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Date : 20121220

Dossier : T-1414-12

Référence : 2012 CF 1500

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 décembre 2012

En présence de monsieur le juge Martineau

 

 

ENTRE :

YVES LEBON

 

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE
ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur est un citoyen canadien actuellement incarcéré dans un établissement correctionnel à faible sécurité en Pennsylvanie (États-Unis) qui aimerait purger le reste de sa peine au Canada. C’est la deuxième fois que la Cour est appelée à examiner la légalité de la décision par laquelle le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile [le ministre] a refusé sa demande de transfèrement.

 

[2]               En août 2007, le demandeur a franchi la frontière américaine en voiture près de Champlain, dans l’État de New York. Quelques jours plus tard, il a été arrêté par un agent du service de police de l’Illinois pour une infraction mineure au code de la route, mais il s’est avéré qu’il transportait 119 kilogrammes de cocaïne dans son véhicule. Le demandeur a plaidé coupable aux accusations de possession de cocaïne dans l’intention d’en faire la distribution et d’entrée irrégulière aux États-Unis; il a été condamné en juillet 2008 à 120 mois d’emprisonnement, suivis de cinq ans de liberté surveillée.

 

[3]               En novembre 2008, le demandeur a demandé son transfèrement dans un établissement correctionnel canadien en vertu de l’article 7 de la Loi sur le transfèrement international des délinquants, LC 2004, c 21 [la Loi]. Comme le précise l’article 3, la Loi a pour objet « de faciliter l’administration de la justice et la réadaptation et la réinsertion sociale des délinquants en permettant à ceux-ci de purger leur peine dans le pays dont ils sont citoyens ou nationaux ». Le délinquant, l’État étranger et le ministre doivent chacun consentir au transfèrement (paragraphe 8(1)). En mars 2009, les autorités américaines ont approuvé la demande du demandeur.

 

[4]               Lorsqu’il exerce le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré, le ministre doit tenir compte des facteurs énumérés aux paragraphes 10(1) et 10(2) :

10. (1) Le ministre tient compte des facteurs ci-après pour décider s’il consent au transfèrement du délinquant canadien :

 

a) le retour au Canada du délinquant peut constituer une menace pour la sécurité du Canada;

 

b) le délinquant a quitté le Canada ou est demeuré à l’étranger avec l’intention de ne plus considérer le Canada comme le lieu de sa résidence permanente;

 

c) le délinquant a des liens sociaux ou familiaux au Canada;

 

d) l’entité étrangère ou son système carcéral constitue une menace sérieuse pour la sécurité du délinquant ou ses droits de la personne.

 

(2) Il tient compte des facteurs ci-après pour décider s’il consent au transfèrement du délinquant canadien ou étranger :

 

a) à son avis, le délinquant commettra, après son transfèrement, une infraction de terrorisme ou une infraction d’organisation criminelle, au sens de l’article 2 du Code criminel;

 

b) le délinquant a déjà été transféré en vertu de la présente loi ou de la Loi sur le transfèrement des délinquants, chapitre T-15 des Lois révisées du Canada (1985).

 

10. (1) In determining whether to consent to the transfer of a Canadian offender, the Minister shall consider the following factors :

 

(a) whether the offender’s return to Canada would constitute a threat to the security of Canada;

 

(b) whether the offender left or remained outside Canada with the intention of abandoning Canada as their place of permanent residence;

 

 

(c) whether the offender has social or family ties in Canada; and

 

(d) whether the foreign entity or its prison system presents a serious threat to the offender’s security or human rights.

 

 

(2) In determining whether to consent to the transfer of a Canadian or foreign offender, the Minister shall consider the following factors :

 

(a) whether, in the Minister’s opinion, the offender will, after the transfer, commit a terrorism offence or criminal organization offence within the meaning of section 2 of the Criminal Code; and

 

(b) whether the offender was previously transferred under this Act or the Transfer of Offenders Act, chapter T-15 of the Revised Statutes of Canada, 1985.

 

 

[5]               En août 2010, s’opposant à la conclusion concernant l’absence de risque et à la recommandation favorable du Service correctionnel du Canada [SCC], le ministre a refusé de consentir au transfèrement, essentiellement parce que, à son avis, le demandeur était susceptible de commettre une « infraction d’organisation criminelle », compte tenu de la nature de l’infraction et de son manque de coopération avec la police :

[traduction] La Loi m’oblige à me demander si le délinquant commettra, après le transfèrement, une infraction d’organisation criminelle au sens de l’article 2 du Code criminel. À cet égard, je note que la nature de l’activité criminelle laisse croire à la participation d’autres complices qui n’ont pas été appréhendés, et trahit une activité d’organisation criminelle grave. Je note aussi que le demandeur n’a fait aucune déclaration à la police après son arrestation, et qu’il appert du dossier qu’il n’a pas coopéré avec les autorités pour identifier les autres participants au crime. Par ailleurs, l’infraction concernait une quantité importante de cocaïne, qui a un effet destructeur sur la société. Le demandeur a participé à la perpétration d’une infraction grave mettant en jeu une quantité considérable de drogue qui, si elle avait été perpétrée avec succès, aurait probablement permis au groupe à qui il prêtait son aide de recevoir un avantage matériel ou financier.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[6]               Compte tenu de ce qui précède et malgré la présence de nombreux facteurs favorables touchant l’admission de la culpabilité et la réadaptation, notamment de solides liens familiaux et un réseau de soutien très important au Canada, le ministre n’était pas convaincu qu’un transfèrement [traduction] « remplirait les objectifs de la Loi », et a donc refusé la demande, ce qui a conduit au premier contrôle judiciaire. En août 2011, le juge Shore a rejeté la demande (2011 CF 1018) et la Cour d’appel fédérale a fait droit à l’appel de cette décision en avril 2012 (2012 CAF 132) [LeBon CAF].

 

[7]               La question que la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale devaient trancher était de savoir si la décision de refuser le transfèrement appartenait « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit », considérant que ce critère impose aux cours non pas [traduction« la soumission, mais une attention respectueuse aux motifs donnés ou qui pourraient être donnés à l’appui d’une décision » : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, par 47 et 48 [Dunsmuir]. Fait intéressant, la décision de la Cour d’appel fédérale est postérieure à l’arrêt Dunsmuir ainsi qu’à la clarification apportée par la Cour suprême du Canada dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, par 14 à 16, quant à la nature du contrôle selon la norme de la raisonnabilité.

 

[8]               La Cour d’appel fédérale a reconnu que les transfèrements au titre de la Loi sont un privilège offert aux délinquants canadiens, et que le ministre n’était pas tenu de se conformer à l’avis du SCC (LeBon CAF, par 19). Cependant, comme elle n’était pas étayée par des motifs « justifiables, [et qu’elle n’était] ni transparente ni intelligible », la décision du ministre a été jugée déraisonnable et a été infirmée par la Cour d’appel fédérale : « [l]orsque, comme en l’espèce, il existe des facteurs favorables à un transfèrement, le ministre doit démontrer qu’il a apprécié les divers facteurs qui s’opposent pour expliquer les raisons l’ayant amené à refuser de consentir au transfèrement ». Autrement, la décision du ministre n’est « ni transparente ni intelligible », pas plus qu’elle n’est conforme à l’obligation législative de fournir des motifs prévue au paragraphe 11(2) de la Loi (LeBon CAF, par 25).

 

[9]               Plus précisément, la Cour d’appel fédérale a conclu que la décision de ministre était déraisonnable « lorsqu’on la lit en toute objectivité en tenant compte du dossier dont il disposait », en dépit de sa conviction personnelle suivant laquelle « les risques que [le demandeur] commette une infraction d’organisation criminelle l’emportaient sur les effets positifs que représentaient les liens familiaux sur lesquels [le demandeur] pouvait compter, de sorte que le transfèrement ne permettrait pas d’atteindre les objectifs visés par la Loi » [non souligné dans l’original] (LeBon CAF, par 20). Comme l’a mentionné la Cour d’appel fédérale, l’avis du SCC était « sans équivoque » en ce sens que le Service ne croyait pas « qu’après son transfèrement, [le demandeur] commettrait une infraction d’organisation criminelle », ni qu’il « commettrait aucun acte criminel » (LeBon CAF, par 23).

 

[10]           La Cour d’appel fédérale a fait remarquer que lors des plaidoiries, l’avocate du procureur général du Canada « n’a pu faire référence à aucun élément de preuve convaincant qui aurait raisonnablement pu mettre en doute ou contredire l’opinion du SCC » (LeBon CAF, par 23). Je tient à mentionner que l’avis du ministre repose au mieux sur des suppositions. L’article 10 de la Loi l’oblige à se livrer à une évaluation objective. Autrement dit, sa conclusion relative au risque doit se fonder sur la preuve au dossier et doit aussi tenir compte des facteurs favorables attestés par la preuve.

 

[11]           Par conséquent, le ministre doit procéder à un véritable exercice de pondération, ce qu’il n’a pas fait en l’espèce. La Cour d’appel fédérale a d’ailleurs estimé que deux questions fondamentales étaient restées sans réponse dans la première évaluation du ministre :

a.       Sur quoi le ministre s’est-il fondé pour écarter l’avis du SCC?

b.      Comment le ministre s’y est‑il pris pour évaluer les facteurs pertinents de manière à conclure que les facteurs en question qui ne favorisaient pas le rapatriement de M. LeBon l’emportaient sur ceux qui militaient en faveur de son rapatriement au Canada?

 

[12]           C’est pourquoi, en annulant la décision du ministre et en lui renvoyant l’affaire pour qu’il statue à nouveau, la Cour d’appel fédérale a expressément exigé « qu’il se prononce sur la demande de transfèrement [du demandeur] conformément aux présents motifs dans un délai de soixante jours » [non souligné dans l’original]. Le ministre a décidé de ne pas porter ce jugement de la Cour d’appel fédérale devant la Cour suprême du Canada, il s’agissait donc d’une décision finale. Il a rendu sa nouvelle décision le 22 juin 2012. L’issue était la même, ce qui a donné lieu au présent contrôle judiciaire.

 

[13]           Après avoir lu la nouvelle décision dans son ensemble à la lumière des faits et du droit, notamment de la preuve additionnelle produite par le demandeur, il est évident que le ministre n’a manifesté qu’un intérêt de pure forme pour les motifs et les directives de la Cour d’appel fédérale. Au fond, il a repris son raisonnement antérieur pour étayer l’opinion selon laquelle le demandeur risquait de commettre une infraction de crime organisé après son transfèrement, et que celui-ci était contraire aux objectifs de la Loi, en particulier à l’administration de la justice. J’ai très attentivement examiné les première et deuxième décisions du ministre dans ce dossier. Je conviens avec le demandeur que, bien que la seconde décision soit plus longue, il s’agit essentiellement d’une reformulation de la première.

 

[14]           Après avoir réexaminé la demande, le ministre a de nouveau refusé le transfèrement du demandeur dans un établissement correctionnel canadien, malgré de nombreux nouveaux éléments de preuve attestant la réadaptation et l’absence de risque, y compris des évaluations à jour du SCC, de la Gendarmerie royale du Canada et du Service canadien du renseignement de sécurité. Encore une fois, il est impossible de comprendre la raison du désaccord du ministre avec les avis d’experts du SCC et avec le criminologue qui a fourni en mai 2012 un affidavit favorable au réexamen de la demande de transfèrement. Par ailleurs, rien ne vient expliquer la manière dont le ministre a pondéré les facteurs énoncés à l’article 10 de la Loi ou les autres circonstances pertinentes qu’il a retenues contre les facteurs favorables mentionnés dans la décision contestée. Dans l’ensemble, j’estime que cette seconde décision du ministre est déraisonnable.

 

[15]           Par opposition aux établissements correctionnels canadiens, le demandeur n’a accès à aucun programme de réadaptation équivalent dans le pénitencier où il est actuellement incarcéré et ses conditions de détention sont beaucoup plus difficiles (notamment parce qu’il est un citoyen canadien francophone). Une personne raisonnablement informée aurait la nette impression qu’en rejetant la demande de transfèrement du demandeur, le ministre cherche simplement à le punir parce qu’il a été arrêté alors qu’il transportait une importante quantité de drogue et qu’il n’a pas fourni le nom de ses complices. Cela témoigne d’une intransigeance symptomatique d’un esprit fermé, et amène à conclure qu’il existe une crainte raisonnable de partialité de la part du ministre.

 

[16]           Le ministre a reconnu que le dossier du demandeur révélait un certain nombre de facteurs positifs allant dans le sens de son transfèrement au Canada, notamment le fait qu’il s’agissait de sa première infraction, qu’il est marié et qu’il a un fils, que l’évaluation du SCC établissait qu’il avait de solides attaches sociales et familiales, qu’il avait fait preuve d’une bonne conduite en prison et qu’il avait bénéficié d’une réduction de peine pour avoir admis sa responsabilité. Il n’empêche que le ministre rejetait l’avis du SCC et considérait qu’il existait un « risque important » qu’il commette une infraction d’organisation criminelle au sens de l’article 2 du Code criminel, LRC 1985, c C‑46. Eu égard à la distance parcourue par le demandeur et à la quantité importante de drogue découverte dans son véhicule, le ministre a déduit qu’au moins deux autres personnes étaient impliquées dans la « transaction » qui aurait profité à une organisation criminelle. Il a également indiqué que le demandeur avait refusé de nommer ses complices dans sa demande de transfèrement et qu’il n’a fait aucune déclaration à la police après son arrestation.

 

[17]           En ce qui concerne la première question non résolue soulevée par la Cour d’appel fédérale, soit de savoir suivant quel raisonnement le ministre s’est écarté de l’avis du SCC, je conviens avec le demandeur que les arguments de ce dernier sont fallacieux, illogiques, conjecturaux et non fondés sur la preuve. Le fait que le demandeur ait plaidé coupable à une accusation de possession dans l’intention de distribuer une substance – qu’on peut sans doute qualifier d’« infraction d’organisation criminelle » – ne suffit pas en soi pour refuser un transfèrement au titre de la Loi (Divito c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2011 CAF 39, par 57). L’alinéa 10(2)a) de la Loi est prospectif (Del Vecchio c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2011 CF 1135, par 53 [Del Vecchio]), et le dossier ne contient pas le moindre élément de preuve objectif ou convaincant qui démontre que le transfèrement du demandeur pose un risque sérieux lié à la perpétration d’une infraction d’organisation criminelle.

 

[18]           Les inférences tirées par le ministre ne sont pas étayées par la preuve au dossier. Certes, le transport d’une quantité aussi importante de drogue doit profiter à une organisation criminelle, mais rien n’autorise le ministre à conclure que le demandeur était partie à une transaction et qu’il n’agissait pas seulement comme « mule ». Plus important encore, le ministre n’a pas tenu compte de la preuve favorable selon laquelle [traduction] « les scores prédictifs de récidive criminelle sont faibles à l’égard de ce détenu » et que [traduction] « [r]ien n’indique qu’il était un décideur important au sein d’une organisation criminelle au sens traditionnel du terme », comme le notait M. Matthew G. Yeager, Ph. D., dans son affidavit du 10 mai 2012.

 

[19]           Plus précisément, M. Yeager avance les motifs suivants qui n’ont pas véritablement été abordés par le ministre dans la décision contestée :

[traduction] À cause de cette condamnation (aux États-Unis), M. LeBon, une fois transféré au Canada, ne sera pas autorisé à retourner aux États-Unis. Sa condamnation criminelle le rend moins intéressant pour les membres d’organisations criminelles, leurs réseaux et leurs groupes. Par ailleurs, si l’on se fie à son dossier carcéral à la Loretto Federal Correctional Institution, les éléments de preuve indiquent que M. LeBon n’a plus l’intention de participer à un complot criminel. Même le gouvernement américain le considère comme un risque faible. En d’autres termes, M. LeBon est probablement arrivé à la conclusion que le coût pénal de sa participation au crime organisé, quelle que soit sa nature, ne valait pas sa liberté.

 

 

[20]           Le ministre estimait également que le transfèrement du demandeur jetterait le discrédit sur l’administration de la justice. Je ne pense pas que le fait qu’il ait été arrêté à l’extérieur du Canada en possession d’une très grande quantité de cocaïne puisse raisonnablement justifier cette conclusion. Quand bien même elle serait raisonnable, elle ne suffit pas en soi à motiver le refus du transfèrement.

 

[21]           Le ministre a d’ailleurs déjà consenti au transfèrement d’autres délinquants condamnés pour des infractions liées aux drogues, entre autres dans les affaires suivantes où la décision initiale du ministre de refuser la demande de transfèrement avait été annulée à l’issue d’un contrôle judiciaire : Del Vecchio, Curtis c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2010 CF 943, et Vatani c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2011 CF 114. Dans Del Vecchio, le demandeur avait même des liens établis avec des organisations criminelles connues.

 

[22]           Je conviens également avec le demandeur que le raisonnement du ministre touchant ce qui lui paraît comme un manque de franchise de sa part dans sa demande de transfèrement n’est que le prolongement de sa première décision et qu’il est terriblement inconséquent. J’ajouterais qu’il n’est pas certain que le formulaire de demande de transfèrement du SCC oblige le demandeur à fournir le nom de ses acolytes lorsque l’infraction dont il a été déclaré coupable ne visait pas d’autres complices purgeant aussi une peine. Interrogé par la Cour, l’avocat du défendeur n’a pas été en mesure d’expliquer en quoi il était pertinent, pour l’examen d’une demande de transfèrement, qu’un demandeur ayant plaidé coupable à une infraction pour laquelle il purge une peine divulgue les noms de « complices » inconnus.

 

[23]           Je ne pense pas que sous couvert de l’« administration de la justice », le ministre puisse refuser une demande de transfèrement parce que le demandeur n’est pas disposé à agir comme informateur pour la police ou les autorités carcérales. Ayant conclu que les inférences tirées par le ministre étaient déraisonnables à la lumière des faits et du droit, il n’est pas nécessaire que je détermine si elles sont contraires à la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982 parce qu’elles reviennent à tirer une conclusion défavorable du silence du demandeur.

 

[24]           Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision contestée est infirmée par la Cour.

 

[25]           Au cas où la demande serait accueillie, le demandeur a demandé à la Cour de rendre un « verdict imposé », alors que le défendeur l’a invitée à infirmer la décision contestée et à renvoyer l’affaire au ministre pour qu’il tranche à nouveau conformément aux motifs ou autres directives de la Cour. Je conviens avec le demandeur que les circonstances exceptionnelles de la présente espèce exigent de la Cour qu’elle ordonne au ministre d’accepter la demande de transfèrement.

 

[26]           Aucun fondement factuel n’est ici contesté. Le ministre a tiré une conclusion en se fondant sur des hypothèses que les faits n’autorisent pas rationnellement à tirer. Plus de quatre ans se sont écoulés depuis que la demande de transfèrement a été présentée. Le ministre s’est montré partial et a ignoré la preuve clairement favorable au retour du demandeur qui était au dossier. Le refus prolongé de la demande a eu des conséquences graves pour lui, notamment en l’aliénant de son réseau de soutien et de sa famille, en entravant sa réadaptation et en le privant de l’accès à un programme supérieur dans une prison canadienne.

 

[27]           Dans l’intérêt de l’administration de la justice, la Cour juge à propos d’ordonner au ministre d’agir conformément à ses directives dans un délai de 45 jours à compter du jugement. Plus particulièrement, il est ordonné au ministre d’accepter la demande de transfèrement présentée par le demandeur et de lui confirmer par écrit que toutes les mesures raisonnables ont été prises pour le transférer rapidement dans un établissement correctionnel au Canada.

 

[28]           Compte tenu de l’issue de la présente affaire, les dépens seront adjugés au demandeur. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur un montant raisonnable, l’une d’elles peut à tout moment s’adresser par écrit à la Cour qui fixera ce montant, qu’il s’agisse de dépens partie-partie ou de dépens avocat-client, suivant le cas, en tenant compte des circonstances particulières de l’affaire et de l’ensemble des facteurs pertinents.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  la demande de contrôle judiciaire du demandeur est accueillie;

2.                  la décision contestée est annulée et l’affaire est renvoyée au ministre qui doit agir conformément aux directives de la Cour dans un délai de 45 jours;

3.                  il est ordonné au ministre d’accepter la demande de transfèrement du demandeur et de lui confirmer par écrit que toutes les mesures raisonnables ont été prises pour le transférer rapidement dans un établissement correctionnel au Canada;

4.                  les dépens sont adjugés au demandeur. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur un montant raisonnable, l’une d’elles peut à tout moment s’adresser par écrit à la Cour qui fixera ce montant, qu’il s’agisse de dépens partie-partie ou de dépens avocat-client, suivant le cas, en tenant compte des circonstances particulières de l’affaire et de l’ensemble des facteurs pertinents.

 

 

« Luc Martineau »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T-1414-12

 

INTITULÉ :                                                  YVES LEBON c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 12 décembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                       LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 20 décembre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Yavar Hameed

 

POUR LE DEMANDEUR

 

David Cowie

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Hameed & Farrokhzad

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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