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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20121220

Dossier : IMM‑2293‑12

Référence : 2012 CF 1521

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 décembre 2012

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

 

GHANAI GHAZELEH

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse, citoyenne de l’Iran, a demandé à immigrer au Canada en tant que membre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral). Elle cherche à obtenir le contrôle judiciaire d’une décision d’une agente des visas (l’agente) qui a rejeté sa demande. L’agente n’était pas convaincue que la demanderesse disposait d’une offre d’emploi véritable au Canada et, par conséquent, a établi qu’elle ne satisfaisait pas aux exigences minimales d’obtention de la résidence permanente dans cette catégorie.

 

[2]               L’agente a aussi rejeté une demande de substitution de son appréciation à celle qui était fondée sur la grille; cette demande de substitution était fondée sur le contenu de la demande d’immigration et sur le fait que la demanderesse avait prétendument accès à 600 000 $ pour l’aider à réaliser cette transition au Canada.

 

[3]               Dans la décision Gill c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 466, le juge Sean Harrington a souligné qu’ « [i]l [valait] mieux laisser pour plus tard » la question de savoir si un agent des visas a le droit de passer outre à l’avis du ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences selon lequel l’offre d’un emploi réservé est véritable. Le moment est venu de l’aborder.

 

[4]               Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

 

 

Dispositions réglementaires applicables

 

[5]               L’article 75 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement) précise que la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) englobe des personnes qui peuvent devenir résidents permanents du fait de leur capacité de réussir leur établissement économique au Canada.

 

[6]               Les agents d’immigration accordent aux demandeurs des points selon les facteurs énumérés à l’alinéa 76(1)a) du Règlement : les études, la compétence en anglais et en français, l’expérience, l’âge, l’exercice d’un emploi réservé et la capacité d’adaptation. Pour être admissibles à un visa de travailleur qualifié (fédéral), les demandeurs doivent obtenir au moins 67 points.

 

[7]               Aux conditions suivantes, les demandeurs de l’extérieur du Canada ont, en vertu de l’alinéa 82(2)c), droit à 10 points s’ils ont un emploi réservé :

(i)      l’employeur a présenté au travailleur qualifié une offre d’emploi d’une durée indéterminée sous réserve de la délivrance du visa de résident permanent,

(ii)     un agent a approuvé cette offre sur le fondement d’un avis émis par le ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences, à la demande de l’employeur, à sa demande ou à celle d’un autre agent, où il est affirmé que :

(A)  l’offre d’emploi est véritable,

(B)  l’emploi n’est pas saisonnier ou à temps partiel,

(C)  la rémunération offerte au travailleur qualifié est conforme au taux de rémunération en vigueur pour la profession et les conditions de l’emploi satisfont aux normes canadiennes généralement acceptées.

 

[8]               En vertu du paragraphe 76(3), l’agent d’immigration a le pouvoir de substituer son appréciation à celle qui est fondée sur la grille s’il établit que le nombre de points accordés n’est pas un indicateur suffisant de l’aptitude du demandeur à réussir son établissement économique au Canada.

 

Décision faisant l’objet du contrôle

[9]               La demanderesse a obtenu une offre d’emploi comme spécialiste technique des ventes d’une société de North Vancouver, en Colombie‑Britannique. Ressources humaines et Développement des compétences / Service Canada (RHDCC) a examiné cette offre et a rendu un avis favorable quant à l’admissibilité de la demanderesse, aussi appelé avis relatif à l’emploi réservé (AER favorable).

 

[10]           La demanderesse a fourni des éléments à l’appui de sa demande, notamment :

                Ses résultats au International English Language Testing System, soit une note globale de 5,5 sur 9.

                L’AER favorable et l’offre d’emploi.

                La preuve de son emploi actuel comme directrice de la production.

                Une lettre précisant qu’elle avait étudié le français pendant un an.

                Ses relevés de notes de l’université et son diplôme universitaire de premier cycle.

                Des preuves selon lesquelles son frère vivait au Canada.

                Des renseignements sur ses comptes de banque.

 

 

[11]           L’agente a examiné ces éléments de preuve et a accordé 65 points à la demanderesse, soit deux de moins que le minimum exigé. La demanderesse a obtenu beaucoup de points pour son âge, ses études et son expérience. Elle a obtenu cinq points sur un maximum de 10 en ce qui concerne la capacité d’adaptation parce qu’elle a de la famille au Canada. L’agente a reconnu ses compétences linguistiques en anglais, mais ne lui a pas accordé de points pour le français étant donné qu’elle n’avait pas soumis les résultats de tests.

 

[12]           Cependant, la demanderesse n’a obtenu aucun point en ce qui concerne l’emploi réservé. En effet, l’agente n’était pas convaincue par l’évaluation favorable qu’avait faite RHDCC de l’offre d’emploi, entretenait des doutes au sujet de la capacité de l’entreprise d’embaucher la demanderesse et avait obtenu des données fiscales de l’entreprise qui révélaient des pertes importantes subies par cette dernière en 2010.

 

[13]           L’agente des visas a écrit au représentant de la demanderesse, qui a reconnu ne pas être en mesure d’aplanir les préoccupations de l’agente. Aucun autre renseignement n’a été communiqué en réponse à une lettre ultérieure relative à l’équité procédurale. La demanderesse a cependant demandé, en vertu du paragraphe 76(3) du Règlement, que l’appréciation de l’agente soit substituée à l’appréciation fondée sur la grille quant à sa capacité de réussir son établissement économique au Canada. Par conséquent, le représentant de la demanderesse a demandé l’autorisation de fournir les résultats des tests de la demanderesse en français. Si cela se révélait impossible, le représentant a demandé que l’appréciation de l’agente soit substituée à celle qui était fondée sur la grille vu l’avoir net de la demanderesse et le fait qu’un membre de sa famille immédiate vivait au Canada.

 

[14]           L’agente n’a pas invité la demanderesse à fournir d’autres éléments de preuve. L’agente a aussi refusé de substituer son appréciation à l’appréciation fondée sur la grille parce qu’elle avait conclu que les points attribués décrivaient avec exactitude la capacité de la demanderesse de réussir son établissement au Canada.

 

Questions en jeu

[15]           La demanderesse soulève trois questions :

(i)      L’agente avait‑elle le droit de se prononcer sur l’authenticité de l’offre d’emploi?

 

(ii)     L’agente a‑t‑elle évalué la preuve de façon raisonnable?

 

(iii)    L’agente a‑t‑elle manqué à ses obligations en matière d’équité procédurale?

 

 

[16]           Les questions de compétence et d’équité procédurale font l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte alors que l’évaluation globale effectuée par l’agente, qui doit inspirer une grande déférence, fait l’objet d’un contrôle selon la norme de la raisonnabilité : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190.

 

Analyse

Compétence

 

[17]           Selon la demanderesse, l’agente doit accepter l’appréciation de RHDCC selon laquelle l’offre d’emploi est véritable. La demanderesse invoque le Règlement, selon lequel un agent d’immigration attribue des points pour un emploi réservé s’il « a approuvé cette offre sur le fondement d’un avis émis par le ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences ». Selon la demanderesse, le Règlement n’autorise pas l’agente à passer outre à l’AER.

 

[18]           L’avis de RHDCC est la première étape de la validation de l’offre d’emploi, mais il ne met pas fin à l’examen. En effet, en vertu de l’article 82 du Règlement, l’agent d’immigration doit approuver les offres d’emploi et établir si le demandeur « est en mesure d’exercer les fonctions de l’emploi et s’il est vraisemblable qu’il acceptera de les exercer ».

 

[19]           Voici à ce sujet l’explication fournie par la juge Judith Snider dans la décision Bellido c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 452, au paragraphe 21 :

La validation de DRHC n’est pas, comme le prétend la demanderesse, une preuve suffisante d’emploi réservé. Une telle validation ne libère pas l’agent des visas de son obligation de déterminer si la demanderesse est en mesure d’effectuer le travail décrit dans la validation.

 

[20]           Selon le libellé de l’article 82 du Règlement, un demandeur ne peut accepter d’exercer les fonctions d’un emploi s’il n’existe pas d’offre ou, comme en l’espèce, si l’offre ne peut être concrétisée à cause de la situation financière de l’employeur. L’agent des visas doit être convaincu que les critères énoncés à l’article 82 du Règlement sont respectés. De plus, j’estime que l’avis de RHDCC n’est justement qu’un avis et qu’il ne permet pas d’établir si un visa doit être délivré ou non. C’est l’agent d’immigration qui est le décideur ultime.

 

[21]           Il est vrai que le mandat de RHDCC est différent de celui d’un agent des visas. Son rôle consiste précisément à recenser les lacunes du marché de la main‑d’œuvre et à fournir un avis sur la question de savoir si le poste en question est véritable. Cependant, de son côté, l’agent d’immigration possède le pouvoir discrétionnaire prépondérant de refuser un visa dans les circonstances appropriées. En fait, l’agent des visas doit le faire s’il est informé de faits ou de situations qui mettent en doute la légitimité de l’offre.

 

[22]           Le pouvoir d’accorder l’accès au territoire du Canada est confié au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et, plus précisément, à l’agent des visas. Voici le libellé du paragraphe 11(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) :

 

11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa [sic] et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

 

11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

 

 

 

[23]           Juridiquement, c’est au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration qu’il revient de prendre la décision d’accorder ou de refuser un visa. Pour conclure que le ministre était lié par l’avis de RHDCC, il faudrait effectuer une délégation interdite des obligations légales du ministre en vertu de la LIPR ou entraver le pouvoir discrétionnaire du ministre. En conclusion, c’est le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration qui prend la décision et non le ministre de RHDCC. Ce dernier ne fournit qu’un avis.

 

Équité procédurale

 

[24]           La demanderesse soutient que le refus de l’agente de substituer son appréciation à celle qui était fondée sur la grille a entraîné une violation de son droit à l’équité procédurale. Selon la demanderesse, cette dernière aurait dû avoir l’occasion de prouver sa capacité de réussir son établissement au Canada à cause de son âge, de la présence de membres de sa famille au Canada et de l’avoir net combiné de son mari et d’elle‑même.

 

[25]           La demanderesse avait déjà obtenu des points en raison de son âge et de la présence de membres de sa famille au Canada. En ce qui concerne son avoir net, qui s’élèverait à 600 000 $, l’agente a motivé brièvement sa décision selon laquelle la substitution de son appréciation à celle qui avait déjà été effectuée n’était pas justifiée.

 

[26]           La demanderesse est tenue de fournir les meilleurs éléments de preuve possible qui démontrent sa capacité de réussir son établissement économique au Canada. L’agente n’a pas agi de façon inéquitable en évaluant la preuve telle qu’elle lui avait été présentée, sans demander d’autres observations, et la décision, malgré sa nature catégorique, était raisonnable. Le caractère adéquat des motifs doit être évalué en fonction des renseignements dont disposait l’agente soit, en l’espèce, une simple déclaration selon laquelle la demanderesse disposait d’un avoir net de 600 000 $. Le raisonnement correspondait au caractère limité et superficiel de la preuve qui lui avait été soumise à l’appui de la demande d’une appréciation substituée à celle qui était fondée sur la grille.

 

 

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est rejetée. Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Sara Tasset

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑2293‑12

 

INTITULÉ :                                      GHANAI GHAZELEH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 21 novembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT
 ET JUGEMENT :
                           Le juge RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 20 décembre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

M. Saidaltaf Patel

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Mme Neeta Logsetty

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

SP Law Office A Professional Corporation
Toronto`(Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney,

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

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