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Date : 20121206

Dossier : T‑904‑12

Référence : 2012 CF 1434

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 décembre 2012

En présence de monsieur le juge Phelan

 

 

ENTRE :

LASSINA DEMBELE

 

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          APERÇU

[1]               Le présent appel vise la décision par laquelle une juge de la citoyenneté [la juge] a refusé la demande de citoyenneté du demandeur, ce dernier n’ayant pas satisfait au critère de résidence et aucune circonstance extraordinaire ne justifiant par ailleurs l’octroi de la citoyenneté.

 

II.        CONTEXTE

[2]               Monsieur Lassina Dembele est un citoyen de la Côte d’Ivoire qui est entré au Canada en janvier 1993 en tant qu’étudiant. Devenu résident permanent le 30 janvier 2004, il a demandé la citoyenneté le 6 octobre 2008. La période servant à déterminer la résidence pour l’application du paragraphe 5(1) de la Loi sur la citoyenneté, RSC 1985, c C‑29 [la Loi sur la citoyenneté ou la Loi], s’étend du 6 octobre 2004 au 6 octobre 2008 [la période pertinente].

 

[3]               D’après le dossier, le demandeur travaille dans une branche assez spécialisée des mathématiques liée à la cryptographie. Il était enseignant en Côte d’Ivoire avant d’arriver au Canada grâce à une bourse d’études qui lui a permis d’obtenir une maîtrise en statistiques de l’Université Laval. Ses recherches axées sur la théorie algébrique des nombres lui ont mérité en 2002 un doctorat de l’Université McGill. Il travaille à présent à l’Université de Warwick grâce à une bourse du conseil de recherche du Royaume‑Uni destinée à promouvoir l’avancement professionnel, après avoir occupé un poste de chercheur titulaire d’une bourse Marie‑Curie pour la même université. L’intervention chirurgicale que le demandeur a dû subir en raison de complications liées à une polio contractée durant l’enfance a retardé l’obtention de son doctorat.

 

[4]               Une fois son doctorat en poche, le demandeur a effectué des travaux postdoctoraux à Boston ainsi qu’à l’Université de Calgary avec le groupe de cryptographie. De juillet 2005 à juin 2007, il a été nommé boursier de recherches postdoctorales du Pacific Institute for Mathematical Sciences (PIMS) au sein de cette université.

 

[5]               Au terme de son postdoctorat au PIMS et en raison des perspectives d’emploi limitées qu’offrait le Canada dans son domaine de recherche, le demandeur a travaillé à l’Institut Max‑Planck en Allemagne d’octobre 2007 à juillet 2009. Il a ensuite obtenu une bourse de recherche Marie‑Curie à l’Université de Warwick du Royaume‑Uni.

 

[6]               Le fait qu’il lui manque 237 jours aux 1 095 requis par la Loi sur la citoyenneté n’est pas contesté.

 

[7]               Ayant opté pour le critère qualitatif de résidence exposé dans la décision Koo (Re), 59 FTR 27, 1992 CanLII 2417 (CF) [Koo (Re)], la juge a conclu que le demandeur avait établi sa résidence au Canada avant la période pertinente servant au calcul des jours de résidence – du 6 octobre 2004 au 6 octobre 2008.

 

[8]               La juge a conclu par ailleurs que la présence physique du demandeur avait été suffisante durant les trois premières années de la période pertinente et que l’intention de revenir au pays ne l’avait pas quittée même durant ses absences. Elle a estimé toutefois que cette intention continue a disparu lorsque le demandeur s’est installé en Allemagne en septembre 2007, puisqu’il s’est débarrassé de la plus grande partie de ses meubles, qu’il a résilié le bail de son appartement et qu’il a cessé de payer des impôts au Canada.

 

[9]               La juge a aussi conclu que le demandeur avait envisagé de ne s’absenter que temporairement du Canada pendant son séjour en Allemagne; cependant, comme il n’a pas repris sa résidence ici, cette situation n’était plus temporaire, même s’il avait toujours l’intention de revenir. Pour parvenir à cette conclusion, la juge s’est appuyée sur des événements survenus en dehors de la période pertinente.

 

[10]           Enfin, la juge a estimé que le demandeur ne vivait aucune situation inhabituelle de détresse et que la citoyenneté n’était pas non plus appelée en l’occurrence à récompenser des services exceptionnels rendus au Canada.

 

III.       ANALYSE

[11]           Les parties conviennent que la décision de la juge est soumise à la norme de la raisonnabilité; je suis d’accord (Khan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1178 (disponible sur CanLII), au paragraphe 14). Cependant, tout manquement à l’équité procédurale appelle la norme de contrôle de la décision correcte (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190).

 

[12]           Il suffit pour décider du présent appel de trancher la question de l’équité procédurale. Il serait donc inutile et futile de s’attarder au caractère raisonnable de la décision rendue sur le fond.

 

[13]           Le demandeur a fourni son adresse actuelle au ministère du défendeur et son affirmation voulant que des documents y aient été envoyés n’est pas contestée. Par conséquent, il est évident que le fait qu’il manque des documents au dossier certifié du tribunal ne peut en aucun cas lui être imputé.

 

[14]           Le ministère était en possession de six (6) documents qui, pour une raison ou pour une autre, ne faisaient pas partie du dossier présenté à la juge. Parmi les pièces manquantes figuraient un document se rapportant à la Bourse Marie‑Curie de l’Université de Warwick ainsi que d’autres pièces concernant les bourses que le demandeur avait obtenues à l’Université de Calgary et à l’Institut des mathématiques expérimentales de l’Université de Duisburg‑Essen.

 

[15]           En plus de décrire le caractère unique du travail du demandeur, la preuve (en particulier celle concernant la Bourse Marie‑Curie) se rapporte aux liens avec le Canada, aux efforts du demandeur en ce sens et à la probabilité d’obtenir des postes permanents au Canada ou aux États‑Unis.

 

[16]           La preuve concerne dans une certaine mesure la conclusion de la juge voulant que le poste à l’Université de Warwick fût permanent – une conclusion à laquelle elle ne serait peut‑être pas parvenue si elle avait eu devant elle les documents de l’université en question.

 

[17]           Ayant également reconnu que le demandeur avait résidé au Canada pendant plus de trois années sur les quatre requises, la juge semble néanmoins avoir conclu qu’il a interrompu sa résidence, à un moment non précisé, alors qu’il était en Allemagne. Pour parvenir à cette conclusion, elle a tenu compte d’éléments extérieurs à la période de quatre ans sur laquelle l’examen était axé pour déduire que l’absence du demandeur n’était plus temporaire mais permanente. Le moment auquel cette absence est réputée être devenue permanente n’est pas clair.

 

[18]           Abstraction faite de la question juridique de savoir s’il peut examiner des événements survenus en dehors de la période de quatre ans pour parvenir à des conclusions concernant la résidence, le juge ne peut se livrer à un tel exercice, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur de cette période, lorsque des documents pertinents sont égarés quelque part au ministère.

 

[19]           Les documents sont pertinents au regard à la fois du critère qualitatif de résidence au titre de la décision Koo (Re) précitée et des circonstances exceptionnelles envisagées par le paragraphe 5(4) de la Loi.

 

IV.       CONCLUSION

[20]           Pour ces motifs, il y a eu manquement à l’équité procédurale et une preuve pertinente n’a pas été examinée, ce qui impose de faire droit au présent appel.

 

[21]           Ayant décidé de renvoyer la présente affaire pour qu’une nouvelle décision soit rendue, je ne soumettrai pas le demandeur aux caprices inhérents à la sélection d’un critère de résidence. La présente affaire, pour autant qu’elle se rapporte à la résidence, doit être réexaminée conformément aux facteurs énoncés dans la décision Koo (Re), précitée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE qu’il est fait droit à l’appel et que l’affaire est renvoyée à un autre juge pour nouvel examen à la lumière des facteurs de la décision Koo (Re), 59 FTR 27, 1992 CanLII 2417 (CF).

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑904‑12

 

INTITULÉ :                                                  LASSINA DEMBELE

 

                                                                        et

 

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 29 novembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 6 décembre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Erin Christine Roth

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Monmi Goswami

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

BELLISSIMO LAW GROUP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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