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Date : 20121227

Dossier: IMM-3680-12

Référence : 2012 CF 1545

Ottawa (Ontario), le 27 décembre 2012

En présence de madame la juge Tremblay-Lamer 

 

ENTRE :

 

SAID NAMOUH

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 63(3) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], d’une décision négative de la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la SAI] rendue le 13 mars 2012 relativement à l’appel d’une mesure de renvoi prononcée contre le demandeur le 5 juin 2009.

 

 

CONTEXTE FACTUEL

[2]               Le demandeur est citoyen du Maroc. Parrainé par son épouse, il obtient la résidence permanente lors de son arrivée au Canada le 9 septembre 2003. En 2006, il divorce de son épouse.

 

[3]               Le 27 novembre 2007, le demandeur plaide coupable à une accusation d’introduction dans une maison d’habitation (soit la résidence de son ex-épouse) avec l’intention d’y commettre un acte criminel en contravention au paragraphe 349(1) du Code criminel, LRC 1985, c C-46 [Ccr]. À cette même date, le demandeur est trouvé coupable en vertu de l’alinéa 145(5.1)a) du Ccr pour omission de se conformer à une condition d’une promesse de comparaître. Il est par la suite déclaré interdit de territoire pour cause de grande criminalité en vertu de l’alinéa 36(1)a) de la Loi.  Une mesure de renvoi est prise à son endroit le 5 juin 2009 par la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [SI] en vertu de l’alinéa 45d) de la Loi.

 

[4]               Le 1er octobre 2009, le demandeur est déclaré coupable des infractions suivantes par la Cour provinciale du Québec (R c Namouh, 2009 QCCQ 9324 [R c Namouh]) :

a.       complot de livrer, poser ou faire exploser un engin explosif ou autre engin meurtrier dans ou contre un lieu public avec l’intention de provoquer la mort ou des dommages corporels graves ou de causer la destruction massive du lieu (al 465(1)c) et para 431.2(2) du Ccr) pour laquelle il fut condamné à l’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant dix ans;

b.      avoir participé à une activité terroriste ou y avoir contribué, directement ou non, dans le but d’accroître la capacité de tout groupe terroriste de se livrer à une activité terroriste ou de la faciliter (article 83.2 du Ccr) pour laquelle il fut condamné à quatre ans d’emprisonnement;

c.       avoir facilité une activité terroriste (article 83.19 du Ccr) en plus d’avoir commis de l’extorsion, au profit ou sous la direction d’un groupe terroriste ou en association avec lui (article 83.2 du Ccr). Il fut condamné à une peine de huit ans d’emprisonnement sur chacun de ces chefs qu’il doit purger de façon consécutive. Le tout, devant être purgé de façon concurrente à la première peine d’emprisonnement à perpétuité.

 

[5]               En appel devant la SAI, le demandeur ne conteste pas la légalité de la mesure de renvoi mais cherche à surseoir à l’exécution de celle-ci pour des motifs d’ordre humanitaire.

 

LA DÉCISION DE LA SAI

[6]               Afin de déterminer l’existence de motifs d’ordre humanitaire justifiant la prise de mesures spéciales ainsi que l’intérêt supérieur de l’enfant, la SAI tint compte des facteurs énumérés dans la décision Ribic v Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] IABD 4 [Ribic],                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                             tels que les a repris par la Cour suprême du Canada dans la décision Chieu c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3 [Chieu].

 

[7]               Cependant, considérant la peine d’emprisonnement à perpétuité que purge actuellement le demandeur sans possibilité de libération conditionnelle avant septembre 2017, en plus des autres peines d’emprisonnement s’étalant entre quatre ans à huit ans que doit purger le demandeur de façon concurrente, la SAI détermina qu’il n’y avait aucune preuve selon laquelle le renvoi du demandeur était imminent. Elle conclut qu’il était impossible de prévoir ce que sera la situation au Maroc en 2017 ou dans les années qui suivent, ni d’entrevoir si le demandeur, une fois libéré et renvoyé au Maroc, serait effectivement détenu.

 

[8]               Bien qu’elle reconnaisse la situation préoccupante des droits humains au Maroc, la SAI conclut que les circonstances particulières du demandeur rendaient difficile l’évaluation de l’importance des difficultés qu’il pourrait connaître advenant un retour au Maroc dans plusieurs années et considéra que cette évaluation était spéculative à cette étape. Elle accorda enfin plus de poids aux autres facteurs Ribic, dont la gravité des infractions commises par le demandeur, et conclut qu’il n’existait pas suffisamment de motifs humanitaires justifiant la prise de mesures spéciales pour accueillir l’appel ou accorder un sursis d’exécution à la mesure de renvoi.

 

QUESTION EN LITIGE

[9]               La question en litige en l’espèce est à savoir s’il était déraisonnable pour la SAI de conclure, compte tenu de l’incarcération du demandeur jusqu’en 2017, que toute évaluation des difficultés auxquelles ce dernier pourrait faire face advenant son expulsion vers le Maroc était prématurée.

 

NORME DE CONTRÔLE

[10]           L’article 67 de la Loi accorde à la SAI un large pouvoir discrétionnaire quant à l’évaluation des considérations humanitaires soulevées dans le cadre d’un appel d’une mesure de renvoi. La présente affaire s’apparente à l’affaire Khosa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CSC 12  dans laquelle il était question de l’examen d’une décision de la SAI concernant les motifs humanitaires pouvant justifier le sursis au renvoi du demandeur. Au paragraphe 58, la Cour suprême indique que :

[…][le demandeur] a reconnu que la mesure de renvoi avait été validement prise contre lui en application du par. 36(1) de la LIPR. Sa contestation visait directement le refus de la SAI de lui accorder un "privilège discrétionnaire". La décision de la SAI de ne pas prendre de mesure reposait sur une évaluation des faits au dossier. La SAI a eu l'avantage de tenir les audiences et d'évaluer la preuve, y compris le témoignage de l'intimé lui-même. Les membres de la SAI possèdent une expertise considérable pour trancher les appels sous le régime de la LIPR. Considérés ensemble, ces facteurs font clairement ressortir que la norme de contrôle de la raisonnabilité s'applique. Aucun motif ne permettrait d'aboutir à un résultat différent. (Je souligne)  

 

 

[11]           La Cour suprême poursuit au paragraphe 59 en affirmant : « c'est à la SAI et non aux tribunaux judiciaires que le législateur avait confié la tâche de déterminer si [le demandeur] avait établi l'existence de motifs d'ordre humanitaire justifiant la levée de la mesure de renvoi le concernant ». Par conséquent, la présente Cour doit faire preuve d’une très grande déférence lorsqu’il s’agit de déterminer si les conclusions du tribunal sont justifiées, transparentes et intelligibles de sorte qu’elles appartiennent « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47). 

 

ANALYSE

Arguments du demandeur

[12]           Le  demandeur soumet que le tribunal a omis de prendre en considération les circonstances particulières quant à un risque sérieux de torture advenant son retour au Maroc. Ces dernières justifiaient la prise de mesures spéciales pour accorder un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi. L’exécution de la mesure de renvoi aurait pour effet de l’exposer à un risque sérieux de torture par des membres des forces de l’ordre marocaines, et rien ne permet de croire qu’il ne sera plus exposé à un tel risque dans un avenir rapproché. Aucune assurance ne peut être obtenue des autorités marocaines et ce, même si la torture a été érigée en infraction par le législateur marocain et que le Maroc est partie à la Convention contre la torture. Il a été établi que la torture est non seulement une pratique courante des forces de l’ordre marocaines, mais qu’elle est ni plus ni moins encouragée par l’impunité dont jouissent les auteurs d’actes de torture au Maroc.

 

[13]           Le demandeur soutient également qu’il est dans l’attente d’un jugement de la Cour d’appel du Québec devant être rendu dans les mois à venir qui pourrait donner lieu à une réduction de sa peine. Son renvoi serait donc imminent si la Cour d’appel du Québec ordonnait sa remise en liberté ou réduisait la durée de sa peine d’emprisonnement, ce que la SAI a omis de prendre en considération dans sa décision.

 

[14]           Il demande donc à la Cour fédérale, en raison du risque sérieux de torture auquel il est exposé, d’ordonner un sursis permanent à l’exécution de la mesure d’expulsion prise contre lui en vertu de l’alinéa 36(1)a) de la Loi par la SI.

 

Arguments du défendeur

[15]           Le défendeur est d’avis qu’il était raisonnable pour la SAI de décider qu’une évaluation des risques auxquels le demandeur pourrait être exposé au Maroc, advenant son retour dans ce pays, était prématurée pour les motifs suivants.

 

[16]           En vertu de l’alinéa 50b) de la Loi, le demandeur bénéficie d’un sursis statutaire à l’exécution de sa mesure de renvoi jusqu’en 2017 soit « tant qu’il n’aura pas purgé sa peine d’emprisonnement infligée au Canada ». Au moment de son appel devant la SAI, le renvoi du demandeur était donc non seulement incertain mais également contraire à la Loi. Ce caractère hypothétique de tout renvoi éventuel du demandeur est accentué par le fait qu’il n’a pas épuisé ses recours administratifs. En temps opportun, il pourrait notamment demander un ERAR en vertu des articles 112 et suivants de la Loi dans le cadre duquel les difficultés du demandeur au Maroc seraient évaluées par le ministre.

 

[17]           De plus, le demandeur pourrait obtenir la protection du Canada après que le ministre ait pondéré les éléments mentionnés à l’article 97 de la Loi et suite à l’examen de la question à savoir si le demandeur constitue ou non un danger pour le public au Canada. Suivant le paragraphe 114(1) de la Loi, une décision accordant la demande de protection aurait pour effet de surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi visant le demandeur. De surcroît, dans l’affaire Balathavarajan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 340 [Balathavarajan], la Cour d’appel fédérale a souligné qu’il existe des circonstances dans lesquelles la SAI n’a même pas à considérer les difficultés potentielles d’un demandeur lors d’un renvoi éventuel à l’étranger. Le juge Linden écrit pour la Cour au paragraphe 9 : « […] [a]u moment où l'appel devant la SAI a eu lieu, il était non seulement improbable, mais juridiquement inapproprié de renvoyer l'appelant au Sri Lanka. La SAI n'aurait pu qu'échafauder des hypothèses si elle avait examiné les difficultés auxquelles l'appelant pouvait être exposé s'il était expulsé au Sri Lanka. Elle n'avait pas besoin de le faire ».

 

[18]            La SAI n’avait pas à spéculer sur des faits qui ne pourraient être établis qu’en 2017, au plus tôt, et n’avait pas à tenir compte du sort que la Cour d’appel du Québec réservera aux appels du demandeur.

 

[19]           Quant aux quatre redressements recherchés par le demandeur, ceux-ci sont irrecevables par la présente Cour. Non seulement ces demandes s’avèrent prématurées mais il appartient exclusivement à la SAI d’exercer le pouvoir d’accorder le sursis statutaire prévu au paragraphe 68(1) de la Loi et d’en imposer les conditions, comme le prévoit le paragraphe 68(2). L’alinéa 67(1)c) et le paragraphe 68(1) de la Loi accordent à la SAI un large pouvoir discrétionnaire quant à l’évaluation des considérations humanitaires soulevées dans le cadre d’un appel d’une mesure de renvoi (Chieu au para 66; Khosa au para 60).

 

ANALYSE

[20]           En l’espèce, la SAI n’a pas omis de prendre en considération l’incidence des circonstances particulières du demandeur quant à un risque sérieux de torture au Maroc. Elle a explicitement mentionné ses préoccupations quant à la situation des droits humains en ce pays mais a conclu qu’il s’agissait d’une question prématurée. Je suis d’avis qu’il s’agit d’une décision raisonnable pour les motifs qui suivent.

 

[21]           En premier lieu, il importe de constater que la mesure de renvoi visant le demandeur n’a toujours pas été exécutée. Ce dernier est incarcéré depuis septembre 2007 et bénéficie d’un sursis automatique en vertu de l’alinéa 50b) de la Loi jusqu’à ce qu’il ait purgé l’entièreté de sa peine d’emprisonnement; en l’occurrence, une peine d’emprisonnement à perpétuité en plus de peines additionnelles devant être purgées de façon concurrente à celle-ci. D’autant plus qu’il ne sera pas admissible à libération conditionnelle avant 2017.

 

[22]           Il s’agit également d’une question qui demeurera prématurée tant que la mesure de renvoi ne sera pas mise à exécution. Comme l’explique le juge Lagacé dans l’affaire Shephard c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 379 au para 32 [Shephard], il existe deux étapes à une mesure de renvoi. Cette distinction est « […] explicite dans la Loi et a son importance puisque seule une mesure de « renvoi exécutoire » permet le renvoi éventuel d'une personne (au para 48(2) de la Loi), contrairement à la mesure de « renvoi qui a pris effet », qui ne devient exécutoire que si elle ne fait l'objet d'aucun sursis (au para 48(1) de la Loi) » (Shephard au para 32).

 

[23]           D’ailleurs, une mesure de renvoi ne devient pas exécutoire pour autant compte tenu de l’article 232 du Règlement selon lequel il est sursis à la mesure de renvoi dès le moment où le ministère avise l’intéressé, aux termes des paragraphes 160(1) et (3) du Règlement, qu’il peut faire une demande de protection en vertu du paragraphe 112(1) de la Loi, ce qui aurait pour effet de surseoir à la mesure de renvoi le visant. De plus, « […] les risques qui visent le demandeur, et qu’énumère l’article 97 de la Loi, ne seront jamais considérés avant que la mesure de renvoi ne devienne exécutoire, à moins de renoncer à une évaluation des risques. Advenant l’acceptation de sa demande, le demandeur bénéficiera d’un sursis de son renvoi pour une durée illimitée, ou jusqu’à révocation pour cause valable par le ministre » (Shephard au para 37).

 

[24]           La mesure de renvoi prise contre le demandeur n’était pas exécutoire au moment de la décision de la SAI et elle ne l’est toujours pas. Il serait pour le moins prématuré de conclure qu’elle le deviendra. Aucun arrangement n’a été pris en ce sens et aucune date de départ n’a été fixée (Anandappa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 701) ; voir aussi Derbas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1194 au para 33 et Balathavarajan). Tant qu’un demandeur n’a pas effectivement obtenu une réduction de peine ou une remise en liberté, qu’il n’est pas à risque imminent de renvoi en raison de l’exécution d’une telle mesure, qu’il n’a pas épuisé tous ses recours administratifs ou qu’il n’a pas été victime de manquements à l’équité procédurale pour cause de partialité institutionnelle, la SAI baigne dans un univers des plus spéculatif. Ainsi, la SAI n’était pas tenue de procéder à un examen détaillé des critères Ribic.

 

[25]           Pour ces motifs, le recours du demandeur est rejeté et aucune question n’est certifiée.  Étant donné cette conclusion, il n’est pas nécessaire pour la présente Cour de se prononcer sur la recevabilité des redressements recherchés par le demandeur.

 


 

 

 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.  Aucune question n'est certifiée.

 

 

 

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3680-12

 

INTITULÉ :                                      Said Namouh c Le ministre de la sécurité publique et de la protection civile

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Québec (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             13 décembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS :                     27 décembre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Marie-Pier Couturier

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Normand Lemyre

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Duval Lauzon Ménard Coté Couturier

Trois-Rivières (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Québec (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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