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Date : 20121218

Dossier : IMM‑6088‑11

Référence : 2012 CF 1495

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Edmonton (Alberta), le 18 décembre 2012

En présence de monsieur le juge O’Reilly

 

 

ENTRE :

 

VASILE COSTENIUC

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Survol

 

[1]               En 2001, M. Vasile Costeniuc est arrivé clandestinement au Canada en provenance de la Roumanie. Il a déposé une demande d’asile qui a été rejetée. Monsieur Costeniuc reconnaît maintenant que son allégation selon laquelle il était victime de persécution en Roumanie pour des motifs religieux était fausse.

 

[2]               Après le rejet de sa demande d’asile, M. Costeniuc a épousé une citoyenne canadienne qui a parrainé sa demande de résidence permanente. Il a obtenu le statut de résident permanent le 17 juin 2005, puis s’est séparé de son épouse moins de deux semaines plus tard. Le couple a par la suite divorcé. Monsieur Costeniuc vit maintenant avec sa conjointe de fait et leur fille de deux ans.

 

[3]               En 2006, l’ex‑épouse de M. Costeniuc a informé Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) que leur mariage était un mariage de convenance. La CIC a interviewé M. Costeniuc et a renvoyé l’affaire devant la Section de l’immigration (SI) pour qu’une audience soit tenue.

 

[4]               Le conseil de M. Costeniuc, Me Patricia Ritter, ne s’est pas présentée à un certain nombre d’audiences de la SI parce qu’elle était malade. Dans un cas, elle s’est fait remplacer par un consultant. Dans d’autres, elle a demandé à un collègue de comparaître à sa place. Finalement, en 2009, la SI a conclu que M. Costeniuc était interdit de territoire au Canada pour avoir fait une présentation erronée sur des faits importants.

 

[5]               M. Costeniuc a interjeté appel de la décision de la SI devant la Section d’appel de l’immigration (SAI). Maître Ritter est demeurée le conseil au dossier. Cependant, elle a averti M. Costeniuc que ses problèmes de santé pourraient l’empêcher d’assister à l’audience de son appel et elle fut en effet incapable d’assister à l’audience prévue pour février 2011. L’audience a été ajournée au 3 juin 2011. Là encore, le jour précédant l’audience, Me Ritter a envoyé un courriel à la SAI dans lequel elle disait [traduction] « ne pas savoir encore si elle pourrait être présente le lendemain matin ». Son courriel était intitulé : « Demande de remise ». Maître Ritter n’avait pas avisé M. Costeniuc.

 

[6]               À l’audience, la SAI a demandé à M. Costeniuc s’il acceptait que l’appel soit instruit en l’absence de son conseil. Il a répondu par l’affirmative et l’appel a été instruit. La SAI a entendu le témoignage de M. Costeniuc et de sa conjointe de fait et a autorisé ce dernier à fournir des éléments de preuve documentaires après l’audience.

 

[7]               La SAI a rejeté l’appel de M. Costeniuc, concluant qu’il n’avait pas démontré que la décision de la SI était mal fondée ou qu’il avait droit à la prise de mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire.

 

[8]               Monsieur Costeniuc soutient que la décision de la SAI doit être annulée soit parce qu’il n’a pas eu droit à une audience équitable, soit parce qu’il a été victime d’un déni de justice à la suite de l’incompétence de son conseil. Il me demande d’ordonner la tenue d’une autre audience devant un tribunal différemment constitué.

 

[9]               J’estime que l’audience n’a pas été équitable. Par conséquent, je n’ai pas à aborder la question de savoir si l’incompétence du conseil de M. Costeniuc a entraîné un déni de justice. Elle est intervenue dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire mais, étant donné que ses observations concernaient uniquement la question de l’incompétence, je n’ai pas à les aborder spécifiquement.

 

II.        L’audience tenue devant la SAI était-elle équitable?

 

[10]           À l’audience, bien qu’il ait déclaré être prêt à ce que l’appel soit instruit, M. Costeniuc a informé la SAI qu’il n’avait pas parlé à son conseil, qu’il n’avait pas vu ou examiné le dossier de 300 pages (sauf pendant l’ajournement de cinq minutes que la SAI lui a accordé), qu’il n’avait fait entendre que sa conjointe de fait comme témoin (Me Ritter avait prévu faire entendre 10 témoins), qu’il ne comprenait pas la différence entre contester le bien‑fondé de la décision de la SI et invoquer des motifs d’ordre humanitaire et qu’il ne savait pas ce qu’il pouvait dire pour défendre sa cause. Lors de ses observations finales, il a simplement déclaré qu’il s’était senti blessé par les observations négatives présentées par l’avocat du ministre. Il a essayé de fournir des explications à ce sujet, mais le tribunal lui a répondu que ce n’était pas le moment d’en parler. Cependant, la Commission a donné à M. Costeniuc l’occasion de déposer des éléments de preuve documentaire supplémentaires après l’audience.

 

[11]           À mon avis, les circonstances de l’espèce sont semblables à celles qui sont visées dans les affaires Mervilus c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1206, et Nemeth c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 590, dans lesquelles la Cour reconnaissait l’obligation fondamentale de garantir une audience équitable aux demandeurs non représentés.

 

[12]           En l’espèce, la SAI n’a pas abordé expressément la possibilité d’un ajournement. Maître Ritter en avait demandé un par écrit, mais la SAI n’a pas tenu compte de cette demande. Elle a simplement demandé à M. Costeniuc s’il était prêt à ce que l’appel soit instruit en l’absence de son conseil.

 

[13]           De plus, l’affaire dont était saisie la SAI était grave. Le droit de M. Costeniuc de continuer à résider au Canada avec sa conjointe et leur enfant était menacé.

 

[14]           Ajoutons que des questions juridiques complexes entraient en ligne de compte, dont le bien-fondé de la décision de la SI de même que les divers motifs d’ordre humanitaire en jeu : l’établissement de M. Costeniuc au Canada, notamment ses activités commerciales et sa situation financière; l’intérêt supérieur d’un enfant né au Canada; et les difficultés auxquelles chacun des membres de la famille serait exposé si M. Costeniuc était renvoyé du Canada.

 

[15]           Après avoir lu la transcription, j’ai constaté que M. Costeniuc n’était pas en mesure d’aborder sérieusement ces questions. Il n’avait eu aucune rencontre avec son conseil. Il avait été expressément amené à croire, vu plusieurs engagements pris à son égard, que son conseil serait présente à l’audience ou qu’elle trouverait quelqu’un pour la remplacer. N’ayant reçu aucun avis à l’effet contraire, il s’attendait tout naturellement à ce qu’elle soit présente ou qu’elle se fasse remplacer. Étant donné qu’elle avait été absente lors de plusieurs autres audiences, M. Costeniuc n’aurait pas été surpris qu’elle ne soit pas en mesure de se présenter. Par ailleurs, à moins d’en avoir été avisé formellement, il n’aurait pas pu supposer qu’elle ne se présenterait pas ce jour‑là. Il semble que Me Ritter ait pris des démarches pour informer la SAI et l’avocat du ministre de sa situation, mais rien ne prouve qu’elle ait avisé M. Costeniuc.

 

[16]           Par conséquent, M. Costeniuc a droit à une nouvelle audience. S’il n’avait pas un droit absolu à la présence d’un conseil, il avait le droit indéniable à une audience équitable. Vu l’ensemble de l’instance, j’estime que ce droit lui a été refusé.

 

[17]           Par conséquent, je n’ai pas à aborder l’autre partie de l’argument de M. Costeniuc selon lequel Me Ritter était incompétente et que son comportement a entraîné un déni de justice.

 

III.       Conclusion et décision

 

[18]           À partir des communications reçues de son conseil, M. Costeniuc s’attendait, de façon tout à fait raisonnable, à ce qu’elle se présente à l’audience devant la SAI ou qu’elle se fasse remplacer. Elle l’avait fait à de nombreuses reprises auparavant. Or, elle ne lui a fourni aucune indication précise à l’effet contraire. De plus, il aurait dû être évident pour la SAI que M. Costeniuc comprenait mal les questions qu’il devait aborder et les éléments de preuve qui pouvaient être pertinents eu égard à ces questions. Dans les circonstances, j’estime que M. Costeniuc n’a pas eu droit à une audience équitable devant la SAI et je dois donc accueillir la présente demande de contrôle judiciaire et ordonner la tenue d’une nouvelle audience devant un tribunal différemment constitué.

 

[19]           Aucune des parties ne m’a demandé de certifier une question de portée générale et aucune n’est soulevée.

 


JUGEMENT

LA COUR :

1.                  ACCUEILLE la demande de contrôle judiciaire.

2.                  ORDONNE la tenue d’une nouvelle audience devant un tribunal différemment constitué.

3.                  DÉCLARE qu’aucune question de portée générale n’est soulevée.

 

« James W. O’Reilly »

juge

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑6088‑11

 

INTITULÉ :                                      VASILE COSTENIUC

                                                            c

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             le 10 décembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 ET JUGEMENT :                           le juge O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                     le 18 décembre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Robert I. Blanshay

POUR LE DEMANDEUR

 

Asha Gafar

POUR LE DÉFENDEUR

 

Yehuda Levinson

 

POUR L’INTERVENANTE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Blanshay & Lewis

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

Levinson & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR L’INTERVENANTE

 

 

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