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Date : 20121210

Dossier : IMM-475-12

Référence : 2012 CF 1461

[traduction française certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 10 décembre 2012

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

SHRINIVAS SHUKLA

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie d’une demande, présentée conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 (la Loi), visant l’obtention d’un contrôle judiciaire en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7. Le demandeur sollicite un bref de mandamus relativement à sa demande de résidence permanente au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral).

CONTEXTE

[2]               Le demandeur est un citoyen de l’Inde. Il a d’abord soumis une demande de résidence permanente en tant que travailleur qualifié (fédéral) au haut-commissariat du Canada à New Delhi, en Inde, le 25 février 2004 ou vers cette date.

[3]               Le 17 juillet 2008, le demandeur a reçu une lettre du haut-commissariat l’informant que la loi avait changé. On lui a offert de le rembourser les frais de sa demande. Le demandeur a refusé l’offre et a choisi de soumettre de nouveaux formulaires au haut-commissariat. Il s’est depuis renseigné à plusieurs reprises auprès du haut-commissariat pour connaître l’état d’avancement de sa demande, mais il n’a jamais reçu d’indications au sujet de la date à laquelle il pouvait s’attendre à obtenir une décision.

[4]               Le demandeur présente maintenant une demande de bref de mandamus dans l’espoir d’obliger le ministre à prendre une décision au sujet de sa demande de résidence permanente.

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[5]               Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent à la présente instance :

 

Demandes antérieures au 27 février 2008
 

 (1) Il est mis fin à toute demande de visa de résident permanent faite avant le 27 février 2008 au titre de la catégorie réglementaire des travailleurs qualifiés (fédéral) si, au 29 Mars 2012, un agent n’a pas statué, conformément aux règlements, quant à la conformité de la demande aux critères de sélection et autres exigences applicables à cette catégorie.

 

 

(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas aux demandes à l’égard desquelles une cour supérieure a rendu une décision finale, sauf dans les cas où celle-ci a été rendue le 29 mars 2012 ou après cette date.

 

(3) Le fait qu’il a été mis fin à une demande de visa de résident permanent en application du paragraphe (1) ne constitue pas un refus de délivrer le visa.

 

[…]

 

Application made before February 27, 2008

 (1) An application by a foreign national for a permanent resident visa as a member of the prescribed class of federal skilled workers that was made before February 27, 2008 is terminated if, before March 29, 2012, it has not been established by an officer, in accordance with the regulations, whether the applicant meets the selection criteria and other requirements applicable to that class.

 

(2) Subsection (1) does not apply to an application in respect of which a superior court has made a final determination unless the determination is made on or after March 29, 2012.

 

 

(3) The fact that an application is terminated under subsection (1) does not constitute a decision not to issue a permanent resident visa.

 

 

[…]

 

QUESTIONS EN LITIGE

[6]               Le demandeur soulève les questions litigieuses suivantes dans la présente demande :

 

a.                   La Cour devrait-elle rendre nunc pro tunc un bref de mandamus qui aurait pour effet de soustraire le demandeur à l’article 87.4 de la Loi?

b.                  La Cour devrait-elle prononcer un bref de mandamus enjoignant au défendeur de prendre une décision au sujet de la demande de résidence permanente du demandeur?

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Le demandeur

            Nunc pro tunc

 

[7]               Le paragraphe 87.4(1) de la Loi est entré en vigueur après que le demandeur eut déposé sa demande en vue d’être autorisé à introduire la présente demande de contrôle judiciaire. Cette disposition mettait fin à toutes les demandes de visa de résident permanent au titre de la catégorie réglementaire des travailleurs qualifiés (fédéral) qui n’avaient pas encore été tranchés en date du 29 mars 2012, et a eu pour effet de mettre fin à la demande du demandeur.

[8]               Le demandeur souligne qu’il s’agit d’une nouvelle question de droit, dans la foulée de l’entrée en vigueur du paragraphe 87.4(1), et que cette question revêt une grande importance étant donné qu’elle touche un grand nombre de personnes. Dans Liang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 758 [décision Liang], le juge Donald Rennie a écrit à ce sujet :

[59]       Deux questions ont été proposées pour certification :

 

 

[traduction]

2. La Cour fédérale a‑t‑elle la compétence pour antidater ses jugements et ses motifs dans le but de contrecarrer les effets de dispositions légales valablement adoptées?

 

[…]

 

[62]  La seconde question était proposée en réponse à une demande présentée par les demandeurs selon laquelle la Cour devait rendre sa décision de façon rétroactive. La compétence de la Cour en la matière est indéniable. Toutefois, dans la présente affaire, une telle ordonnance n’est pas justifiée, et elle ne peut pas être rendue. La question proposée est donc théorique. Elle est aussi vague, et par ailleurs, non acceptable pour certification, si on suppose comme elle le fait, une intention non prouvée de nier les effets d’une disposition législative non contestée.

 

 

[9]               Le demandeur affirme que la mesure législative non contestée à laquelle le juge Rennie faisait allusion était la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable, LC 2012, c 19. Cette loi a depuis été adoptée par la Chambre des communes et elle a reçu la sanction royale.

[10]           Le demandeur affirme que la Cour a notamment le pouvoir de rendre une ordonnance nunc pro tunc et de faire remonter la date de son ordonnance à une date antérieure au 29 mars 2012. L’application de ce pouvoir discrétionnaire se limite habituellement aux cas dans lesquels une partie subirait un préjudice si l’ordonnance était prononcée à une date autre qu’une date antérieure (Trans-Pacific Shipping Co. c Atlantic and Orient Shipping Corp. (BVI), 2005 CF 566, aux paragraphes 21 à 26 [décision Trans-Pacific Shipping Co.]).

[11]           Le demandeur a présenté sa demande avant le dépôt du projet de loi en question. Il ne pouvait prévoir que ce projet de loi serait déposé ou qu’il aurait des incidences négatives sur lui. Toute ordonnance qui serait rendue en date d’aujourd’hui serait théorique, puisque sa demande est caduque, ce qui, aux dires du demandeur, lui cause un préjudice. Il demande à la Cour de rendre sa décision rétroactivement à une date antérieure au 29 mars 2012 pour éviter ce préjudice.

Mandamus

[12]           Le demandeur affirme en outre qu’il a satisfait à toutes les conditions préalables à la délivrance d’un bref de mandamus que la juge Danièle Tremblay-Lamer a énumérées dans Conille c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 CF 33 :

a)      il existe une obligation légale à caractère public envers le demandeur;

b)      l’obligation doit exister envers le demandeur;

c)      il existe un droit clair d’obtenir l’exécution de cette obligation, notamment,

                                                        i.            le demandeur a satisfait à toutes les conditions préalables donnant naissance à cette obligation;

                                                      ii.            il y a eu une demande d’exécution de l’obligation, un délai raisonnable a été accordé pour permettre de donner suite à la demande, et il y a eu un refus ultérieur, exprès ou implicite, par exemple, un délai déraisonnable; et

d)     il n’existe aucun autre recours utile.

 

[13]           Le demandeur affirme en outre qu’il a satisfait à toutes les exigences pour qu’un délai soit considéré comme étant déraisonnable. Ces exigences ont été énoncées dans Mohamed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 195 FTR 137 (CF 1re inst) [décision Mohamed] :

a.       Le délai a été plus long que ce que la nature du processus exige prima facie;

 

b.      le demandeur et son conseiller juridique n’en sont pas responsables;

 

c.       l’autorité responsable du délai ne l’a pas justifié de façon satisfaisante.

 

 

[14]           Dans la décision Mohamed, la Cour a jugé déraisonnable le délai de quatre ans qui s’était écoulé en raison de « préoccupations concernant la sécurité » avant que ne soit accueillie la demande de résidence permanente présentée par le demandeur d’asile. Le demandeur cite également la décision Bhatnager c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] 2 CF 315 (CF 1re inst) [Bhatnager], dans laquelle le juge Barry Strayer a déclaré au paragraphe 4 :

La décision que doit rendre un agent des visas en vertu de l’article 6 du Règlement relativement à la délivrance d’un visa d’immigrant à un membre parrainé de la catégorie de la famille est de nature administrative, et la Cour ne saurait ordonner ce que cette décision devrait être. Mais un bref de mandamus peut être délivré pour exiger qu’une décision soit rendue. Normalement, il en est ainsi lorsqu’il y a eu refus exprès de rendre une décision, mais ce peut être également le cas lorsqu’on tarde beaucoup à rendre une décision sans donner d’explication suffisante. J’estime que telle est la situation en l’espèce. Les intimés ont, dans la preuve soumise en leur nom, mentionné des problèmes d’ordre général qu’ils rencontrent dans le traitement de ces demandes, particulièrement à New Delhi, mais ils n’ont donné aucune explication précise des délais considérables survenus dans cette affaire. Je ne me permettrai pas de fixer un délai qui servirait de limite à ce qui est raisonnable. Mais je suis convaincu, compte tenu des renseignements limités dont je dispose, qu’un délai de quatre ans et demi à partir du moment de la présentation de la nouvelle demande est déraisonnable et qu’il équivaut, à première vue, à une absence de décision.

 

[15]           Le demandeur affirme que l’analyse à laquelle le juge s’est livré dans la décision Bhatnager s’applique à son cas. Par ailleurs, dans Latrache c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] ACF no 154 (CF 1re inst), le juge François Lemieux a conclu qu’un délai inexpliqué de quatre ans et demi pour le traitement d’une demande de résidence permanente justifiait le prononcé d’un bref de mandamus. Dans Dee c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1767 (CF 1re inst), un délai de trois ans et demi a été considéré comme « prodigieusement long » et, dans Hanano c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 998, la juge Carolyn Layden-Stevenson a déclaré, au paragraphe 16, qu’« un délai de quatre ans appart[enait] à la catégorie des délais qui ont été jugés déraisonnables ».

[16]           Le demandeur souligne qu’un des facteurs dont on peut tenir compte pour déterminer s’il y a lieu de prononcer un bref de mandamus consiste à se demander si l’autorité chargée de prendre une décision a tenu le demandeur informé de l’état de sa demande ainsi que du délai dans lequel on s’attendait à ce qu’une décision soit rendue (Papal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 3 CF 532 (CF 1re inst)). Le demandeur affirme qu’il a collaboré à toutes les étapes du processus et que le défendeur ne lui a donné aucune indication utile en ce qui concerne l’état d’avancement de sa demande et ne lui a fourni aucune justification pour expliquer les délais.

[17]           Le demandeur rappelle à la Cour qu’il ne réclame pas de dispense ministérielle, mais qu’il demande simplement qu’une décision soit rendue au sujet de sa demande. Près de huit ans se sont écoulés depuis que le demandeur a soumis sa demande et près de quatre ans depuis qu’il a présenté ces derniers documents au haut-commissariat. Le demandeur affirme que le délai qu’accuse le traitement de sa demande est déraisonnable et qu’un bref de mandamus constitue une réparation appropriée dans les circonstances.

Le défendeur

            Nunc pro tunc

 

[18]           Le défendeur affirme que le demandeur, comme il invoque l’article 87.4 de la Loi, n’a plus de demande de résidence permanente en instance et ne dispose plus de motifs lui permettant d’obtenir gain de cause relativement à sa demande de bref de mandamus. Le défendeur affirme également qu’il ne convient pas que la Cour prononce une ordonnance nunc pro tunc en l’espèce.

[19]           La demande de résidence permanente présentée par le demandeur au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) a été présentée avant le 27 février 2008 et aucune décision n’avait été rendue en date du 29 mars 2012. Sa demande tombe donc sous le coup du paragraphe 87.4(1) de la Loi et elle est donc caduque. Le demandeur n’a cité aucun précédent, principe ou raison justifiant que la Cour exerce son pouvoir de manière à rendre une ordonnance nunc pro tunc en l’espèce.

[20]           Le demandeur invoque la décision Liang, précitée, tout en reconnaissant que cette décision a été rendue avant l’entrée en vigueur de l’article 87.4. Ainsi, au moment où la décision Liang a été rendue, la demande en cause n’était pas encore caduque. De plus, la Cour n’avait pas prononcé d’ordonnance nunc pro tunc (Liang, au paragraphe 62).

[21]           Le demandeur cite également des extraits de la décision Trans-Pacific Shipping, précitée. Cette décision ne semble toutefois pas appuyer la thèse du demandeur, étant donné qu’elle ne se rapporte pas à un bref de mandamus portant sur une demande ayant pris fin, mais indique plutôt que la Cour peut antidater ses ordonnances dans des cas exceptionnels, notamment afin d’éviter de causer un préjudice à une partie par suite d’une mesure prise par la Cour (actus curiae neminem gravabit). Le défendeur cite les paragraphes 24 à 26 de la décision Trans-Pacific Shipping :

Quant aux facteurs régissant l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire, dans Turner v. London and South-Western Railway Company (1874), 17 L.R. Eq. 561, le vice-chancelier Hall a passé en revue la jurisprudence antérieure selon laquelle lorsqu’une partie à une action décédait, par exemple, après la fin d’un procès, mais pendant que la Cour délibérait, celle-ci permettait que le jugement soit rendu après le décès avec effet rétroactif, afin que la partie ne soit pas lésée par le délai découlant de la mise en délibéré. Le but de la pratique était de placer la partie dans la position dans laquelle elle se serait trouvée si la Cour avait rendu son jugement immédiatement après le procès plutôt que de mettre l’affaire en délibéré.

Dans des décisions anglaises postérieures, il a été confirmé que l’exercice de ce pouvoir devrait [traduction] « être fondé sur des principes valables démontrés » (Borthwick v. Elderslie Steamship Company (No. 2), [1905] 2 K.B. 516 (C.A.), à la page 519), et [traduction] « que les faits doivent comporter un élément exceptionnel justifiant une ordonnance de cette nature » (Belgian Grain and Produce Company, Ltd. v. Cox & Company (France), Ltd., [1919] W.N. 308 (C.A.)).

Les tribunaux ont adopté cette jurisprudence au Canada. Voir, par exemple, Crown Zellerbach, aux pages 246 et 247; Loyie (Representative of) v. Erickson Estate, (1994), 94 B.C.L.R. (2d) 33 (C.S.); et Monahan Estate c. Nelson (2000), 186 D.L.R. (4th) 193 (C.A.C.-B.). Selon les décisions canadiennes susmentionnées et la jurisprudence qui y est examinée, nul ne devrait être lésé par la conduite de la cour (Loyie, à la page 41, et Monahan, aux paragraphe 10 et suivants ainsi qu’au paragraphe 61). En conséquence, il est possible, par exemple, d’antidater un jugement afin d’éviter de causer un préjudice à une partie par suite d’une mesure ou d’un retard de la cour. Selon une formule plus classique, actus curiae neminem gravabit.

 

[22]           La Cour suprême du Canada a expliqué le principe de l’actus curiae neminem gravabit dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Hislop, 2007 CSC 10, au paragraphe 77 :

[...] Néanmoins, il est bien établi en droit que nulle mesure judiciaire ne doit porter préjudice à une partie au litige (actus curiae neminem gravabit) : Turner c. London and South‑Western Railway Co. (1874), L.R. 17 Eq. 561. Suivant ce principe, lorsque le demandeur décède après les plaidoiries, mais avant le jugement, les cours de justice font rétroagir le jugement (nunc pro tunc) à la date de conclusion des plaidoiries : voir Gunn c. Harper (1902), 3 O.L.R. 693 (C.A.); Hubert c. DeCamillis (1963), 41 D.L.R. (2d) 495 (C.S.C.‑B.); Monahan c. Nelson, (2000), 186 D.L.R. (4th) 193, 2000 BCCA 297. Nous confirmons la justesse de cette approche et concluons que la succession de tout membre du groupe qui était vivant le jour où les plaidoiries ont pris fin en Cour supérieure de l’Ontario et qui satisfaisait par ailleurs aux exigences du RPC peut bénéficier du jugement.

 

 

[23]           La Cour suprême du Canada a toutefois également indiqué clairement que la maxime actus curiae neminem gravabit ne saurait avoir pour effet de conférer une compétence qui a été retirée par la loi. Dans l’arrêt Trecothic Marsh, [1905] 37 RCS 79, la Cour suprême du Canada a déclaré, au paragraphe 3 :

[traduction] Je souscris par ailleurs à l’idée que la maxime actus curiae neminem gravabit ne serait s’appliquer de manière à conférer une compétence qui a été expressément retirée par une loi (Cumber c. Wane, 1 Sm. L.C. (11 éd.) 338. Je suis également d’accord pour dire que, lorsque le délai est expiré, le tribunal ne peut s’attribuer une compétence en antidatant son jugement et en ordonnant qu’il soit rendu nunc pro tunc. Agir ainsi irait clairement à l’encontre de la loi et de la volonté du législateur. Un tribunal ne peut étendre indéfiniment sa compétence à l’encontre de la loi.

 

[24]           Le défendeur affirme qu’il ne convient pas que la Cour prononce un bref de mandamus nunc pro tunc dans le cas qui nous occupe.

Mandamus

[25]           Le défendeur affirme également que, par suite de la promulgation de l’article 87.4 de la Loi, il n’existe plus envers le demandeur d’obligation légale d’agir à caractère public (Khalil c Canada (Secrétariat d’État), [1999] 4 CF 661 (CAF) au paragraphe 11). Comme le demandeur n’a plus de demande de résidence permanente en instance, il n’a pas satisfait aux conditions préalables à remplir pour pouvoir obtenir un bref de mandamus (Apotex Inc c Canada (Procureur général), [1994] 1 CF 742 (CAF), conf. par [1994] 3 RCS 1100). Le défendeur demande donc à la Cour de rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

ANALYSE

[26]           Il est acquis aux débats que la demande de résidence permanente du demandeur a été présentée avant le 27 février 2008.

[27]           Il est également acquis aux débats qu’« au 29 mars 2012, un agent n’a[vait] pas statué, conformément aux règlements, quant à la conformité de la demande aux critères de sélection et autres exigences applicables  » à la catégorie réglementaire des travailleurs qualifiés (fédéral).

[28]           Il s’ensuit que, par application du paragraphe 87.4(1) de la Loi, une loi fédérale a mis fin à la demande de résidence permanente au Canada du demandeur. Il s’ensuit également qu’aux termes du paragraphe 87.4(5) de la Loi, le demandeur n’a aucun droit de recours contre Sa Majesté ou droit d’être indemnisé en rapport avec sa demande devenue caduque.

[29]           Malgré ces dispositions législatives claires et leur application aux faits de l’espèce, le demandeur sollicite un bref de mandamus, pour qu’une décision soit rendue au sujet de sa demande de résidence permanente, et demande également que l’effet de cette ordonnance s’applique nunc pro tunc avant le 29 mars 2012 pour éviter l’effet de l’article 87.4 de la Loi.

[30]           En réalité, le demandeur demande à la Cour de considérer que sa demande de résidence permanente existe toujours même si l’article 87.4 de la Loi y a mis fin. En d’autres termes, il demande à la Cour de faire revivre une demande à laquelle une loi fédérale a mis fin.

[31]           Le demandeur ne conteste pas la constitutionnalité de l’article 87.4 de la Loi et il ne prétend pas que cet article ne s’applique pas à sa demande de résidence permanente. Il affirme simplement que l’article 87.4 ne devrait pas s’appliquer dans son cas et que la Cour devrait exercer son pouvoir de manière à contourner une loi fédérale claire en rendant une ordonnance nunc pro tunc, et ce, au motif que sa demande de contrôle judiciaire a été introduite avant l’entrée en vigueur de l’article 87.4 de la Loi.

[32]           Le demandeur tente d’établir une analogie entre sa situation et celle dont il était question dans les décisions Liang et Trans-Pacific Shipping, précitées. Il me semble qu’aucune de ces décisions n’aide le demandeur. L’affaire Liang a été tranchée avant que l’article 87.4 n’entre en vigueur; la demande en cause dans cette affaire n’était donc pas caduque. Cela étant, la Cour a décidé que le prononcé d’une ordonnance nunc pro tunc n’était pas justifié dans ces conditions.

[33]           L’affaire Trans-Pacific Shipping ne portait pas non plus sur le prononcé d’un bref de mandamus dans le contexte d’une demande devenue caduque. Comme il est clairement indiqué dans cette décision, une ordonnance nunc pro tunc a pour objet de faire en sorte que « nul ne [soit] lésé par la conduite de la cour […] [I]l est possible, par exemple, d’antidater un jugement afin d’éviter de causer un préjudice à une partie par suite d’une mesure ou d’un retard de la cour ».

[34]           À mon avis, la présente affaire n’a rien à voir avec une mesure ou un retard de la Cour. Le demandeur cherche à se soustraire à la volonté clairement exprimée par le législateur dans une loi fédérale dans une situation dans laquelle la Cour n’a pas le pouvoir d’aller à l’encontre de la volonté clairement exprimée par le législateur (Trecothic Marsh (Re), précité).

[35]           De plus, le demandeur cherche à obtenir de la Cour une réparation qui, suivant la LIPR, n’a aucun effet (décision Liang, précitée, au paragraphe 21). Le paragraphe 87.4(2) de la Loi dispose :

(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas aux demandes à l’égard desquelles une cour supérieure a rendu une décision finale, sauf dans les cas où celle-ci a été rendue le 29 mars 2012 ou après cette date.

(2) Subsection (1) does not apply to an application in respect of which a superior court has made a final determination unless the determination is made on or after March 29, 2012.

 

En d’autres termes, si je devais rendre maintenant une décision définitive nunc pro tunc sur la demande de contrôle judiciaire du demandeur comme ce dernier le réclame, le paragraphe 87.4(1) s’appliquerait quand même, selon le paragraphe 87.4(2), ce qui aurait pour effet de mettre fin à la demande.

[36]           Comme le demandeur n’a plus de demande de résidence permanente en instance, il me semble qu’il ne peut plus remplir les critères auxquels il doit satisfaire pour pouvoir obtenir un bref de mandamus. Il n’existe plus d’obligation d’agir à caractère public en sa faveur (Khalil c Canada (Secrétaire d’État), [1999] 4 CF 661 (CAF) au paragraphe 11).

[37]           Il ressort clairement des précédents dont nous disposons sur la question que la maxime nunc pro tunc ne s’applique pas dans ce genre de situation. Dans l’arrêt Trecothic Marsh, précité, la Cour suprême du Canada dit ce qui suit à ce propos :

[traduction] Je souscris par ailleurs à l’idée que la maxime actus curiae neminem gravabit ne saurait s’appliquer de manière à conférer une compétence qui a été expressément retirée par une loi (Cumber c. Wane, 1 Sm. L.C. (11 éd.) 338. Je suis également d’accord pour dire que, lorsque le délai est expiré, le tribunal ne peut s’attribuer une compétence en antidatant son jugement et en ordonnant qu’il soit rendu nunc pro tunc. Agir ainsi irait nettement à l’encontre de la loi et de la volonté du législateur. Un tribunal ne peut étendre indéfiniment sa compétence à l’encontre de la loi.

 

 

[38]           Le demandeur ne prétend pas que cet arrêt de 1905 de la Cour suprême du Canada a depuis été écarté; il affirme toutefois que le passage précité n’est qu’une opinion incidente par laquelle je ne suis pas lié. Il exhorte la Cour à suivre la décision Silver c IMAX Corp., 2012 ONSC 4881 (CanLII) rendue par la Cour supérieure de justice de l’Ontario (le juge van Rensburg).

[39]           L’affaire Silver portait toutefois sur l’application de la maxime nunc pro tunc dans le contexte d’un délai de prescription :

                        [traduction] 

43        Le pouvoir de rendre une ordonnance nunc pro tunc fait partie de la compétence inhérente de la cour et il est reconnue par les Règles de Procédure Civile (Crown Zellerbach Canada Ltd. c. British Columbia (1979), 13 B.C.L.R. 276 (C.A.)). En Ontario, l’article 59.01 des Règles de Procédure Civile dispose : « L’ordonnance, à moins qu’elle ne contienne une disposition contraire, prend effet à compter de la date à laquelle elle est rendue ». Les Règles autorisent la Cour à antidater ses ordonnances ou à leur donner un effet rétroactif.

 

44     Nos cours de justice peuvent rendre des ordonnances nunc pro tunc ou leur donner un effet rétroactif dans diverses situations, parfois avec le consentement des parties, pour s’assurer que justice soit faite entre les parties. Bon nombre de ces ordonnances sont rendues par la cour des requêtes dans des situations dans lesquelles normalement le délai prescrit pour prendre une certaine mesure est déjà expiré, soit avant que la requête soit débattue, soit pendant qu’elle est en instance. Sans ordonnance nunc pro tunc, les droits d’une partie seraient anéantis, et ce, peu importe le bien-fondé du litige. Citons comme exemple, une ordonnance validant la signification d’un bref ou une déclaration prorogeant un délai ou accordant l’autorisation d’interjeter appel ou permettant de prendre d’autres mesures régies par les Règles. En pareil cas, une ordonnance nunc pro tunc est compatible avec l’article 2.01 des Règles, à condition que l’inobservation des Règles constitue une irrégularité et non une cause de nullité et qu’il soit loisible à la Cour d’autoriser les modifications ou d’accorder les mesures de redressement nécessaires, à des conditions justes, « afin d’assurer une résolution équitable des véritables questions en litige ».

 

45     Les tribunaux ont reconnu qu’il était également possible d’obtenir une ordonnance nunc pro tunc lorsque la loi exige de demander une autorisation avant de pouvoir introduire une action. Alors qu’auparavant, les tribunaux s’étaient longuement interrogés sur la question de savoir si une action introduite sans autorisation était entachée de nullité  et n’était pas susceptible d’être rétablie au moyen d’une ordonnance nunc pro tunc  ou était simplement entachée d’une irrégularité, la Cour d’appel a, dans l’arrêt New Alger Mines Limited (1986), 54 O.R. (2d) 562 (C.A.) et dans l’arrêt Montego Forest Products Ltd. (1998), 37 O.R. (3d) 651 (C.A.), reconnu que les instances introduites sans autorisation pouvaient être régularisées au moyen d’une ordonnance accordant une autorisation nunc pro tunc, sauf si la loi en question empêchait d’accorder cette mesure. Ces deux affaires portaient sur l’autorisation exigée pour introduire une action sous le régime de la Loi sur la faillite.

 

46     Dans la décision McKenna Estate c. Marshall, 2005 CarswellOnt 5028, [2005] O.J. No. 4394 (C.S.), le pouvoir de la cour de rendre des ordonnances nunc pro tunc a été examiné et expliqué. L’action de la demanderesse, qui avait été introduite avant l’expiration du délai indiqué dans un avis de vente hypothécaire, contrevenait à l’article 42 de la Loi sur les hypothèques qui interdisait d’introduire ce type d’action sans avoir d’abord obtenu l’autorisation de la Cour.

 

47     À la suite des arrêts susmentionnés de la Cour d’appel, le juge Sproat, citant d’autres précédents, a expliqué comment la capacité de prononcer des ordonnances nunc pro tunc permettait au tribunal de faire justice aux parties (aux paragraphes 23 et 24) :

 

[...] Il existe des considérations de principe qui militent en faveur du prononcé d’une ordonnance nunc pro tunc. En principe, la compétence de rendre une ordonnance nunc pro tunc lorsque les circonstances s’y prêtent permet à la Cour de faire justice aux parties en fonction des faits de l’espèce. Une interprétation étroite qui nierait à la Cour la faculté de prononcer une ordonnance nunc pro tunc risquerait de faire primer la forme sur le fond, en plus d’occasionner des frais plus élevés et de causer une injustice.

 

Prenons l’exemple de l’obligation faite par la loi de demander une autorisation avant de pouvoir introduire une action. Prenons pour hypothèse un demandeur irréprochable, une cause bien fondée, un défendeur ignoble et fortuné et un délai de prescription. Si le tribunal peut prononcer une ordonnance nunc pro tunc, justice est rendue.

 

48     Le juge Sproat a expliqué au paragraphe 27 en quoi consistait le pouvoir du tribunal de rendre une ordonnance nunc pro tunc :

 

Le pouvoir de la Cour de rendre une ordonnance nunc pro tunc ne date pas d’hier et il est évident que toutes les lois récentes qui exigent que l’on ait d’abord obtenu l’autorisation de la cour avant de pouvoir introduire une action reconnaissent ce pouvoir aux tribunaux. À mon avis, le fait que la loi exige simplement ce genre d’ordonnance de la Cour implique que la Cour peut rendre cette ordonnance nunc pro tunc. La question est donc celle de savoir si, lorsqu’on l’interprète correctement, la loi renferme des dispositions permettant de penser qu’il n’est pas permis de rendre une ordonnance nunc pro tunc. En d’autres termes, pour paraphraser les propos tenus par le juge en chef adjoint MacKinnon dans New Alger Mines Ltd., la loi « interdit-elle de façon absolue toute ordonnance nunc pro tunc [...] »?

 

49     Dans l’affaire McKenna Estate, le défaut d’obtenir une autorisation s’expliquait par un oubli de l’avocat et le seul préjudice qu’avaient subi les défendeurs était la perte de la capacité de plaider que l’autorisation n’avait pas été obtenue. Si l’autorisation n’avait pas été accordée, la demande aurait été rejetée pour ce seul motif. L’autorisation a été accordée nunc pro tunc pour permettre à la requête en jugement sommaire du demandeur d’être jugée sur le fond.

 

50     Le pouvoir du tribunal de rendre une ordonnance avec effet rétroactif ne se limite pas aux situations dans lesquelles il s’agit de corriger l’erreur ou l’oubli de l’avocat, bien qu’il s’agisse d’un exemple d’un cas dans lequel le tribunal peut envisager la possibilité d’exercer son pouvoir discrétionnaire de manière à rendre une telle ordonnance après avoir examiné le préjudice relatif causé à chacune des parties (Hogarth c. Hogarth, [1945] 3 D.L.R. 78; [1945] O.J. no 165 (H.C.J.); voir également Re Cadillac Fairview Inc., [1995] O.J. no 623 (Div. gén.), au paragraphe 7, où le juge Farley a fait observer que le pouvoir du tribunal de rendre une ordonnance nunc pro tunc ne se limitait pas aux exemples précis cités dans la décision Hogarth mais que « la compétence inhérente constitue un outil utile dans le cadre d’une common law en constante évolution pour combler des lacunes et éviter des injustices ».

 

51     Dans le jugement Hogarth, la Cour cite comme exemple de mesure nunc pro tunc le pouvoir du tribunal de rendre une ordonnance à la date à laquelle les débats se sont terminés devant la Cour et à laquelle celle‑ci a mis l’affaire en délibéré « de manière à protéger les plaideurs contre l’injustice résultant du retard qu’accuse le prononcé du jugement » (au paragraphe 4). Cette conclusion est conforme à un courant jurisprudentiel qui reconnaît qu’une ordonnance nunc pro tunc peut être rendue pour éviter l’injustice qui résulterait sinon d’un délai dans le déroulement de l’instance qui serait indépendant de la volonté des parties. La maxime latine est « actus curiae neminem gravabit » : nulle mesure judiciaire ne doit porter préjudice à une partie au litige.

 

52     L’arrêt de principe en ce qui concerne la raison d’être des ordonnances nunc pro tunc, qui a été cité fréquemment par les tribunaux de notre pays, est Turner c. London and South-Western Railway Co. (1874) 17 L.R. Eq. 561. Dans cette affaire, le demandeur était décédé entre la date à laquelle son procès avait été instruit et celle à laquelle le jugement avait été rendu après que l’affaire eut été mise en délibéré. Le jugement ne pouvait être prononcé en faveur du demandeur à la date de son prononcé en raison du principe de common law suivant lequel un droit de recours individuel devient caduc au décès du plaideur. Le tribunal a estimé que le jugement devait être rendu nunc pro tunc à la date de la clôture des débats, étant donné que cette mesure ne causerait aucun préjudice aux parties. Le vice-chancelier Hall a fait observer que « en principe, le tribunal ne permettrait pas de rendre un jugement nunc pro tunc lorsque la signature du jugement a été retardée du fait du tribunal » (à la page 566).

 

53     Dans l’arrêt Couture c. Bouchard (1892), 21 R.C.S. 281, la Cour suprême du Canada a appliqué la même maxime, en s’appuyant sur Turner, pour annuler un appel pour défaut de compétence. À la date à laquelle la juridiction inférieure avait mis l’affaire en délibéré, le montant en jeu était inférieur au montant minimal permettant d’interjeter appel, malgré le fait qu’à la date du jugement, une loi qui aurait rendu la décision susceptible d’appel avait entretemps été adoptée. Le juge Taschereau a estimé que le jugement devait être traité comme s’il avait été rendu à la date à laquelle l’affaire avait été mise en délibéré, c’est‑à‑dire celle à laquelle les débats s’étaient terminés. Conclure autrement enlèverait à l’intimé un droit qui existait au moment où l’affaire avait été plaidée.

 

[…]

 

55        Dans la presque totalité de ces affaires, l’action du demandeur était devenue caduque entre la date de l’audience et celle à laquelle le jugement avait été prononcé, notamment par l’effet d’une loi. C’est aussi ce qui s’est produit dans le cas qui nous occupe : le délai de prescription a expiré entre la date à laquelle j’ai reporté à plus tard ma décision en ce qui concerne l’autorisation et celle à laquelle la décision a été rendue. Modifier l’ordonnance de manière à lui permettre de s’appliquer nunc pro tunc contredirait la jurisprudence que j’ai citée dans laquelle on a tenu compte de la maxime actus curiae.

 

56     La maxime actus curiae a également été citée plus récemment dans des affaires portant sur une mise en cause visant à obtenir une contribution ou une indemnité, qui sont maintenant assujetties à un délai de prescription de deux ans qui commence à courir à la date à laquelle la demande initiale a été signifiée au défendeur, selon l’article 18 de la Loi de 2002 sur la Prescription des actions. Dans Numainville c. Nanson, 2006 CanLII 27868, [2006] O.J. no 3274 (C.S.), le tribunal a autorisé le défendeur à déposer et à signifier une mise en cause prenant effet à la première date de présentation de la requête en adjonction de la demande, en invoquant le principe de l’actus curiae alors que le délai de prescription était expiré au moment où la requête avait été tranchée. Le jugement Sandrabalan c. Toronto Transit Commission, 2009 CanLII 18298, [2009] O.J. no 1610 (C.S.) va dans le même sens, bien que la mise en cause qui avait été déposée après l’expiration du délai de prescription ait été rejetée. Le juge Brown a estimé que le tribunal ne pouvait modifier l’ordonnance antérieure par laquelle le protonotaire avait accordé l’autorisation de déposer la mise en cause parce que cela reviendrait à statuer sur l’appel de l’ordonnance du protonotaire alors qu’aucun appel n’avait été interjeté. Le juge a fait observer qu’il aurait fallu demander une ordonnance nunc pro tunc au protonotaire au moment où l’autorisation avait été accordée (au paragraphe 19).

 

57     La capacité du tribunal de rendre une ordonnance nunc pro tunc fait en sorte que les droits des parties ne seront pas lésés en raison de l’échéancier que le tribunal a établi arbitrairement sans les consulter. Ce problème n’est pas récent. Dans une affaire anglaise remontant à la fin du XIXe siècle, The Queen v. Justices of County of London and London County Council, [1893] 2 Q.B. 476, le maître des rôles, lord Esher, a souscrit à l’idée de recourir aux ordonnances nunc pro tunc pour répondre au problème des délais devant les tribunaux. Voici ce qu’il déclare à la page 488 :

 

[...] On peut constater un malaise général parmi les juges ou, comme dans le cas qui nous occupe, un engorgement extraordinaire des tribunaux, qui est un problème dont aucune des personnes souhaitant interjeter appel n’est responsable, qu’aucune ne pouvait prévoir et qu’aucune ne pouvait éviter ou calculer […] De plus, on ne peut reprocher aux plaideurs l’encombrement du tribunal et l’incapacité de celui-ci à résoudre ce problème, d’autant plus que, dans la mesure où elles sont concernées, les parties ont obéi aux impératifs de la loi en interjetant appel dans un délai permettant à la Cour, suivant sa procédure habituelle, de juger et de trancher l’affaire [dans le délai prescrit].

 

58     J’ai cité de larges extraits de la jurisprudence pertinente qui reconnaît le pouvoir que les Règles confèrent à la Cour ainsi que sa compétence inhérente de rendre des ordonnances nunc pro tunc. À mon avis, la présente affaire cadre parfaitement avec le pouvoir de rendre une ordonnance nunc pro tunc, étant donné qu’il s’agit d’une situation dans laquelle les droits des demandeurs sont devenus caducs sans qu’on puisse leur reprocher quoi que ce soit après que le tribunal eut mis l’affaire en délibéré. Si l’ordonnance accordant une autorisation prend effet à la date à laquelle les débats sont clos, il n’est pas question d’expiration du délai de prescription. On évite ainsi tout préjudice causé aux demandeurs du seul fait du calendrier fixé par la Cour.

 

59     Je passe maintenant à l’examen des arguments formulés par les défendeurs qui prétendent qu’il n’est pas possible d’obtenir une ordonnance nunc pro tunc. Les défendeurs font valoir plusieurs arguments : premièrement, ils invoquent des décisions suivant lesquelles il n’est pas possible d’obtenir une ordonnance nunc pro tunc lorsqu’il existe un délai de prescription; deuxièmement, ils affirment qu’accorder une telle mesure entraînerait l’application de la doctrine des circonstances spéciales qui, à leur avis, ne permet pas de proroger le délai de prescription prévu par la Loi sur les valeurs mobilières de l’Ontario; troisièmement, ils soutiennent qu’une ordonnance nunc pro tunc va à l’encontre du régime législatif et de l’intention qu’avait le législateur lorsqu’il a prévu le délai de prescription à l’article 138.14 de la Loi sur les valeurs mobilières de l’Ontario.

 

 

 

[40]           Dans la décision Silver, la Cour a également abordé l’arrêt Trecothic Marsh, précité, de la Cour suprême du Canada et a conclu que cet arrêt n’empêchait pas de recourir à une ordonnance nunc pro tunc dans le contexte des délais de prescription :

                        [traduction] 

64     Les défendeurs citent également un passage du jugement concourant rendu par le juge en chef Taschereau dans l’arrêt Trecothic Marsh (1905), 37 R.C.S. 79. Dans cette affaire, la Cour était saisie du pourvoi interjeté d’une ordonnance annulant un bref de certiorari qui avait été délivré dans une affaire d’évaluation foncière dans laquelle la loi applicable prévoyait qu’un bref de certiorari ne pouvait être prononcé que dans les six mois de l’instance ou de l’avis en informant le propriétaire. Le juge de première instance avait instruit la demande dans les délais, mais avait rendu son ordonnance après l’expiration du délai de six mois. Le juge en chef Taschereau a souscrit à l’opinion de la majorité de la Cour suprême et a conclu que le délai de prescription ne s’appliquait pas lorsqu’une question de compétence était en cause. À titre incident, il a indiqué qu’il aurait rejeté l’argument suivant lequel le bref de certiorari aurait pu être prononcé nunc pro tunc, étant donné que la maxime actus curiae ne pouvait s’appliquer lorsque la Cour n’avait plus compétence pour accorder cette réparation.

 

65     La question en litige dans l’affaire Trecothic Marsh portait sur la compétence du tribunal pour accorder une réparation particulière qui existait aux termes de la loi pour une période de seulement six mois après le prononcé d’une décision. Le régime législatif particulier portant sur l’évaluation foncière prévoyait un délai de prescription de seulement six mois pendant lequel le tribunal pouvait prononcer un bref de certiorari. La Cour a conclu qu’une ordonnance nunc pro tunc ne pouvait être prononcée pour déroger à la loi et contrecarrer son intention de manière à étendre de façon indéfinie la compétence de la Cour pour accorder la réparation en question. Cette affaire n’appuie pas la proposition des défendeurs suivant laquelle un tribunal n’a pas compétence pour accorder une ordonnance nunc pro tunc dès lors qu’un délai de prescription s’applique.

 

 

[41]           La présente affaire ne porte pas sur l’expiration d’un délai de prescription et je ne peux assimiler la situation du demandeur à celle qui existait dans l’une ou l’autre des affaires mentionnées dans la décision Silver. On ne peut pas non plus prétendre que la demande du demandeur a pris fin entre la date de l’audience et celle à laquelle le jugement a été prononcé. Il s’agit à mon avis d’une situation dans laquelle [traduction] « lorsqu’on l’interprète correctement, la loi renferme des dispositions permettant de penser qu’il n’est pas permis de rendre une ordonnance nunc pro tunc ».

[42]           En édictant l’article 87.4 de la Loi, l’intention du législateur était clairement de « mettre fin » aux demandes de résidence permanente présentées avant le 27 février 2008 par  des travailleurs qualifiés. Le demandeur ne conteste pas ce fait et il ne conteste pas non plus le fait que sa demande a été présentée avant la date pertinente. Sa thèse est que, malgré le fait qu’une loi valide a eu pour effet de mettre fin à sa demande, la Cour peut d’une façon ou d’une autre rendre une ordonnance nunc pro tunc pour prononcer en sa faveur un bref de mandamus à l’égard d’une demande présentée au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés qui n’existe plus parce qu’une loi fédérale y a mis fin. À mon avis, rendre cette ordonnance, pour reprendre les mots de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Trecothic Marsh, précité, [traduction] « irait clairement à l’encontre de la loi et de la volonté du législateur ». En agissant ainsi, la Cour étendrait en fait sa compétence et irait à l’encontre de la loi et de la volonté claire du législateur.

Certification

[43]           Le demandeur a proposé la certification de la question suivante :

[traduction] La Cour fédérale a-t-elle compétence pour antidater son jugement et ses motifs de jugement pour éviter qu’un préjudice soit causé à un demandeur dont la demande tombe sous le coup du paragraphe 87.4(1) de la LIPR?

 

 

[44]           Le demandeur soutient que la réponse à cette question a une portée générale et qu’elle trancherait le sort du présent appel vu les faits de la présente affaire.

[45]           Le défendeur affirme qu’il est bien établi en droit que la Cour n’a pas le pouvoir d’étendre sa propre compétence et d’agir à l’encontre de la volonté expresse du législateur.

[46]           Le défendeur fait également valoir qu’en l’espèce, le demandeur ne conteste pas la validité de l’article 87.4 de la Loi; il affirme simplement que cet article ne devrait pas s’appliquer à lui pour une raison de principe.

[47]           Le défendeur affirme en outre que l’on ne peut faire aucune analogie entre la présente affaire et celles dans lesquelles la maxime nunc pro tunc a été appliquée, notamment dans des situations où il s’agissait de délais de prescription.

[48]           Force m’est d’abonder dans le sens du défendeur. Je ne vois aucune analogie entre la présente affaire et les situations en cause dans l’affaire Silver ou dans les autres affaires mentionnées dans cette dernière. De plus, le fait d’antidater l’ordonnance comme le réclame le demandeur reviendrait à se déclarer compétent dans une situation dans laquelle le législateur a clairement fait connaître sa volonté, de sorte que la Cour tenterait d’aller à l’encontre de l’intention claire et explicite du législateur. Je ne connais aucun principe ou autorité qui me permettrait d’agir ainsi et j’estime que la loi est claire sur ce point. Je ne vois aucune utilité à certifier la question proposée.

 


JUGEMENT

 

LA COUR :

 

1.                  REJETTE la demande;

2.                  DÉCLARE qu’il n’y a aucune question à certifier.

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-475-12

 

INTITULÉ :                                      SHRINIVAS SHUKLA

 

                                                            -   et   -

 

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 6 novembre 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 10 décembre 2012

 

 

ONT COMPARU :

 

Max Chaudhary                                                                      POUR LE DEMANDEUR

 

Asha Gafar                                                                              POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :    

 

Chaudhary Law Office                                                           POUR LE DEMANDEUR

North York (Ontario)

 

William F. Pentney                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

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