SPR aurait dû considérer que le demandeur a tenté d’obtenir de telles preuves sans succès, et ce, en vertu de l’article 7 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256.

 

[17]           Deuxièmement, le demandeur affirme qu’il a fourni des réponses adéquates et non confuses aux questions qui lui ont été posées eu égard aux plaintes. En effet, il y a une nuance entre le fait de se présenter aux autorités pour porter plainte et l’acceptation de telles plaintes. De plus, le demandeur allègue que les réponses données au sujet des plaintes sont claires, car celui-ci s’est référé à l’ensemble des plaintes déposées, oralement ou par écrit.

 

[18]           Troisièmement, en ce qui a trait à ce que l’avocat Guzman aurait effectué comme démarches, le demandeur affirme que celui-ci aurait communiqué avec sa mère pour expliquer qu’il n’y avait pas eu d’avancement au sujet de la première plainte.

 

[19]           Quatrièmement, selon le demandeur, son témoignage à l’effet que les autorités mexicaines protégeraient Hugo et ses complices, des agents de l’AFI, est une opinion personnelle qui n’avait pas à être mentionnée dans son récit.

 

[20]           Cinquièmement, le demandeur avance que l’occasion ne lui a pas été donnée de fournir des explications au sujet des contradictions dans son témoignage.

 

[21]           Sixièmement, le demandeur considère que les conclusions de la SPR au sujet de sa crédibilité ne sont pas raisonnables étant donné qu’elles touchent des éléments qui ne sont pas au cœur de sa demande et que la SPR s’appuie sur des conjectures. De plus, le témoignage rendu sous serment est présumé véridique.

 

[22]           En ce qui a trait à la protection de l’État, la SPR aurait dû prendre en considération la situation particulière du demandeur, soit le profil des gens qui le persécutent. De plus, la SPR a ignoré la preuve documentaire démontrant que la corruption des autorités reste un problème grave au Mexique.

 

IV.       Position du défendeur

[23]           En ce qui a trait aux conclusions au sujet de la crédibilité du demandeur, le défendeur est d’avis que celles-ci sont raisonnables.

 

[24]           En effet, le demandeur a omis dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) de mentionner que son avocat a confirmé que les autorités fédérales ne l’aideraient pas. De plus, il est invraisemblable qu’il ne puisse fournir le courriel de sa sœur daté du 5 septembre 2010 et le témoignage du demandeur est entaché de nombreuses contradictions.

 

[25]           Durant son témoignage devant la SPR, le demandeur s’est contredit au sujet du nombre de plaintes et ne peut fournir, en révision judiciaire, une explication à ce sujet. De plus, le demandeur a fourni des réponses contradictoires au sujet de l’enquête effectuée par son avocat.

 

[26]           En ce qui a trait à l’allégation selon laquelle son avocat lui a confirmé qu’il ne devrait pas porter plainte aux autorités fédérales, celle-ci aurait dû se retrouver dans le FRP du demandeur étant donné que c’est un élément important de sa demande d’asile.

 

[27]           Pour ce qui est du courriel qu’il aurait reçu le 5 septembre 2010, la SPR a valablement conclu que le fait que le demandeur ne puisse le produire, et ce, sans raison jugée valable, affecte sa crédibilité. Il relève du fardeau du demandeur de prouver ses allégations et fournir les preuves à la base de celles-ci.

 

[28]           En dernier lieu, le défendeur soumet que même si le demandeur avait été considéré crédible, celui-ci n’a pas présenté de preuve claire et convaincante pour réfuter la présomption de protection de l’État. En effet, la preuve démontre qu’il existe des autorités spécialisées dans la lutte contre la corruption, particulièrement au sein de la police fédérale, et le demandeur n’a pas fait appel à ces processus au niveau fédéral, se limitant plutôt à une plainte à la police municipale. 

 

V.        Questions en litige

1.    La SPR a-t-elle erré en concluant que le demandeur n’est pas crédible?

 

2.    La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur n’a pas réfuté la présomption de la protection de l’État?

 

VI.       Norme de contrôle

[29]           La norme de la décision raisonnable est applicable à la décision de la SPR au sujet de la crédibilité des demandeurs (Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 160 NR 315 au para 4, 1993 CarswellNat 303 (CAF)) ainsi qu’à la question de la protection de l’État car il s’agit d’une question mixte de fait et de droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47, [2008] 1 RCS 190).

 

VII.     Analyse

1.                  La SPR a-t-elle erré en concluant que le récit du demandeur n’est pas crédible?

 

[30]           Les conclusions de la SPR au sujet du manque de crédibilité du demandeur sont raisonnables. Celui-ci avait le fardeau d’établir les faits sur lesquels se fondent sa demande, selon la prépondérance des probabilités.

 

[31]           Premièrement, contrairement à ce qui est allégué par le demandeur, la SPR reproche à celui-ci de ne pas avoir fait mention du fait que son avocat était d’avis que les autorités se rangent du côté de Hugo et des deux agents de l’AFI, et non pas de ne pas avoir fait mention de l’événement du 5 septembre 2010. À ce sujet, la SPR a, de façon juste, conclu qu’il relevait du fardeau du demandeur de présenter des éléments de preuve pour corroborer son témoignage, par exemple, le courriel reçu de sa sœur. La SPR a valablement rejeté l’explication fournie par le demandeur pour justifier le fait qu’il n’a pas produit de courriel. En effet, aucune intervention n’est requise lorsque la SPR décide de rejeter une explication justifiant des lacunes dans la preuve du demandeur et qu’une telle conclusion est raisonnable (Ortiz Juarez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 FC 288 aux paras 7-9, 146 ACWS (3d) 705).

 

[32]           La SPR a conclu de façon raisonnable que l’omission de mentionner le fait que l’avocat du demandeur lui a confirmé que les autorités fédérales ne lui viendraient pas en aide affecte de manière négative la crédibilité du demandeur. En effet, il a été reconnu que l’omission d’un élément important dans le FRP du demandeur peut miner sa crédibilité (Basseghi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] ACF 1867 au para 33, 52 ACWS (3d) 165).

 

[33]           De plus, le demandeur avance que les autorités fédérales se rangent du côté de son agent persécuteur, mais n’apporte aucune preuve pour démontrer ce fait; il n’est pas en mesure de produire la copie d’un courriel qu’il a reçu à cet effet, ni la déclaration de son avocat à ce sujet. Ainsi, il était raisonnable de conclure que le demandeur n’a pas établi qu’il fait l’objet de persécution au Mexique, car il n’est pas crédible quant à cet élément fondamental à sa demande.

 

[34]           Contrairement à ce qui est allégué par le demandeur, une lecture de la transcription d’audience révèle que les réponses fournies à la SPR au sujet des plaintes étaient confuses. Le demandeur allègue dans un premier temps avoir fait trois plaintes par écrit pour ensuite expliquer qu’en réalité une seule plainte a été déposée et qu’il a fait deux tentatives. Ces explications n’ont pas été jugées crédibles par la SPR, d’autant plus que si une plainte a été déposée, le demandeur n’a pas été en mesure d’en faire la preuve.

 

[35]           Enfin, en ce qui a trait aux démarches effectuées auprès de l’avocat Guzman, la SPR a valablement conclu que les réponses du demandeur sont contradictoires, ce qui mine sa crédibilité. En effet, le demandeur a prétendu dans un premier temps ne pas savoir si son avocat avait tenté d’obtenir une copie de la plainte déposée auprès du ministère public, pour ensuite finalement expliquer que sa mère l’a informé que c’était le cas, mais que l’on aurait refusé de fournir une copie de la plainte. Ces explications ont été considérées comme étant confuses par la SPR, ce qui constitue une conclusion raisonnable.

 

2.                  La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur n’a pas réfuté la présomption de la protection de l’État?

 

 

[36]           Dans la présente affaire, la SPR a évalué si la protection de l’État dans les circonstances serait adéquate, même si elle ne considère pas le récit du demandeur comme étant crédible.

 

[37]            Le demandeur allègue avoir porté plainte à la police municipale sans pouvoir donner de réponse précise quant au nombre de plaintes effectivement déposées et avoir craint de faire une déposition à la police fédérale.

 

[38]           Les autorités mexicaines sont reconnues comme faisant face à des problèmes de corruption, ce qui pourrait faire en sorte, dans certaines circonstances, qu’une crainte de persécution soit fondée. Dans la présente affaire, il n’a pas été prouvé selon la prépondérance des probabilités que le demandeur ait été persécuté par des agents de l’AFI. De plus, si tel avait été le cas, le demandeur aurait pu épuiser certains recours, ce qu’il n’a pas fait malgré qu’il allègue que son agent persécuteur a corrompu des agents de l’AFI.

 

[39]           Ainsi, la conclusion de la SPR à l’effet que le demandeur n’a pas réfuté la présomption de la protection de l’État est raisonnable, car la preuve démontre qu’il n’a pas épuisé tous les recours qui lui sont accessibles au Mexique (Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c Villafranca, (1992) 18 Imm LR (2d) 130, 150 NR 232 (CAF)). Il est reconnu que lorsqu’un demandeur allègue que l’agent persécuteur fait partie des autorités fédérales au Mexique, celui-ci est dans l’obligation de faire appel aux processus qui sont offerts au Mexique aux personnes qui sont témoins d’actes de corruption au sein de ces autorités (Flores Carrillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94 aux para 34-35, 69 Imm LR (3d) 309).

 

[40]           Les parties furent invitées à soumettre une question aux fins de certification, mais aucune question ne fut proposée.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question ne sera certifiée.

 

 

 

« Simon Noël »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4469-12

 

INTITULÉ :                                      SAMUEL SANCHEZ CASTILLO

                                                            c. MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             le 22 janvier 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           LE JUGE SIMON NOËL

 

DATE DES MOTIFS :                     le 24 janvier 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jorge Colasurdo

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Thomas Cormie

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jorge Colasurdo

Saint-Laurent (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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