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Date : 20130110

Dossier : IMM-1830-12

Référence : 2013 CF 20

 

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 janvier 2013

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

 

LIYUN YANG

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La présente décision, qui tranche une demande de contrôle judiciaire concernant une décision défavorable quant à une demande de dispense, est liée à la demande de contrôle judiciaire à l’égard d’un examen des risques avant renvoi qui a été présentée dans le dossier de la Cour IMM‑1829‑12 et qui a été entendue en même temps que celle‑ci. Les deux demandes ont été présentées en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi). La demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire a été présentée en juin 2009 et la demande d’examen des risques avant renvoi a été déposée en janvier 2011. Les deux demandes ont été jugées par le même agent d’immigration le 13 décembre 2011. Le contexte factuel concernant la demanderesse et la situation dans son pays d’origine, la Chine, est identique pour les deux demandes et sera abordé dans les présents motifs. Une ordonnance distincte sera rendue pour trancher la demande présentée dans le dossier IMM‑1829-12.

 

LE CONTEXTE

 

[2]               La demanderesse est née dans la province de Guangdong, en Chine, en octobre 1971. En 1993, alors qu’elle était âgée de 22 ans, elle est allée au Guyana, où elle a rencontré son époux, qui était aussi un ressortissant chinois. Ils ont eu deux fils, nés en 1994 et 1996, qui ont par la suite été renvoyés en Chine pour vivre avec la belle-famille de la demanderesse et pour poursuivre leurs études. Mme Yang devait accumuler 10 années de résidence pour obtenir la citoyenneté guyanaise. Après sept ans, en 2000, elle est tombée malade, elle a abandonné son statut de résidence au Guyana et elle est retournée en Chine pour recevoir des traitements. Son époux, qui était lui aussi malade, l’a suivie quelques mois plus tard. Son époux a reçu un diagnostic de sida et est décédé peu après. La demanderesse a ensuite découvert qu’elle était séropositive.

 

[3]               La demanderesse a demandé l’asile au Canada en 2004, en alléguant, suivant le conseil d’un consultant en immigration, qu’elle fuyait la persécution liée au fait de son appartenance au Falun Dafa. Dans cette version des faits, elle avait divorcé en 2003, elle s’était occupée seule de ses deux enfants et elle était devenue dépressive. Pour surmonter sa dépression, elle avait commencé à pratiquer le Falun Gong et elle s’était jointe à un groupe clandestin d’adhérents du Falun Dafa. À la suite de l’arrestation d’un ami qui lui avait fait connaître le Falun Dafa, elle s’était cachée et elle avait pris des dispositions pour venir au Canada. Ce récit avait été soumis à la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié et avait été jugé non crédible en 2006. Une demande de réouverture, fondée sur un manquement à l’équité procédurale en raison de l’ordre dans lequel les questions avaient été posées lors de l’audience, avait été rejetée en 2007.

 

[4]               La demande d’exemption des critères de sélection fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, présentée en 2009, était étayée par des observations portant que le motif pour lequel la demanderesse avait choisi de tromper la Commission lorsqu’elle avait présenté sa demande d’asile était qu’elle avait trop honte de divulguer qu’elle était séropositive et d’invoquer son état. De plus, il a été prétendu que, si elle devait être renvoyée en Chine, elle n’aurait pas accès à des traitements permettant de lui sauver la vie, ou, en fait, à tout traitement, parce qu’elle avait perdu son hukou (certificat de résidence), parce qu’elle et ses enfants feraient l’objet de discrimination en Chine en raison de sa séropositivité et parce qu’elle ne pourrait plus aider d’autres personnes atteintes du VIH/sida, comme elle le faisait au Canada.

 

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE JUDICIAIRE

 

[5]               L’agent a examiné les facteurs concernant l’établissement de la demanderesse au Canada : appui de l’organisation Asian Community Aids Services, pour laquelle elle faisait du bénévolat; adhésion à la Toronto Chinese Disciples Church; inscription à de la formation sur Internet et à un cours d’anglais oral; et amitiés étroites avec des Canadiens faisant partie de la communauté chinoise. L’agent a conclu que la demanderesse n’avait pas démontré qu’elle avait intégré le marché du travail au Canada ou qu’elle était devenue autonome financièrement. Elle n’avait pas non plus indiqué dans sa demande qu’elle lisait, qu’elle écrivait ou qu’elle parlait l’anglais. Elle était sans emploi et elle avait reçu des prestations d’aide sociale, à compter de son arrivée au Canada jusqu’à environ 2010, année où elle avait commencé à travailler dans une usine.

 

[6]               L’agent a relevé qu’il n’y avait pas de barrières linguistiques ou d’autres obstacles importants à ce que la demanderesse se trouve un emploi en Chine. Il ne serait pas déraisonnable pour elle d’y retourner; cela lui nécessiterait une période d’adaptation, mais sa mère et ses fils pourraient l’aider. L’agent a reconnu que plusieurs personnes séropositives étaient victimes de traitements inéquitables ou injustes en Chine et que les mesures de protection de la vie privée étaient inadéquates dans certaines régions.

 

[7]               En ce qui concerne l’intérêt supérieur des enfants de la demanderesse, l’agent a mentionné qu’ils étaient sous la garde de leur grand-mère maternelle en Chine, où ils sont à l’abri de la stigmatisation et de la discrimination provenant du fait d’avoir un séropositif dans sa famille.

 

[8]               En ce qui concerne la question du risque auquel s’expose la demanderesse dans l’éventualité où elle retournerait en Chine, l’agent a examiné la situation générale dans ce pays et l’a appréciée eu égard au profil personnel de la demanderesse. Il a conclu que la Chine était un État autoritaire ayant un piètre bilan en matière de droits de la personne et que plusieurs personnes séropositives sont victimes de préjudice, de discrimination et de stigmatisation. Cependant, en mars 2006, la Chine a promulgué un règlement en matière de prévention et de traitement du sida, lequel confère des droits fondamentaux aux personnes atteintes du VIH/sida. En 2008, la Chine avait modifié le critère régissant le moment auquel un traitement antirétroviral est amorcé, ce qui a eu pour effet d’augmenter le nombre de personnes recevant des traitements. La protection offerte s’est ensuite accrue de manière constante, ce qui, selon les sources invoquées par l’agent, a eu des effets positifs. De plus, la Chine a continué d’améliorer et de renforcer les mécanismes de réponse du gouvernement à l’égard du VIH/sida. Cela incluait, en 2010, la mise en œuvre de la politique « Four Frees and One Care », qui prévoyait quatre moyens fondamentaux d’accès à des traitements gratuits, ainsi qu’à des subventions.

 

[9]               L’agent a relevé qu’une des conditions préalables pour bénéficier du programme « Four Frees and One Care » était d’avoir un certificat de résidence ou de municipalité. La demanderesse a déclaré que son hukou n’est plus valide, parce qu’elle a été absente de la Chine pendant plus de dix ans et que, par conséquent, elle n’aurait pas accès aux traitements. Cependant, l’agent a conclu que la demanderesse ne lui avait pas fourni de preuve suffisante lui permettant de conclure que son hukou avait été annulé. De plus, elle n’a pas démontré qu’elle se verrait refuser des traitements à ce moment-ci, puisqu’elle était retournée en Chine pour des traitements après avoir vécu au Guyana pendant sept ans. 

 

[10]           L’agent a rédigé plusieurs paragraphes au sujet d’un article de l’agence de presse Xinhua, tirée d’une source en ligne (Xinhuanet), qui rapportait que le premier ministre chinois s’était engagé à introduire d’autres mesures pour aider les personnes atteintes du VIH/sida. Cet article avait été publié le 2 décembre 2011, soit onze jours avant que la décision quant à la demande de dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire soit rendue.

 

[11]           L’agent a conclu que les facteurs jouant en faveur de l’accueil de la demande ne justifiaient pas une dispense. L’agent a affirmé qu’après avoir examiné la demande, les observations, les faits au dossier et la preuve documentaire objective concernant la situation en Chine, il a conclu que les difficultés mentionnées ne constitueraient pas des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives qui justifieraient une dispense.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[12]           Les questions en litige découlant des observations des parties dans la présente affaire sont les suivantes :

  1. L’agent a-t-il manqué à son obligation d’équité procédurale en se fondant sur des éléments de preuve extrinsèques sans donner à la demanderesse la possibilité de présenter des observations en réponse?

 

  1. L’agent a-t-il commis une erreur en appliquant le mauvais critère quant à la dispense pour des considérations d’ordre humanitaire?

 

  1. L’agent a-t-il rendu une décision déraisonnable du fait de l’un ou l’autre des facteurs suivants :

 

a)      la mauvaise interprétation de la preuve, ou l’omission de tenir compte d’éléments de preuve, ou le fait de fonder sa décision sur une analyse sélective de la preuve, sans égard à la totalité de la preuve;

 

b)      le fait de ne pas tenir compte des circonstances personnelles de la demanderesse;

 

c)      le fait de ne pas tenir compte de l’intérêt supérieur des enfants?

 

 

ANALYSE

           

La norme de contrôle applicable

 

 

[13]           La norme de contrôle applicable aux questions en litige susmentionnées a été établie de manière satisfaisante par la jurisprudence : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir), au paragraphe 57. La norme générale de contrôle qui s’applique à la pondération de la preuve et à l’appréciation des facteurs liés aux considérations humanitaires est celle de la raisonnabilité : Shallow c Canada (MCI), 2012 CF 749, au paragraphe 5. Le caractère raisonnable d’une décision tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir, au paragraphe 47.

 

[14]           En ce qui concerne la deuxième question en litige, soit l’application du bon critère quant à la demande de dispense pour des considérations d’ordre humanitaire, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte : Miller c Canada (MCI), 2012 CF 1173, au paragraphe 15. Lorsque l’équité procédurale est en cause, les arrêts Dunsmuir, au paragraphe 50, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43, enseignent qu’il n’y a pas lieu de faire preuve de déférence à l’égard du décideur. La Cour doit établir si le processus adopté par le décideur satisfaisait au degré d’équité requis, compte tenu de toutes les circonstances. La Cour peut décider de ne pas prendre de mesures si l’erreur est purement technique et qu’elle n’a occasionné aucun préjudice important. 

           

            L’agent a-t-il manqué à son obligation d’équité procédurale en se fondant sur des éléments de preuve extrinsèques sans donner à la demanderesse la possibilité de présenter des observations en réponse?

 

[15]           La prétention de la demanderesse quant à cette question en litige vise le fait que l’agent se soit fondé sur le compte rendu tiré de Xinhuanet. Elle prétend qu’il s’agissait d’un élément de preuve extrinsèque, sur lequel l’agent s’est fondé pour conclure qu’il y avait eu un changement à la situation dans le pays. Par conséquent, l’obligation d’agir équitablement exigeait de l’agent qu’il lui communique l’article et qu’il lui donne l’occasion de produire une réponse avant de rendre sa décision : Fi c Canada (MCI), 2006 CF 1125 [Fi]; Mahendran c Canada (MCI), 2009 CF 1237; Pathmanathan c Canada (MCI), 2009 CF 885; Pinter c Canada (MCI), 2007 CF 986; Thamotharampillai c Canada (MCI), 2003 CF 836.

 

[16]           De plus, la demanderesse soutient que l’article est de source douteuse parce que Xinhuanet est le site Web de l’agence de presse centrale appartenant au gouvernement de la Chine. Elle prétend que l’objectivité d’un article publié par l’organe de communication du gouvernement, qui a sans doute un grand intérêt à présenter le pays sous son plus beau jour, est par conséquent très douteuse. Si on l’avait avisé que l’agent avait l’intention de se fonder sur l’article, elle aurait porté ces préoccupations à son attention : Sahota c Canada (MCI), 2011 CF 739, au paragraphe 11.

 

[17]           La Cour d’appel fédérale a donné des directives quant à l’utilisation d’éléments de preuve extrinsèques dans les décisions administratives en matière d’immigration dans les arrêts Muliadi c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1986] 2 CF 205 (CAF) et Haghighi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 4 CF 407 (CAF). La question est de savoir si des faits concrets, essentiels ou potentiellement cruciaux pour la décision ont été utilisés à l’appui d’une décision, sans que la partie visée ait eu la possibilité de répondre à ces faits ou de les commenter. 

 

[18]           Dans l’arrêt Mancia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 3 CF 461 (CAF) (Mancia), au paragraphe 22, la Cour d’appel fédérale, à la suite d’un examen de la jurisprudence, a formulé l’énoncé de principe suivant au sujet de la communication d’informations relatives à la situation d’un pays au cours du processus décisionnel :  

Ces décisions me semblent fondées sur les deux propositions suivantes. Premièrement, un demandeur est réputé savoir, grâce à son expérience du processus applicable aux réfugiés, sur quel type de preuve concernant la situation générale dans un pays l’agent d’immigration s’appuiera et où trouver cette preuve; en conséquence, l’équité n’exige pas qu’il soit informé des documents auxquels il peut avoir accès dans les centres de documentation. Deuxièmement, lorsque l’agent d’immigration entend se fonder sur une preuve qui ne se trouve normalement pas dans les centres de documentation, ou qui ne pouvait pas y être consultée au moment du dépôt des observations du demandeur, l’équité exige que le demandeur soit informé de toute information inédite et importante faisant état d’un changement survenu dans la situation générale d’un pays si ce changement risque d’avoir une incidence sur l’issue du dossier.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[19]           Les « centres de documentation » auxquels le paragraphe précédent renvoie sont des endroits physiques. La mention de l’accessibilité, au paragraphe 22 de l’arrêt Mancia, doit être interprétée de nos jours en tenant compte du cyberespace, compte tenu de l’extraordinaire expansion d’Internet au cours de la dernière décennie en tant que moyen privilégié de dissémination de l’information.

 

[20]           Citoyenneté et Immigration décrit en ces termes sur son site Web (http://www.irb‑cisr.gc.ca/fra/resrec/ndpcnd/pages/index.aspx) les informations qu’elle détient au sujet de la situation dans le pays :

Les cartables nationaux de documentation (CND) contiennent un ensemble de documents sur les droits de la personne, sur la sécurité dans le pays d’origine ainsi que sur d’autres questions qui permettent de statuer sur une demande d’asile. Les CND sont régulièrement révisés et mis à jour, suivant l’évolution de la situation dans le pays. Les CND visent uniquement à appuyer le processus d’octroi de l’asile; ils ne devraient pas être interprétés nécessairement comme une reconnaissance de la souveraineté ou du statut politique d’un territoire donné. 

 

 

[21]           Le cartable de documentation sur la Chine qui aurait été disponible en décembre 2011 est celui daté du 30 juillet 2010; ce cartable cite comme sources divers rapports provenant d’organisations internationales, d’organisations non gouvernementales et de gouvernements, y compris celui de la Chine, ainsi que des médias. Les sources provenant du gouvernement chinois concernent les lois et les procédures officielles. Le cartable ne contient pas de renvois aux articles rapportés par Xinhua ou sur Xinhuanet. Cependant, cela n’exclut pas la possibilité que les sources sur lesquelles se fonde le cartable contiennent des renseignements dérivés d’articles distribués par l’agence de presse Xinhua ou publiés en ligne sur Xinhuanet.

 

[22]           Dans tous les cas, l’article concernant l’annonce, par le gouvernement chinois, de ses intentions en ce qui concerne les services offerts relativement au VIH/sida était du domaine public au moment où la décision a été rendue. Il s’agit de l’objectif des annonces aux médias, y compris de celles qui peuvent avoir pour objet de montrer le gouvernement sous un jour plus favorable. En l’espèce, l’annonce aurait été accessible à toute personne ayant accès à un ordinateur et à Internet.

 

[23]           Il est bien établi en droit que l’agent a l’obligation de consulter les plus récentes sources d’information et n’est pas limité aux pièces fournies par le demandeur. Il ne s’agit pas d’une affaire similaire à Fi, précitée, où l’information avait été obtenue sur le site Web Wikipédia et où la fiabilité des sources sur lesquelles l’information était fondée n’avait pas été prouvée. Le fait que la source de l’information dans la présente instance soit une agence de presse appartenant au gouvernement de la Chine ne fait pas en sorte que l’information concernant l’annonce soit incorrecte ou non fiable.

 

[24]           Je ne suis pas convaincu que la Cour devrait donner l’instruction aux agents d’immigration, à titre de principe général, de considérer comme douteuse toute information diffusée par une agence de presse, comme Xinhua, qui appartient à un gouvernement et qui est contrôlée par celui‑ci. Cela peut être de la propagande, en ce sens que la publication de l’information vise à présenter le gouvernement sous un jour favorable. Ce phénomène n’est pas propre à la Chine. Que ce soit de la propagande ou non, il s’agit d’une information qu’il faut examiner de pair avec les informations provenant d’autres sources, lesquelles peuvent jeter un éclairage différent sur la situation. C’est à l’agent qu’incombe la tâche d’attribuer le poids approprié à une telle information, et la Cour ne devrait pas intervenir, à moins qu’il ne soit clairement établi que la décision qui en découle est déraisonnable.  

 

[25]           La question clé dans les circonstances de la présente affaire est de savoir si l’équité procédurale exigeait que l’agent communique l’article de Xinhua et qu’il invite la demanderesse à présenter des observations supplémentaires, parce que le contenu de l’annonce était « inédit[…] et important[…] et qu’[il faisait] état de changements survenus dans la situation du pays qui risquent d’avoir une incidence sur sa décision » (Mancia, au paragraphe 27).

 

[26]           Je conviens avec le défendeur que l’article tiré de Xinhuanet ne répondait pas à cette norme, sans égard à l’attention que lui a donné l’agent dans son analyse. L’article contesté faisait référence aux projets d’avenir du gouvernement chinois en ce qui a trait à la continuation de ses efforts pour combattre le VIH/sida. L’agent considérait que l’annonce était digne de mention, mais cela ne signifie pas qu’il l’a traitée comme un élément de preuve important quant à un changement survenu dans la situation du pays qui aurait eu une incidence substantielle sur sa décision. À mon avis, il l’a plutôt vue comme une réaffirmation de l’intention du gouvernement de continuer ses efforts pour améliorer la condition des personnes atteintes du VIH/sida.

 

[27]           Comme l’a énoncé la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Mancia au paragraphe 26, le fait qu’un document ne devienne accessible qu’après le dépôt des observations d’un demandeur ne signifie pas qu’il contient des renseignements nouveaux ni que ces renseignements sont pertinents et qu’ils auront une incidence sur la décision. L’obligation de communiquer un document au demandeur se limite aux cas où un agent s’appuie sur un document important postérieur aux observations et que ce document fait état de changements survenus dans la situation générale du pays qui risquent d’avoir une incidence sur sa décision.

 

[28]           Je suis convaincu, à la lecture de l’analyse de l’agent dans son ensemble, que sa décision reposait sur la législation antidiscrimination existante, des statistiques quant à l’accessibilité croissante aux traitements et de la politique « Four Frees and One Care », plutôt que sur l’annonce des projets d’avenir. La preuve documentaire objective sur laquelle s’est fondé l’agent mentionnait que la Chine faisait des efforts pour aider les personnes atteintes du VIH/SIDA. Dans la même veine, l’article sur Xinhuanet faisait aussi mention de tels efforts et ne faisait pas état d’un changement dans la situation dans le pays. Le contenu de l’énoncé concordait avec la preuve documentaire antérieure et faisait état d’un effort en vue de progrès continus.

 

[29]           Par conséquent, je conclus que l’agent n’a pas manqué à l’équité procédurale en omettant de communiquer l’article de presse et d’inviter la demanderesse à présenter des observations supplémentaires. Même si j’étais parvenu à une conclusion différente quant à cette question, je ne crois pas que cela aurait eu une grande incidence sur l’issue. Toute observation que la demanderesse aurait pu formuler au sujet de la source et de la qualité de l’information n’aurait pas écarté les conclusions de l’agent relativement aux autres éléments de preuve sur lesquels il s’est fondé pour rendre sa décision.

 

L’agent a-t-il commis une erreur en appliquant le mauvais critère quant à la dispense pour des considérations d’ordre humanitaire?

 

[30]           La demanderesse soutient que l’agent a commis une erreur en appliquant le critère relatif à l’examen des risques avant renvoi dans le contexte d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Comme il est expliqué dans la décision Pinter c Canada (MCI), 2005 CF 296, aux paragraphes 3 et 4, le critère applicable est celui des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives, et non le critère plus contraignant de la menace à la vie. Elle soutient que l’agent s’est montré sélectif dans son emploi de la preuve et qu’il n’a pas tenu compte de sa croyance selon laquelle elle n’obtiendrait pas de traitements appropriés en Chine, ce qui entraînerait son décès.

 

[31]           À mon avis, l’agent n’a pas appliqué le critère de la menace à la vie. Il a discuté du degré de difficultés auquel la demanderesse serait exposée si sa demande était rejetée et il est arrivé à la conclusion que ces difficultés n’atteignaient pas le degré d’[traduction] « inhabituelles et injustifiées ou excessives ». Il s’agissait du bon critère.

 

L’agent a-t-il rendu une décision déraisonnable a) en interprétant mal la preuve, en omettant de tenir compte d’éléments de preuve, ou en fondant sa décision sur une analyse sélective de la preuve, sans égard à la totalité de la preuve; b) en omettant de tenir compte des circonstances personnelles de la demanderesse; ou c) en omettant de tenir compte de l’intérêt supérieur des enfants?

 

[32]           La norme de contrôle applicable pour les trois aspects de cette question en litige est la raisonnabilité. La demanderesse prétend, en ce qui concerne le premier point, que l’agent a omis de tenir compte de la preuve documentaire qu’elle avait fournie et selon laquelle les personnes atteintes du VIH/sida étaient victimes de discrimination en Chine ou qu’il a choisi de lui attribuer un poids moindre. Il ressort clairement des motifs de la décision que l’agent a tenu compte de toute la preuve documentaire qui avait été présentée. Le fait d’attribuer un poids convenable à chaque élément de preuve relevait de son pouvoir discrétionnaire, et il n’appartient pas à la Cour d’apprécier la preuve à nouveau.

 

            Plus particulièrement, je ne suis pas d’avis que l’agent a commis une erreur en concluant que la demanderesse n’avait pas fourni une preuve suffisante indiquant qu’elle se verrait refuser l’accès à des traitements en Chine. La demanderesse était retournée en Chine, en provenance du Guyana, pour obtenir des traitements et y est restée pendant plusieurs années avant de demander l’asile au Canada. Le fait qu’elle puisse préférer les traitements qui sont offerts ici est compréhensible. Il était loisible à l’agent de conclure au vu de la preuve, y compris d’une réponse à une demande d’information obtenue par la Direction des recherches de la CISR, qu’un certificat de résidence (hukou) serait délivré ou délivré de nouveau à la demanderesse à son retour, ce qui lui permettrait d’avoir accès à des services de santé.

 

[33]           En ce qui concerne le deuxième point, la demanderesse prétend que l’agent a mesuré son établissement au Canada en fonction de celui d’une personne hypothétique qui n’était pas arrivée au Canada dans une situation psychologique difficile attribuable au fait qu’elle était séropositive. Elle prétend qu’il aurait dû apprécier ses circonstances particulières. Les facteurs énumérés dans le Guide IP5 pour orienter l’exercice du pouvoir discrétionnaire des agents d’immigration mettent tous l’accent sur le degré objectif d’établissement. L’agent n’a pas pour directive d’apprécier la progression relative de l’établissement d’un demandeur eu égard à ses circonstances personnelles à son arrivée, mais plutôt le résultat au moment où il demande une dispense. En l’espèce, l’appréciation appartient aux issues possibles acceptables.

 

[34]           Enfin, en ce qui concerne la question de l’intérêt supérieur des enfants de la demanderesse, l’agent a analysé si le retour de la demanderesse en Chine aurait pour effet de révéler qu’elle est séropositive, et, par conséquent, de causer un préjudice à ses enfants. Il a mentionné que, même s’il devait conclure par l’affirmative, cela ne serait qu’un facteur, aussi important soit-il, dans la décision, et non une considération prépondérante. Après avoir examiné la preuve, il a conclu que l’intérêt supérieur des deux enfants ne justifiait pas une dispense en l’espèce. Il lui était loisible de tirer cette conclusion, et la décision révèle qu’il s’est montré suffisamment réceptif, attentif et sensible à leur intérêt.

 

[35]           Par sa prétention, la demanderesse demande essentiellement à la Cour d’apprécier la preuve à nouveau et de tirer une conclusion différente. Même si la Cour aurait peut-être tiré une conclusion différente si elle avait examiné l’affaire en premier lieu, la Cour doit faire preuve de déférence à l’endroit des conclusions de l’agent si celles-ci sont, comme je le conclus en l’espèce, transparentes, intelligibles et justifiées, et qu’elles appartiennent aux issues possibles acceptables.

 

LES QUESTIONS À DES FINS DE CERTIFICATION

 

[36]           La demanderesse a proposé que les questions suivantes soient certifiées à titre de questions graves de portée générale :

[traduction]

a)      Une agence de presse appartenant à un gouvernement peut-elle être considérée comme une source généralement reconnue et fiable en ce qui a trait à la situation en matière de droits de la personne dans le pays en question?

b)      La réponse à la question susmentionnée serait-elle différente si l’agence de presse visée avait précisément comme mandat de promouvoir l’image du gouvernement en question?

c)      En rendant une décision CH, lorsqu’un agent se fonde sur un article qu’il a obtenu d’une agence de presse en ligne qui contient des informations quant à la situation du pays en matière de droits de la personne, a‑t‑il l’obligation de communiquer un tel article au demandeur si l’agence de presse en question appartient au gouvernement du pays à l’encontre lequel la demande d’asile du demandeur a été présentée et que le mandat de cette agence est de promouvoir l’image de ce pays.

 

[37]           Le défendeur s’oppose à la certification de ces questions, au motif qu’elles dépendent trop des faits spécifiques de la présente affaire pour être de portée générale. Une question certifiée doit se prêter à une approche générique et être susceptible d’apporter une réponse d’application générale : Boni c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 68, au paragraphe 6.

 

[38]           Je souscris à l’affirmation du défendeur. De plus, une réponse ou des réponses aux questions proposées ne permettraient pas de régler un appel dans la présente affaire, puisque j’ai conclu que le recours à l’article contesté n’a pas eu une incidence substantielle sur la décision de l’agent.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1830-12

 

INTITULÉ :                                      LIYUN YANG

 

                                                            et

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 15 novembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     Le 10 janvier 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Avvy Yao-Yao Go

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Melissa Mathieu

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

AVVY YAO-YAO GO

Metro Toronto Chinese &

Southeast Asian Legal Clinic

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

WILLIAM F. PENTNEY

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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