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Date : 20121220

Dossier : T-434-06

Référence : 2012 CF 1536

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 décembre 2012

En présence de M. le juge Mandamin

 

 

ENTRE :

 

MAGGIE MYRNA LORRAINE GAMBLIN

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE CONSEIL DE BANDE DE LA NATION DES CRIS DE NORWAY HOUSE ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]   La demanderesse, Mme Maggie Myrna Lorraine Gamblin, est membre de la Nation des Cris de Norway House (la NCNH). Elle sollicite un bref de certiorari annulant une résolution adoptée le 7 février 2006 par le défendeur, le conseil de la NCNH (le conseil de la NCNH). Elle sollicite également un jugement déclarant nul ab initio la résolution antérieure du conseil de la NCNH (la résolution du conseil de bande ou la RCB), datée du 21 juillet 2005, au motif que la RCB ne constituait pas une décision du conseil adoptée lors d’une assemblée dûment convoquée du conseil de la NCNH.

 

[2]   La résolution adoptée par le conseil le 7 février 2006 était censée ratifier la résolution du 21 juillet 2005 du conseil de la NCNH. Cette dernière résolution avait été consignée par écrit sur un formulaire des Affaires indiennes et du Nord canadien réservé aux résolutions des conseils de bande indiens. Elle est intitulée « BCR N.H./2005‑06 050 » (la RCB 050) et est ainsi libellée :

[traduction] 

a)      La NCNH demande à Manitoba Hydro de payer un montant d’une valeur actualisée de 6 365 000 $ à la place de versements étalés sur 17 ans correspondant à un montant d’une valeur globale de 10 920 000 $;

b)      Sur la foi de l’engagement de Manitoba Hydro de verser à la NCNH un montant d’une valeur actualisée de 6 365 000 $, la NCNH :

                                                           (i)      libère de façon totale et définitive le Canada de toutes ses obligations futures envers la NCNH en ce qui concerne l’Entente de règlement de la revendication 138 des Premières Nations;

                                                         (ii)      reconnaît que le paiement par Manitoba Hydro de la somme d’une valeur actualisée de 6 365 000 $ satisfait aux obligations contractées par Manitoba Hydro envers le Canada, aux termes du Protocole d’entente conclu le 27 août 2004, signé entre le Canada et Manitoba Hydro et aux termes de la directive donnée le 17 juin 2005 par le Canada à Manitoba Hydro au sujet du paiement de fonds payables par le Canada conformément au Protocole d’entente du 27 août 2004.

c)      Les représentants compétents de la NCNH sont autorisés à prendre toutes les mesures nécessaires pour signer au besoin tous les documents requis pour mettre en œuvre la présente résolution.

 

Les fonds en question constituent le paiement du solde de la dette due par Manitoba Hydro au titre de la revendication 138 du Canada, en rapport avec la part de 50 p. 100 assumée par Manitoba Hydro pour les coûts des infrastructures relatifs à l’approvisionnement en eau potable de la réserve de la NCNH.

 

[3]   La présente affaire soulève des questions concernant la gouvernance d’une Première Nation ainsi que des questions accessoires, propres à la présente demande. Voici, en bref, les questions de fond soulevées par la présente affaire :

a)      La Cour fédérale a‑t‑elle compétence pour juger la présente demande de contrôle judiciaire des décisions contestées émanant du conseil de la NCNH?

b)      Le conseil de la NCNH s’est‑il conformé aux règles de procédure de la NCNH régissant l’approbation de la RCB 050 contestée?

c)      S’agit‑il d’une situation dans laquelle il convient pour la Cour d’exercer sa compétence de manière à accorder une réparation?

 

[4]   Je conclus que la Cour a compétence pour juger la présente demande de contrôle judiciaire. Je suis d’accord avec la demanderesse pour affirmer que la RCB 050 contestée n’a pas été adoptée en conformité avec les règles de procédure de la NCNH. J’estime toutefois qu’il s’agit d’une situation dans laquelle la Cour devrait refuser d’exercer la compétence qui lui permettrait d’accorder la réparation réclamée par la demanderesse.

 

 

[5]   Voici les motifs pour lesquels j’en arrive à cette conclusion.

 

Le contexte

 

[6]   La NCNH est une Première Nation régie par un conseil composé d’un chef et de six conseillers élus. Au cours de la période durant laquelle la RCB 050 a été adoptée et ratifiée, les six conseillers élus étaient Eric Apetagon, Marcel Balfour, Eliza Clarke, Fred Muskego, Mike Muswagon et Langford Saunders. Le chef de la NCNH était Ron Evans, qui a occupé sa charge de mars 2002 jusqu’à sa démission, le 1er août 2005. Le poste de chef est demeuré vacant d’août 2005 à mars 2006.

 

[7]   La NCNH est une « bande coutumière » au sens de la Loi sur les Indiens, LRC 1985, ch I‑5. La Loi sur les Indiens définit le conseil de bande, lorsque les dispositions de l’article 74 relatives aux élections ne s’appliquent pas, en précisant qu’il s’agit du conseil choisi selon la coutume de la bande. La NCNH était régie par les dispositions de la Loi sur les Indiens relatives aux élections, mais elle a repris le régime coutumier le 23 janvier 1998, lorsque le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien (le MAINC) a, par décret ministériel, soustrait la NCNH des dispositions de la Loi sur les Indiens relatives aux élections.

 

 

[8]   Dans une lettre datée du 30 janvier 1998, des fonctionnaires du MAINC ont informé le conseil de la NCNH que, par suite du décret ministériel, le Règlement sur le mode de procédure au conseil des bandes d’Indiens, CRC, c 950, ne s’appliquait plus aux assemblées du conseil de la NCNH et ont recommandé que le conseil de la NCNH adopte un texte pour remplacer le règlement d’application de la Loi sur les Indiens. Le NCNH a adopté son propre code électoral et son propre règlement procédural ainsi que le juge de Montignay l’a expliqué dans le jugement Muskego c Comité d’appel de la Nation crie de Norway House, 2011 CF 732, au paragraphe 4 :

 

La Nation des Cris de Norway House (« NCNH ») est une bande indienne agissant selon ses coutumes. En décembre 1997, la NCNH a adopté la NHCN la Elections Procedures Act et, le 23 janvier 1998, la bande a obtenu une dispense de l’application de l’article 74 (procédures électorales) de la Loi sur les Indiens, faisant en sorte qu’elle puisse appliquer une procédure électorale coutumière dans l’exercice de son autonomie gouvernementale. Le code électoral coutumier de la bande régit donc ses élections. Le 18 octobre 2005, la Norway House Cree Nation Elections Procedures Act modifiée (ci‑après l’« EPA ») a été adoptée et ratifiée par le chef et le conseil.

 

 

[9]   En mars 2001, le conseil de la NCNH a adopté le Guide des Politiques et des Lignes directrices sur la procédure (les Lignes directrices). La demanderesse n’a pas fourni de copie de la Loi sur la procédure électorale de la NCNH, mais a soumis un exemplaire des Lignes directrices et en a cité des extraits. Je suis convaincu que les Lignes directrices reprennent les dispositions pertinentes des lois électorales et des règlements procéduraux coutumiers, qui remplacent, dans le cas de la NCNH, les dispositions de l’article 74 de la Loi sur les Indiens relatives aux élections ainsi que le Règlement sur le mode de procédure au conseil des bandes d’Indiens.

 

[10]           Les Lignes directrices prévoient que les règlements administratifs et les résolutions de la NCNH doivent être adoptés [traduction] « lors d’assemblées du conseil régulièrement convoquées », c’est‑à‑dire à l’occasion [traduction] « d’assemblées ordinaires du chef et des conseillers » ou [traduction] « d’assemblées extraordinaires du conseil ».

 

[11]           Le protonotaire R. Lafrenière, en tant que juge chargé de la gestion de l’instance, a relaté le contexte et l’historique à l’origine des résolutions contestées adoptées par le conseil de la NCNH dans son ordonnance du 19 janvier 2011 (Maggie Myrna Lorraine Gamblin c Norway House Cree Nation Band Council, 2010 CF 1244). Nous reproduisons ici les paragraphes 4 à 18 de cette décision :

[traduction]

 

Le 16 décembre 1977, le Canada, la province du Manitoba, Manitoba Hydro et le Comité des inondations dans le Nord inc., représentant cinq Premières Nations, dont la NCNH, ont signé la Convention sur l’inondation des terres du nord (la CITN). Le CITN visait à indemniser les Premières Nations en question des effets préjudiciables découlant de l’inondation provoquée par les projets de Manitoba Hydro.

 

Aux termes de l’article 6.1 de la CITN, le Canada se reconnaissait responsable d’assurer que chacune des réserves des Premières Nations puisse compter sur un approvisionnement constant en eau potable. Aux termes de l’article 6.2, Manitoba Hydro s’engageait à rembourser le Canada de 50 p. 100 de ses dépenses raisonnables liées à l’approvisionnement en eau potable qui pouvaient être attribuées aux effets préjudiciables du projet.

 

Le 10 mai 1988, le Canada a signé une entente sur les infrastructures (l’EI) avec le Comité des inondations dans le Nord inc., la Société de reconstruction des terres inondées dans le Nord (la SRTIN) et les cinq Premières Nations. Cette entente représentait l’exécution par le Canada de son obligation d’assurer aux Premières Nations un approvisionnement constant en eau potable en leur permettant de s’en charger elles-mêmes.

 

Aux termes de l’article 15 de l’EI, le Canada convenait de tenter de récupérer le montant maximal possible de Manitoba Hydro, aux termes de l’article 6.2 de la CITN, en recourant au besoin à l’arbitrage, et de transférer tout montant ainsi récupéré au SRTIN relativement aux projets d’eau potable des Premières Nations visées par la CITN, sous réserve des conditions stipulées à l’article 15 de l’EI.

 

Le Canada a formulé une demande d’arbitrage au titre de la revendication 138 contre Manitoba Hydro le 19 avril 1984, pour faire préciser l’ampleur des obligations contractées par Manitoba Hydro aux termes de l’article 6.2 de la CITN, en ce qui concerne les dépenses d’eau potable du Canada. Les Premières Nations sont par la suite intervenues, aux frais du Canada, dans la revendication 138.

 

Le 19 novembre 2003, le Canada et Manitoba Hydro ont signé une lettre d’intention exposant les éléments essentiels du règlement de la revendication 138. La NCNH a accordé [traduction] « son approbation provisoire de principe » au montant du règlement et aux modalités de son paiement, comme en fait foi la résolution du conseil de bande (la RCB) du 19 mai 2004.

 

Le Canada et Manitoba Hydro ont officialisé leur entente le 27 août 2004. Manitoba Hydro a convenu de verser 40,5 millions de dollars au Canada, sous forme de versements échelonnés sur une période de 17 ans entre 2004 et 2021; le Canada avait le droit explicite de donner pour instructions à Manitoba Hydro de payer directement une ou plusieurs Premières Nations, et le Canada et Manitoba Hydro ont convenu de chercher à obtenir de l’arbitre de la CITN son consentement concernant le rejet de la revendication 138.

 

Le 28 octobre 2004, le Canada a signé avec la NCNH et trois autres Premières Nations l’Entente de règlement relative à la revendication 138 (l’Entente de règlement). Le Canada a convenu que Manitoba Hydro paierait 40,5 millions de dollars directement à la NCNH et aux autres Premières Nations signataires sous forme de versements échelonnés. La quote-part de NCNH se chiffrait à 28 p. 100 pour chacun de ses versements échelonnés, ce qui totalisait 11 340 000 $ sur les 40,5 millions de dollars en question.

 

Aux termes de l’Entente de règlement, la NCNH a accepté de renoncer à la revendication 138 (article 2.1), a dégagé le Canada de toute autre obligation prévue à l’article 6 de la CITN et à l’article 15 de l’EI (article 3), a convenu que le chef et les conseillers de la NCNH avaient approuvé les modalités de l’Entente de règlement, comme en faisait foi la RCB adoptée avant sa signature (article 5.1 et alinéa 6.1a)); avait reçu des conseils juridiques indépendants avant de la signer (alinéa 6.1b)), déclarait et affirmait qu’aucun obstacle juridique ne l’empêchait de signer l’Entente de règlement (article 9.1) et convenait que l’entente de règlement liait ses membres (article 11.1).

 

Le 26 novembre 2004, l’arbitre de la CITN a rejeté la revendication 138 avec le consentement du Canada et de Manitoba Hydro. La NCNH a également donné son consentement au rejet de la revendication 138 par l’intermédiaire de son propre conseiller juridique.

 

Manitoba Hydro a fait son premier versement échelonné de 1,5 million de dollars au Canada le 1er septembre 2004. La NCNH a reçu 420 000 $ du Canada, ce qui correspondait à sa quote-part de 28 p. 100. Le 10 juin 2005, à la demande de la NCNH, le Canada a donné pour instructions à Manitoba Hydro de verser directement à la NCNH la quote-part de 28 p. 100 de la NCNH correspondant aux versements échelonnés à venir. Manitoba Hydro a accepté cette directive.

 

Par la suite, à la demande de la NCNH, Manitoba Hydro a accepté de payer le solde de la quote-part de NCNH (10 920 000 $) sous forme de somme forfaitaire anticipée de 6 365 000 $, ce qui correspondait à la valeur actualisée de sa quote-part calculée par les conseillers juridiques et comptables indépendants de la NCNH.

 

Le 21 juillet 2005, la NCNH a adopté la RCB contestée dans la présente demande. La RCB approuvait officiellement le paiement forfaitaire anticipé de 6 365 000 $ effectué par Manitoba Hydro, en accusait réception et autorisait la NCNH à libérer le Canada de façon complète et définitive de toute obligation future relative à l’Entente de règlement portant sur la revendication 138. La RCB et la libération ont été dûment signées par le chef et par la majorité des conseillers de la bande.

 

Manitoba Hydro a par la suite versé le montant de 6 365 000 $ à la NCNH pour satisfaire à l’obligation du Canada de payer le solde de la quote-part de la NCNH relativement aux sommes de Manitoba Hydro.

 

Lors de l’assemblée du conseil de bande de la NCNH du 7 février 2006, le conseiller Saunders a proposé la ratification de la RCB du 21 juillet 2005. Les conseillers Clarke, Muswagon et Saunders ont voté en faveur de la motion; seul le conseiller Balfour a voté contre.

 

[12]           Le 9 mars 2006, la demanderesse a déposé un avis de demande contestant la validité de la RCB 050. Comme nous l’avons déjà signalé, la RCB 050 était datée du 21 juillet 2005. Elle n’a été ratifiée par le conseil de la NCNH que lors de l’assemblée du conseil du 7 février 2006.

 

[13]           Le procureur général du Canada a présenté une requête en vue d’être constitué codéfendeur. La demanderesse s’est opposée à cette requête en faisant valoir que les seules personnes qui pouvaient être visées par la demande de contrôle judiciaire étaient la NCNH et ses membres. Toutefois, le protonotaire Lafrenière a conclu que la question sous-jacente constituait une contestation de la validité de l’Entente de règlement de la revendication 138. Voici ce qu’il déclare aux paragraphes 31 et 32 de son ordonnance :

                        [traduction]

 

On peut comprendre que le Canada ait exprimé un intérêt par rapport à la présente instance. Si l’ordonnance sollicitée par la demanderesse est prononcée, la demanderesse ou toute autre personne peut s’en servir pour contester la validité du rejet de la revendication 138 obtenue de consentement et de l’exonération du Canada, la validité de l’Entente de règlement conclue avec la NCNH elle-même au sujet de la revendication 138 ou encore celle de l’entente signée par la NCNH avec Manitoba Hydro et portant acceptation d’une somme forfaitaire réduite à la place de versements échelonnés.

 

La demanderesse affirme que la demande de contrôle judiciaire porte simplement sur la question de savoir si une résolution adoptée par un conseil de bande et sa présumée ratification sont valides ou non. Il n’en demeure pas moins qu’à la base, la demande semble porter d’abord et avant tout sur la contestation de l’Entente de règlement de la revendication 138 en attaquant le pouvoir sous‑jacent du conseil de bande de signer effectivement pareille entente au nom de la NCNH et son pouvoir de négocier un mode de paiement accéléré et de dégager quelqu’un de ses obligations. Les conséquences éventuelles ne sont pas, à mon avis, une « question locale » ou une simple question de bonne gouvernance.

 

[14]           Le protonotaire a décidé que le Canada avait un intérêt dans la demande et qu’il devait être constitué codéfendeur pour s’assurer que toutes les questions en litige soient tranchées de façon efficace et complète, compte tenu du fait que le conseil de la NCNH était demeuré passif pendant tout le déroulement de l’instance. Par conséquent, le protonotaire a ordonné que le Canada soit constitué codéfendeur.

 

[15]           Le défendeur, le conseil de la NCNH, n’a pas répondu ou participé de quelque autre manière à l’instance, se contenant de fournir les documents réclamés par la demanderesse. Par conséquent, je ferai référence au procureur général comme étant soit le défendeur, soit le Canada.

 

La décision faisant l’objet du contrôle

 

[16]           La demanderesse sollicite un bref de certiorari annulant la décision du 7 février 2006, par laquelle le conseil de la NCNH a ratifié la RCB 050 du 5 juillet 2005, ainsi qu’un jugement déclarant cette dernière résolution nulle ab initio et sans effet.

 

[17]           La RCB 050 du 5 juillet 2005 est censée être une résolution adoptée par le conseil lors d’une assemblée régulièrement convoquée le même jour par le chef et quatre conseillers. En voici le texte :

                        [traduction]

 

ATTENDU QUE le Canada et Manitoba Hydro ont, le 27 août 2004, signé un protocole d’entente qui a eu pour effet de régler de façon complète et définitive les revendications du Canada contre Manitoba Hydro en rapport avec la revendication 138 relative à la Convention sur l’inondation des terres du nord;

 

ATTENDU QUE le paragraphe 2 du Protocole d’entente précise les sommes d’argent que Manitoba Hydro est tenue de payer à certaines dates précises au Canada;

 

ATTENDU QUE, le Canada a, par la suite, conclu un accord distinct avec la Nation des Cris de Norway House qui a eu pour effet de préciser la façon dont les sommes à payer au Canada par Manitoba Hydro seraient distribuées à chacune des cinq Premières Nations visées par la CITN, en ce qui concerne les projets d’égouts et de distribution d’eau potable;

 

ATTENDU QUE le 17 juin 2005, le Canada a, conformément à l’article 3 du Protocole d’entente intervenu entre le Canada et Manitoba Hydro le 27 août 2004, donné pour directive à Manitoba Hydro de verser 28 p. 100 des fonds à Norway House à certaines dates précises;

 

ATTENDU QUE le montant total correspondant à la quote-part de 28 p. 100 que le Canada a enjoint à Manitoba Hydro de payer à Norway House aux dates spécifiées s’élève à 10 920 000 $;

 

ATTENDU QUE Norway House, sur la foi de conseils reçus de sources indépendantes, a calculé que la valeur actualisée du montant global de 10 920 000 $ que le Canada a enjoint à Manitoba Hydro de verser à Norway House équivaut à 6 365 000 $;

 

ATTENDU QUE Manitoba Hydro a accepté de verser cette somme actualisée de 6 365 000 $ à Norway House, à condition que le Canada soit disposé à accepter et à reconnaître que, sur paiement de cette somme actualisée à Norway House, vingt-huit pour cent (28 p. 100) de toutes les obligations que Manitoba Hydro a envers le Canada, aux termes du Protocole d’entente du 27 août 2004 et de la directive donnée le 17 juin 2005 par le Canada, soient alors entièrement et définitivement satisfaites;

 

ET ATTENDU QUE le Canada est disposé à reconnaître que, dès lors qu’elle est acquittée maintenant, la somme actualisée de 6 365 000 $ satisferait à vingt-huit pour cent (28 p. 100) de toutes les obligations que Manitoba Hydro a envers le Canada, aux termes du Protocole d’entente du 27 août 2004, à condition que Norway House dégage le Canada de toutes ses obligations à venir envers Norway House, au titre de l’Entente de règlement relative à la revendication 138 des Premières Nations.

 

PAR CONSÉQUENT, IL EST RÉSOLU QUE :

 

1.         Norway House demande à Manitoba Hydro de payer un montant d’une valeur actualisée de 6 365 000 $ au lieu de versements étalés d’une valeur globale de 10 920 000 $.

 

2.         Sur la foi de l’engagement de Manitoba Hydro de verser à Norway House un montant d’une valeur actualisée de 6 365 000 $, Norway House :

 

a)            libère de façon totale et définitive le Canada de toutes ses obligations futures envers Norway House, en ce qui concerne l’Entente de règlement de la revendication 138 des Premières Nations;

 

b)            reconnaît que le paiement par Manitoba Hydro de la somme d’une valeur actualisée de 6 365 000 $ satisfait aux obligations contractées par Manitoba Hydro envers le Canada, aux termes du Protocole d’entente conclu le 27 août 2004, signé entre le Canada et Manitoba Hydro, et aux termes de la directive donnée le 17 juin 2005 par le Canada à Manitoba Hydro, au sujet du paiement de fonds payables par le Canada conformément au Protocole d’entente du 27 août 2004.

 

3.         Les représentants compétents de Norway House sont autorisés à prendre toutes les mesures nécessaires pour signer, le cas échéant, tous les documents requis pour mettre en œuvre la présente résolution.

 

[18]           La RCB 050 indique que la date à laquelle l’assemblée dûment convoquée s’est tenue était le 21 juillet 2005 et précise que le quorum était constitué de quatre membres du conseil de la NCNH. Elle est signée par le chef et par quatre conseillers.

 

[19]           Le procès-verbal de l’assemblée ordinaire du conseil du 7 février 2006 relate qu’après discussion les personnes présentes ont adopté :

[traduction]

 

Motion no 10 :

Le conseiller Langford Saunders propose que le chef adjoint et les conseillers ratifient la RCB N.H./2005‑06 050. Le conseiller Mike Muswagon appuie la motion.

3 membres ont voté en faveur, 1 membre a voté contre (Marcel). La motion est adoptée.

 

Les dispositions législatives applicables

 

[20]           La Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7 dispose :

2. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

 

« office fédéral » conseil, bureau, commission ou autre organisme, ou personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une

compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale, à l’exclusion de la Cour canadienne de l’impôt et ses juges, d’un organisme constitué sous le régime d’une loi provinciale ou d’une personne ou d’un groupe de personnes nommées aux termes d’une loi provinciale ou de l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867.

[…]

 

18. (1) Sous réserve de l’article 28, la Cour fédérale a compétence exclusive, en première instance, pour :

 

a) décerner une injonction, un bref de certiorari, de mandamus, de prohibition ou de quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire contre tout office fédéral;

 

b) connaître de toute demande de réparation de la nature visée par l’alinéa a), et notamment de toute procédure engagée contre le procureur général du Canada afin d’obtenir réparation de la part d’un office fédéral.

 

[…]

 

18.1 (2) Les demandes de contrôle judiciaire sont à présenter dans les trente jours qui suivent la première communication, par l’office fédéral, de sa décision ou de son ordonnance au bureau du sous-procureur général du Canada ou à la partie concernée, ou dans le délai supplémentaire qu’un juge de la Cour fédérale peut, avant ou après l’expiration de ces trente jours, fixer ou accorder.

 

 

 

 

(3) Sur présentation d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale peut :

 

a) ordonner à l’office fédéral en cause d’accomplir tout acte qu’il a illégalement omis ou refusé d’accomplir ou dont il a retardé l’exécution de manière déraisonnable;

 

b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu’elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l’office fédéral.

 

 

[Non souligné dans l’original.]

2. (1) In this Act,

 

“federal board, commission or other tribunal” means any body, person or persons having, exercising or purporting to exercise jurisdiction or powers conferred by or under an Act of Parliament or by or under an order made pursuant to a prerogative of the Crown, other than the Tax Court of Canada or any of its judges, any such body constituted or established by or under a law of a province or any such person or persons appointed under or in accordance with a law of a province or under section 96 of the Constitution

Act, 1867 ;

 

 

18. (1) Subject to section 28, the Federal Court has exclusive original jurisdiction

 

 

(a) to issue an injunction, writ of certiorari, writ of prohibition, writ of mandamus or writ of quo warranto, or grant declaratory relief, against any federal board, commission or other tribunal; and

 

(b) to hear and determine any application or other proceeding for relief in the nature of relief contemplated by paragraph (a), including any proceeding brought against the Attorney General of Canada, to obtain relief against a federal board, commission or other tribunal.

 

18.1 (2) An application for judicial review in respect of a decision or an order of a federal board, commission or other tribunal shall be made within 30 days after the time the decision or order was first communicated by the federal board, commission or other tribunal to the office of the Deputy Attorney General of Canada or to the party directly affected by it, or within any further time that a judge of the Federal Court may fix or allow before or after the end of those 30 days.

 

(3) On an application for judicial review, the Federal Court may

 

 

(a) order a federal board, commission or other tribunal to do any act or thing it has unlawfully failed or refused to do or has unreasonably delayed in doing; or

 

(b) declare invalid or unlawful, or quash, set aside or set aside and refer back for determination in accordance with such directions as it considers to be appropriate, prohibit or restrain, a decision, order, act or proceeding of a federal board, commission or other tribunal.

 

[Emphasis added]

 

[21]           La Loi sur les Indiens dispose :

2. (1)

 

« conseil de la bande »

 

b) dans le cas d’une bande à laquelle l’article 74 n’est pas applicable, le conseil choisi selon la coutume de la bande ou, en l’absence d’un conseil, le chef de la bande choisi selon la coutume de celle-ci.

 

 

[…]

 

(3) Sauf indication contraire du contexte ou disposition expresse de la présente loi :

 

a) un pouvoir conféré à une bande est censé ne pas être exercé, à moins de l’être en vertu du consentement donné par une majorité des électeurs de la bande;

 

b) un pouvoir conféré au conseil d’une bande est censé ne pas être exercé à moins de l’être en vertu du consentement donné par une majorité des conseillers de la bande présents à une réunion du conseil dûment convoquée.

 

[Non souligné dans l’original.]

2. (1)

 

“council of the band” means

 

(b) in the case of a band to which section 74 does not apply, the council chosen according to the custom of the band, or, where there is no council, the chief of the band chosen according to the custom of the band;

 

 

(3) Unless the context otherwise requires or this Act otherwise provides,

 

(a) a power conferred on a band shall be deemed not to be exercised unless it is exercised

pursuant to the consent of a majority of the electors of the band; and

 

(b) a power conferred on the council of a band shall be deemed not to be exercised unless it is exercised pursuant to the consent of a majority of the councillors of the band present at a meeting of the council duly convened.

 

[Emphasis added]

 

 

[22]           Les Lignes directrices de la NCNH prévoient ce qui suit :

[traduction]

 

Pour le moment, le gouvernement local de la Nation des Cris de Norway House tire son fondement légal de la Loi sur les Indiens.

 

Paragraphe 74(1) de la Loi sur les Indiens :

 

« Lorsqu’il le juge utile à la bonne administration d’une bande, le ministre peut déclarer par arrêté qu’à compter d’un jour qu’il désigne le conseil d’une bande, comprenant un chef et des conseillers, sera constitué au moyen d’élections tenues selon la présente loi. »

 

Cet article de la Loi signifie que les bandes peuvent légalement élire un chef et des conseillers chargés d’administrer la bande.

 

En pratique, il s’ensuit que la bande peut, en vertu de la Loi, ou conformément à la coutume acceptée de la bande, élire régulièrement ses conseillers.

 

[…]

 

3.1       Le chef et les conseillers sont les représentants élus de la Nation des Cris de Norway House. Ils sont chargés de ce qui suit :

 

3.1.1    Former le gouvernement local pour le bien-être et dans l’intérêt des membres de la Nation des Cris de Norway House.

 

3.1.2    Gérer les affaires de la Nation des Cris de Norway House en élaborant des politiques et des règlements par le truchement de règlements administratifs et de résolutions.

 

3.1.3    S’assurer que les politiques, les Lignes directrices et les règlements qui sont adoptés sont mis en œuvre et sont régulièrement appliqués par le personnel de la Nation des Cris de Norway House.

 

[…]

 

3.3       Une fois élus, le chef et les conseillers tirent leurs pouvoirs de la Loi sur les Indiens.

 

[…]

 

3.5       Le chef et chacun des conseillers exécutent leurs fonctions au moyen de trois organes :

 

 

3.5.1    Lors des assemblées régulièrement constituées du conseil, au cours desquelles les règlements administratifs et les résolutions sont adoptés.

 

[…]

 

11.1     Fréquence des assemblées

Les assemblées ordinaires du conseil commencent à l’heure à 9 h le premier et le troisième mardis du mois. Tous les administrateurs et dirigeants doivent participer aux assemblées ordinaires du conseil.

 

[…]

 

11.4     Assemblées extraordinaires du conseil

Les assemblées extraordinaires du conseil peuvent être convoquées par le chef sur préavis de vingt-quatre (24) heures donné à chacun des conseillers accompagné d’un ordre du jour détaillé de l’assemblée extraordinaire en question. Les assemblées extraordinaires peuvent être convoquées par le chef de sa propre initiative ou par le chef à la demande de la majorité des conseillers.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

Les questions en litige

 

[23]           La demanderesse et le défendeur ont tous les deux soulevé plusieurs questions dans la présente demande. Voici, sous une forme un peu plus élaborée, les questions que j’estime déterminantes en l’espèce :

 

1.                  La Cour fédérale a‑t‑elle compétence pour juger la présente demande de contrôle judiciaire de décisions émanant du conseil de la NCNH, compte tenu du fait que :

a)      Le conseil de la NCNH est choisi selon la coutume;

b)      La décision est de nature financière;

c)      La demande de bref de certiorari relative à la RCB 050 a été présentée après l’expiration des délais prescrits.

 

2.                  Le conseil de la NCNH a-t-il valablement approuvé la RCB 050 contestée, compte tenu des Lignes directrices de la NCNH relatives aux règles de procédure concernant l’approbation des résolutions du conseil de la NCNH?

 

3.         S’agit‑il d’une situation dans laquelle il convient pour la Cour d’exercer sa compétence de manière à accorder une réparation?

 

La norme de contrôle

 

[24]            La demanderesse affirme que la présente demande concerne des questions de compétence et de validité des actes accomplis par le conseil de la NCNH aux termes de la Loi sur les Indiens et des Lignes directrices de la NCNH.

 

[25]           La Cour suprême du Canada a expliqué, dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 (Dunsmuir), qu’il n’existe que deux normes de contrôle : celle de la décision correcte, dans le cas des questions de droit, et celle de la décision raisonnable, dans le cas des questions mixtes de fait et de droit (Dunsmuir, aux paragraphes 50 et 53). La Cour suprême a également expliqué qu’il n’est pas nécessaire de reprendre l’analyse relative à la norme de contrôle si la jurisprudence a déjà arrêté la norme applicable (Dunsmuir, au paragraphe 62).

 

[26]           La demanderesse affirme que la norme de contrôle applicable dans le cas de la décision du conseil de la NHCN est la décision correcte et elle cite à l’appui la décision rendue par la juge Gauthier dans l’affaire Laboucan c Nation crie de Little Red River n° 447, 2010 CF 722, [2010] ACF no 871 (Laboucan). Au paragraphe 21, la juge Gauthier déclare :

La norme de contrôle qui est applicable à la question de la compétence du conseil est celle de la décision correcte : Martselos c. Nation n° 195 de Salt River, 2008 CAF 221, 168 A.C.W.S. (3d) 224, paragraphes 28-32; Jackson c. Première Nation des Piikani, 2008 CF 130, 164 A.C.W.S. (3d) 549, paragraphe 17. Il s’agit en fait de l’interprétation du Code par le chef et le conseil de la NCLRR. Il s’agit d’une question de droit, qui n’appelle aucune retenue particulière.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[27]           La présente affaire exige que l’on examine la compétence et les pouvoirs du conseil de la NHCN et que l’on interprète les règles de la NHCN régissant le processus décisionnel de son conseil élu. Je suis d’accord avec la demanderesse pour dire que la question en litige suppose l’interprétation des règles de droit sur la gouvernance de la NHCN et qu’elles concernent le processus décisionnel du conseil. Ainsi que la juge Gauthier l’a souligné, ces questions soulèvent une question de droit, et j’estime que la norme de contrôle applicable est la décision correcte.

 

Analyse

 

[28]           Dans la présente demande, le conseil de la NCMH défendeur n’a pas pris position, n’a soumis aucun élément de preuve autre que ceux présentés par la demanderesse et n’a formulé aucun argument. Le conseil de la NCMH défendeur n’a même pas participé à l’audience relative au contrôle judiciaire. La demande est contestée uniquement par le Canada défendeur.

 

La Cour fédérale a‑t‑elle compétence pour juger une demande de contrôle judiciaire concernant une décision du conseil coutumier élu de la NCNH?

 

[29]           La première question à examiner est de savoir si la Cour a compétence pour juger la présente demande et pour accorder la réparation sollicitée par la demanderesse. Pour répondre à cette question, il faut déterminer si le conseil de la NCNH est un « office fédéral » au sens de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales. Pour ce faire, il faut également déterminer si le conseil de la NCNH exerçait ou était censé exercer une compétence ou des pouvoirs visés par l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales lorsqu’il a pris les décisions contestées.

 

[30]           L’article 18.1 prévoit qu’une demande de contrôle judiciaire peut être présentée relativement aux décisions et ordonnances des offices fédéraux. Nous reproduisons ici la définition de l’expression « office fédéral » à l’article 2 de la Loi sur les Cours fédérales :

« office fédéral » conseil, bureau, commission ou autre organisme, ou personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale […]

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[31]           Le Canada affirme que, même dans les quelques cas où une entité fédérale est assimilée à un « office fédéral », il faut tenir compte des pouvoirs exercés (DRL Vacations Ltd c Halifax Port Authority, 2005 CF 860 (DRL Vacations Ltd). De plus, le Canada affirme que le pouvoir que l’entité en question cherche à exercer doit être précisé et que la source de ce pouvoir doit être examinée (Anisman c Canada, 2010 CAF 52 (Anisman)).

 

[32]           Le Canada affirme que le conseil de la NCNH a exercé son pouvoir inhérent de s’engager par contrat ou de régler des revendications lorsqu’il a prétendu approuver le paiement accéléré selon les modalités de l’Entente de règlement. Qui plus est, la résolution du conseil de la NCNH portant sur les modalités et les dates du paiement ressortit au droit privé, et non au droit public, contrairement à ce qui se produit dans le cas d’une demande de contrôle judiciaire. Le Canada cite diverses décisions à l’appui de sa thèse (Devil’s Gap Cottagers (1982) Ltd c Rat Portage Band, 2008 CF 812, Peace Hills Trust Co c Moccasin, 2005 CF 1364 (Peace Hills Trust), et Ballantyne c Bighetty, 2011 CF 994 (Ballantyne)).

 

[33]           La demanderesse soutient que le conseil de la NCNH est visé par la définition d’« office fédéral » pour l’application de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales. Elle se fonde sur une décision du juge Blais (tel était alors son titre), dans laquelle il a conclu que le conseil de la NCNH constituait un office fédéral. Dans Balfour c Nation crie de Norway House, 2006 CF 213 (Balfour), le juge Blais déclare en effet :

[20]           Il appert de la jurisprudence qu’un conseil de bande indienne constitue un « office fédéral » au sens de l’article 18 de la Loi (Rider v. Ear, (1979), 103 D.L.R. (3d) et Gabriel c. Canatonquin, [1978] 1 C.F. 124). Sur cette base, la Cour d’appel fédérale a confirmé, dans Première Nation Salt River no 195 (conseil) c. Première Nation Salt River no 195, 2003 CAF 385, au paragraphe 18, que la Cour fédérale a compétence pour décerner un bref de quo warranto ou pour rendre un jugement déclaratoire contre un conseil de bande indienne et les membres de celui‑ci :

 

Suivant l’alinéa 18(1)a) de la Loi sur la Cour fédérale, la Cour fédérale a compétence pour décerner un bref de quo warranto ou pour rendre un jugement déclaratoire. Je ne vois pas pourquoi un jugement déclaratoire, lequel s’apparente à un quo warranto, ne peut être rendu. La Cour d’appel fédérale semble approuver ce processus dans l’arrêt Bande indienne de Lake Babine et al. c. Williams et al. (1996), 194 N.R. 44 (C.A.F.), où le juge Robertson s’exprime dans les termes suivants aux paragraphes 3 et 4 :

 

[3] Il convient de souligner dès le départ que les appelants ne contestent pas la compétence de la Cour en ce qui a trait à l’examen des questions soulevées en l’espèce. Les intimés demandent un jugement déclaratoire et une injonction, ce qui, dans les circonstances, équivaut essentiellement à une demande de bref de quo warranto. Un recours de cette nature permet de contester le droit d’une personne d’exercer une charge donnée [...]

 

[4] La compétence de la Cour est donc indéniable, le conseil de bande étant « un office fédéral » au sens des articles 2 et 18 de la Loi [...]. Par conséquent, la Cour d’appel fédérale a compétence pour statuer sur la question, mais elle ne peut le faire que dans le contexte d’une demande fondée sur l’article 18, et non dans le cadre d’une action introduite au moyen d’une déclaration.

 

[…]

 

[25]      Les défendeurs ajoutent que le demandeur avait approché un représentant du ministre au sujet de préoccupations semblables relevées dans la présente affaire. Le demandeur avait sollicité l’utilisation des mécanismes de réparation énoncés dans l’entente de financement Canada-Premières Nations (EFCPN) qu’ont signée le ministère des Affaires indiennes et du Nord du Canada (AINC) et la NCNH afin de régler les différends. Ces différends concernaient l’omission de la part du conseil de la NCNH de suivre ses propres procédures de régie interne ainsi que les questions entourant le salaire et le budget de dépenses du demandeur (voir le courriel que M. Martin Egan (représentant du ministre) a envoyé à Marcel Luke Hertlein Balfour le 25 novembre 2003, à la page 316 du dossier des défendeurs, volume III).

 

[26]      Le représentant du ministre a refusé la demande d’aide du demandeur. C’est pourquoi les défendeurs sont d’avis que le demandeur aurait dû engager une demande de contrôle judiciaire à l’égard de la décision du représentant du ministre plutôt que de solliciter un jugement déclaratoire de la nature d’un bref de quo warranto.

 

[27]      Je ne suis pas d’accord avec la position exprimée ci‑dessus. Encore une fois, le conseil de bande de la NCNH constitue un office fédéral. Pour contester les décisions du conseil de bande au motif que celui‑ci ne respectait pas ses procédures de régie interne, le demandeur devait, non pas demander l’aide du ministre, mais plutôt présenter une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale.

 

[28]      Je conclus que la Cour a compétence en l’espèce et que la demande de contrôle judiciaire présentée devant elle relativement à la conduite et aux décisions du conseil de bande de la NCNH est la procédure qui convient. Cependant, la question de savoir si la délivrance d’un bref de quo warranto est justifiée ou non se pose toujours. C’est à cette question que je m’attarde maintenant.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[34]           Le conseil de la NCNH est un conseil coutumier de Première Nation. La capacité de la NCNH de légiférer en matière de leadership et de gouvernance ne provient pas de la Loi sur les Indiens ou d’un autre pouvoir législatif. Elle est plutôt le fruit de l’exercice du droit ancestral de cette Première Nation de faire ses propres lois en matière de gouvernance. C’est ce que le juge Strayer a reconnu indirectement dans le jugement Première Nation de Wood Mountain c Canada (Procureur général), (2006), 55 Admin LR (4th) 293 (CF) (Première Nation de Wood Mountain), au paragraphe 8 :

8.        La Cour a conclu que la mention d’élections tenues selon la coutume de la bande dans la définition de « conseil de bande » qui figure à l’article 2 de la Loi ne crée pas la compétence pour des élections coutumières mais ne fait que les définir pour ses propres fins : voir Bone c. conseil de la bande indienne no 290, 107 F.T.R. 133, paragraphes 31 et 32. Par conséquent, de telles élections ne sont pas tenues en vertu d’une compétence prévue par une loi fédérale. L’avocat des demandeurs n’a porté à mon attention aucune disposition dans la Loi qui accorde au MAINC la compétence de décider qui a gagné l’élection. Le juge Paul Rouleau a conclu au paragraphe 4 de la décision Première Nation du Lac des Mille‑Lacs et al. c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1998] A.C.F. no 94 (QL), que le ministre n’a aucun pouvoir sur ces élections. Le MAINC ne joue aucun rôle quant à savoir ce qui est une coutume de la bande aux fins de la gestion d’une élection : voir Chingee c. Chingee, [1999] 153 F.T.R. 257, paragraphe 13.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

On peut en conclure que la compétence du conseil de la NCNH de s’occuper de la gouvernance des affaires de la NCNH ne provient pas nécessairement d’une source législative comme la Loi sur les Indiens.

 

[35]           La décision Gabriel c Canatonquin, [1978] 1 CF 124 (Gabriel), est considérée comme la décision faisant autorité en ce qui concerne la question de savoir si un conseil de bande est un « office fédéral ». Dans cette affaire, le juge Thurlow a passé en revue les pouvoirs que la Loi sur les Indiens conférait au conseil d’une Première Nation et a décidé que le régime prévu par la loi ressemblait à une forme restreinte de gouvernement municipal exercé par le conseil sur le territoire de la réserve. Il a conclu que le conseil en question était un « office fédéral », au sens de la Loi sur la Cour fédérale. Cette décision a été confirmée à la Cour d’appel fédérale, qui n’a pas précisé davantage sa pensée sur cette question.

 

[36]           Pour rendre sa décision, le juge Thurlow a exprimé deux réserves, en faisant allusion tout d’abord au conseil de bande coutumier et en apportant certaines nuances en ce qui concerne la nature des pouvoirs exercés. Le juge Thurlow a cité les propos suivants du juge Laskin :

11     Cependant, dans Le Procureur général du Canada c. Lavell le juge Laskin (alors juge puîné), dont l’opinion était partagée par trois autres juges de la Cour, mettait en doute le fait qu’un conseil de bande réponde à cette définition. Il dit à la page 1379:

 

               Je partage le doute exprimé par le Juge Osler sur la question de savoir si un conseil de bande, même s’il a été élu en vertu de l’art. 74 de la Loi sur les Indiens (la Loi prévoit aussi qu’un conseil de bande peut être établi par coutume de la bande), est la forme de tribunal envisagée dans la définition contenue à l’al. g) de l’art. 2 de la Loi sur la Cour fédérale qui comprend « un organisme ou une ou plusieurs personnes ayant, exerçant ou prétendant exercer une compétence ou des pouvoirs conférés par une loi du Parlement du Canada ». Un conseil de bande ressemble quelque peu à un conseil d’administration d’une compagnie, et si on donne un sens littéral aux termes de l’al. g) de l’art. 2, ils sont assez larges pour comprendre les conseils d’administration en ce qui concerne les pouvoirs qui leur sont donnés en vertu de lois fédérales comme la Loi sur les banques, S.R.C. 1970, c. B‑1, modifiée, la Loi sur les Corporations canadiennes, S.R.C. 1970, c. C‑32, modifiée, et la Loi sur les compagnies d’assurance canadiennes et britanniques, S.R.C. 1970, c. I‑15, modifiée. En ce qui me concerne, on peut se demander si les organismes privés (s’il m’est permis de classer ainsi les conseils d’administration des banques et des autres compagnies) sont visés par la Loi sur la Cour fédérale en son art. 18. Cependant, je ne crois pas qu’il soit nécessaire de tirer une conclusion définitive ici sur la question de savoir s’il aurait fallu céder à la Cour fédérale le pouvoir de connaître d’une action déclaratoire intentée par Mme Bédard contre les membres du conseil de bande. Dans la présente affaire, il y a un autre motif pour lequel je n’interviendrais pas dans l’exercice de compétence du Juge Osler.

[Non souligné dans l’original.]

 

[37]           Dans Devil’s Gap Cottagers (1982) Ltd c Bande de Rat Portage No 38B, 2008 CF 812 (Devil’s Gap), la juge Dawson (tel était alors son titre), a effleuré la question des doutes du juge Laskin lorsqu’elle a jugé que la décision du conseil de la Première Nation de refuser de consentir à la prorogation d’un bail portant sur une terre de réserve n’était pas une décision émanant d’un « office fédéral ». La juge Dawson a d’abord examiné la source du pouvoir de la Première Nation et a estimé qu’il ne découlait « d’aucun octroi de pouvoir légal ni d’aucun pouvoir de nature publique. Le pouvoir de refuser résultait plutôt du droit inhérent de la Première Nation dans ses terres et de la réserve, faite aux termes du Traité no 3, de ses droits de consentir ». Elle écrit ce qui suit, au paragraphe 45 :

45     Étant donné cette nature du droit de la Première Nation dans les terres de réserve, et la réserve de droits prévue aux termes du Traité no 3, je ne puis conclure que la décision de refuser de conclure une convention de prolongation de bail est un exercice d’un quelconque pouvoir conféré sous le régime de la Loi ou de quelque autre loi fédérale. En conséquence, j’estime que le chef et le conseil n’agissaient pas à titre d’« office fédéral » lorsqu’ils ont refusé de consentir à une prolongation du bail de Cottagers. Il s’ensuit que la Cour n’a pas compétence pour statuer sur la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

La juge Dawson a poursuivi en expliquant que ce résultat était également compatible avec la décision Peace Hills Trust, dans laquelle la Cour avait jugé qu’une décision prise par résolution d’un conseil de bande et concernant un contrat de prêt commercial relevait du droit privé et n’avait rien à voir avec l’intérêt public (Devil’s Gap, au paragraphe 46).

 

[38]           La compétence de la Cour fédérale pour instruire une demande de contrôle judiciaire des décisions des conseils coutumiers des Premières Nations et des organes connexes a été examinée dans l’affaire Aînés de Mitchikinabikok Inik c Conseil coutumier des Algonquins de Lac‑Barrière, 2010 CF 160 (Algonquins du Lac‑Barrière). Le juge Mainville (tel était alors son titre) s’est penché sur la question de savoir si le conseil traditionnel des Algonquins de Lac-Barrière qui avait été sélectionné selon la coutume, et les organes qui étaient censés superviser leur sélection suivant la coutume, tels que le conseil des aînés, répondaient à la définition d’« office fédéral » que l’on trouve dans la Loi sur les Cours fédérales. Le juge Mainville a répondu par l’affirmative à cette question en expliquant ce qui suit, aux paragraphes 101 à 103 :

Les processus de sélection coutumiers constituent l’un des rares droits de gouvernance autochtones qui bénéficient d’une reconnaissance législative explicite dans une loi fédérale, la Loi sur les Indiens. Le Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin est lui-même une expression contemporaine du système de sélection traditionnel des dirigeants des Algonquins de Lac‑Barrière. Cette coutume est explicitement reconnue par la Loi sur les Indiens.

 

En tant que loi coutumière autochtone, le Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin découle de la common law fédérale, suivant les principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Roberts c. Canada, [1989] 1 R.C.S. 322. Dans cette affaire, la Cour a jugé que la common law fédérale faisait partie des lois du Canada au sens de l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867. La Cour suprême du Canada a également expliqué que les règles de droit relatives au titre ancestral faisaient partie de la common law fédérale. Cette opinion a été reprise dans l’arrêt R. c. Côté, [1996] 3 R.C.S. 139, au paragraphe 49. Comme le font remarquer J.M. Evans et B. Slattery :

 

[traduction] Les règles de droit de la common law relatives au titre ancestral – et, en fait, les règles de common law régissant les droits ancestraux et les droits issus de traités en général – sont devenues de la common law fédérale. Pour être plus précis, elles sont devenues un ensemble de règles de droit public essentielles appliquées de façon uniforme sur tout le territoire canadien dans les matières relevant de la compétence fédérale. À cet égard, les règles relatives au titre ancestral s’apparentent à celles concernant la responsabilité de l’État, que le juge en chef du Canada Laskin avait déjà citées comme exemple parfait de règles constituant de la common law fédérale. [« Federal Jurisdiction-Pendant Parties-Aboriginal Title and Federal Common Law-Charter Challenges-Reform Proposals : Roberts v. Canada » (1989) 68 R. du B. can. 817, à la page 832]

 

 À défaut d’arrêté pris en application du paragraphe 74(1) de la Loi, la mise en œuvre du Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin constitue, selon la Loi sur les Indiens, une condition préalable à la reconnaissance du conseil de bande des Algonquins de Lac-Barrière selon la Loi. L’exercice, par ce conseil de bande, des pouvoirs prévus par la Loi en question dépend du Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin. En conséquence, le conseil traditionnel choisi conformément au Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin, tout comme les organes qui, comme le conseil des aînés, sont censés contrôler la régularité de la sélection du chef et des conseillers en vertu de la coutume, répondent à la définition d’« office fédéral » au sens de la Loi sur les Cours fédérales.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[39]           Dans la décision Ballantyne, précitée, le juge Russell a bien résumé la jurisprudence de la Cour en ce qui concerne les décisions des conseils des Premières Nations. Il écrit ce qui suit :

36     Il est vrai que la Cour fédérale s’est déclarée compétente pour se prononcer sur les décisions des chefs et des conseils lorsqu’ils agissent en tant qu’offices fédéraux dans le cadre d’élections ou relativement à la nomination ou au congédiement d’employés ou encore relativement à toute obligation prévue par la Loi. Il en va de même des décisions des présidents d’élections qui ont été jugées répondre à la définition d’office fédéral.

 

37        Bon nombre des affaires en question portaient sur des fonctions clairement définies par la loi ou sur des codes électoraux coutumiers de sorte qu’il y a lieu de les distinguer de la situation qui m’est soumise dans la présente demande

 

                        [Non souligné dans l’original.]

 

 

[40]           Suivant la jurisprudence, la Cour fédérale a compétence pour procéder au contrôle judiciaire des décisions des conseils coutumiers des Premières Nations et des organes connexes. Il est de jurisprudence constante que ces décisions comportent habituellement l’exercice, par le conseil coutumier d’une Première Nation, d’un pouvoir législatif prévu par la Loi sur les Indiens ou qu’elles portent sur des questions relatives à l’exercice d’une charge de chef ou de conseiller. Dans ce dernier cas, étant donné que le chef ou les conseillers qui ont été choisis selon la coutume peuvent exercer des pouvoirs législatifs en vertu de la Loi sur les Indiens, compte tenu de la définition que l’article 2 de cette loi donne de l’expression « conseil de la bande », il s’ensuit que les décisions des agents électoraux coutumiers ou des comités d’appel en matière d’élection coutumière touchant les titulaires de charge coutumière peuvent être rattachées à l’exercice d’un pouvoir législatif.

 

[41]           Ainsi, les membres du conseil coutumier d’une Première Nation peuvent voter pour approuver un règlement administratif en vertu du paragraphe 81(1) de la Loi sur les Indiens. Dans le cas où le candidat non retenu à un poste au sein du conseil coutumier appelle du résultat des élections, le comité d’appel électoral coutumier chargé d’instruire l’appel se prononcera sur l’opportunité d’accueillir ou non l’appel. Ce faisant, le comité d’appel coutumier se prononcera sur la question de savoir si l’appelant aura ou non l’occasion d’exercer le pouvoir législatif susmentionné. Bien que les agents électoraux coutumiers et les tribunaux d’appel coutumiers ne tombent pas sous le coup de la Loi sur les Indiens, ils peuvent exercer une influence sur les personnes susceptibles d’exercer les pouvoirs en vertu de la Loi sur les Indiens. Par conséquent, ces organes électoraux coutumiers ont une certaine influence sur l’exercice des pouvoirs législatifs fédéraux.

 

[42]           Dans l’affaire Devil’s Gap, la juge Dawson s’est penchée sur la nature de la décision du conseil et sur la source du pouvoir permettant au conseil de la Première Nation de prendre la décision qu’il avait prise. Pour ce faire, elle a tenu compte de l’arrêt Anisman, précité, de la Cour d’appel fédérale, qui portait sur la question de savoir si la Cour fédérale avait compétence, en vertu de l’article 18.1, pour examiner la décision de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) de percevoir une marge bénéficiaire de l’appelant et de son épouse, et le refus de l’ASFC de rembourser cette marge bénéficiaire.

 

 

[43]           Dans l’arrêt Anisman, aux paragraphes 29 et 30, le juge Nadon propose une démarche en deux temps pour déterminer si un organisme ou une personne constitue un « office fédéral » :

Les mots clés de la définition d’« office fédéral » que donne l’art. 2 précise que l’organisme ou la personne a exercé, exerce ou est censé exercer une compétence ou des pouvoirs « prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale [...] ». On doit donc procéder à une analyse en deux étapes pour déterminer si un organisme ou une personne constitue un « office fédéral ». Il est ainsi nécessaire en premier lieu de déterminer la nature de la compétence ou du pouvoir que l’organisme ou la personne cherche à exercer. Deuxièmement, il y lieu de déterminer la source ou l’origine de la compétence ou du pouvoir que l’organisme ou la personne cherche à exercer.

 

Au paragraphe 2:4310 de leur ouvrage intitulé Judicial Review of Administrative Action in Canada, vol. 1, édition sur feuilles mobiles (Toronto, Canvasback Publishing, 1998), les éminents auteurs, D.J.M. Brown et J.M. Evans, ont écrit que lorsqu’il s’agit de déterminer si un organisme ou une personne est un « office fédéral », il convient d’examiner [traduction] « la source de la compétence du tribunal ». Voici ce qu’ils écrivent à ce sujet :

 

[traduction]

En fin de compte, la source de la compétence d’un tribunal--et non pas la nature du pouvoir exercé ou de l’office l’exerçant--est le premier facteur déterminant quant à savoir si elle fait partie de la définition. Le test consiste à chercher à savoir si l’office détient les pouvoirs en vertu d’une loi fédérale ou d’une ordonnance prise en vertu d’une prérogative de la Couronne fédérale. […]

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[44]           La juge Dawson s’est également penchée sur le second doute exprimé par le juge Laskin au sujet de la nature du pouvoir exercé :

31        Dans DRL Vacations Ltd. c. Administration portuaire de Halifax, [2006] 3 R.C.F. 516 (C.F.), ma collègue la juge Mactavish a procédé à un examen approfondi de la jurisprudence de la Cour sur la question de savoir si une entité agit à titre d’office fédéral. Je souscris à la fois à son examen des précédents et aux conclusions qu’elle en tire, et je les adopte. J’ajouterais seulement la cause suivante à son examen de la jurisprudence.

 

32        Dans J.G. Morgan Development, la Cour a jugé qu’elle n’avait pas compétence pour contrôler une décision de Travaux publics Canada de conclure un marché portant sur la location de bureaux. La Cour a conclu que les négociations qui avaient mené au contrat avaient été menées en vertu du droit inhérent de contracter de la Couronne et non en vertu du Règlement sur les marchés de l’État, DORS/87‑402. Ainsi, la décision finale n’avait pas été prise en vertu de pouvoirs conférés par une loi fédérale. Il s’ensuivait que Travaux publics Canada n’avait pas agi à titre d’« office fédéral » au sens de la définition.

 

33        À la suite de son examen de la jurisprudence, la juge Mactavish a synthétisé une série de principes au paragraphe 48 de ses motifs, dont les suivants, particulièrement pertinents au regard de la présente espèce :

 

1. L’expression « pouvoirs prévus par une loi fédérale » figurant dans la définition de l’expression « office fédéral », au paragraphe 2(1) de la Loi sur les Cours fédérales, est « particulièrement englobante » et doit recevoir une interprétation libérale : Gestion Complexe Cousineau (1989) Inc. c. Canada (Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux), [1995] 2 C.F. 694 (C.A.).

 

2. Les pouvoirs visés au paragraphe 2(1) [de la Loi sur les Cours fédérales] ne comprennent pas les pouvoirs susceptibles d’être exercés à titre privé par une société ordinaire créée en vertu d’une loi fédérale qui constituent de simples accessoires de sa personnalité juridique ou de son entreprise autorisée : Wilcox c. Société Radio-Canada, [1980] 1 C.F. 326 (1re inst.).

 

3. La nature de l’institution est importante pour les besoins de l’analyse, mais c’est la nature des pouvoirs exercés qui permet de déterminer si le décideur est un office fédéral pour l’application de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales : l’affaire Aeric.

 

4. Une organisation peut être un « office fédéral » à certaines fins, mais cela n’est pas nécessairement le cas à toutes les fins. En décidant si une organisation est un « office fédéral » dans un cas donné, il faut tenir compte de la nature des pouvoirs exercés : Jackson c. Canada (Procureur général) (1997), 141 F.T.R. 1 (1re inst.); conf. par (2000), 261 N.R. 100 (C.A.).

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[45]           La juge Dawson a écarté la conception étroite suivant laquelle un conseil de Première Nation était un office fédéral qui ne pouvait exercer que les pouvoirs qui lui étaient délégués par le législateur fédéral. Voici ce qu’elle écrit :

56     Cottagers formule deux arguments au soutien de sa prétention selon laquelle le chef et le conseil avaient exercé, exerçaient ou étaient censés exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale, de sorte que la décision contestée serait susceptible de contrôle. Elle fonde ses arguments sur le passage suivant tiré de Goodtrack v. Lethbridge, (2003), 242 Sask. R. 45 (B.R.), aux paragraphes 6 et 7 :

 

[traduction] Il est bien établi qu’un conseil de bande indienne est un « office fédéral » au sens de la Loi sur la Cour fédérale. Dans Canatonquin c. Gabriel, [1980] 2 C.F. 792, la Cour d’appel fédérale a statué que puisqu’un conseil de bande indienne était un « office fédéral », l’article 18 de la Loi sur la Cour fédérale conférait compétence sur l’affaire à la Cour fédérale, Section de première instance. Il est intéressant de noter que la Cour a aussi statué que la Cour fédérale avait compétence même si la validité de l’élection contestée du conseil était régie par le droit indien coutumier et non par une loi fédérale.

 

Dans le cadre d’une analyse des pouvoirs d’un conseil de bande indienne, le juge Cameron de la Cour d’appel a affirmé, dans Whitebear Band Council c. Carpenters Provincial Council of Saskatchewan and Saskatchewan Labour Relations Board (1982), 15 Sask.R. 37 à la p. 44 (C.A.) :

 

[…] [U]n conseil de bande indienne est une autorité publique élue, dont l’existence, les pouvoirs et les responsabilités sont entièrement déterminés par le Parlement, et dont la principale fonction est d’exercer des pouvoirs municipaux et gouvernementaux—qui lui sont délégués par le Parlement—à l’égard de la réserve dont les habitants l’ont élu. À ce titre, il agit de temps à autre comme mandataire du ministre et comme représentant de la bande en ce qui concerne l’administration et l’exécution de certains programmes fédéraux au profit des Indiens sur des réserves indiennes, et il joue un rôle consultatif et parfois même décisif en rapport avec l’exercice par le ministre de certains de ses pouvoirs légaux relativement à la réserve.

 

Par conséquent, il est clair que les pouvoirs d’un conseil de bande indienne sont délégués par le Parlement fédéral. Ses pouvoirs lui sont conférés en vertu de la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I‑5.

 

57        Selon Cottagers, deux choses découleraient   de ce passage. Premièrement, l’existence, les pouvoirs et les responsabilités d’un conseil de bande indienne seraient supposément entièrement déterminés par le Parlement. Il s’ensuivrait que la décision de refuser de prolonger le bail était le fruit de l’exercice de pouvoirs conférés par le Parlement. Deuxièmement, le refus du chef et du conseil de prolonger le bail aurait supposément joué un rôle décisif relativement à l’exercice du pouvoir légal du ministre.

 

58        Concernant tout d’abord l’argument selon lequel l’existence, les pouvoirs et les responsabilités d’un conseil de bande indienne sont entièrement déterminés par le Parlement, comme il est affirmé dans Woodward, l’arrêt Whitebear Band Council, qui a été appliqué dans Goodtrack, illustre la conception étroite d’un conseil de bande et de ses pouvoirs. Woodward affirme que les pouvoirs qu’exercent les conseils de bande dans l’exécution de leurs fonctions sous le régime de la Loi se fondent de plus en plus sur leur qualité de gouvernements et non de simples mandataires du gouvernement fédéral. Voir : Woodward, à la section 7 : 690. Selon la conception plus large, les conseils de bande possèdent au moins tous les pouvoirs nécessaires pour s’acquitter efficacement de leurs responsabilités, même si la Loi ne les prévoit pas expressément :

 

[traduction] L’on peut dire que les conseils de bande possèdent au moins tous les pouvoirs nécessaires pour s’acquitter de leurs responsabilités sous le régime de la Loi sur les Indiens, même lorsque ces pouvoirs ne sont pas prévus expressément. Il existe un pouvoir implicite de contracter, qui ne requiert pas d’habilitation aux termes de la Loi sur les Indiens. [Renvois omis.]

 

(voir : Woodward, à la section 7 : 700)

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[46]           Il existe deux autres affaires concernant des décisions de conseils de Premières Nations qui ont été considérées comme ressortissant au droit commercial privé plutôt qu’au droit public.

 

[47]           Dans l’affaire Peace Hills Trust, la société de fiducie demanderesse avait introduit une demande de contrôle judiciaire d’une RCB ordonnant au MAINC et à un séquestre administrateur de retenir des paiements sur une dette de plus de 5,3 millions de dollars dus par la bande. La juge Heneghan a estimé que la décision de la bande de retenir ou de permettre le paiement de sommes d’argent en vertu d’un contrat était une question de droit privé et qu’elle n’avait rien à voir avec l’intérêt public. La juge Heneghan a estimé que la RCB contestée ne pouvait faire l’objet d’un contrôle judiciaire, puisqu’elle était sans lien avec l’exercice du pouvoir législatif prévu par la Loi sur les Indiens et qu’il s’agissait d’une question contractuelle (Peace Hills Trust, aux paragraphes 61 et 62).

 

[48]           La troisième affaire, l’affaire Ballantyne, concernait des membres de la Nation crie Mathias Colomb qui avait introduit une demande de contrôle judiciaire d’une décision du conseil de la Nation crie Mathias Colomb de signer une entente en vue de régler une réclamation contre le Canada. Le juge Russell, se fondant sur le raisonnement suivi dans les décisions Devil’s Gap et Peace Hills, a conclu que la décision de conclure une entente de règlement qui portait sur une réclamation relative à un déversement de carburant diesel dans la réserve et le processus de ratification étaient essentiellement régis par un contrat privé, et non par le droit public. Le juge Russell a conclu que la Cour n’avait pas compétence pour procéder au contrôle de la décision contestée du conseil, étant donné que le conseil de bande n’était pas un « office fédéral » (Ballantyne, au paragraphe 40).

 

[49]           Le défendeur affirme que les décisions contestées du conseil de la NCNH sont foncièrement de « droit privé ». Il ne s’agit pas de décisions prises en vertu de l’exercice d’un pouvoir législatif, mais plutôt de décisions prises en vertu de l’exercice du pouvoir inhérent des bandes indiennes de contracter et de régler des revendications.

 

[50]           À mon avis, les décisions du conseil de la NCNH ne sont pas des décisions de « droit privé ». Elles sont prises par un organe d’une Première Nation qui est de nature fédérale. La NCNH tire sa compétence à la fois de la common law fédérale relative aux droits ancestraux et de son pouvoir d’exercer des pouvoirs législatifs fédéraux conférés aux conseils de bandes indiennes par la Loi sur les Indiens fédérale. La nature de la compétence du conseil de la NCNH qu’exerce le conseil de la NCNH en matière de gouvernance de Premières Nations est une question d’intérêt public, compte tenu du fait que les décisions contestées s’inscrivent dans le cadre d’une série de décisions se rapportant à la distribution d’eau potable aux membres de la NCNH.

 

[51]           La RCB 050 contestée de la NCNH demande à Manitoba Hydro de payer la valeur actualisée du paiement global par versements échelonnés. Elle dégage le Canada de toutes ses obligations à venir envers la NCNH aux termes de l’Entente de règlement de la revendication 138, elle prévoit la remise d’un reçu prouvant le paiement et reconnaît que le paiement satisfait à toutes les obligations de Manitoba Hydro envers le Canada aux termes de l’Entente de règlement et de l’ordre de payer la NCNH. Cette décision est inextricablement liée aux décisions antérieures du conseil de la NCNH.

 

[52]           Les faits antérieurs à la résolution du 21 juillet 2005 (RCB 050) remontent à plusieurs décennies et commencent en 1977. Les voici, par ordre chronologique inverse :

 

a)      le 10 juin 2005, la NCNH demande au Canada d’enjoindre à Manitoba Hydro de lui payer directement sa part;

b)      la participation de la NCNH à l’Entente de règlement de la revendication 138 intervenue le 28 octobre 2004 entre le Canada et la NCNH et trois autres Premières Nations, aux termes de laquelle le Canada accepte que Manitoba Hydro paye 40,5 millions de dollars directement aux Premières Nations signataires sous forme de versements échelonnés; le montant représentait le remboursement par Manitoba Hydro au Canada de 50 p. 100 des dépenses raisonnables afférentes à l’eau potable imputables aux effets néfastes causés par les projets hydroélectriques; la part de la NCNH était de 28 p. 100, ce qui correspondait à 11 340 000 $ payables en versements échelonnés dont le premier a été payé;

c)      la participation de la NCNH à l’Entente sur les infrastructures (l’EI) conclue entre le Canada et le Comité des inondations dans le Nord inc., la Société de reconstruction des terres inondées dans le Nord et les cinq Premières Nations, y compris la NCNH;

d)     la participation de la NCNH à la Convention sur l’inondation des terres du nord (la CITN) intervenue le 16 décembre 1977 entre le Canada, le Manitoba, Manitoba Hydro et le Comité des inondations dans le Nord inc., représentant cinq Premières Nations.

 

[53]           Compte tenu des facteurs que la juge Dawson a retenus de son examen de la décision DRL Vacations Ltd, je ferais observer ce qui suit :

a)      L’expression « pouvoirs prévus par une loi fédérale » doit recevoir une interprétation libérale. La Loi sur les Indiens reconnaît, à son article 2, les conseils choisis selon la « coutume de la bande » et confère aux conseils coutumiers des Premières Nations les pouvoirs confiés aux conseils de bandes, y compris le conseil de la NCNH; la Loi sur les Indiens reconnaît en fait qu’un conseil coutumier de Première Nation est un organe chargé de diriger la Première Nation;

 

b)      Les pouvoirs conférés ne comprennent pas les pouvoirs qui sont susceptibles d’être exercés à titre privé par une personne morale ordinaire constituée sous le régime d’une loi fédérale qui sont de simples accessoires de sa personnalité juridique ou de son entreprise autorisée : le conseil de la NCNH n’est pas une personne morale ordinaire, et ses pouvoirs de prendre des décisions ne sont pas nécessaires pour lui permettre de s’acquitter de ses obligations pour assurer la gouvernance de la NCNH; il s’agit de vastes pouvoirs qui lui permettent notamment de signer des ententes et de mettre en œuvre les règlements qui ont été approuvés. Les Lignes directrices de la NCNH prévoient que le conseil de la NCNH est chargé de former un gouvernement local pour le bien-être et dans l’intérêt des membres de la NCNH et pour s’assurer que les politiques, les Lignes directrices et les règlements qui ont été adoptés sont mis en œuvre au moyen de règlements administratifs et de résolutions;

 

c)      La nature des pouvoirs exercés : la RCB 050 du conseil de la NCNH est une décision qui est intimement liée à des décisions antérieures qui concernent le bien-être des membres de la NCNH, à savoir l’obtention d’un approvisionnement en eau potable pour les membres de la NCNH; il ne s’agit donc pas d’une simple question de droit commercial privé, mais bien d’une question d’intérêt public;

 

d)     La nature des pouvoirs exercés : le pouvoir exercé par le conseil de la NCNH dans la RCB 050 est de s’engager financièrement par contrat et de consentir à libérer quelqu’un d’autre de ses obligations, mais cet aspect financier ne peut être dissocié de l’objet des décisions antérieures, qui concernent des ententes se rapportant à l’approvisionnement en eau potable des membres de la NCNH.

 

[54]           À mon avis, ce qui précède suffit pour justifier la conclusion que les décisions contestées de la NCNH ne constituent pas de simples questions de droit privé.

 

[55]           La question à laquelle il faut maintenant répondre est de savoir si la Cour fédérale a compétence pour procéder au contrôle judiciaire d’une décision d’une Première Nation coutumière qui ne porte pas sur une question de droit privé, qui ne suppose pas l’exercice d’un pouvoir législatif fédéral ou d’un bref de prérogative et qui ne se rapporte pas à l’élection ou à l’exercice d’une charge de chef ou de conseiller.

 

[56]           À mon avis, il y a quatre éléments qui nous permettent de répondre à cette question.

 

[57]           Premièrement, signalons les lacunes auxquelles le juge Thurlow a fait allusion dans la décision Gabriel. Le juge Thurlow a fait observer que la Cour supérieure du Québec s’était déclarée incompétente en raison du caractère fédéral des Premières Nations. Dans le cas qui nous occupe, il s’agit encore d’une question concernant une Première Nation qui se caractérise par sa nature fédérale. L’importance de disposer d’une tribune devant laquelle exercer un recours doit être un facteur tout aussi important en l’espèce qu’il l’était dans cette affaire.

 

[58]           Deuxièmement, il est de jurisprudence constante, tant au niveau de la Cour fédérale que de la Cour d’appel fédérale, que la Cour fédérale a compétence relativement à diverses instances portant sur des décisions émanant de conseils coutumiers de Première Nation et des organes y afférents.

 

[59]           Troisièmement, l’analyse que l’on trouve dans la décision Algonquins du Lac-Barrière confirme que les règles de droit de la common law relatives au titre ancestral et aux règles de common law régissant les droits ancestraux et les droits issus de traités sont de la common law fédérale, ce qui comprend nécessairement le droit de gouvernance autochtone, lequel fait partie d’un « ensemble de règles de droit public essentielles appliquées de façon uniforme sur tout le territoire canadien dans les matières relevant de la compétence fédérale ». Cette analyse permet de conclure qu’un conseil coutumier d’une Première Nation est incontestablement une entité fédérale.

 

[60]           Enfin, l’exercice de pouvoirs par un conseil coutumier d’une Première Nation constitue l’exercice par une entité fédérale de son pouvoir de gouvernance d’une manière analogue à l’exercice par un office fédéral qui exerce une compétence ou un pouvoir qui lui est conféré par une loi fédérale ou une ordonnance de prérogative de la Couronne. Dans les deux cas, il s’agit de questions de gouvernance relevant du domaine fédéral.

 

[61]           Vu ce qui précède, je suis convaincu que la Cour fédérale a compétence pour procéder au contrôle judiciaire des décisions d’un conseil coutumier d’une Première Nation en matière de gouvernance.

 

 

[62]           Dans le cas qui nous occupe, le pouvoir du conseil de la NCNH de prendre des décisions tire son origine de son élection à titre d’organe directeur de la NCNH. Il ressort de la preuve que le conseil de la NCNH exerce son pouvoir comme regroupement des dirigeants élus de la NCNH. Le poste qu’occupent le chef et les conseillers élus autorise ceux‑ci à prendre des décisions au nom des membres de la NCNH ainsi qu’au nom et dans l’intérêt des membres de la NCNH. Les décisions qu’ils ont prises en l’espèce se rapportent à la gouvernance de la NCNH.

 

[63]           Je conclus que la décision du 21 juillet 2005 (2005 BCR 050) prise par le conseil de la NCNH et la ratification ultérieure de février sont des décisions à l’égard desquelles la Cour fédérale a compétence pour exercer un contrôle judiciaire.

 

La demande de contrôle judiciaire a‑t‑elle été présentée dans les délais impartis?

 

[64]           Il y a deux décisions du conseil de la NCNH à examiner dans le cadre de la présente demande : en premier lieu, la RCB 050 qui a été adoptée le 21 juillet 2005; en second lieu, la « ratification » de la RCB 050 par le conseil le 7 février 2006. La demanderesse a introduit sa demande le 9 mars 2006, dans les 30 jours de la décision de la ratification comme l’exige le paragraphe 18(2) de la Loi.

 

[65]           La preuve est équivoque en ce qui concerne la date à laquelle la décision relative à la RCB 050 est devenue connue. Dans son affidavit, M. Marcel Balfour, qui était alors conseiller, explique qu’il a été mis au courant de la RCB 050 du 21 juillet en août 2005, lorsque le conseiller Eric Apetagon l’en a informé. Le conseiller Balfour déclare qu’il n’y a pas eu d’assemblée du conseil le 21 juillet 2005 et que c’est un sous-groupe de conseillers qui a signé la RCB 050. On pourrait soutenir que la RCB 050 n’était pas une « décision » tant que le conseil de la NCNH ne l’a pas ratifiée le 7 février 2006.

 

[66]           On ne peut dissocier la question du délai dans lequel la demande de contrôle judiciaire de la RCB 050 du 21 juillet 2005 a été présentée de la décision de ratification prise le 7 février 2006. Les décisions sont elles-mêmes inextricablement liées. La demande de contrôle judiciaire a été présentée dans les 30 jours de la résolution de ratification.

 

[67]           Je suis convaincu que la présente demande a été introduite dans les délais impartis conformément au paragraphe 18.1(2) dans le cas des deux décisions, à savoir, la ratification du 7 février 2006 et la RCB 050 du 21 juillet 2012.

 

La RCB 050 et sa ratification ultérieure sont-elles valides?

 

[68]           La demanderesse affirme que la RCB 050 n’a pas été adoptée en conformité avec le processus légal de prise de décisions que le conseil de la NCNH devait suivre et que, par conséquent, la RCB 050 est invalide. Le défendeur ne formule aucun argument sur la question du processus décisionnel à suivre ou sur la validité de la RCB 050. Comme nous l’avons déjà signalé, la NCNH défenderesse n’a pas comparu ni formulé d’observations sur la question.

 

[69]           À première vue, la RCB 050 indique qu’il s’agit d’une résolution adoptée par la Nation des Cris de Norway House, lors d’une assemblée régulièrement convoquée le 21 juillet 2005 par cinq conseillers, dont le quorum était de quatre membres.

 

[70]           Le NCNH exige que les règlements administratifs et les résolutions du conseil de la NCNH soient adoptés lors d’assemblées ordinaires ou extraordinaires du conseil dûment convoqué. Les Lignes directrices prévoient ce qui suit :

[traduction] 

 

3.1       Le chef et les conseillers sont les représentants élus de la Nation des Cris de Norway House. Ils sont chargés de ce qui suit :

 

[…]

 

3.1.2    Gérer les affaires de la Nation des Cris de Norway House en élaborant des politiques et des règlements par le truchement de règlements administratifs et de résolutions.

 

[…]

 

3.3       Une fois élus, le chef et les conseillers tirent leurs pouvoirs de la Loi sur les Indiens.

 

[…]

 

3.5       Le chef et chacun des conseillers exécutent leurs fonctions au moyen de trois organes :

 

 

3.5.1    Lors des assemblées régulièrement constituées du conseil au cours desquelles les règlements administratifs et les résolutions sont adoptés.

 

[…]

 

11.1     Fréquence des assemblées

Les assemblées ordinaires du conseil commencent à l’heure à 9 h le premier et le troisième mardis du mois. Tous les administrateurs et dirigeants doivent participer aux assemblées ordinaires du conseil.

 

[…]

 

11.4     Assemblées extraordinaires du conseil

Les assemblées extraordinaires du conseil peuvent être convoquées par le chef, sur préavis de vingt-quatre (24) heures donné à chacun des conseillers accompagné d’un ordre du jour détaillé de l’assemblée extraordinaire en question. Les assemblées extraordinaires peuvent être convoquées par le chef de sa propre initiative ou par le chef à la demande de la majorité des conseillers.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[71]           En outre, les dispositions de la Loi sur les Indiens sont pertinentes, en ce sens que les Lignes directrices de la NCNH y renvoient expressément. L’alinéa 2(3)b) de la Loi sur les Indiens dispose :

bun pouvoir conféré au conseil d’une bande est censé ne pas être exercé à moins de l’être en vertu du consentement donné par une majorité des conseillers de la bande présents à une réunion du conseil dûment convoquée.

 

[72]           La demanderesse affirme qu’on ne trouve aucune trace du procès-verbal d’une quelconque assemblée du conseil de la NCNH qui aurait eu lieu le 21 juillet 2005. Elle affirme qu’il n’y a en preuve aucun avis, aucun ordre du jour, aucun procès-verbal qui indiquerait qu’une assemblée du conseil de bande aurait été dûment convoquée à cette date.

 

[73]           L’avocat de la demanderesse a, conformément à l’article 317 des Règles des Cours fédérales, réclamé à la défenderesse NCNH l’éventuel avis de l’assemblée du 21 juillet 2005 ainsi que l’ordre du jour, le procès-verbal et le dossier des documents dont disposait le conseil de bande à cette date. Rien ne permet de penser que la NCNH défenderesse ait transmis ces documents ou qu’ils aient même existé.

 

[74]           M. Marcel Balfour était conseiller à l’époque où la RCB 050 aurait été adoptée. Dans son affidavit, il affirme qu’en juillet 2005, le conseil de la NCNH n’a tenu qu’une seule assemblée, le 5 juillet 2005. Il déclare en particulier qu’il n’y a pas eu d’assemblée du conseil le 21 juillet 2005 et ajoute ce qui suit :

a)                  il n’a pas reçu d’avis relatif à la tenue d’une assemblée du conseil de la NCNH devant avoir lieu le 21 juillet 2005;

 

b)                  il n’a jamais vu de version provisoire ou de version définitive du procès‑verbal d’une assemblée qui aurait été tenue à cette date;

 

c)                  le procès-verbal de l’assemblée qui aurait eu lieu à cette date n’a jamais été soumis au conseil ou approuvé lors d’une assemblée du conseil.

 

 

M. Marcel Balfour affirme qu’il a par la suite appris qu’un sous-groupe de conseillers avait signé un formulaire de RCB daté du 21 juillet 2005, en l’occurrence la RCB 050.

 

[75]           Il n’y a aucun autre élément de preuve qui contredise le témoignage de M. Marcel Balfour, hormis la RCB 050 elle-même. S’il y a effectivement eu une assemblée, il aurait eu le droit d’en être avisé en tant que membre du conseil de la NCNH. Or, il n’a reçu aucun avis et il affirme qu’il a appris que le conseiller Eric Apetagon n’avait appris l’existence de la RCB 050 qu’après sa signature.

 

[76]           Vu l’ensemble de la preuve dont je dispose, je conclus qu’aucun avis n’a été donné à l’ensemble des membres du conseil de la NCNH, en vue d’une assemblée au cours de laquelle la RCB 050 devait être examinée le 21 juillet 2005.

 

[77]           Dans le jugement Balfour, le juge Blais (tel était alors son titre) a vertement critiqué le processus décisionnel utilisé par le même conseil de la NCNH relativement à d’autres décisions. Le juge Blais a déclaré ce qui suit :

3. L’existence du sous‑groupe de conseillers de la bande devrait‑elle être autorisée?

 

45     Le demandeur conteste la création d’un sous‑groupe et soutient que, lorsque des décisions sont prises par le plus petit groupe de conseillers, les règles concernant le quorum, les avis, la consignation des décisions et la préparation des comptes rendus ne sont pas respectées.

 

[…]

 

49     […] j’estime qu’il est permis qu’un sous‑groupe de membres d’un conseil de bande se rencontrent en dehors du contexte formel des réunions dudit conseil pour discuter de questions concernant la bande. Cependant, il importe d’établir une distinction entre ce type de réunions et celles qui ont été tenues en l’espèce. En effet, il n’est pas permis que le sous‑groupe de conseillers de la bande prenne des décisions en secret et fasse subséquemment ratifier ces décisions à des réunions ultérieures du conseil sans tenir compte des Lignes directrices de celui‑ci ou des dispositions de la Loi sur les Indiens.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[78]           Je suis d’accord avec le juge Blais. Une décision du conseil ne peut être valablement prise lorsque tous les conseillers n’en ont pas été dûment avisés. Toutefois, une telle décision peut par la suite être ratifiée lors d’une assemblée du conseil lorsqu’un avis est donné, qu’une possibilité de participer est offerte à tous les membres du conseil et que la question n’a pas déjà été tranchée de façon définitive.

 

[79]           La demanderesse ne prétend pas que l’assemblée du 7 février 2006 n’était pas une assemblée du conseil dûment constituée. Le procès-verbal de l’assemblée du conseil démontre que le conseiller Balfour était présent et que la RCB a été débattue sur le fond avant d’être ratifiée par un vote de trois contre un. Toutefois, la décision ne signifie pas que la RCB 050 a été régulièrement ratifiée.

 

[80]           Le juge Blais a examiné la même façon de procéder employée par le même conseil de la NCNH et a tranché la même question dans l’affaire Balfour. Voici ce qu’il déclare :

 

54        Les défendeurs font valoir qu’ils peuvent ratifier leurs résolutions plus tard à une réunion dûment convoquée. Cependant, j’estime que, dans la présente affaire, le résultat de la ratification était déterminé à l’avance dans bien des cas. En effet, les résolutions rédigées au cours de réunions secrètes qui ne respectaient pas les Lignes directrices de la NCNH représentaient souvent des positions qui ne pouvaient être modifiées. De plus, la teneur desdites résolutions n’a nullement été communiquée aux membres de la bande ni débattue en bonne et due forme au cours de réunions dûment convoquées et les opposants n’ont pas eu la possibilité de se faire entendre.

 

55        J’insiste pour dire que le processus de ratification que les défendeurs mentionnent est un mythe. Les résolutions ne peuvent être adoptées au cours de réunions secrètes, puis ratifiées subséquemment à une réunion dûment convoquée sans être examinées. La résolution elle‑même doit être adoptée au cours d’une réunion dûment convoquée. Elle ne peut avoir été prise lors d’une réunion secrète, puis simplement approuvée plus tard sans discussion au cours d’une réunion dûment convoquée. Les résolutions ne peuvent être le produit de décisions prises à l’avance. Elles doivent être débattues et adoptées conformément aux règles et Lignes directrices de la bande ainsi qu’aux principes de la démocratie. Dans la présente affaire, de nombreux exemples illustrent le caractère foncièrement partial du processus de ratification des résolutions du conseil de bande. […]

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[81]           Dans le cas qui nous occupe, le vote de ratification a eu lieu plus de six mois après que la RCB 050 a été adoptée. En fait, le vote a eu lieu lors de la dernière assemblée du conseil qui s’est tenu avant l’expiration du mandat du conseil de la NCNH.

 

[82]           Depuis que la RCB 050 a été présentée au Canada et à Manitoba Hydro comme représentant la décision officielle du conseil de la NCNH, et le Canada et Manitoba Hydro ont par la suite agi sur la foi de cette résolution. Force est de constater que l’issue du processus de ratification du 7 février 2006 était déterminée à l’avance. Le vote a eu lieu longtemps après que les intéressés avaient donné suite à la RCB 050 et il n’offrait en réalité aux conseillers de la NCNH aucune autre possibilité que celle de ratifier la résolution.

 

[83]           Je conclus que la ratification de la RCB 050 est viciée, en ce sens qu’elle était déterminée à l’avance avant le vote d’approbation.

 

S’agit‑il d’une situation dans laquelle il convient pour la Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire de manière à accorder la réparation demandée?

 

[84]           Le défendeur exhorte notre Cour à ne pas exercer son pouvoir discrétionnaire de manière à invalider les décisions en question. La demanderesse est muette sur cette question.

 

[85]           Le défendeur affirme que la Cour a toute latitude pour accorder ou non une réparation lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire et que, dans certaines circonstances, elle devrait refuser d’accorder la réparation demandée, même si le demandeur démontre qu’il existe des raisons valables qui justifient la Cour d’intervenir.

 

[86]           Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c TeleZone Inc, le juge Binnie déclare : « En matière de contrôle judiciaire, [traduction] “la nature discrétionnaire du pouvoir de surveillance des tribunaux témoigne du fait que, contrairement au droit privé, il n’est pas et n’a jamais été axé exclusivement sur la défense des droits des particuliers” » (Canada (Procureur général) c TeleZone Inc, 2010 CSC 62, [2010] 3 RCS 585, au paragraphe 56).

 

[87]           Dans l’arrêt Mines Alerte Canada c Canada (Pêches et Océans), 2010 CSC 2, [2010] 1 RCS 6 (MiningWatch), au paragraphe 52, la Cour suprême explique que, même si, dans cette affaire, les décideurs avaient agi sans droit, la Cour fédérale n’aurait néanmoins pas dû annuler les décisions attaquées, mais aurait plutôt dû exercer sa compétence en accordant la réparation sollicitée :

[…] L’exercice de ce pouvoir discrétionnaire de refuser d’accorder une partie de la réparation demandée fait intervenir des considérations relatives à la prépondérance des inconvénients. […] Il faut notamment tenir compte de tout impact disproportionné sur les parties ou les intérêts des tiers […] À mon avis, nous sommes en présence d’un tel cas ici. L’intérêt central de Mines Alerte, en tant que partie représentant l’intérêt public, est la question de droit à laquelle répondra le jugement déclaratoire. Par ailleurs, je ne vois aucune raison d’exiger que Red Chris recommence le processus d’évaluation environnementale alors que les décisions de fond prises par les AR n’ont fait l’objet d’aucune contestation.

 

[88]           Dans l’arrêt Comité de la bande indienne d’Adams Lake c Bande indienne d’Adams Lake, le juge Stratas déclare, au paragraphe 29 :

Le message que contient Mines Alerte Canada est qu’il convient de prendre en considération toute une série de facteurs pratiques et on ne devrait pas accorder une importance indue à une erreur juridique ou à la non‑conformité d’une disposition : les aspects pratiques peuvent l’emporter sur les aspects juridiques.

 

[89]           Le défendeur affirme qu’il existe de solides raisons de principe qui justifient de confirmer la validité de l’entente de règlement et de la résolution du conseil de la NCNH prévoyant le paiement anticipé et sa ratification.

 

[90]           Invalider les décisions contestées imposerait au Canada et à Manitoba Hydro un fardeau et des risques. Canada et Manitoba Hydro se sont fondés sur la RCB 050 du 21 juillet 2005 en ce qui concerne un paiement forfaitaire d’environ 6,4 millions de dollars. Manitoba Hydro a depuis longtemps payé cette somme et la NCNH a déjà dépensé cet argent. Le fait de déclarer la RCB 050 invalide compromettrait la solidité et le caractère définitif du règlement de la revendication 138.

 

[91]           La RCB 050 a été présentée au Canada et à Manitoba Hydro comme une RCB valide adoptée par le conseil de la NCNH. Le Canada et Manitoba Hydro se sont fiés à ce qui semblait par ailleurs être une RCB valide adoptée par le conseil de la NCNH et sur les assurances de la NCNH qui affirmait avoir reçu des conseils juridiques indépendants et qui affirmait que le Canada serait libéré [traduction] « de façon totale et définitive […] de toutes ses obligations futures envers la NCNH en ce qui concerne l’Entente de règlement de la revendication 138 des Premières Nations ».

 

[92]           Manitoba Hydro a payé intégralement le montant prévu à la RCB 050. On ne devrait pas la confronter avec la possibilité de faire revivre une dette qu’elle croyait avoir depuis longtemps acquittée.

 

[93]           Le défendeur affirme également que les tribunaux ont jugé que les Premières Nations peuvent être liées par des contrats, même lorsque ceux‑ci n’ont pas été entièrement approuvés par un conseil de bande. Dans le jugement Maloney c Eskasoni First Nation, 2009 NSSC 177, aux paragraphes 251 et 270, la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse a jugé qu’on peut conclure à l’existence d’un mandat apparent à défaut d’approbation du conseil de bande :

                        [traduction]

 

Une personne peut être liée par les paroles ou les actes d’un mandataire apparent. Un mandat apparent est créé lorsqu’une personne, par ses paroles ou son attitude, en amène une autre à croire que le mandataire apparent est effectivement autorisé à agir. [Renvois omis.]

 

[…]

 

[E]n raison des agissements de son chef, de ses conseillers et de ses administrateurs, la Première Nation d’Eskasoni a déclaré à M. Maloney que le chef Francis avait le pouvoir de signer des contrats d’emploi avec M. Maloney. Je conclus que M. Maloney s’est fié à ces déclarations et qu’il a modifié sa position en conséquence. Par conséquent, le défendeur est lié par le contrat signé le 17 mai 2004, et ce, même si le chef Francis n’avait pas effectivement le pouvoir de signer ce contrat.

 

 

[94]           Le défendeur affirme qu’il est bien qu’il en soit ainsi, étant donné que les interlocuteurs qui négocient entre eux doivent pouvoir se fier aux résolutions des conseils de bande provenant de chefs et de conseillers de Premières Nations qui semblent avoir le pouvoir de les adopter.

 

[95]           Enfin, le défendeur affirme qu’il est important de se rappeler qu’un jugement déclarant la RCB 050 invalide pourrait avoir des incidences sur des années d’arbitrage et de négociations délicates qui ont permis de conclure des règlements complexes avec Manitoba Hydro et quatre Premières Nations.

 

[96]           Je suis d’accord avec les arguments formulés par le défendeur à ce propos. J’estime toutefois qu’il y a lieu de tenir compte d’autres éléments.

 

[97]           Premièrement, le protonotaire Lafrenière avait laissé entendre que la demande de contrôle judiciaire portait uniquement sur la question de savoir si une résolution d’un conseil et sa présumée ratification étaient valides ou non. La demanderesse affirmait qu’il s’agissait simplement d’une [traduction] « question locale » ou d’une simple question de bonne gouvernance. Dans la présente demande, la demanderesse a réussi à obtenir la réponse qu’elle souhaitait en ce qui concerne la question de la « bonne gouvernance » de la NCNH.

 

[98]           Deuxièmement, un jugement déclarant invalide la RCB 050 adoptée par le conseil de la NCNH aurait de sérieuses conséquences sur la NCNH même. Outre les éventuelles conséquences financières négatives, en l’occurrence le remboursement des sommes payées, on ne peut faire abstraction des conséquences qu’aurait un tel jugement sur la capacité de la NCNH d’exercer ses activités à l’avenir. Les décisions du conseil de la NCNH lors de ses futurs rapports avec le gouvernement et des personnes morales seraient affaiblies par un doute quant à leur validité même si elles étaient apparemment valides au vu de la RCB. Compte tenu de l’ampleur de ces questions, il est essentiel d’examiner la position du conseil de la NCMH défendeur. Comme le conseil de la NCNH a décidé de ne pas participer, on n’a pas pu entendre son point de vue. J’estime qu’il n’est pas sage de trancher une telle question alors que l’on n’a pas entendu le point de vue du conseil de la NCMH défendeur.

 

[99]           Finalement, je constate que la RCB 050 a été signée par le chef et par quatre conseillers sur les sept que comptait le conseil. Autrement dit, cinq des sept conseillers ont approuvé la RCB 050 tandis que deux ne l’ont pas fait. Les exigences procédurales d’approbation des résolutions du conseil de la NCNH n’ont donc pas été observées comme le prévoyaient les règles de procédure de la NCNH. Lorsque la question a été soumise à la ratification, il y avait quorum et la RCB 050 a été approuvée à trois voies contre une. Il me semble évident qu’en tout temps, la majorité des dirigeants élus de la NCNH étaient en faveur de la RCB 050, mais qu’ils n’ont pas agi avec la transparence requise par les règles de procédure de la NCNH.

 

[100]       Je suis convaincu que les inconvénients susmentionnés, qui militent contre une déclaration d’invalidité de la RCB 050, l’emportent largement sur les manquements procéduraux commis par la majorité des conseillers de la NCNH.

 

[101]       Après avoir examiné les arguments présentés, les sources citées et les éléments de preuve soumis, je conclus qu’à tout prendre, la Cour ne devrait pas exercer son pouvoir discrétionnaire de manière à accorder la réparation sollicitée par la demanderesse en vertu du paragraphe 18.1(3).

 

[102]       Compte tenu du fait que la demanderesse obtient gain de cause contre la défenderesse NCNH, j’aurais condamné la défenderesse NCNH aux dépens, n’eut été le fait que cette dernière a choisi de ne pas contester la demande de la demanderesse. En ce qui concerne la demanderesse et le Canada défendeur, ces deux parties ont chacune obtenu en partie gain de cause. Par conséquent, j’invite la demanderesse et le Canada défendeur à me soumettre leurs observations au sujet des dépens dans les 30 jours de la date de la présente ordonnance.

 

Conclusion

 

[103]       En conclusion, je suis d’avis que notre Cour a compétence pour examiner la demande et j’estime que la demande a été présentée dans les délais impartis.

 

[104]       En ce qui concerne les décisions contestées, je conclus que la RCB 050 n’était pas valide, étant donné qu’elle n’a pas été adoptée en conformité avec les exigences procédurales prévues par les Lignes directrices de la NCNH. Conformément aux motifs exprimés par le juge Blais dans la décision Balfour, je suis également d’avis de conclure que, lorsqu’elle a été ratifiée, la RCB 050 était une décision déterminée à l’avance.

 

[105]       Je suis également d’avis de conclure qu’il s’agit d’une situation dans laquelle la Cour ne devrait pas exercer sa compétence de manière à accorder la réparation sollicitée par la demanderesse.

 

[106]       La demanderesse et le Canada défendeur devront soumettre leurs observations au sujet des dépens dans les 30 jours de la date de la présente ordonnance en précisant les dépens réclamés et les motifs à l’appui.

 


JUGEMENT

 

LA COUR :

 

1.      EXERÇANT son pouvoir discrétionnaire, REFUSE de faire droit à la demande de contrôle judiciaire;

 

2.      ORDONNE à la demanderesse et au Canada défendeur de lui soumettre leurs observations au sujet des dépens dans les 30 jours de la date de présente ordonnance, en précisant les dépens réclamés et les motifs les justifiant dans un document ne devant pas dépasser 10 pages.

 

 

« Leonard S. Mandamin »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-434-06

 

INTITULÉ :                                      MAGGIE MYRNA LORRAINE GAMBLIN c LE CONSEIL DE BANDE DE LA NATION DES CRIS DE NORWAY HOUSE ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              WINNIPEG (MANITOBA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 19 JANVIER 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE MANDAMIN

 

DATE DES MOTIFS :                     LE 20 DÉCEMBRE 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Vilko Zbogar

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Paul Anderson

Jean-Daniel Boulet

 

POUR LE DÉFENDEUR

(Procureur général du Canada)

 

Bill Haight

Jessica Saunders

POUR LE DÉFENDEUR

(Conseil de bande de la Nation des Cris

de Norway House)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Vilko Zbogar

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DÉFENDEUR

(Procureur général du Canada)

 

Duboff Edwards Haight & Schachter

Winnipeg (Manitoba)

POUR LE DÉFENDEUR

(Conseil de bande de la Nation des Cris

de Norway House)

 

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