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Date : 20121210

Dossier : IMM-3376-12

Référence : 2012 CF 1444

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 décembre 2012

En présence de monsieur le juge Martineau

 

 

ENTRE :

 

DEYCILIA SILVA LOPEZ

FRIDA AYLIN MARTINEZ SILVA

 

 

 

demanderesses

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse principale, Mme Deycilia Silva Lopez [la demanderesse] et sa fille mineure, Frida Aylin Martinez Silva, sollicitent le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la Commission] a jugé qu’elles n’avaient ni qualité de réfugiées au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger.

 

[2]               Les demanderesses sont des citoyennes du Mexique qui sont arrivées au Canada en juillet 2009 et qui ont présenté une demande d’asile peu de temps après. Leur demande est fondée sur la crainte de la demanderesse principale d’être persécutée par son ex‑mari, M. Armando Martinez Padilla, avec lequel elle a vécu une relation violente et brutale.

 

[3]               Après la naissance de la demanderesse mineure, la demanderesse a remarqué que son mari consommait des drogues illicites. À la fin de 2001, il a commencé à la maltraiter physiquement. La demanderesse raconte que son ex‑mari ramenait des drogues et des armes à la maison et qu’il était impliqué dans d’autres activités criminelles. Il a été emprisonné pour un vol de voiture en 2004 et les amis de son ex-mari ont forcé la demanderesse à lui rendre visite en prison comme conjointe pour lui apporter divers objets. La demanderesse estimait que les amis de son mari avaient des liens avec des gangs et elle soupçonnait qu’ils versaient des pots‑de‑vin aux autorités pour obtenir sa remise en liberté anticipée. La demanderesse aurait vraisemblablement tenté d’échapper à son mari à plusieurs reprises avant d’arriver au Canada. Ainsi, elle s’est rendue aux États-Unis en 2005, à Sonora, au Mexique, après un trajet d’environ 38 heures en voiture depuis sa ville natale, en 2007, et à Tijuana, au Mexique, à une distance d’environ huit heures en voiture, en 2008. Chaque fois, les amis de M. Padilla auraient proféré des menaces contre elle pour l’inciter à revenir auprès de son mari à Mexico. La dernière fois que la demanderesse est revenue à Mexico – depuis Tijuana –, c’était pour répondre à une requête en divorce déposée par M. Padilla. Après que les vices constatés dans la requête eurent été corrigés, les conjoints ont divorcé le 24 mars 2009. Monsieur Padilla a conservé des droits de visite relativement à leur fille, mais il ne les aurait jamais exercés.

 

[4]               Étant donné que la demanderesse a amené la demanderesse mineure avec elle au Canada à l’insu de M. Padilla et sans son consentement, l’audience se déroulant devant la Commission a été ajournée pour accorder au ministre la possibilité d’y participer. Le ministre a constaté qu’aucun signalement d’enfant disparu n’avait été déposé auprès d’Interpol, de sorte que le Canada n’avait pas contrevenu aux obligations que lui imposait la Convention de La Haye. La Commission a finalement rejeté la demande au motif que la demanderesse pouvait compter sur une protection suffisante de l’État et qu’elle n’avait pas de crainte subjective.

 

[5]               En premier lieu, la Commission a conclu que la demanderesse n’avait pas réfuté la présomption de la protection de l’État étant donné qu’elle n’avait pas pris toutes les mesures raisonnables dans les circonstances pour se prévaloir de la protection de l’État. La Commission a également conclu que les éléments de preuve présentés à l’appui de la seule tentative que la demanderesse avait faite pour demander cette protection n’étaient pas crédibles. Cela étant, la Commission a relevé des contradictions entre le témoignage donné par la demanderesse et la lettre par laquelle le Cabinet du procureur général l’avait assignée à comparaître devant une unité spécialisée dans la violence conjugale. La Commission a estimé que la demanderesse n’avait parlé de ses problèmes de violence conjugale qu’une seule fois à un représentant de l’État, en l’occurrence, le juge qui avait statué sur sa requête en divorce. La Commission a conclu que le juge des divorces l’avait dirigée vers l’unité de la violence conjugale et que la lettre du procureur général démontrait que les autorités mexicaines étaient intervenues immédiatement et avaient permis à la demanderesse de consulter une travailleuse sociale et qu’on lui avait offert la possibilité d’une audience devant un juge spécialisé notamment en violence conjugale. La Commission a par conséquent conclu que la demanderesse n’avait fourni aucun élément de preuve convaincant démontrant que la police mexicaine n’était pas disposée à les protéger elle et sa fille par l’entremise du procureur général et du système judiciaire.

 

[6]               Deuxièmement, la Commission a tiré une conclusion négative en ce qui concerne la crainte suggestive de la demanderesse du fait qu’elle n’avait pas demandé l’asile aux États-Unis et qu’elle s’était réclamée à nouveau de la protection du Mexique, où elle était retournée vivre dans la même maison que son mari à l’époque. La demanderesse a expliqué qu’elle s’était rendue aux États-Unis avec [traduction] « l’intention d’y rester », mais qu’elle était retournée au Mexique après avoir reçu des appels téléphoniques de menace d’amis de son ex‑mari qui l’avaient appelée à partir de numéros de téléphone locaux. Elle a relaté qu’elle ne pouvait en parler à la police parce qu’elle craignait d’être expulsée. La Commission n’a pas été convaincue par la version des faits de la demanderesse, qui affirmait qu’elle ne s’était pas renseignée pour savoir comment demander l’asile aux États-Unis. La Commission a estimé que ce facteur, ajouté au fait que la demanderesse était au courant des risques auxquels elle s’exposait et exposait sa fille en retournant au Mexique, n’était pas compatible avec une crainte subjective d’être persécutée par son ex‑mari.

 

[7]               Bien qu’ils n’aient pas nécessairement été plaidés par son conseil dans l’ordre suivant, les arguments invoqués par la demanderesse dans la présente demande comportent quatre volets : en premier lieu, la Commission a commis une erreur dans son examen de la crainte subjective de la demanderesse; deuxièmement, la commissaire n’a pas tenu compte des Directives sur les revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe données par la présidente de la Commission [les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe]; troisièmement, la Commission a tiré une conclusion de fait erronée au sujet du renvoi de la demanderesse par le juge des divorces à une « unité de la violence domestique »; quatrièmement, la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte de la situation particulière de la demanderesse et de l’efficacité des mesures prises par le Mexique pour protéger les femmes victimes de violences de la part des hommes dans son analyse de la protection de l’État.

 

[8]               La présente demande doit être rejetée, étant donné que j’estime que, dans l’ensemble, la décision contestée est raisonnable et que la conclusion finale de la Commission constitue une réponse acceptable et défendable à la lumière des faits et du droit.

 

[9]               En premier lieu, je suis d’accord avec la demanderesse pour dire que la Commission a commis une erreur en concluant que le fait qu’elle s’était réclamée de nouveau de la protection du Mexique permettait de conclure qu’elle n’avait pas de crainte subjective. Notre Cour a jugé que des persécutions ultérieures à la date à laquelle l’intéressé se réclame de nouveau de la protection des autorités « n’empêchent pas une personne de présenter une [demander l’asile] sans devoir réfuter un argument portant sur le fait qu’elle s’est réclamé de la protection de son pays » (Gurusamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 990, au paragraphe 40, [2011] ACF no 1217; Prapharan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 272, au paragraphe 17, [2001] ACF no 481) et il est acquis aux débats que la demanderesse n’a pas été victime d’autres violences entre son retour au Mexique des États-Unis en 2005 et son arrivée au Canada en 2009. Cette question n’a toutefois pas joué un rôle déterminant en ce qui concerne la décision de la Commission et, à elle seule, cette erreur n’est pas suffisante pour justifier le renvoi de l’affaire à la Commission pour qu’elle rende une nouvelle décision.

 

[10]           Deuxièmement, j’estime également que la Commission a suffisamment pris en compte les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe pour en arriver à sa décision. La Commission a formulé au cours de l’audience plusieurs commentaires qui démontraient qu’elle était sensible aux problèmes particuliers auxquels sont confrontées les victimes de violence conjugale y compris ceux auxquels la demanderesse faisait face. La Commission a accepté la véracité des horribles allégations de violence relatées par la demanderesse et elle ne l’a pas interrogée sur ce sujet délicat et douloureux à l’audience. Le fait que les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe ne soient pas citées expressément dans les motifs de la Commission ne suffit pas à infirmer sa décision compte tenu des circonstances de l’espèce. La décision de la Commission doit être lue dans son ensemble et les commentaires formulés par la Commission dans les passages cités par le conseil de la demanderesse ont été cités hors contexte ou ne démontrent pas d’insensibilité marquée de la part de la commissaire en ce qui concerne les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe.

 

[11]           En troisième lieu, je ne puis accepter l’argument de la demanderesse en ce qui concerne l’erreur qu’aurait commise la Commission. Les conclusions de fait de la Commission ont droit à un degré élevé de déférence étant donné que ces questions relèvent directement de son domaine d’expertise et que le dossier dont la Commission disposait appuie l’interprétation qu’elle a faite de la lettre de convocation adressée par le Cabinet du procureur général. Le témoignage donné par la demanderesse sur cette question n’était pas particulièrement clair. Mais surtout, la Commission s’est dite préoccupée par la contradiction relevée entre la lettre du Cabinet du procureur général et l’affirmation précédente de la demanderesse suivant lequel elle n’avait jamais abordé de représentant de l’État pour obtenir de l’aide. Peu importe que le juge des divorces l’ait dirigée vers l’unité de la violence domestique ou que la demanderesse se soit adressée à ce service de sa propre initiative, la contradiction demeure et en dit long sur la conclusion tirée par la Commission au sujet de la crédibilité. Là encore, il faut lire la décision de la Commission dans son ensemble et l’on ne peut dire que la conclusion tirée par la Commission n’est pas défendable compte tenu de la preuve dont disposait la Commission à l’audience.

 

[12]           Quatrièmement, il incombe à la demanderesse de réfuter la présomption de la protection de l’État au moyen « d’éléments de preuve clairs et convaincants » (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] ACS no 74, au paragraphe 50). La principale réserve qu’avait la Commission était le fait que, malgré les liens qu’avait son ex‑mari avec des éléments criminels, la demanderesse n’a pas pris les mesures raisonnables pour chercher à obtenir la protection de l’État. Notre Cour a déjà jugé que la perception purement subjective du caractère adéquat de la protection de l’État ne constitue pas une « preuve “directe, pertinente et convaincante” du caractère inadéquat de la protection de l’État » (Martinez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1050, au paragraphe 7, [2005] ACF no 1297). Tout en prenant acte des cas de lacunes policières constatées au Mexique, la Commission a conclu que, dans son cas, la demanderesse avait obtenu une réponse immédiate du Cabinet du procureur général après avoir révélé ses antécédents de violence conjugale. Qui plus est, après avoir analysé la totalité de la preuve, la Commission a fait observer : « Même s’il y a des incohérences entre les sources, la prépondérance de la preuve objective concernant la situation actuelle dans le pays donne à penser que, bien qu’imparfaite, la protection de l’État offerte au Mexique est efficace et adéquate; que le pays fait de sérieux efforts pour régler le problème de violence conjugale; et que les policiers sont disposés et aptes à protéger les victimes de ce type de violence. » Je conclus donc que la conclusion tirée par la Commission au sujet de la protection de l’État était raisonnable lorsqu’on examine sa décision dans son ensemble.

 

[13]           Pour ces motifs, la présente demande est rejetée. Aucune question grave de portée générale n’a été proposée en vue d’être certifiée et aucune ne sera donc certifiée par la Cour.

 


JUGEMENT

LA COUR REJETTE la demande de contrôle judiciaire. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Luc Martineau »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3376-12

 

INTITULÉ :                                      DEYCILIA SILVA LOPEZ

                                                            FRIDA AYLIN MARTINEZ SILVA c

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 6 décembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 10 décembre 2012

 

 

 

ONT COMPARU :

 

Patricia Wells

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Khatidja Moloo

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Patricia Wells

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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