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Date : 20121204

Dossier : IMM‑2944‑12

Référence : 2012 CF 1419

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 décembre 2012

En présence de monsieur le juge Barnes

 

 

ENTRE :

 

TERENTIY KORNIENKO

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il est bien connu que les homosexuels sont souvent victimes de discrimination et de violence dans de nombreuses régions du monde. Il n’est donc pas étonnant que certains d’entre eux cherchent à profiter de la sécurité relative qu’offre le Canada en y faisant une demande d’asile. C’était le fondement de la demande d’asile de Terentiy Kornienko lorsqu’il a comparu devant la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) à Toronto, Ontario, le 22 février 2012. La Commission a rejeté la demande de M. Kornienko parce qu’elle jugeait qu’il n’était pas homosexuel. C’est cette décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[2]               La Commission entretenait plusieurs doutes au sujet de la crédibilité de M. Kornienko. Elle lui a reproché de ne pas avoir apporté ses documents médicaux pertinents au moment où il a quitté l’Ukraine et elle en a tiré une conclusion défavorable du fait que, à son avis, aucune personne raisonnable ne laisserait de côté une preuve corroborante aussi importante. La Commission a aussi estimé que les documents médicaux de M. Kornienko n’étaient pas fiables, notamment parce qu’il était « hautement improbable que la police aille jusqu’à demander à un “médecin légiste de la catégorie la plus élevée” de faire un examen médical très poussé pour aider un homosexuel à l’égard duquel la police a fait montre de dédain et de mépris ». La Commission a rejeté l’explication de M. Kornienko selon laquelle la police lui a offert son soutien parce qu’il avait insisté pour l’obtenir. La Commission semble avoir tiré une conclusion d’invraisemblance vu l’absence d’éléments de preuve à l’appui du témoignage.

 

[3]               Les passages suivants de la décision exposent l’une des justifications principales qui ont amené la Commission à refuser de croire que M. Kornienko était homosexuel :

[11]      Le demandeur d’asile est au Canada depuis presque trois ans. Lorsqu’on lui a posé la question, le demandeur d’asile a déclaré qu’il n’avait pas eu de relation homosexuelle depuis qu’il vivait au Canada, hormis deux rencontres homosexuelles au cours de l’été 2010 avec Victor Kutalov. À la question de savoir pourquoi il ne s’était pas engagé dans une relation homosexuelle, compte tenu de ses activités dans le centre communautaire 519 et de sa participation aux défilés gais de 2010 et 2011, il a donné comme explication [traduction] « qu’il ne voulait plus avoir de relations sexuelles avec personne d’autre, qu’il n’était attiré par personne d’autres que Victor, n’ayant donc aucune relation homosexuelle avec personne d’autre que Victor ». Même si l’absence de promiscuité ne permet pas de déterminer l’orientation sexuelle du demandeur d’asile, je ne suis pas enclin à croire que le demandeur d’asile est véritablement homosexuel, qu’il ne veut plus avoir de relation homosexuelle en raison de Victor, avec qui il a eu une très brève rencontre occasionnelle pendant deux jours, il y a deux ans. Je ne suis pas non plus convaincu, [vu son exposition] à la communauté homosexuelle pendant plus de deux ans, qu’il n’a pas trouvé un autre « Victor », s’il était réellement homosexuel. Le bon sens et la raison m’amènent à tirer une conclusion négative sur la crédibilité de son témoignage. Selon la prépondérance des probabilités, le demandeur d’asile n’est pas ce qu’il soutient être.

 

[…]

 

Son témoignage oral relatif au fait qu’il ne voulait pas avoir une relation homosexuelle après une brève rencontre occasionnelle avec Victor et le fait qu’il est exposé à la communauté gaie depuis au moins deux ans, même si cela ne permet pas de déterminer son orientation sexuelle, permettent de douter grandement qu’il soit réellement un homosexuel.

 

[…]

 

Les photos présentées le montrant avec Nikolay Sokolov ne prouvent pas qu’il est homosexuel. Les lettres du centre communautaire 519 et ses photos pendant le défilé gai ont peu de valeur probante étant donné que n’importe qui, y compris les non‑gais, peut faire partie du centre communautaire 519 et du défilé gai.

 

 

Il ressort manifestement de ces extraits que, selon la Commission, les homosexuels ont des mœurs légères et qu’une personne qui n’est pas active sur le plan sexuel n’est probablement pas « véritablement homosexuelle ». Bien sûr, il s’agit d’une forme de stéréotype que la Commission a parfois utilisée pour rejeter des demandes comme celle dont il est question en l’espèce. Vu la jurisprudence de la Cour, il est étonnant qu’un membre de la Commission entretienne une conception aussi dénuée de fondement : voir Essa c Canada, 2011 CF 1493, aux paragraphes 30 et 31, [2011] ACF no 1819, Herrera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1233, [2005] ACF no 1499, au paragraphe 12, Menaj c Canada, 2008 CF 611, [2008] ACF no 754, au paragraphe 17, Kravchenko c Canada, 2005 CF 387, [2005] ACF no 479, au paragraphe 6, Trembliuk c Canada, 2003 CF 1264, [2003] ACF no 1590, au paragraphe 8, et Dosmakova c Canada, 2007 CF 1357, [2007] ACF no 1742, au paragraphe 12. Il s’agit clairement d’une erreur susceptible d’examen qui touche directement la conclusion de la Commission relative à la crédibilité et qui commande l’annulation de la décision de la Commission.

 

[4]               J’accepte l’argument de l’avocat du défendeur selon lequel le témoignage de M. Kornienko était entaché de certains problèmes de crédibilité mais, pour l’essentiel, les motifs de la Commission ne concernent pas ces éléments de preuve. Je ne suis pas disposé à examiner le dossier afin de trouver d’autres motifs sur lesquels aurait pu se fonder la Commission, vu les éléments avec lesquels elle a choisi de motiver sa décision. En effet, c’est une chose d’ajouter des motifs à une décision qui n’est pas suffisamment motivée, mais c’en est vraiment une autre de compter sur ce moyen pour écarter une conclusion de toute évidence viciée qui est fondée sur un stéréotype qui n’a pas sa place en l’espèce.

 

[5]               J’ajouterais que la critique de la Commission à l’égard du défaut de M. Kornienko d’apporter ses documents médicaux n’est pas justifiée. En effet, de nombreux demandeurs d’asile arrivent au Canada sans avoir en leur possession les documents corroborant leurs dires et ils les obtiennent par la suite. Le défaut de fournir des éléments de preuve ayant une grande valeur corroborante peut fonder une conclusion défavorable en matière de crédibilité. Cependant, le défaut de se déplacer avec ces documents en sa possession est tellement répandu, et il s’agit d’un détail tellement insignifiant, qu’il ne faut pas s’en servir pour justifier une conclusion défavorable en matière de crédibilité.

 

[6]               L’autre conclusion de la Commission selon laquelle il était improbable que la police aide M. Kornienko à faire établir par un médecin légiste un rapport médical était elle aussi non fondée. Comme il a été mentionné précédemment, il s’agit d’une conclusion sur le caractère vraisemblable du témoignage. Elle n’est pas fondée parce qu’il demeure dans l’ordre du possible que les policiers ukrainiens fassent ce qui leur est demandé, malgré leur opinion personnelle.

 

[7]               Pour les motifs qui précèdent, la demande est accueillie. L’affaire doit être tranchée de nouveau sur le fond par un autre décideur. Aucune des parties n’a proposé une question certifiée et aucune question d’importance générale n’est soulevée dans les présents motifs.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l’affaire soit tranchée de nouveau sur le fond par un autre décideur.

 

 

« R.L. Barnes »

juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑2944‑12

 

 

INTITULÉ :                                                  KORNIENKO c MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 29 novembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                       LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 4 décembre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Randall Montgomery

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Lucan Gregory

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Rodney L. H. Woolf

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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