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Date : 20130117

Dossier : IMM‑6038‑12

Référence : 2013 CF 42

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 janvier 2013

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

 

ZHANG, HAN

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d’une décision défavorable rendue le 17 mai 2012 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission).

 

[2]               La demande de contrôle judiciaire est accueillie pour les motifs qui suivent.

 

I.          Contexte

 

[3]               Le demandeur est citoyen de la Chine et il est arrivé au Canada en 2010 muni d’un permis d’étude. En octobre 2010, il a présenté une demande d’asile fondée sur sa crainte d’être persécuté du fait de ses croyances chrétiennes et de sa participation aux activités d’une église clandestine dans sa province natale du Fujian.

 

[4]               En mars 2009, le demandeur a commencé à fréquenter une église clandestine en Chine et il a été baptisé quelques mois plus tard. Lorsqu’il arrivé Canada pour étudier, il a informé deux membres de l’église clandestine des activités de son église canadienne. En septembre 2010, ses parents l’ont informé que le Bureau de la sécurité publique (PSB) avait fait irruption dans l’église clandestine lors d’un office et avait arrêté certains membres. Le PSB s’est par la suite rendu chez les parents du demandeur à cinq reprises, apparemment pour ordonner à ce dernier de revenir en Chine, et il les a informés que le demandeur avait appartenu à une église clandestine, qu’il avait recruté un nouveau membre et qu’il avait transmis des renseignements de l’église canadienne à l’église chinoise.

 

[5]               La Commission a reconnu que le demandeur était un chrétien pratiquant et qu’il avait été membre d’une église clandestine en Chine et d’une église au Canada. Elle a indiqué que la question déterminante portait sur la crédibilité du demandeur quant à sa crainte d’être persécuté, et elle a conclu que le demandeur n’était pas un témoin crédible à cet égard. Plus précisément, la Commission a tiré une conclusion défavorable concernant la crédibilité du demandeur en se basant sur l’absence de citation à comparaître dans cette affaire. Elle a aussi déterminé, à partir de la preuve documentaire, que le PSB n’avait jamais fait de rafle à l’église du demandeur, qu’aucun de ses membres n’avait été arrêté ou détenu et que le demandeur n’était pas recherché en vue d’être arrêté. La Commission a ainsi conclu que le demandeur ne serait pas exposé à une possibilité sérieuse de persécution s’il devait reprendre sa pratique religieuse dans une église chrétienne clandestine au Fujian.

 

II.        Questions en litige

 

[6]               Les questions soulevées par le demandeur peuvent être formulées ainsi :

A.        L’audience a‑t‑elle été menée conformément aux principes de l’équité procédurale?

B.        La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans son évaluation de la crédibilité?

 

III.       La norme de contrôle

 

[7]               Les questions d’équité procédurale, telles que la première question dont nous sommes saisis en l’espèce, doivent être examinées selon la norme de la décision correcte (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] ACS no 12, au paragraphe 43).

 

[8]               Les questions de crédibilité méritent que l’on fasse preuve d’une grande retenue à l’égard de la Commission et doivent être contrôlées selon la norme de la décision raisonnable (A.M. c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 964, [2011] ACF no 1187, au paragraphe 20). Le caractère raisonnable tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] ACS no 9, au paragraphe 47).

 

IV.       Analyse

 

A.        L’équité procédurale

 

[9]               L’article 170 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR) établit les règles que la Commission doit suivre en matière de demandes d’asile :

Fonctionnement

 

170. Dans toute affaire dont elle est saisie, la Section de la protection des réfugiés :

 

a) procède à tous les actes qu’elle juge utiles à la manifestation du bien‑fondé de la demande;

 

b) dispose de celle‑ci par la tenue d’une audience;

 

c) convoque la personne en cause et le ministre;

 

[…]

 

 

 

e) donne à la personne en cause et au ministre la possibilité de produire des éléments de preuve, d’interroger des témoins et de présenter des observations;

 

[…]

 

g) n’est pas liée par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve;

 

[…]

 

Proceedings

 

170. The Refugee Protection Division, in any proceeding before it,

 

(a) may inquire into any matter that it considers relevant to establishing whether a claim is well‑founded;

 

(b) must hold a hearing;

 

 

(c) must notify the person who is the subject of the proceeding and the Minister of the hearing;

 

[…]

 

(e) must give the person and the Minister a reasonable opportunity to present evidence, question witnesses and make representations;

 

 

[…]

 

(g) is not bound by any legal or technical rules of evidence;

 

 

[…]

 

[10]           Comme la Cour suprême l’a souligné dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACS no 39 :

[28]      […] Les valeurs qui sous‑tendent l’obligation d’équité procédurale relèvent du principe selon lequel les personnes visées doivent avoir la possibilité de présenter entièrement et équitablement leur position, et ont droit à ce que les décisions touchant leurs droits, intérêts ou privilèges soient prises à la suite d’un processus équitable, impartial et ouvert, adapté au contexte légal, institutionnel et social de la décision.

 

[11]           Dans le même ordre d’idées, la Cour d’appel fédérale a indiqué que, dans le cadre des audiences menées par la Section de la protection des réfugiés, l’équité « commande [aussi] que les demandeurs d’asile aient une possibilité suffisante d’exposer toute leur histoire, de présenter des éléments de preuve au soutien de leur demande et de formuler des observations pertinentes au regard de leur cas » (Thamotharem c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 198, [2007] ACJ no 734, au paragraphe 39).

 

[12]           Le défendeur a raison de souligner que la Commission est « maîtresse chez elle » et qu’elle a le pouvoir d’adopter la procédure qui lui semble appropriée dans les limites imposées par l’équité procédurale (Prassad c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 1 RCS 560, au paragraphe 16). De plus, le membre de la Commission peut réduire la portée des questions qu’il pose à l’audience pour faire ressortir certains points particuliers de la demande. En effet, dans la décision Zhong c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 279, [2011] ACF no 323, j’ai conclu que la Commission avait une grande latitude sur la manière de mener ses audiences (voir paragraphe 20). Dans cette affaire, il n’y avait pas de preuve que le membre de la Commission avait adopté une procédure qui empêchait le conseil de soumettre des éléments de preuve pertinents. Je signale en passant que le conseil dans cette affaire était également Mme Crawford. La latitude dont dispose la Commission pour décider de la procédure des audiences qu’elle mène doit cependant être mise en balance avec le droit du demandeur de bénéficier d’une possibilité suffisante d’exposer toute son histoire. Je crois que dans l’affaire Zhong, précitée, les faits sont assez différents de ceux de la présente affaire.

 

[13]           Je ne suis pas convaincu, compte tenu des faits de l’espèce, que le droit du demandeur de présenter pleinement sa cause a été respecté. Il est vrai que le membre de la Commission pouvait limiter ses questions à ce qu’il considérait être les points faibles de la demande, mais il n’a pas permis au demandeur d’exposer toute son histoire. La Commission a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité du demandeur en raison de l’absence de citation à comparaitre, mais elle n’a jamais demandé au demandeur d’expliquer cette absence. De plus, la Commission a déterminé que le demandeur n’était pas un témoin crédible en ce qui concerne le fait qu’il était recherché par les autorités chinoises, mais hormis quelques questions appelant un « oui » ou un « non » sur le fondement de sa demande, la Commission n’a pas permis au demandeur de s’expliquer sur ce point. Ce faisant, la Commission a manqué à son obligation d’équité procédurale.

 

[14]           Au bout du compte, le résultat pourrait être le même, mais après avoir soigneusement examiné la transcription et les faits entourant la hâte apparente avec laquelle la présente affaire a été traitée, je suis d’avis que le demandeur a droit à une audience plus complète. En outre, j’estime que la transcription de l’audience n’est pas assez détaillée pour que je puisse conclure que la présente affaire ne devrait pas être renvoyée pour nouvelle décision, si j’avais été enclin à exercer le pouvoir discrétionnaire de la Cour à cet égard.

 

[15]           Compte tenu de mes conclusions cette question, il n’est pas nécessaire que j’examine la deuxième question. La demande d’asile du demandeur sera renvoyée pour nouvelle décision à un autre membre de la Commission.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée à un autre membre de la Commission pour nouvelle décision.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑6038‑12

 

INTITULÉ :                                                  ZHANG, HAN c MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 8 janvier 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 17 janvier 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Ann Crawford

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Margherita Braccio

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ann Crawford

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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