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Date : 20121206

Dossier : IMM-9219-11

Référence : 2012 CF 1424

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 décembre 2012

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

 

MARTA SOUSA DO NASCIMENTO

YASMIN THATYANNE NASCIMENTO

BRAGA ET MANUEL SOUSA CARREIRO

 

 

demandeurs

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

      MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision rendue par une agente d’immigration qui a rejeté leur demande de résidence permanente faite à partir du Canada au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada.

 

[2]               La demanderesse principale, Mme Sousa do Nascimento, et sa fille Yasmin, née en 1993, sont des citoyennes brésiliennes. Elles n’ont eu aucun contact avec le père de Yasmin depuis 1996. En 2006, Mme Sousa do Nascimento a séjourné au Canada munie d’un visa. Le 25 mai 2008, fuyant une relation de violence, elle et sa fille ont tenté d’entrer au Canada par le poste frontalier de Fort Erie, en Ontario. Elles en ont été empêchées en raison de l’Entente sur les tiers pays sûrs et ont été exclues pour un an, sans autorisation écrite de revenir. Les demanderesses ont par la suite traversé la frontière près de Montréal en juin 2008, sans se présenter à un point d’entrée.

 

[3]               La demanderesse principale a rencontré son mari actuel le 1er août 2009 à Toronto. La relation s’est poursuivie et ils se sont mariés le 6 février 2010. Le couple a préparé une demande de parrainage et s’est présenté à une entrevue au bureau d’Etobicoke de Citoyenneté et Immigration Canada, le 6 octobre 2011. Bien que le nom du mari figure à titre de demandeur dans l’intitulé de la présente instance, il n’est pas « directement touché » par la décision faisant l’objet de la demande au sens du paragraphe 18.1 de la Loi sur les cours fédérales, L.R.C., c. F‑7, et n’est donc pas, à proprement parler, une partie. Dans les présents motifs, le terme « demanderesses » désigne donc la demanderesse principale et sa fille.

 

[4]               Mme Sousa do Nascimento affirme qu’elle n’était pas au courant qu’elle et sa fille avaient été exclues pour un an et qu’elles contrevenaient à l’obligation de détenir une autorisation écrite. Mme Sousa do Nascimento et son mari affirment que lorsqu’ils ont découvert à l’entrevue que les demanderesses étaient interdites de territoire, l’agente d’immigration a refusé d’accepter et d’examiner leurs observations relatives aux considérations d’ordre humanitaire, y compris les considérations relatives à la réunification des familles.

 

[5]               Les demandeurs appartenant à la Catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada sont, suivant le guide de traitement des demandes faites au Canada (IP 8), dispensés de l’obligation prescrite par le paragraphe 21(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR), ainsi que par le sous-alinéa 72(1)e)(i) et l’alinéa 124b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement], d’avoir un statut juridique au Canada, mais non des autres conditions auxquelles cette catégorie est assujettie. À cet égard, la politique précise notamment que les personnes sans statut interdites de territoire parce qu’elles n’ont pas obtenu l’autorisation d’entrer au Canada après en avoir été expulsée ne peuvent se prévaloir de la politique. Le paragraphe 52(1) de la LIPR et le paragraphe 226(1) du Règlement obligent l’étranger qui a fait l’objet d’une mesure de renvoi à obtenir une autorisation de revenir au Canada (ARC).

 

[6]               Une décision négative a été rendue le 21 novembre 2011. L’agente d’immigration a conclu que la relation maritale paraissait authentique, mais que la demanderesse était interdite de territoire. Les demanderesses soutiennent que l’agente d’immigration a commis une erreur en ne considérant pas les motifs d’ordre humanitaire et en n’exerçant pas pleinement son pouvoir discrétionnaire. Ces questions font intervenir la norme de contrôle de la décision raisonnable : Husain c Canada (MCI), 2011 CF 451, au paragraphe 13; Millette c Canada (MCI), 2012 CF 542, au paragraphe 14; et Jnojules c. Canada (MCI), 2012 CF 531, au paragraphe 16.

 

[7]               Cette demande soulève également des questions d’équité procédurale. Ces questions n’appellent pas la déférence. Le devoir de la Cour est de déterminer si le processus suivi par le décideur a permis d’accorder aux intéressés le niveau d’équité requis compte tenu de toutes les circonstances : voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 43.

[8]               À l’audition de la présente demande, j’ai autorisé les demanderesses à soulever un point supplémentaire qui ne figurait ni dans leur avis de demande ni dans leur exposé des arguments. Les demanderesses soutiennent qu’on a injustement omis de les informer d’avance que la question de l’interdiction de territoire serait abordée par l’agente d’immigration lors de l’entrevue. Si elles en avaient été avisées, elles auraient demandé conseil à un avocat et auraient été prêtes à présenter des arguments fondés sur des considérations humanitaires.

 

[9]               L’agente d’immigration écrit dans son affidavit et dans le compte rendu du contre‑interrogatoire qu’elle n’a pas pour pratique d’envoyer des [traduction] « lettres d’équité » en ce qui concerne les questions d’interdiction de territoire, préalablement à une entrevue de parrainage de conjoint.

 

[10]           Selon moi, l’obligation d’équité procédurale dans le contexte d’une entrevue de parrainage n’oblige pas à donner un avis préalable en ce qui concerne les questions d’interdiction de territoire, notamment dans les cas où il y a eu manquement à l’obligation d’obtenir une autorisation de revenir au Canada. Il suffit que la question soit soulevée et que les demandeurs aient une occasion d’y répondre. Je constate que les demanderesses ont bénéficié des services d’un conseiller en immigration qui les a accompagnées à l’entrevue, bien qu’il semble n’avoir pas été présent dans la pièce où celle-ci s’est déroulée. De plus, les demanderesses ont reçu des conseils juridiques immédiatement après l’entrevue. Malgré cela, aucune tentative n’a été faite de présenter des observations à l’agente d’immigration dans les cinq à six semaines qui ont précédé la décision. Dans les circonstances, on ne peut pas dire que l’absence d’avis a privé les demanderesses de la possibilité de présenter des observations.

[11]           Les parties ne contestent pas le fait que les demanderesses n’ont jamais fait de demande expresse visant à les exempter de l’obligation d’obtenir une autorisation d’entrer à nouveau au Canada. Il reste à savoir si l’agente d’immigration a erré en ne considérant pas les observations reçues à l’entrevue comme une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire implicite.

 

[12]           En l’espèce, les demanderesses soutiennent que l’agente d’immigration à appliqué les conditions relatives à l’exclusion pour cause d’interdiction de territoire énoncées dans le guide IP 8 malgré les observations qui lui avaient été présentées sur les considérations d’ordre humanitaire. D’après elles, l’agente d’immigration a erré en omettant de prendre en compte la question du maintien de l’unité familiale et l’intérêt supérieur de la personne à charge de la demanderesse principale, point que l’époux de celle‑ci avait attiré à son attention. Les époux affirment que l’agente d’immigration les a induit en erreur en leur disant qu’elle n’avait pas le pouvoir de lever l’interdiction de territoire et qu’elle les a empêchés de présenter des arguments d’ordre humanitaire.

 

[13]           Au paragraphe 4q) de son affidavit, la demanderesse principale déclare ce qui suit :

[traduction] Lorsque Manuel a été informé que notre demande serait rejetée, il a expliqué à l’agente d’immigration à quel point ma fille et moi comptons pour lui, la place énorme que nous occupons dans sa vie et à quel point il compte pour nous. Nous serions tous dévastés si notre famille était disloquée. Il a expliqué aussi qu’il avait toujours voulu avoir un enfant, mais que ce souhait ne s’était pas réalisé. Le fait que ma fille Yasmin appelle Manuel « papa » importe énormément à ses yeux. Manuel a parlé à l’agente d’immigration de notre vie commune et de l’amour et de la sécurité que nous apporte à tous trois notre vie au Canada; il lui a dit qu’il ferait tout ce qui est nécessaire pour que nous restions ensemble. Il lui a demandé s’il pouvait faire quelque chose pour que notre famille évite une séparation qui nous dévasterait tous. L’agente d’immigration a dit qu’elle ne pouvait rien faire pour nous aider parce que je n’avais pas attendu l’expiration de la période d’exclusion avant de revenir au Canada. Il était clair que l’agente d’immigration ne voulait pas entendre ce que nous avions à dire, celle‑ci ayant fait référence à des dispositions dont nous ignorions l’existence et elle a dit qu’elle ne pouvait rien faire. [Caractères gras ajoutés.]

[14]           Dans son affidavit de même qu’en contre-interrogatoire, l’agente d’immigration a contesté l’allégation et a affirmé que ses notes au dossier contiennent un compte rendu textuel de ce qui s’est dit durant l’entrevue. Ses notes indiquent que le mari a dit :

 

[traduction] Pour la première fois, je suis très heureux avec ma femme et de la vie que j’ai. J’ai maintenant une fille. Je n’ai jamais eu d’enfant et c’est un sentiment merveilleux. Je travaille fort pour assurer leur subsistance et je ferais n’importe quoi pour elles. Y a‑t‑il quelque chose que je puisse faire?

 

[15]           En réponse, l’agente d’immigration leur a suggéré de consulter leur avocat. Elle savait qu’il lui était loisible d’envisager une levée de l’interdiction de territoire, mais n’a pas interprété les propos du mari comme étant une demande fondée sur des considérations humanitaires. Elle a reconnu en contre‑interrogatoire qu’une décision portant interdiction de territoire aurait pour effet d’obliger la demanderesse principale et sa fille à quitter le Canada et de séparer l’une de son mari, l’autre de son beau-père. Elle a concédé qu’il s’agissait de facteurs qu’elle aurait considérés dans le cadre d’une demande fondée sur des considérations humanitaires.

 

[16]           Le défendeur reconnaît que le ministre (ou une personne déléguée) peut procéder à l’examen de considérations d’ordre humanitaires, mais soutient qu’une demande fondée sur de telles considérations doit être formulée expressément. En l’absence d’une demande expresse, l’agent d’immigration n’est pas tenu de procéder à l’examen des motifs d’ordre humanitaire : Kumari c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1424, au paragraphe 9; Fen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1492, au paragraphe 12. Qui plus est, notre Cour a statué qu’un agent d’immigration n’a pas l’obligation d’informer le demandeur de son droit de présenter une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire : Mustafa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1092, aux paragraphes 10, 13 et 14.

 

[17]           La position du défendeur selon laquelle l’agente d’immigration n’a pas le pouvoir d’entendre une demande implicite n’est pas compatible avec le guide IP de Citoyenneté et Immigration Canada, la jurisprudence récente des cours fédérales et la compréhension qu’a elle‑même l’agente d’immigration de ses fonctions.

 

[18]           Il est exact que les cours ont statué qu’un agent d’immigration qui rend une décision sur une demande de parrainage du conjoint présentée au Canada peut, pour des motifs humanitaires, lever l’interdiction de territoire résultant de l’absence d’une autorisation d’entrer à nouveau au Canada si ce facteur est porté à son attention : Araujo c Canada (MCI), 2009 CF 515, aux paragraphes 18 et 19. Le ministre peut lever tout ou partie des conditions et obligations imposées par la Loi pour des considérations humanitaires et il est tenu de se prononcer sur ces considérations si celles‑ci sont soulevées : Toussaint c Canada (MCI), 2011 CAF 146, au paragraphe 11.

 

[19]           Par ailleurs, le paragraphe 5.27 du guide sur le traitement des demandes au Canada (IP 5) énonce qu’un agent

peut […] de sa propre initiative, décider s’il convient d’accorder une dispense pour motif humanitaire.

 

Si l’étranger ne demande pas directement une dispense, mais que les faits dans la demande portent à croire qu’il demande la levée de l’interdiction de territoire, l’agent doit traiter la demande comme si une dispense avait été demandée. [Caractères gras dans l’original]

 

[20]           Cette directive a été interprétée par le juge Russell dans la décision Brar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2011 CF 691. Au paragraphe 58, il a indiqué qu’il importait peu qu’un demandeur n’ait pas demandé expressément la levée de son interdiction de territoire puisqu’en vertu du paragraphe 5.27 l’agent d’immigration est tenu de se prononcer à cet égard lorsque les faits portent à croire qu’une demande est faite en ce sens. Voir aussi la décision Rogers c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 26, aux paragraphes 22 à 38, dans laquelle il est question de la nature du pouvoir discrétionnaire de l’agent d’immigration d’accorder une levée de sa propre initiative.

 

[21]           L’agente a estimé que par sa supplique à la fin de l’entrevue, le mari faisait simplement état de ses sentiments. Durant le contre-interrogatoire, elle a reconnu avoir le pouvoir d’examiner une demande implicite. Elle a déclaré que lorsque le mari de la demanderesse principale lui a demandé [traduction] « Y a-t-il quelque chose que je puisse faire? Il ne [lui a] pas demandé s’il y avait quelque chose [qu’elle] pouvai[t] faire pour lui… » Cela revient, prétendent les demanderesses, à couper les cheveux en quatre. Au vu des renseignements dont disposait l’agente d’immigration, il était déraisonnable de ne pas vérifier si des motifs d’ordre humanitaire justifiaient une dispense.

 

[22]           Pour ce motif, la décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision. Aucune partie n’a proposé de question aux fins de certification et aucune question de portée générale n’est soulevée en l’espèce.

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE comme suit :

1.            la demande est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision;

2.            il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-9219-11

 

INTITULÉ :                                      MARTA SOUSA DO NASCIMENTO

                                                            YASMIN THATYANNE NASCIMENTO

                                                            BRAGA MANUEL SOUSA NASCIMENTO

 

                                                            et

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ  

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 9 octobre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 6 décembre 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Hadayt Nazami

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Nimanthika Kaneira

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

HADAYT NAZAMI

Jackman & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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