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Date : 20121221

Dossier: IMM-4499-12

Référence : 2012 CF 1540

Montréal (Québec), le 21 décembre 2012

En présence de monsieur le juge Simon Noël 

 

ENTRE :

 

EDGARD EDUARDO ALVARENGA

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, rendue le 25 avril 2012, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001 ch 27 [la LIPR]. La SPR a conclu qu’il n’est ni un réfugié au sens de la Convention aux termes de l’article 96 de la LIPR, ni une personne à protéger selon l’article 97 de la LIPR.

 

 

I.          Faits

[2]               Le demandeur est citoyen d’El Salvador. Il était propriétaire d’un atelier de réparation de télévisions et sa récente conjointe, Nilda Nuryst, avait un salon de beauté. Il est père de deux enfants qui vivent en Espagne avec son ex-épouse.

 

[3]               En mai 2009, un membre des Maras s’est présenté chez lui pour lui demander de payer la somme de 200 dollars à partir du mois de juin. Le demandeur aurait payé la somme durant les mois de juin, juillet et août. Il a été informé que la somme serait augmentée à 400 dollars à partir de septembre 2009. Puisqu’il était menacé par téléphone, il a coupé sa ligne et a décidé de ne pas payer la somme demandée. Il a aussi fermé son commerce et a continué d’habiter dans sa résidence pendant deux mois, avant de quitter le pays.

 

[4]               En octobre 2009, sa conjointe qui avait un visa pour les États-Unis, a quitté El Salvador. Le demandeur est arrivé par voie terrestre le 19 janvier 2010 au Texas. Il s’est rendu en Virginie dans la famille de sa conjointe où il est resté un mois.

 

[5]               Le demandeur est ensuite parti pour le Canada, où il a de la famille. Il est arrivé à Lacolle le 21 février 2012 et il a demandé l’asile le jour de son arrivée. L’agent d’immigration à Lacolle a refusé l’entrée à sa conjointe.  

 

[6]               Le 16 avril 2012, soit quatre jours avant l’audience, la SPR a rendu une décision dans laquelle elle refusait d’entendre le témoignage de la mère du demandeur en alléguant que d’autres éléments de preuve plus probants devraient être présentés pour confirmer la situation des enfants du demandeur qui se trouvent en Espagne, soit des bulletins scolaires, documents officiels espagnols ou des cartes d’identité.

 

II.        Décision révisée

[7]               La SPR a conclu que le demandeur n’est ni un réfugié au sens de la Convention ni « une personne à protéger » au sens de l’article 97 de la LIPR. La décision de la SPR est basée majoritairement sur l’absence de crédibilité du demandeur.

 

[8]               Dans un premier temps, la SPR a conclu que le demandeur a été victime d’un acte criminel et qu’en ce sens, il ne peut établir qu’il est membre d’un groupe pouvant faire l’objet de persécution. Ainsi, le demandeur ne peut fonder une demande d’asile.

 

[9]               Dans un deuxième temps, la SPR a conclu que le demandeur n’avait pas établi à sa satisfaction les éléments qui fondent sa demande d’être reconnu comme « personne à protéger ». Il n’a pas soumis d’éléments de preuve pour démontrer qu’il était propriétaire d’un commerce alors qu’il a soumis de la preuve pour établir l’existence du salon de beauté de sa conjointe.

 

[10]           De plus, le fait que le demandeur ait cessé de payer les Maras et que celui-ci n’ait pas été victime de représailles à son domicile démontre qu’il n’est pas une personne d’intérêt pour ce groupe. Le demandeur prétend que les Maras lui ont mentionné qu’ils savent que celui-ci a de la famille au Canada qui pourrait payer la somme exigée. Or, ils ne se sont pas présentés à sa demeure alors qu’ils savaient où celui-ci habitait.

 

[11]           Enfin, le demandeur a été questionné au sujet des démarches effectuées par sa conjointe  pour obtenir le statut de réfugié. La SPR a conclu que le demandeur manque de crédibilité étant donné qu’il a dans un premier temps prétendu ne pas savoir si elle a effectué de telles démarches. Dans un deuxième temps, celui-ci a plutôt prétendu qu’il n’a plus de contact avec sa récente conjointe depuis avril 2010 et qu’elle aurait un autre conjoint.

 

[12]           En ce qui a trait à la crainte du demandeur de retourner à El Salvador, la SPR a conclu que le demandeur n’avait pas établi qu’il serait à risque. En effet, étant donné qu’il n’a pas prouvé à la satisfaction du tribunal qu’il a été menacé par les Maras avant de quitter El Salvador, il ne peut être établi qu’un éventuel retour le mettrait à risque d’autant plus que le demandeur ne possède plus le commerce de réparation de télévisions. De plus, étant célibataire et sans enfants, il lui serait possible d’aller vivre dans la capitale d’El Salvador.

 

[13]           Enfin, la SPR est d’avis que si les Maras s’étaient réellement intéressés au demandeur, ce qui n’a pas été établi de façon claire, il aurait quitté El Salvador avant le mois de novembre 2009.

 

III.       Position du demandeur

[14]           Le demandeur soumet que le refus du tribunal de lui permettre de faire entendre le témoignage de sa mère, Daysi Alvarenga, au sujet du départ de l’ex-épouse du demandeur pour l’Espagne avec leurs enfants, est erroné. Selon le demandeur, ce témoignage servait à établir un fait pertinent au litige, soit que ses enfants n’ont pas de statut légal en Espagne et qu’ils pourraient être renvoyés à El Salvador.

 

[15]           De plus, la raison fournie par la SPR pour justifier sa décision de ne pas entendre le témoignage car il ne constitue pas une « preuve corroborante crédible » est erronée car la SPR ne peut pas statuer sur la crédibilité d’un témoignage avant de l’avoir entendu. Le demandeur avait manifesté à la SPR son désaccord avec la décision de ne pas entendre le témoignage de la mère du demandeur. Ainsi, étant donné que cet élément de preuve n’a pas été examiné par la SPR, sa décision est entachée d’une erreur.

 

[16]           Deuxièmement, le demandeur prétend que la SPR a commis une erreur car elle a mis l’emphase sur l’interrogatoire du demandeur sur son ex-épouse et ses enfants ainsi que son ex‑conjointe, lesquels sont des éléments sans pertinence avec la demande d’asile.

 

[17]           Troisièmement, le demandeur soumet que le tribunal a commis une erreur dans son évaluation de la crédibilité en ce qui a trait à sa relation avec sa conjointe. En effet, le demandeur est d’avis que le tribunal n’avait pas une connaissance complète de son dossier, y compris son formulaire de renseignements personnels (FRP) qui avait été amendé pour ajouter le fait que le demandeur n’est plus en relation de fait avec sa récente conjointe et que cela constitue une erreur susceptible de révision.

 

[18]           Quatrièmement, le demandeur prétend que la SPR a commis une erreur dans sa décision en mentionnant qu’elle a interrogé le demandeur au sujet de la possibilité d’aller vivre dans la capitale, San Salvador alors que le demandeur a plutôt été questionné au sujet de la possibilité d’aller vivre à La Paz, où habite la mère de son ex-épouse.

 

[19]           Cinquièmement, le demandeur est d’avis que la SPR a commis une erreur en concluant que le demandeur n’a pas fourni de preuve au sujet de l’existence de son commerce. En effet, étant donné que le salon de beauté de sa conjointe se trouvait au même endroit que son atelier de réparation et que sa conjointe a aussi été menacée, il était déraisonnable pour la SPR de conclure qu’aucune preuve n’avait été fournie pour établir les bases de sa demande d’asile.

 

[20]           Sixièmement, la SPR conclut erronément que le fait que les Maras ne soient pas retournés à son domicile le menacer fait abstraction du fait qu’il a vendu tous ses biens avant de quitter de façon discrète et qu’il a organisé le départ de sa conjointe pour la mettre à l’abri.

 

IV.       Position du défendeur

[21]           Le défendeur soumet que la décision de la SPR est raisonnable car le demandeur n’a pas établi qu’il devrait bénéficier du statut de réfugié ou de « personne à protéger ».

 

[22]           La conclusion de la SPR au sujet du manque de crédibilité du demandeur est raisonnable et elle a conclu de manière juste que le demandeur ne ferait face à aucun risque à sa personne advenant son retour à El Salvador.

 

[23]           En ce qui a trait à l’allégation du demandeur selon laquelle la SPR a commis une erreur en ne lui permettant pas de produire le témoignage de sa mère, le défendeur est d’avis que le demandeur est forclos de soumettre un tel argument étant donné que cela aurait dû être soulevé devant la SPR et le demandeur ne l’a pas fait alors qu’il en a eu l’occasion. De plus, le témoignage de la mère du demandeur aurait porté sur des faits qui ne sont pas pertinents au présent litige.

 

[24]           Toujours en ce qui a trait à cette allégation, le défendeur soumet que le membre instructeur a appuyé sa décision de ne pas entendre le témoignage de la mère du demandeur sur le fait que d’autres éléments de preuve plus objectifs auraient permis d’établir la situation de son ex-épouse et de ses enfants. Ainsi, il n’était pas nécessaire d’entendre la mère du demandeur.

 

V.        Questions en litige

1) La SPR, a-t-elle commis une erreur en refusant au demandeur le droit de présenter le témoignage de sa mère ?

2) La décision de refuser le statut de réfugié et de « personne à protéger » au demandeur, est-elle raisonnable?

 

VI.       Norme de contrôle

[25]           La norme de la décision correcte est applicable à la décision de la SPR de ne pas entendre le témoignage de la mère du demandeur étant donné qu’il s’agit d’une question d’équité procédurale (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 RCS 817 au para 22,  243 NR 22, Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 SCC 12 au para 43, [2009] 1 SCR 339). La décision de la SPR de ne pas accorder le statut de réfugié ou de « personne à protéger » sera examinée à la lumière de la norme de la décision raisonnable car il s’agit d’une question mixte de faits et de droit (Dunsmuir c Nouveau Brunswick, 2008 CSC 9 aux para 164-166, [2008] RCS 190).

 

 

VII.     Analyse

1) La SPR, a-t-elle commis une erreur en refusant au demandeur le droit de présenter le témoignage de sa mère ?

 

[26]           Le demandeur ne peut établir que le membre instructeur a commis un manquement à la justice naturelle en refusant d’entendre le témoignage de la mère du demandeur. En effet, le demandeur a, dans un premier temps, été informé du fait que la SPR refuserait d’entendre le témoignage de sa mère dans une décision rendue le 16 avril 2012 en mentionnant que celui-ci devrait plutôt soumettre des éléments de preuve qui ont une valeur probante. Lors de l’audience, le demandeur a été questionné au sujet de la situation de ses enfants en Espagne ainsi que de son ex‑épouse. Quoique cet élément factuel ait fait l’objet de questions de la part du membre instructeur durant l’audience de la SPR, ce n’est pas un élément central à la demande d’asile du demandeur.

 

[27]           Lors de l’audience devant la SPR, il aurait été raisonnable que le demandeur formule une opposition formelle à cette décision, en mentionnant qu’à défaut de pouvoir fournir des éléments de preuve plus probants, il voudrait que le témoignage de sa mère soit entendu. En effet, étant donné que la SPR l’a questionné durant l’audience au sujet de la situation de son ex-épouse et de ses enfants et que ce sont des faits que le membre instructeur a considéré comme étant pertinents, le demandeur aurait dû faire une demande formelle fondée sur les principes de justice naturelle, afin que le membre instructeur revienne sur sa décision.

 

[28]           Ainsi, le demandeur est forclos de soulever en révision judiciaire, un manquement aux principes de justice naturelle, car il ne s’y est pas opposé à la première occasion (Irving Shipbuilding Inc. c Canada (Procureur Général), 2009 FCA 116 au para 48, [2010] 2 FCR 488). En effet, dans ses soumissions devant la SPR, le Conseil du demandeur a fait état de son désaccord avec la décision de la SPR de ne pas entendre le témoignage de la mère du demandeur. Cependant, il ne s’agit pas d’une demande claire et formelle au membre instructeur de revenir sur sa décision de ne pas entendre ce témoignage. 

 

2) La décision de refuser le statut de réfugié et de « personne à protéger » est-elle raisonnable ?

[29]           La décision de la SPR est raisonnable et aucune intervention de cette Cour n’est requise. Le membre instructeur a rendu une décision qui s’appuie sur la preuve qui lui était présentée et ses conclusions sur la crédibilité du demandeur sont raisonnables.

 

[30]           En ce qui a trait à l’amendement du demandeur à son FRP, il est apparent à la lecture des transcriptions de l’audience que le membre instructeur a simplement demandé si le FRP du demandeur avait été amendé pour refléter les changements de circonstances du demandeur. La décision rendue n’est pas erronée car le décideur fait mention du fait que le demandeur n’est plus avec sa conjointe. Ainsi, l’argument du demandeur selon lequel le membre instructeur n’avait pas connaissance du dossier n’est pas fondé.

 

[31]           Deuxièmement, l’argument du demandeur selon lequel la SPR a considéré des éléments non pertinents lorsqu’elle a évalué le bien-fondé de la demande du demandeur, celui-ci ne peut être accepté. Il est apparent à la lecture des transcriptions de l’audience devant la SPR que le membre instructeur a interrogé le demandeur sur tous les éléments qui sont pertinents à sa demande basée sur les articles 96 et 97 de la LIPR. Ainsi, l’argument selon lequel le membre instructeur a appuyé ses conclusions sur une majorité d’éléments non pertinents à sa demande n’est pas fondé.

 

[32]           De plus, la Cour note une contradiction dans les arguments présentés par le demandeur qui est en lien avec le reproche adressé au membre instructeur de ne pas admettre le témoignage de la mère du demandeur. En effet, dans un premier temps le demandeur  reproche au décideur d’avoir considéré des éléments qui sont, selon lui, sans pertinence eu égard au litige, c’est-à-dire la relation avec son ex-épouse et ses enfants et que cela constitue une erreur. Dans un deuxième temps, celui-ci soumet que la SPR aurait dû entendre le témoignage de sa mère au sujet de l’ex-épouse du demandeur et de ses enfants étant donné que cet élément est pertinent à sa demande d’asile.

 

[33]           Enfin, le demandeur soulève un argument selon lequel la SPR a commis une erreur en faisant état du fait qu’elle a interrogé le demandeur au sujet de la possibilité d’aller vivre dans la capitale alors que le demandeur a plutôt été questionné sur la possibilité d’aller vivre à La Paz, où habite la mère de son ancienne épouse. À la lecture de la décision, il apparaît que le membre instructeur a seulement commis une erreur sur le nom de la ville. Ainsi, l’intention du décideur était en réalité de faire mention du fait que le demandeur a été questionné durant l’audience au sujet de la possibilité d’aller vivre à La Paz et non pas dans la capitale de El Salvador.

 

[34]           De plus, en ce qui a trait à la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur aurait pu soumettre des documents afin d’établir l’existence de son commerce, celle-ci est raisonnable. En effet, le demandeur a le fardeau de démontrer les éléments qui sont à la base de sa demande. Ainsi, étant donné qu’il allègue qu’il avait un atelier et que les Maras lui ont donc demandé de payer une somme mensuellement, il était raisonnable d’exiger qu’il fournisse une preuve de l’existence de son atelier. 

 

[35]           Enfin, la conclusion de la SPR selon laquelle les Maras ne démontrent plus d’intérêt envers le demandeur est bien fondée. En effet, cette conclusion négative au sujet de la crédibilité du demandeur est raisonnable dans les circonstances (Rajaratnam c Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 135 NR 300 au para 14, 1991 CarswellNat 851 (CAF)).

 

[36]           Les parties furent invitées à soumettre une question pour fins de certification, mais aucune question ne fut proposée.

 

 

JUGEMENT

            LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée et aucune question ne sera certifiée.

 

« Simon Noël »

Juge

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4499-12

 

INTITULÉ :                                      EDGARD EDUARDO ALVARENGA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             20 décembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           LE JUGE SIMON NOËL

 

DATE DES MOTIFS :                     21 décembre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Maria Christina Marinelli

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Lyne Prince

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Fanny Cumplido

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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