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Date : 20121204

Dossier : IMM‑3255‑12

Référence : 2012 CF 1416

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 décembre 2012

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

KASRON PARARAJASINGHAM

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande déposée en application du paragraphe 72 (1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi) en vue d’obtenir le contrôle judiciaire de la décision, datée du 30 août 2011 (la décision), par laquelle un agent principal (l’agent) a refusé la demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) du demandeur.

 

CONTEXTE

 

[2]               Le demandeur est un Tamoul du Nord du Sri Lanka. Il est au Canada depuis mai 2010. Le demandeur a quitté le Sri Lanka en décembre 2009, muni de son propre passeport; il s’est ensuite procuré au Belize un faux passeport qu’il a utilisé pour entrer au Mexique, puis aux États‑Unis. Arrivé aux États‑Unis, le demandeur a déposé une demande d’asile. Le traitement de sa demande progressait bien – en effet, des agents d’immigration des États‑Unis avaient établi la crédibilité de sa crainte au Sri Lanka – mais le demandeur s’est désisté de cette demande pour se rendre au Canada. Il a déposé une demande d’asile à son arrivée au Canada en mai 2010.

 

[3]               La demande d’asile du demandeur a été instruite par un tribunal de la Section de la protection des réfugiés (SPR) le 24 mars 2011. Le demandeur a fondé sa demande d’asile sur sa crainte d’être persécuté par la police et l’armée du Sri Lanka à cause de son profil, soit un jeune Tamoul du Nord du pays. Il a aussi déclaré qu’après avoir été interrogé par des militaires en février 2009 et qu’on lui avait dit de ne pas quitter le pays. La SPR a conclu que le demandeur n’était pas crédible à cause des contradictions dans sa demande, de l’absence de documents corroborants et du désistement de sa demande d’asile aux États‑Unis. La SPR a établi que le demandeur n’était pas personnellement exposé à des risques et elle a rejeté sa demande d’asile.

 

[4]               Le demandeur a par la suite déposé une demande d’ERAR le 30 novembre 2011. Il n’a pas présenté de documents personnels à l’appui de sa demande, mais il a fourni un certain nombre de documents au sujet de la situation au Sri Lanka. Tous ces documents portent une date postérieure à l’audition de sa demande d’asile. La majorité des documents soumis par le demandeur proviennent du Département d’État des États‑Unis, d’Amnesty International ou de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR). Selon l’opinion majoritaire qui se dégage de ces documents, la situation au Sri Lanka n’a pas beaucoup évolué au cours des dernières années. Le document LKA103782.EF de la CISR, daté du 12 juillet 2011, indique plus précisément que la situation au Sri Lanka n’a pas changé depuis février 2011.

 

[5]               Le demandeur a présenté deux documents qui concernent directement les risques que doivent affronter les demandeurs d’asile déboutés : un document d’Amnesty International, daté du 16 juin 2011, et le document LKA103815.EF de la CISR, daté du 22 août 2011. Le document d’Amnesty International aborde la question de la détention et de la torture des demandeurs d’asile déboutés et précise que la sécurité des Tamouls de retour dans leur pays peut être compromise. Ce document figure aux pages 111 et 113 du dossier certifié du tribunal. Quant au document LKA103815.EF (pages 232 et 233 du dossier certifié du tribunal), il aborde la façon dont les fonctionnaires sont informés de l’arrivée imminente de demandeurs d’asile déboutés et mentionne les mêmes risques que ceux dont il est fait état dans le document d’Amnesty International. Il y est de plus indiqué, à la page 239, que les Sri‑Lankais de retour sont souvent décrits dans les médias comme des « traîtres » et qu’ils peuvent être particulièrement exposés aux enlèvements et à l’extorsion.

 

[6]               L’agent a examiné la demande d’ERAR du demandeur et l’a rejetée le 6 mars 2012.

 

Décision faisant l’objet du contrôle

 

[7]               La décision visée en l’espèce consiste en la lettre envoyée par l’agent au demandeur le 6 mars 2012 et les notes de l’agent incorporées au dossier. L’agent a rejeté la demande d’ERAR parce qu’il a établi que le demandeur ne serait pas exposé au risque d’être persécuté s’il était renvoyé au Sri Lanka. Il a aussi conclu que le demandeur ne serait pas exposé à une menace à sa vie ou au risque d’être soumis à la torture ou à des traitements ou peines cruels et inusités s’il était renvoyé.

 

[8]               L’agent a souligné que le demandeur était principalement exposé au risque d’être maltraité du fait qu’il est un demandeur d’asile débouté de retour d’un pays occidental de même qu’un jeune Tamoul du Nord du Sri Lanka qui peut être soupçonné d’entretenir des liens avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (TLET). La détention arbitraire, la torture et l’extorsion ont aussi été mentionnées comme risques potentiels. L’agent a souligné que tous les documents soumis avec la demande d’ERAR avaient un caractère général et qu’ils ne concernaient pas précisément le demandeur.

 

[9]               L’agent a invoqué l’alinéa 113a) de la Loi selon lequel seuls les éléments de preuve survenus depuis le rejet de la demande d’asile, ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles, peuvent être présentés dans le cas d’une demande d’ERAR. Il a ajouté que les allégations de risque présentées par le demandeur auraient pu l’être devant le tribunal de la SPR, mais, étant donné que les observations avaient été rédigées à une date postérieure à l’audience, il a décidé d’en tenir compte.

 

Preuve documentaire

 

[10]           L’agent a entamé son évaluation de la preuve documentaire en précisant que même s’il n’avait pas mentionné chacun des documents, il avait pris connaissance de l’ensemble d’entre eux. Il a ensuite passé rapidement en revue les documents du Département d’État des États‑Unis et d’Amnesty International. En ce qui concerne le document d’Amnesty International daté du 16 juin 2011, l’agent a constaté qu’il y était simplement mentionné que les [traduction] « jeunes Tamouls du Nord ou de l’Est du Sri Lanka sont encore particulièrement exposés au risque d’être persécutés ». L’agent a ensuite traité du document LKA103782.EF de la CISR, daté du 12 juillet 2011. Selon ce document, la situation n’a pas changé depuis février 2011 et les jeunes Tamouls du Nord du Sri Lanka sont encore harcelés par les agents des services de sécurité.

 

[11]           L’agent a ensuite abordé le document LKA103815.EF de la CISR daté du 22 août 2011. Il y est mentionné que ce sont principalement les personnes qui avaient quitté le pays sans autorisation qui courent le risque d’être interrogées à leur retour au Sri Lanka. Selon l’agent, étant donné que le demandeur avait quitté le pays selon les règles, muni de son propre passeport, il ne serait pas considéré comme une personne ayant quitté le pays illégalement. De plus, le demandeur n’a soumis aucun document personnel susceptible de donner à penser qu’il serait considéré, à son retour au Sri Lanka, comme une personne qui a des liens avec les TLET. Selon le document de la CISR, les Tamouls qui se sont déjà opposés au gouvernement peuvent être ciblés, mais, encore une fois, rien ne donnait à penser que c’était le cas du demandeur.

 

[12]           L’agent a souligné que, selon le document LKA103815.EF, le Haut‑commissariat du Canada au Sri Lanka n’avait constaté que quatre cas de détention et le Sunday Leader, de Ratmalana, n’avait eu vent d’aucun rapport de mauvais traitements infligés à des rapatriés. L’agent a ajouté qu’un porte‑parole de la police avait dit à un journaliste du Sunday Observer de Colombo que les gens sont détenus pour interrogatoire uniquement s’ils ont un casier judiciaire et que tous les demandeurs d’asile déboutés avaient pu retourner en toute sécurité à leur domicile.

 

[13]           L’agent a aussi souligné que, selon le document que LKA103815.EF, les rapatriés qui ne réussissent pas à réintégrer la société après leur arrivée sont particulièrement à risque. L’agent a souligné que la mère, les frères et les membres de la famille élargie du demandeur vivent encore au Sri Lanka et que lui‑même ne s’est trouvé à l’étranger que pendant moins de trois ans. Selon l’agent, rien n’indiquait que le demandeur ne réussirait pas à réintégrer la société de son pays et ce risque bien précis ne concernait pas le demandeur.

 

[14]           L’agent a ensuite abordé le document LKA103663.EF de la CISR, auquel le public a accès. Selon ce document, les demandeurs d’asile tamouls déboutés qui sont de retour au Sri Lanka sont systématiquement interrogés, tout comme les Tamouls qui arrivent à l’aéroport de Colombo, même s’ils n’ont pas été expulsés d’un autre pays. L’agent a estimé que, selon l’ensemble de la preuve, les citoyens tamouls de retour dans leur pays peuvent être interrogés à leur arrivée au Sri Lanka, mais que ce sont ceux qui ont un casier judiciaire ou qui sont soupçonnés d’entretenir des liens avec les TLET qui sont principalement exposés à des risques.

 

[15]           L’agent a ensuite parcouru le document accessible au public du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCNUR), daté de juillet 2010, et intitulé Eligibility Guidelines for Assessing the International Protection Needs of Asylum Seekers of Sri Lanka (lignes directrices du HCNUR). Selon ce document, il n’est plus nécessaire de présumer que les Tamouls du Nord du Sri Lanka sont admissibles au statut de réfugié et chaque demande d’asile devrait être évaluée selon la situation de chacun. Le document décrit cinq profils de personnes particulièrement à risque, mais aucun d’eux ne correspond au demandeur.

 

[16]           L’agent a aussi souligné que le demandeur a un frère de 18 ans qui vit à Jaffna. Le demandeur n’a pas précisé si son frère ou d’autres membres de la fratrie avaient fait l’objet de mauvais traitements. Pour ce motif et compte tenu des documents soumis au sujet de la situation au Sri Lanka, l’agent a conclu que le profil du demandeur ne l’expose pas personnellement à des risques. Selon l’agent, même si le harcèlement de jeunes Tamouls du Nord du pays se poursuit, dans le cas du demandeur, ce harcèlement n’équivaut pas à de la persécution au sens des articles 96 ou 97 de la Loi.

 

[17]           L’agent a conclu, sur le fondement des observations du demandeur et de ses propres recherches dans des documents accessibles au public, qu’il n’y avait pas eu un changement important dans la situation au Sri Lanka depuis l’audience devant la SPR. Les éléments de preuve présentés ne permettaient pas de conclure que le demandeur était exposé à plus qu’une simple possibilité de persécution; par conséquent, l’agent a rejeté la demande d’ERAR.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[18]           Voici les questions soulevées par le demandeur :

1.                  Est‑ce que l’agent a commis une erreur en utilisant une norme de preuve non appropriée dans son analyse relative à l’article 96?

2.                  La décision de l’agent était‑elle raisonnable?

3.                  Les motifs exposés par l’agent étaient‑ils suffisants?

 

NORME DE CONTRÔLE

 

[19]           Dans Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse de la norme de contrôle. En fait, lorsque la norme de contrôle applicable à une question particulière est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse que la cour de révision doit entreprendre l’analyse des quatre facteurs qui permettent de déterminer la bonne norme de contrôle.

 

[20]           Selon Dunsmuir, au paragraphe 55, une question de droit qui revêt une importance capitale pour le système juridique et qui est étrangère au domaine d’expertise du décideur doit être tranchée selon la norme de la décision correcte. La Cour d’appel fédérale a établi, dans République de Chypre (Industrie et Commerce) c International Cheese Council of Canada, 2011 CAF 201, aux paragraphes 18 et 19, que le fardeau de preuve applicable était évalué selon la norme de la décision correcte. C’est donc la norme de contrôle qui s’appliquera à la première question.

 

[21]           Une décision d’ERAR a un caractère largement discrétionnaire et elle est fondée sur les faits; de plus, selon Dunsmuir, il faut faire preuve de déférence à l’égard d’une telle décision. Dans Hnatusko c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 18, au paragraphe 25, le juge John O’Keefe a statué que la norme de contrôle applicable à la décision d’un agent d’ERAR est celle de la décision raisonnable. Le juge Maurice Lagacé est arrivé à une conclusion semblable dans Chokheli c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 35, au paragraphe 7, tout comme la juge Marie‑Josée Bédard dans Marte c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2010 CF 930, au paragraphe 17. La norme de contrôle applicable à la décision de l’agent en l’espèce est celle de la décision raisonnable.

 

[22]           Lorsqu’une décision fait l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse a trait « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, paragraphe 59). Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

[23]        La Cour suprême du Canada a récemment traité de la question du caractère suffisant des motifs dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62. Elle a conclu, au paragraphe 14, que l’« insuffisance » des motifs ne permet pas à elle seule de casser une décision. Il faut plutôt que les motifs soient « examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles ». Le caractère suffisant des motifs de l’agent sera analysé de pair avec la raisonnabilité de la décision dans son ensemble.

 

Dispositions légALEs

 

[24]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

[…]

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou  occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

[…]

 

112. (1) La personne se trouvant au Canada et qui n’est pas visée au paragraphe 115(1) peut, conformément aux règlements, demander la protection au ministre si elle est visée par une mesure de renvoi ayant pris effet ou nommée au certificat visé au paragraphe 77(1).

 

[…]

 

113. Il est disposé de la  demande comme il suit:

 

 

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet;

 

 

[…]

 

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political

opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries;

 

[…]

 

Person in Need of Protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning ­ of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or  incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care

 

 

[…]

 

112. (1) A person in Canada, other than a person referred to in subsection 115(1), may, in

accordance with the regulations, apply to the Minister for protection if they are subject to a removal order that is in force or are named in a certificate described in subsection 77(1).

 

[…]

 

113. Consideration of an application for protection

shall be as follows:

 

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only

new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;

 

[…]

 

ARGUMENTS

Le demandeur

            Le fardeau de la preuve

 

[25]           Le demandeur soutient qu’il n’avait pas à démontrer qu’il risquerait d’être persécuté s’il était renvoyé au Sri Lanka, mais simplement qu’il existait plus qu’une simple possibilité qu’il le soit en cas de renvoi. Des décisions comme Chan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 3 RCS 593, Ponniah c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1991) 132 NR 32 et Adjei c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 2 CF 680 (CA) ont établi que la norme de preuve appropriée à l’égard de l’article 96 de la Loi est moins exigeante que celle de la prépondérance des probabilités, mais plus que la simple possibilité de persécution.

 

[26]           Le demandeur reconnaît que l’agent a énoncé le bon critère dans la décision, mais il allègue que l’agent l’a mal appliqué et qu’il a utilisé des fardeaux de preuve variables tout au long de la décision. Le demandeur soutient que l’agent a appliqué un fardeau de preuve incorrect à de nombreuses reprises tout au long de la décision, et il cite en exemple les déclarations suivantes de l’agent :

a.                   Le demandeur n’a pas démontré que son profil en est un qui [traduction] « attirerait » une attention indue ou des représailles (dossier certifié du tribunal, page 6).

b.                  Le demandeur n’a pas démontré qu’il [traduction] « serait perçu » comme une personne qui avait quitté le pays illégalement (dossier certifié du tribunal, page 7).

c.                   Le demandeur n’a pas expliqué de façon satisfaisante pour quelles raisons il [traduction] « serait détenu » à son retour au Sri Lanka (dossier certifié du tribunal, page 7).

d.                  Le demandeur n’a pas déposé suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer qu’il [traduction] « serait perçu » comme une personne ayant des liens avec les TLTE ou possédant des antécédents d’opposition au gouvernement (dossier certifié du tribunal, page 8).

e.                   La documentation n’a pas permis d’établir que le demandeur [traduction] « serait arrêté, maltraité ou autrement ciblé » (dossier certifié du tribunal, page 8).

 

[27]           Selon le demandeur, l’agent a mal compris le fardeau de preuve applicable. À cet égard, le demandeur cite un extrait des motifs du juge Yves de Montigny dans Sinnasamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 67 [Sinnasamy], au paragraphe 30 :

Bien sûr, le simple emploi des mots « sera » ou « serait » n’est pas en soi suffisant pour conclure que l’agente a appliqué le mauvais critère juridique, en particulier s’il s’agit d’un cas isolé. Il faut tenir compte de la décision dans son ensemble, comme la Cour l’a clairement dit à plusieurs reprises : voir, par exemple, Nabi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 325 (QL); Sivagurunathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 432. D’autre part, la simple énonciation, à la toute fin d’un examen, d’une formule type concernant le critère préliminaire à appliquer ne comble pas les lacunes constatées ailleurs dans les motifs.

 

 

Selon le demandeur, un fardeau de preuve erroné a été utilisé à de nombreuses reprises tout au long de la décision; il ne s’agissait donc pas d’un fait isolé.

 

[28]           Le demandeur allègue que s’il ressort de la décision que plus d’une norme a été appliquée ou qu’il est impossible d’établir clairement quelle norme a été appliquée, l’agent a commis une erreur (voir Alam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de le l’Immigration), 2005 CF 4). De l’avis du demandeur, si la Cour ne peut établir avec certitude si l’agent a bien compris le critère à utiliser, la décision devrait être annulée; il invoque à l’appui de cet argument Ezokola c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CAF 224.

 

[29]           Après l’audience, le demandeur a transmis à la Cour une décision récente de la Cour suprême du Canada, Opitz c Wrzesnewskyj, 2012 CSC 55 et insiste pour que la Cour adopte le raisonnement qui y figure aux paragraphes 84 à 87.

 

Le caractère raisonnable de la décision

 

[30]           Le demandeur soutient que l’agent a évalué les documents de façon sélective et qu’il n’a pas tenu compte de certains éléments de preuve. Par exemple, dans son évaluation du document LKA103815.EF, l’agent s’est concentré sur la capacité du demandeur de réintégrer la société dans son pays d’origine, mais il n’a pas tenu compte de la portion du document dans laquelle il était indiqué que les citoyens de retour pourraient être détenus, torturés et gardés dans des conditions « très mauvaises » au moment de leur arrivée.

 

[31]           Le demandeur allègue qu’en ne tenant pas compte de certains éléments de preuve, l’agent n’a pas correctement examiné la question de la persécution cumulative. À ce sujet, le juge O’Keefe a écrit ce qui suit dans Divakaran c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 633 [Divakaran], aux paragraphes 23 à 28 :

La Cour d’appel fédérale et la Cour ont toutes les deux conclu qu’une série d’incidents de discrimination qui ne constituent pas de la persécution lorsqu’ils sont examinés individuellement peuvent équivaloir à de la persécution lorsqu’ils sont examinés cumulativement (voir Retnem c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 132 N.R. 53 (CAF); Ampong c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 35, au paragraphe 42).

 

Le défendeur soutient que, lorsque l’agent a traité la demande d’ERAR, celui‑ci avait seulement conclu qu’il y avait une preuve suffisante pour étayer le risque que le demandeur puisse faire l’objet d’extorsion à l’aéroport et que ce seul fait ne peut constituer une persécution cumulative.

 

Je conclus que l’agent avait omis de tenir compte de la persécution cumulative. À titre d’exemple, l’agent avait reconnu dans la décision relative à la demande CH que le demandeur pourrait devoir s’enregistrer auprès de la police et être interrogé par les agences de sécurité de l’État s’il désirait élire domicile à Colombo, ou devoir passer par des points de contrôle et s’enregistrer auprès de la police s’il désirait s’établir à Jaffna.

 

Ces conclusions de fait ne figuraient pas dans la décision d’ERAR. Puisque les deux décisions ont été rendues la même journée par le même agent, ces conclusions auraient dû faire partie de la décision d’ERAR et l’agent aurait dû examiner la question de savoir si le demandeur était exposé à plus qu’une simple possibilité de persécution en raison de ces gestes discriminatoires.

 

Je ne peux pas savoir si l’agent aurait conclu, dans l’analyse quant à l’ERAR, qu’il pouvait y avoir persécution cumulative s’il avait tenu compte de tous les autres incidents de discrimination.

 

Par conséquent, compte tenu des erreurs de droit susmentionnées, je dois accueillir la demande de contrôle judiciaire portant sur la demande d’ERAR et la demande CH. Si l’ERAR est entaché d’une erreur, il faut en venir à la même conclusion pour la décision relative à la demande CH.

 

 

Selon le demandeur, il ressort de la décision en cause que l’agent n’a pas tenu compte de façon appropriée de la question de la persécution cumulative.

 

[32]           Le demandeur allègue que l’agent a commis une erreur en estimant que ce risque aurait dû être mentionné devant la SPR, mais il reconnaît que l’agent a évalué la nouvelle allégation relative au risque.

 

L’insuffisance des motifs

 

[33]           Le demandeur ajoute que les motifs de l’agent étaient inadéquats. En effet, l’agent a estimé que le demandeur pouvait être exposé à de la discrimination, mais il a conclu que cette discrimination n’équivaudrait pas à de la persécution, sans toutefois donner d’explications. Le demandeur soutient que l’insuffisance des motifs vient renforcer le caractère déraisonnable de la décision.

 

Le défendeur

Le critère approprié

 

[34]           Le défendeur souligne que le demandeur a reconnu que l’agent avait bien énoncé le critère. Les motifs pris dans leur ensemble démontrent que le bon critère a été appliqué. Contrairement à ce qu’allègue le demandeur, il n’est pas mentionné explicitement ou implicitement dans la décision que cette dernière était fondée sur la prépondérance des probabilités.

 

Le caractère raisonnable de la décision

 

[35]           Le défendeur souligne que le demandeur n’a pas présenté d’éléments de preuve personnalisés pour étayer l’allégation selon laquelle son profil correspond à celui qui est décrit dans la preuve à caractère général. Voici une des conclusions tirées par le juge de Montigny au paragraphe 25 de Ventura c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 871 : « En l’absence de preuve démontrant un risque personnalisé, la situation ayant cours dans un pays n’est pas suffisante pour obtenir une décision d’ERAR favorable » (voir Jarada c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 428, au paragraphe 38).

 

[36]           Le défendeur souligne qu’il incombe au demandeur d’établir un lien entre la situation dans le pays et sa situation personnelle; or, en l’espèce, il n’a pas réussi à le faire. L’agent a tenu compte des éléments de preuve objectifs soumis au sujet de la situation au Sri Lanka, mais il incombait au demandeur de fournir des éléments de preuve démontrant qu’il serait personnellement exposé aux risques allégués (voir Mahendran c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1237, au paragraphe 18; Wage c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1109, au paragraphe 102; Kakonyi c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CF 1410, aux paragraphes 28 et 29).

 

[37]           L’agent a pris en note le fait que la situation au Sri Lanka était difficile, mais il a établi avec raison que ce seul fait ne suffisait pas à démontrer que le demandeur serait exposé personnellement aux risques allégués. Par exemple, l’agent a souligné que, selon la preuve objective, les gens qui sortent du Sri Lanka de façon non autorisée peuvent éprouver des difficultés à leur retour, mais que, comme le demandeur avait quitté le pays muni de son propre passeport et de façon tout à fait légale, rien ne prouvait qu’il s’agissait d’un risque auquel le demandeur lui‑même serait exposé.

 

[38]           La preuve objective révélait aussi que les personnes soupçonnées d’avoir des liens avec les TLET ou de posséder des antécédents d’opposition au gouvernement ou qui étaient visées par des accusations à caractère criminel risquaient l’arrestation ou la détention à leur l’arrivée au Sri Lanka. Selon l’agent, la preuve ne révélait pas que les demandeurs d’asile déboutés ou les Tamouls de sexe masculin provenant du Nord du pays étaient de façon générale considérés comme des personnes ayant des liens avec les TLET; de plus, le demandeur n’avait pas fourni d’éléments de preuve susceptibles de démontrer qu’il serait considéré comme une personne ayant des liens avec les TLET ou une personne visée par des accusations à caractère criminel. L’agent a aussi souligné que le frère du demandeur, âgé de 18 ans, qui vit à Jaffna – donc une personne dans une situation semblable à la sienne, n’avait jamais été soumis à de mauvais traitements. La conclusion de l’agent selon laquelle le demandeur n’avait pas établi que son profil correspondait à celui des personnes exposées à des risques décrits dans la preuve documentaire était raisonnable.

 

[39]           Le défendeur soutient qu’il n’était pas nécessaire que l’agent tire une conclusion explicite à l’égard de la persécution cumulative; en effet, la question de savoir si les expériences antérieures du demandeur équivalaient à de la persécution n’est pas pertinente en l’espèce. La façon appropriée de procéder dans le traitement d’une allégation de persécution cumulative consiste à évaluer l’effet cumulatif des incidents antérieurs que le demandeur a vécus (voir Munderere c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 84, au paragraphe 41; JB c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 210, aux paragraphes 27 à 33). En l’espèce, la SPR avait déjà établi que les déclarations du demandeur relatives à des incidents antérieurs qui seraient survenus au Sri Lanka n’étaient pas crédibles. Il ne revenait pas à l’agent de remettre en question cette conclusion.

 

[40]           Le défendeur affirme que les faits visés par la décision Divakaran, précitée, invoquée par le demandeur, ne sont pas les mêmes que les faits de l’espèce. En effet, dans cette affaire, l’agent avait reconnu l’existence de certains risques mentionnés dans la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire déposée par le demandeur, mais non dans la demande d’ERAR. Si tous les risques avaient été reconnus dans la demande d’ERAR, leur cumul aurait pu être assimilé à de la persécution. En l’espèce, le demandeur n’a tout simplement pas établi l’existence des risques allégués. Il n’a pas réussi à faire la preuve de l’existence d’un lien entre sa situation personnelle et la situation des Tamouls de retour au Sri Lanka; par conséquent, il n’est pas possible de dire que l’agent a déraisonnablement omis de tenir compte de la question de la persécution cumulative.

 

[41]           Le demandeur reconnaît que l’agent a apprécié les nouveaux risques mentionnés par le demandeur; il est donc évident que l’agent, avant de rendre sa décision, n’a pas cherché à savoir si ces allégations d’exposition à des risques auraient pu être présentées à la SPR. Les motifs de l’agent démontrent qu’il a tenu compte de l’ensemble des éléments de preuve et des observations du demandeur en ce qui concerne l’exposition à des risques (voir Cupid c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 176, au paragraphe 12), mais qu’il est parvenu à la conclusion que tous ces éléments n’étaient pas suffisants pour établir l’existence des risques allégués. Le défendeur soutient que l’agent a eu recours au bon fardeau de preuve et que la décision est raisonnable.

 

ANALYSE

 

[42]           Le demandeur affirme que [traduction] « l’agent d’ERAR a commis une erreur notamment parce que le demandeur n’avait pas démontré selon la prépondérance des probabilités qu’il pourrait subir des préjudices » [non souligné dans l’original]. Selon cette affirmation, le demandeur a été soumis, dans la démonstration du bien‑fondé de sa demande de protection, à un fardeau de preuve plus lourd que celui qui est exigé par la loi.

 

[43]           En effet, dans sa décision, l’agent n’a jamais affirmé que le fardeau de preuve qui incombe au demandeur est celui de la [traduction] « prépondérance des probabilités » en ce qui concerne l’existence d’un risque de persécution au sens de l’article 96. En fait, l’agent précise clairement dans le sommaire de la décision qu’il incombe au demandeur de démontrer que l’existence d’une persécution au sens de l’article 96 est [traduction] « plus qu’une simple possibilité » et qu’[traduction] « il est plus probable que le contraire qu’il soit exposé au risque d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités » au sens de l’article 97.

 

[44]           Le demandeur reconnaît que l’agent énonce correctement le critère dans le sommaire. Il s’agit d’établir si, dans d’autres passages de la décision, l’agent applique un autre critère. La jurisprudence établit clairement que, pour trancher cette question, « [i]l faut tenir compte de la décision dans son ensemble » (voir la décision Sinnasamy, précitée).

 

[45]           Dans Sinnasamy, soit la décision sur laquelle s’est appuyé le demandeur, la Cour a estimé que cette question semblait « se situer à la limite » et que « [s]i l’agente n’avait pas commis d’autres erreurs susceptibles de contrôle », la Cour ne pensait pas que cela suffirait pour annuler sa décision.

 

[46]           Le droit dans ce domaine a été révisé récemment par le juge Leonard Mandamin dans Paransothy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1000, aux paragraphes 24 et 25 et 29 à 32 :

J’estime que SPR n’a pas énoncé et appliqué clairement le critère juridique devant présider à l’examen de la demande d’asile fondée sur l’article 96 soumise par le demandeur. Dans Mugadza, j’ai indiqué aux paragraphes 20 à 22 :

 

[20] Dans l’arrêt Adjei, précité, la Cour d’appel fédérale s’est penchée sur le critère juridique ou la norme de preuve à laquelle doit satisfaire un demandeur d’asile qui invoque la crainte d’être persécuté. Le juge MacGuigan, s’interrogeant sur l’interprétation qu’il fallait donner à « réfugié au sens de la Convention » apparaissant à l’article 2(1)a) de l’ancienne Loi sur l’immigration, la disposition qui a précédé l’alinéa 96a) de la LIPR, a déclaré ce qui suit :

 

Cependant, la question soulevée auprès de cette Cour portait plutôt sur le bien‑fondé de la crainte subjective, l’élément dit objectif, qui veut que la crainte du réfugié soit appréciée objectivement pour déterminer si elle s’appuie sur des motifs valables.

 

Il n’est pas contesté que le critère objectif ne va pas jusqu’à exiger qu’il y ait probabilité de persécution. En d’autres termes, bien que le requérant soit tenu d’établir ses prétentions selon la prépondérance des probabilités, il n’a tout de même pas à prouver qu’il serait plus probable qu’il soit persécuté que le contraire. En effet, dans l’arrêt Arduengo c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, (1981), 40 N.R. 436 (C.A.F.), à la page 437, le juge Heald, de la Section d’appel, a dit ce qui suit :

 

Par conséquent, j’estime que la Commission a commis une erreur en exigeant que le requérant et son épouse démontrent qu’ils seraient persécutés alors que la définition légale précitée exige seulement qu’ils établissent qu’ils« craignent avec raison d’être persécutés ». Le critère imposé par la Commission est plus rigoureux que celui qu’impose la loi.

 

[…]

 

Nous adopterions cette formulation, qui nous semble équivalente à celle utilisée par le juge Pratte, de la Section d’appel, dans Seifu c. Commission d’appel de l’immigration (A‑277‑82, en date du 12 janvier 1983) :

 

[…] que pour appuyer la conclusion qu’un requérant est un réfugié au sens de la Convention, il n’est pas nécessaire de prouver qu’il « avait été ou serait l’objet de mesures de persécution »; ce que la preuve doit indiquer est que le requérant craint avec raison d’être persécuté pour l’une des raisons énoncées dans la Loi.

Les expressions telles que « [craint] avec raison » et « possibilité raisonnable » signifient d’une part qu’il n’y a pas à y avoir une possibilité supérieure à 50 % (c’est‑à‑dire une probabilité), et d’autre part, qu’il doit exister davantage qu’une possibilité minime. Nous croyons qu’on pourrait aussi parler de possibilité « raisonnable » ou même de « possibilité sérieuse », par opposition à une simple possibilité.

 

[21] Les motifs de la Commission doivent être pris dans leur ensemble. Dans la décision I.F. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1472, au paragraphe 24, le juge Lemieux, se prononçant sur la question de savoir si la Commission avait commis une erreur dans son application du critère de l’article 96 en énonçant deux critères quelque peu différents, a conclu comme suit :

 

En l’espèce, compte tenu de la décision contestée dans son ensemble, je conclus que le tribunal s’est suffisamment exprimé et que le fardeau de la preuve imposé aux demandeurs n’était pas excessif. Le tribunal exprime l’essence de la norme de preuve appropriée, à savoir […]

 

[22] La décision Alam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2005 CF 4, au paragraphe 6, le juge O’Reilly a déclaré ce qui suit :

 

La norme de preuve n’est pas facile à énoncer. La Cour fédérale a reconnu que différentes expressions de cette norme sont acceptables, pour autant qu’il appert de l’ensemble des motifs de la Commission que le fardeau de la preuve imposé au demandeur n’est pas excessif.

 

Dans Leal Alvarez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 154, le juge Rennie a indiqué, au paragraphe 5 :

 

Quant à la seconde erreur, la demanderesse a déclaré avoir été enlevée et battue par les FARC. La SPR a insisté sur la « preuve absolue » de cette allégation. La SPR a également rejeté la prétention de Mme Alvarez parce qu’elle croyait, « selon la prépondérance des probabilités, qu’elle n’était pas une cible des FARC ». Aucune de ces conclusions ne repose sur la norme juridique applicable. Il n’incombait pas à la demanderesse principale de produire une preuve concluante ou une preuve selon la prépondérance des probabilités. Le critère consiste à déterminer s’il existe une possibilité sérieuse de persécution ou de préjudice. Comme l’a rappelé le juge O’Reilly dans Alam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 4, 2005 CF 4, lorsque la Commission a rehaussé à tort la norme de preuve, ou que la Cour ne peut déterminer la norme de preuve qui a été effectivement appliquée, la tenue d’une nouvelle audience peut être ordonnée; voir également Yip c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 1285. Il s’agit donc là aussi d’une erreur susceptible de contrôle.

 

[Je souligne.]

 

 

Bien que la SPR doive examiner les faits invoqués pour fonder une crainte subjective fondée de persécution, elle ne peut se mettre à la place du demandeur et appliquer la norme civile de prépondérance des probabilités pour établir si la crainte subjective est fondée ou non. En le faisant, elle a imposé à tort une norme plus exigeante.

 

La conclusion qu’elle formule au paragraphe 43 de sa décision constitue un exemple supplémentaire d’application d’une mauvaise norme de preuve :

 

Pour ces motifs, le tribunal conclut que, selon la prépondérance des probabilités, le gouvernement du Sri Lanka ne souhaite pas arrêter le demandeur d’asile et ne le perçoit pas comme une personne ayant des liens avec les TLET, même s’il est un jeune Tamoul des régions du nord et de l’est du Sri Lanka.

 

[Je souligne.]

 

La SPR mentionne cependant le bon critère dans deux paragraphes de sa décision :

 

... le tribunal conclut qu’il n’y a pas de possibilité sérieuse que le demandeur d’asile soit persécuté à son retour au Sri Lanka et que sa crainte n’est pas fondée.

 

[Dossier certifié du tribunal – décision de la SPR, para 63]

 

Comme le demandeur d’asile n’a présenté aucun autre élément de preuve, et que la documentation n’appuie pas une conclusion selon laquelle il y aurait une possibilité sérieuse qu’il soit persécuté s’il retournait au Sri Lanka ou qu’il serait persécuté ou personnellement exposé à une menace à sa vie, au risque de traitements ou peines cruels et inusités, ou au risque d’être soumis à la torture par les autorités du Sri Lanka, la demande d’asile doit être rejetée. [Dossier certifié du tribunal – décision de la SPR, para 68]

 

J’estime toutefois que ces passages ne peuvent sauver la décision, la SPR ayant, au mieux, appliqué des normes de preuve disparates dans son analyse relative à l’article 96.

 

 

[47]           De plus, voici à ce sujet les paragraphes 7 à 9 des motifs de la décision Alam citée par le juge Mandamin :

En revanche, dans les cas où la Commission a semblé imposer un fardeau de la preuve excessif au demandeur, la Cour a ordonné la tenue d’une nouvelle audience. Ainsi, le juge en chef Julius Isaac a conclu que la Commission avait commis une erreur lorsqu’elle a mentionné qu’elle n’était pas convaincue « [que le demandeur] court un risque raisonnable d’être persécuté en raison de ses opinions politiques s’il retourne en Bulgarie » (Chichmanov c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] A.C.F. no 832 (C.A.) (QL); voir également Mirzabeglui c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] A.C.F. no 50 (C.A.) (QL)). Dans l’arrêt Adjei, susmentionné, le juge MacGuigan n’a pas approuvé la façon dont la Commission avait formulé la norme de preuve en disant que les éléments de preuve qui lui avaient été présentés « ne lui permettent pas de conclure qu’il y a des raisons suffisantes de penser que M. Adjei serait persécuté... » .

 

Ce qu’il faut retenir de l’arrêt Adjei, c’est que la norme de preuve applicable réunit la norme civile habituelle et un seuil spécial qui s’applique uniquement dans le contexte des demandes d’asile. Bien entendu, les demandeurs doivent prouver les faits sur lesquels ils se fondent et la norme de preuve civile constitue la bonne façon d’apprécier la preuve qu’ils présentent à l’appui de leurs assertions de fait. Dans la même veine, les demandeurs doivent convaincre la Commission en bout de ligne qu’ils risquent d’être persécutés. Il s’agit encore là d’une norme de preuve civile. Cependant, étant donné qu’ils doivent démontrer uniquement l’existence d’un risque de persécution, il ne convient pas d’exiger d’eux qu’ils prouvent que la persécution est probable. En conséquence, ils doivent simplement prouver qu’il existe « une possibilité raisonnable » , « davantage qu’une possibilité minime » ou « de bonnes raisons de croire » qu’ils seront persécutés.

 

Il appert des décisions susmentionnées que, lorsque la Commission a articulé l’essentiel de la norme de preuve applicable (c’est‑à‑dire la combinaison de la norme de preuve civile et du concept de la « possibilité raisonnable »), la Cour fédérale n’est pas intervenue. En revanche, dans les cas où il a semblé que la Commission avait rehaussé la norme de preuve, la Cour est passée à un examen où elle s’est demandé si une nouvelle audience était nécessaire. De plus, si la Cour ne peut déterminer la norme de preuve qui a été appliquée, une nouvelle audience sera peut‑être nécessaire : Begollari c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1340, [2004] A.C.F. no 1613 (QL).

 

 

[48]           Voici les détails de la plainte du demandeur en l’espèce :

[traduction]

7. L’agent d’ERAR a commis une erreur notamment parce que le demandeur n’avait pas démontré selon la prépondérance des probabilités qu’il serait soumis à des difficultés. Voir le dossier, page 12 (le demandeur n’a pas démontré que son profil en est un qui « attirerait » une attention indue ou des représailles (dossier certifié du tribunal, page 6); page 13 : le demandeur n’a pas démontré qu’il « serait perçu » comme une personne qui avait quitté le pays illégalement; qu’il « serait détenu » à son retour; page 14 : le demandeur n’a pas démontré qu’il « serait perçu » comme une personne ayant des liens avec les TLTE ou possédant des antécédents d’opposition au gouvernement; page 14 : le demandeur n’a pas démontré qu’il « serait arrêté, maltraité ou autrement ciblé ». Il ne s’agit pas d’événements isolés (voir Sinnasamy, ci‑après).

 

8. Le demandeur n’avait pas le fardeau ultime de prouver qu’il risquait d’être persécuté. L’agent d’ERAR ne devait pas se contenter de chercher à savoir si le demandeur serait persécuté, mais établir s’il existait plus qu’une simple possibilité de persécution. Le demandeur [sic] que la norme de preuve prévue par l’art. 96 de la LIPR est moins exigeante que la prépondérance des probabilités, mais plus qu’une simple possibilité de persécution au retour (Adjei c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 2 C.F. 680 (CA), Chan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] R.C.S. no 593, au paragraphe 120 et Ponniah c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991) 132 N.R. 32, [1991] A.C.F. no 359 (C. A.) (QL)).

 

 

[49]           Le défendeur soutient que, à chacune de ces occasions, l’agent ne fait qu’appliquer la norme de preuve de droit civil aux faits sur lesquels le demandeur cherche à s’appuyer afin d’établir le bien‑fondé de sa crainte de persécution au sens de l’article 96 ou de sa crainte d’être exposé à des risques au sens de l’article 97. À mon avis, pour examiner et trancher cette question, il faut prendre en compte les faits particuliers de chaque espèce et la décision doit être examinée dans son ensemble, de façon à établir si la mauvaise norme de preuve a été appliquée. Je ne peux simplement adopter le raisonnement suivi dans la décision Opitz, précitée, comme me presse de le faire le demandeur. À mon avis, il existe des différences factuelles et sémantiques importantes entre les faits dans Opitz et les faits de l’espèce. De plus, dans Opitz, le problème concernait un renversement du fardeau de la preuve, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Selon ma lecture de l’ensemble de la décision, j’estime que la SPR a exigé du demandeur qu’il démontre les faits sur lesquels il s’appuyait (c.‑à‑d. son profil) selon la prépondérance des probabilités, mais la SPR a appliqué la norme appropriée (mentionnée dans la décision) en établissant si ces faits liés au profil du demandeur faisaient en sorte que ce dernier était exposé au risque d’être persécuté. Par conséquent, je ne peux accepter les arguments du demandeur selon lesquels la décision contient une erreur susceptible de révision.

 

[50]           J’estime que le demandeur cite hors contexte certains extraits de la décision d’ERAR. Voici ce que révèlent les passages cités par le demandeur lorsqu’ils sont replacés dans leur contexte :

a.                   De façon générale, [traduction] « les nouveaux éléments de preuve ne permettent pas d’établir que le demandeur est exposé à de nouveaux risques ou que le profil du demandeur en était un qui attirerait une attention indue ou des représailles de la part d’organisations militantes ou des forces de sécurité s’il était renvoyé au Sri Lanka ». En d’autres termes, le demandeur n’a pas fourni d’éléments de preuve attestant l’existence de nouveaux risques ou l’existence du profil d’une personne exposée à des risques. Il s’agit d’un commentaire sur l’absence d’éléments de preuve pertinents; par contre, il ne s’agit pas d’un énoncé sur le fardeau de preuve dont le demandeur doit s’acquitter pour établir l’existence d’un risque en vertu de l’article 96 de la Loi.

 

b.                  La SPR a conclu que le demandeur [traduction] « n’[avait] pas démontré qu’il avait quitté le Sri Lanka illégalement » ou qu’il serait perçu comme une personne qui avait quitté le pays illégalement. Encore une fois, c’est là un commentaire au sujet de l’absence d’éléments de preuve attestant un risque évoqué par le demandeur. Il n’est pas question du fardeau de preuve aux termes de l’article 96 de la Loi. De plus, la SPR poursuit en soulignant que [traduction] « le demandeur n’a pas expliqué de façon satisfaisante pour quelles raisons il serait détenu à son retour au Sri Lanka compte tenu de la conclusion du tribunal de la SPR selon laquelle il avait été autorisé à quitter son pays ». C’est tout simplement une autre façon de dire que le demandeur ne disposait pas d’éléments de preuve pour étayer son allégation selon laquelle il serait détenu. Il ne s’agit donc pas du fardeau de preuve prévu à l’article 96 de la Loi.

 

c.                   Selon la SPR, [traduction] « le demandeur n’a pas établi au moyen d’éléments de preuve objectifs ou de nouveaux éléments de preuve convaincants qu’il serait perçu comme une personne ayant des liens avec les TLTE ou possédant des antécédents d’opposition au gouvernement ». Encore une fois, à mon avis, c’est un commentaire relatif aux lacunes des nouveaux éléments de preuve soumis par le demandeur. Il ne s’agit pas d’une déclaration au sujet du degré de risque dont il doit faire la preuve en vertu de l’article 96 de la Loi. La même chose s’applique aux commentaires de la SPR selon lesquels les documents soumis par le demandeur ne permettent pas à la SPR de conclure qu’il [traduction] « serait arrêté, maltraité ou autrement ciblé comme une personne soupçonnée d’avoir des liens avec les TLET parce qu’il est un demandeur débouté, parce qu’il est un Tamoul du Nord du pays ou pour tout autre motif qui justifierait une décision positive en l’espèce ». À mon avis, la SPR dit simplement qu’il n’existe aucun élément de preuve satisfaisant pour étayer l’existence des risques allégués par le demandeur. Il ne s’agit pas d’un commentaire sur le degré de risque auquel le demandeur doit démontrer qu’il est exposé.

 

d.                  La SPR réitère que [traduction] « le demandeur n’a pas établi au moyen de nouveaux éléments de preuve suffisants que son profil personnel justifie une décision positive en l’espèce ». La SPR poursuit en soulignant qu’elle juge aussi que [traduction] « les nouveaux éléments de preuve ne [la] convainquent pas que la situation dans le pays s’est détériorée depuis le rejet de la demande par la SPR ou que la situation personnelle du demandeur a changé au point de justifier une conclusion selon laquelle il est exposé à des risques ». En d’autres mots, le demandeur n’a pas fourni la preuve que son profil est celui d’une personne exposée à des risques.

 

[51]           Après avoir évalué la qualité des nouveaux éléments de preuve fournis par le demandeur, la SPR applique ensuite le critère établi en ce qui concerne le degré de risque et conclut que le demandeur [traduction] « n’est exposé qu’à une simple possibilité de persécution au Sri Lanka… ». La lecture complète des extraits cités de la SPR dans leur contexte ne me convainc pas que la SPR a exigé un fardeau de preuve plus élevé que celui qui est exigé par la loi.

 

[52]           À mon avis, la SPR n’a pas appliqué un critère erroné, la décision est raisonnable et les motifs sont adéquats.

 

[53]           Les avocats conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier, et la Cour est d’accord.


JUGEMENT

 

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

 

1.                  La demande est rejetée.

2.                  Il n’y a aucune question à certifier.

3.                  L’intitulé est modifié par la suppression de « ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile », de sorte qu’il n’y a qu’un seul défendeur, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.

 

James Russell

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑3255‑12

 

INTITULÉ :                                                  KASRON PARARAJASINGHAM

 

                                                                        ‑ et ‑

 

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 9 octobre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 4 décembre 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Crane

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Sharon Stewart‑Guthrie

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michael Crane

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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