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Date : 20121219

Dossier : IMM‑3884‑12

Référence : 2012 CF 1510

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 19 décembre 2012

En présence de madame la juge Tremblay‑Lamer

 

 

ENTRE :

 

VALINCIA KENDRA GREGG

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

       MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie, sous le régime du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], d’une demande de contrôle judiciaire de la décision en date du 6 octobre 2011 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la Commission] a refusé de reconnaître à la demanderesse la qualité de réfugié au sens de la Convention aussi bien que celle de personne à protéger.

 

LES FAITS

[2]               La demanderesse est une citoyenne saint‑vincentaise âgée de 28 ans. Elle demande l’asile au motif des craintes que lui inspire son ex‑compagnon, un dénommé Delan John [John]. Selon les dires de la demanderesse, elle a commencé à sortir avec John en avril ou mai 2001 et a emménagé avec lui à Bequia en octobre de la même année. En avril 2002, elle a décidé de le quitter et de s’installer à New Montrose parce qu’il menaçait de la tuer si elle disait à quiconque qu’il était revendeur de drogue. La demanderesse affirme s’être adressée à la police, qui lui aurait dit qu’elle ne se mêlait pas des querelles d’amants.

 

[3]               La demanderesse affirme qu’elle a rencontré John dans une épicerie à New Montrose en décembre 2002, qu’il l’a suivie jusque chez elle, qu’il lui a mis un couteau à la gorge, qu’il l’a enlevée et qu’il l’a violée. Elle a alors porté plainte, explique‑t‑elle, mais les policiers se sont moqués d’elle et lui ont dit de cesser de faire de fausses accusations.

 

[4]               La demanderesse, toujours selon ses dires, est alors allée s’installer à Bequia, chez sa tante et le mari de celle‑ci, afin d’échapper à John. Elle affirme avoir décidé de s’enfuir au Canada après qu’un homme se présentant comme un cousin de John lui eut dit à son lieu de travail que ce dernier la recherchait.

 

[5]               La demanderesse est arrivée au Canada le 14 juillet 2004 et y a demandé l’asile le 5juillet 2010.

 

LA DÉCISION CONTRÔLÉE

[6]               La Commission a admis que la demanderesse avait eu une liaison avec John, que cette relation était marquée par la violence et qu’elle avait pris fin en 2001; elle a aussi reconnu que, comme la demanderesse l’affirmait, John pouvait l’avoir enlevée et agressée sexuellement en décembre 2002. Cependant, la Commission a conclu qu’aucun élément du témoignage de la demanderesse ou de la preuve documentaire ne portait à croire que John l’eut recherchée après les événements supposés de décembre 2002 ou après son départ de Saint‑Vincent en juillet 2004, ni qu’il la rechercherait à l’avenir si elle retournait à Saint‑Vincent.

 

[7]               La Commission a relevé à ce sujet les faits particuliers suivants. La demanderesse a déclaré dans son témoignage que, après l’agression sexuelle alléguée de décembre 2002, elle ne s’était pas adressée aux autorités, mais était allée s’installer chez sa tante à Bequia, à proximité de son lieu de résidence précédent. Elle a également déclaré que, à sa connaissance, John n’avait contacté, menacé ou agressé aucun membre de sa famille, ni interrogé aucun d’entre eux pour savoir où elle se trouvait. Bien qu’elle ait affirmé dans son témoignage que ses amis l’avaient informée voir encore John dans les environs, a noté la Commission, la demanderesse n’avait produit aucune lettre d’attestation ni autre confirmation au soutien de son allégation selon laquelle il aurait cherché à apprendre d’eux où elle se trouvait.

 

[8]               La demanderesse n’avait quitté Saint‑Vincent qu’en juillet 2004, a aussi fait remarquer la Commission, alors qu’elle affirmait que les violences avaient commencé en 2001 et qu’elle avait été victime d’une agression sexuelle en décembre 2002, et la seule explication qu’elle avait donnée de ce retard à agir était qu’elle travaillait. La Commission a conclu que ce retard à quitter Saint‑Vincent jetait un doute sur l’existence d’une crainte subjective chez la demanderesse.

 

[9]               Comme elle estimait non crédible le récit de la demanderesse selon lequel John l’avait poursuivie depuis les événements de 2002 et la poursuivait encore en 2012, la Commission a refusé de lui reconnaître la qualité de réfugié au sens de la Convention ou celle de personne à protéger.

 

[10]           À titre subsidiaire, la Commission a examiné le point de savoir si, compte tenu des faits particuliers de l’espèce, la demanderesse avait produit une preuve claire et convaincante de l’incapacité de l’État saint‑vincentais à la protéger. Elle a fait observer que les articles sur la violence contre les femmes produits par la demanderesse font état d’interventions de la police, d’arrestations et de déclarations de culpabilité à Saint‑Vincent. La Commission a aussi fait remarquer que, lorsque la demanderesse (selon ses dires) avait informé la police à Bequia en 2001 que John était un revendeur de drogue, elle ne l’avait pas accusé de violences.

 

[11]           La Commission a pris acte de la deuxième plainte que la demanderesse aurait portée contre John après l’agression censément survenue à New Montrose en décembre 2002 et de la réaction de la police qui voyait là une fausse accusation, mais elle a aussi relevé les déclarations faites par la demanderesse dans son témoignage selon lesquelles elle n’avait pas poussé l’affaire plus loin, ni demandé une ordonnance de protection, ni essayé de faire corroborer ses allégations. La Commission a conclu de ces omissions que la demanderesse n’avait pas fait d’efforts raisonnables pour obtenir la protection de l’État à Saint‑Vincent.

 

[12]           La Commission a aussi conclu que la demanderesse ne s’était pas acquittée de la charge qui pesait sur elle d’établir par une preuve claire et convaincante qu’elle ne pourrait bénéficier de la protection de l’État. La demanderesse ne pouvait affirmer à partir de sa propre expérience que la police ne ferait rien pour la protéger.

 

[13]           À titre encore plus subsidiaire, la Commission a conclu que, même si la demanderesse avait établi de manière crédible que John l’avait recherchée et la rechercherait encore en 2012, et qu’elle avait déployé les efforts nécessaires pour obtenir de l’État une protection qu’il n’était pas disposé à lui offrir ou qui serait inadéquate, il lui restait une possibilité de refuge intérieur [PRI]. Selon la Commission, les deux conditions du critère applicable à la PRI se trouvaient remplies, puisque la demanderesse n’avait pu établir de manière crédible que John la recherchait ou la rechercherait, ni qu’il lui poserait des difficultés excessives de s’installer dans l’un ou l’autre des lieux proposés.

 

[14]           En conséquence, la Commission a rejeté la demande d’asile de la demanderesse.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

1)      La Commission s’est-elle trompée en concluant que la crainte prospective de la demanderesse n’était pas fondée?

2)      La Commission s’est-elle trompée en concluant que la demanderesse disposait d’une possibilité de refuge intérieur?

 

[15]           La demanderesse soutient aussi que la conclusion de la Commission sur la protection de l’État est déraisonnable. Il n’est pas nécessaire d’examiner cette question puisque, pour les raisons dont l’exposé suit, la PRI est d’effet décisif et suffit à justifier le rejet de la demande (voir Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] ACF no 256 (CAF) [Rasaratnam], paragraphe 8; Vargas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1347, paragraphe 22; et Lopez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 990, paragraphe 13).

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[16]           L’appréciation par la Commission de la crainte prospective de la demanderesse est une question mixte de fait et de droit, dont le contrôle relève donc de la norme du caractère raisonnable (voir SAMG c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 812, paragraphe 32). Quant à la conclusion subsidiaire sur la possibilité de refuge intérieur, elle doit elle aussi être contrôlée suivant la norme de la raisonnabilité (voir Soto c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 360, paragraphe 19).

 

ANALYSE

1. La Commission s’est-elle trompée en concluant que la crainte prospective de la demanderesse n’était pas fondée?

 

 

[17]           La demanderesse soutient qu’il n’était pas raisonnable de la part de la Commission de conclure à la non-crédibilité de son récit touchant le fait que John l’avait recherchée après l’agression sexuelle de 2002. Elle affirme que la Commission a tiré à plusieurs reprises et implicitement des inférences négatives déraisonnables de son témoignage, notamment de son incapacité à se rappeler le nom de l’homme qui s’était présenté comme un cousin de John et lui avait dit que ce dernier la recherchait. Je ne puis souscrire à ces affirmations.

 

[18]           Le défendeur soutient pour sa part que la Commission a agi raisonnablement en concluant que la demande d’asile de la demanderesse était dénuée de fondement objectif, au motif qu’elle n’avait pu expliquer pourquoi son ex‑compagnon la rechercherait encore si elle retournait à Saint‑Vincent. Il cite le passage suivant de la transcription de l’audience pour montrer l’absence de fondement raisonnable d’une crainte prospective :

[TRADUCTION]

 

Le président de l’audience (s’adressant à la demandeure d’asile) :

 

Q. Je dois maintenant vous demander combien de menaces de mort vous avez reçues entre décembre 2002 et votre départ en juillet 2004.

R. Beaucoup.

 

Q. C’est extrêmement vague. Pourriez-vous préciser un peu?

R. Pas de réponse.

 

Q. Et si je vous demandais : vous a‑t‑il jamais agressée de nouveau?

R. Eh bien, j’étais en fait dans – je ne sortais jamais parce que j’avais tellement peur.

 

Q. Vous avez vécu enfermée à la maison durant deux ans?

R. Eh bien, je restais à la maison – oui. Je restais pratiquement toujours à la maison. J’avais peur de sortir parce que je craignais qu’il m’agresse encore.

 

            Q. Savait‑il où vous habitiez?

R. Oui.

 

            Q. Et est‑ce qu’il est venu rôder autour de chez vous?

            R. C’est‑à‑dire que je vivais chez ma tante.

 

            Q. Vous voulez dire la belle-fille de votre mère?

            R. C’est ça.

 

            Q. Quelqu’un a déjà appelé la police quand il rôdait autour de la maison?

            R. Je ne crois pas.

 

[19]           Selon ma lecture de la décision contrôlée, la Commission a analysé en détail le témoignage de la demanderesse concernant sa relation avec John et les raisons pour lesquelles elle expliquait qu’elle avait encore peur de lui, afin de justifier la conclusion que ses déclarations ne donnaient pas l’impression crédible que John continuait à la poursuivre après l’enlèvement et l’agression sexuelle supposés et qu’il continuait à le faire. J’estime que cette conclusion sur la crédibilité appartient aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit », et qu’elle est par conséquent raisonnable (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 RCS 190, paragraphe 47).

 

[20]           Je m’inscris également en faux contre l’argument de la demanderesse selon lequel la Commission aurait dans la présente espèce omis d’appliquer les Directives no 4 (sur la persécution en raison du sexe). La Commission a noté au début de sa décision que la demanderesse était peu instruite, que le tribunal avait mené l’audience avec la lenteur et les précautions nécessaires pour s’assurer qu’elle comprenait bien toutes les questions, qu’il lui avait offert périodiquement des pauses et qu’il avait encouragé son conseil à l’assister au besoin. S’il est vrai qu’elle n’a pas fait mention des raisons données par la demanderesse pour expliquer qu’elle n’avait pas quitté Saint‑Vincent immédiatement après son enlèvement et son viol par John, la Commission a pris en considération la totalité de la preuve produite par Mme Gregg concernant la question centrale de savoir si John avait continué à la poursuivre après l’agression sexuelle et continuait à le faire.

 

2. La Commission s’est-elle trompée en concluant que la demanderesse disposait d’une possibilité de refuge intérieur?

[21]           Pour que la Commission puisse conclure à l’existence d’une possibilité de refuge intérieur, il lui faut être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, de l’absence de risque sérieux que le demandeur d’asile soit persécuté dans la partie du pays où elle estime qu’il dispose d’une telle possibilité, et aussi au fait que les conditions régnant dans cette région sont telles qu’il ne serait pas déraisonnable de sa part d’y chercher refuge (voir Rasaratnam, paragraphe 10; Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 1172 (CAF), paragraphe 12).

 

[22]           La demanderesse soutient que la Commission n’a pas tenu compte de son allégation selon laquelle elle s’était installée ailleurs après la menace de mort et encore une fois après le viol. En outre, fait-elle valoir, les îles de Saint‑Vincent et de Bequia sont si petites que John pourrait la retrouver si elle était forcée de retourner dans son pays d’origine.

 

[23]           Je ne puis souscrire à ces arguments de la demanderesse. J’ai déjà exprimé et motivé l’avis qu’il était raisonnable de la part de la Commission de conclure que la demanderesse n’avait pas réussi à établir de crainte prospective concernant Saint‑Vincent, de sorte que la première condition du critère relatif à la PRI se trouve raisonnablement remplie. En ce qui a trait à la deuxième condition, la seule preuve que la demanderesse a produite sur la question est son propre témoignage. Lorsque la Commission lui a demandé si elle pourrait trouver un endroit où vivre ou travailler à Canouan, Fancy ou Georgetown, elle s’est contentée de répondre qu’elle ne pensait pouvoir s’installer dans aucune de ces villes parce qu’elles n’avaient pas d’emploi à lui offrir. Me fondant sur cette partie du témoignage de la demanderesse, j’estime que la Commission a agi raisonnablement en concluant que la demanderesse n’avait pas établi de manière crédible qu’il présenterait des difficultés excessives pour elle de s’installer à Canouan, à Fancy ou à Georgetown, de sorte que la deuxième condition du critère applicable à la PRI était remplie.

 

[24]           En conséquence, la conclusion de la Commission sur la PRI était raisonnable.

 

[25]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« Danièle Tremblay‑Lamer »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑3884‑12

 

INTITULÉ :                                      Valincia Kendra Gregg c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 12 décembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LA JUGE TREMBLAY‑LAMER

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 19 décembre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Cheryl Ann Buckley

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Margarita Tzavelakos

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Cheryl Ann Buckley

Avocate

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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