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Date : 20121203

Dossier : IMM‑2571‑12

Référence : 2012 CF 1407

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 3 décembre 2012

En présence de monsieur le juge Barnes

 

 

ENTRE :

 

MARISOL EUFEMIA ESPINOZA JIMENEZ

MELIETH ARGERY

(alias MELIETH ESPINOZA JIMENEZ)

 

 

 

demanderesses

 

et

 

 

 

le ministre de la citoyenneté et de l’immigration

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

Motifs du jugement et jugement

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande, présentée par Marisol Espinoza Jimenez et sa fille, Melieth Espinoz Jimenez, visant à contester la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté leurs demandes d’asile.

 

[2]               Les demandes d’asile en question étaient fondées sur les antécédents respectifs des demanderesses comme victimes de violence conjugale et familiale. La Commission a accepté la preuve des violences subies au Costa Rica et au Canada, mais a rejeté les deux demandes du fait que la présomption de la protection de l’État n’avait pas été écartée.

 

[3]               Voici en quels termes la Commission s’est prononcée au sujet de la preuve sur la situation dans le pays eu égard à la protection offerte par l’État :

[11]      En outre, les documents sur le pays les plus récents et les plus probants dont je dispose sont, au mieux, hétérogènes et peu concluants, plutôt que principalement négatifs, comme il faudrait que ce soit le cas pour que les demandes d’asile soient acceptées en l’espèce, étant donné qu’il s’agit de protection de l’État pour des femmes craignant d’être victimes d’actes de violence au Costa Rica. Même si certains des documents les plus récents indiquent que les mesures de protection prises par les autorités costaricaines contre la violence fondée sur le sexe sont insuffisantes, d’autres documents récents dressent un portrait différent de la situation, indiquant qu’au Costa Rica, les femmes qui craignent d’être victimes de violence familiale peuvent se prévaloir d’une protection de l’État raisonnablement efficace, qu’est prévue dans les lois et se traduit par des mesures concrètes.

 

[…]

 

[13]      À mon avis, dans le contexte plus large de la protection des réfugiés, il serait selon moi extrêmement hasardeux de conclure – sur la foi d’éléments de preuve documentaire aussi contradictoires et peu concluants sur la protection de l’État – que la présomption de protection suffisante de l’État a été réfutée, dans des circonstances où l’État ne s’est vu donner aucune occasion d’assurer cette protection.

 

[14]      À cet égard, j’aimerais souligner qu’en vue de rendre la présente décision, je n’ai préféré aucun texte à un autre parmi les éléments de preuve documentaire récents susmentionnés (notes de bas de page), ou aucun élément de preuve à un autre parmi ceux que je n’ai pas cités. Toute la preuve documentaire est crédible et digne de foi, et il n’y a donc aucun fondement rationnel pour accorder la préférence à certains éléments de preuve plutôt qu’à d’autres, dans un sens ou dans l’autre, en ce qui concerne la protection de l’État. Toutefois, étant donné que ce sont tous ces éléments de preuve qui constituent le dossier dont je dispose, je me retrouve devant un portrait partagé et peu concluant, plutôt que devant un portrait manifestement défavorable de la protection que peut assurer l’État aux demandeures d’asile et aux femmes du Costa Rica en général. Un portrait partagé plutôt que manifestement défavorable de la protection que peut assurer un État rend la tâche assez difficile aux demandeurs d’asile qui doivent s’acquitter du lourd fardeau de réfuter la présomption a priori de protection suffisante de l’État, et qui n’ont préalablement déployé aucun effort pour demander la protection de leur État d’origine, comme c’est le cas en l’espèce.

 

 

[4]               Il existe une incompatibilité fondamentale entre une conclusion selon laquelle toute la preuve relative à la protection offerte par l’État était « crédible et fiable » et la conclusion selon laquelle la situation correspondait à un « portrait partagé et peu concluant ». La Commission a estimé que les documents les plus récents révélaient que les mécanismes de protection offerts par l’État du Costa Rica en matière de protection des femmes contre la violence sont inadéquats. La Commission a ensuite évoqué d’autres éléments de preuve qui « dress[ai]ent un portrait différent de la situation ». La Commission a tiré ces deux conclusions uniquement parce qu’elle n’a pas évalué les éléments de preuve supposément contradictoires et de faire des choix appropriés en ce qui concerne leur valeur probante respective. Dans presque tous les cas où il est question de la protection offerte par l’État, la preuve est hétérogène. Si la Commission peut se permettre d’éviter de tirer des conclusions relativement à des éléments de preuve contradictoires, à peu près personne ne réussira à faire accepter une demande d’asile.

 

[5]               Les éléments de preuve au dossier pouvaient faire l’objet d’un examen valable et ils ne se contredisaient pas autant que la Commission semblait le croire. Selon ces éléments de preuve, le Costa Rica avait fait des efforts raisonnables pour créer un cadre juridique qui lui permettrait de s’attaquer au grave problème de la violence familiale sur son territoire. Or, dans les faits, le système de protection n’était pas adéquat. Selon le Rapport de 2010 du Département d’État des États‑Unis pour l’année 2009 (cité par la Commission), les autorités ont ouvert 10 510 dossiers de violence familiale, mais n’ont poursuivi que 245 personnes dont seulement 119 ont été reconnues coupables. Selon un rapport des Nations Unies daté de 2011, le Costa Rica avait aussi créé un système judiciaire séparé pour la prévention de la violence familiale contre les femmes et avait ouvert plus de 50 000 dossiers en 2009 seulement. Cependant, moins de 5 000 de ces cas soumis à un tribunal spécialisé avaient donné lieu à des déclarations de culpabilité et aucune donnée sur les peines imposées n’a été diffusée. Ce problème d’impunité a été confirmé dans un article publié en 2010 selon lequel la plus grande partie des cas de violence familiale ayant donné lieu à des déclarations de culpabilité n’entraînaient pas l’imposition d’une peine d’emprisonnement, même pour les récidivistes. D’après un autre article publié en 2011, une femme sur trois au Costa Rica est victime de violence physique. Selon d’autres éléments du dossier, moins de 20 p. 100 des demandes de protection étaient tranchées en faveur des personnes qui la demandaient. Même la preuve citée par la Commission n’étayait pas sa vision optimiste des choses. La preuve révélait plutôt que les fonctionnaires responsables de l’exécution de la loi « n’appliquaient pas la loi » et, dans certains cas, intimidaient les victimes plutôt que de les aider.

 

[6]               Étant donné la preuve au dossier, il n’était pas raisonnable de conclure que la question de la protection offerte par l’État ne pouvait pas être tranchée dans un sens ou dans l’autre. Pratiquement tous les éléments de preuve fiables provenant de tiers dont la Commission était saisie révélaient que le Costa Rica ne dispose pas d’un système adéquat de protection des femmes contre les conjoints violents, comme celui de Mme Jimenez.

 

[7]               Le fait pour la Commission de critiquer le défaut de Mme Jimenez de chercher à obtenir la protection de l’État du Costa Rica est aussi troublant. Madame Jimenez a fourni une preuve anecdotique du manque de volonté des autorités du Costa Rica de protéger les femmes contre la violence familiale et elle a également décrit un incident où des policiers ont rejeté ses craintes en riant. Elle a aussi déclaré qu’elle craignait que la culture d’impunité qui régnait au Costa Rica lui fasse courir des risques plus grands si elle portait plainte.

 

[8]               Compte tenu de l’ensemble de la preuve, on ne saurait affirmer que la crainte subjective de la demanderesse de subir des représailles est dénuée de fondement objectif. En fait, eu égard particulièrement au profil psychologique bien établi de la demanderesse, à la gravité des agressions qu’elle avait subies pendant de nombreuses années de même qu’aux lignes directrices relatives à la violence faite aux femmes, il était déraisonnable que la Commission décrive cette preuve comme « indiquant seulement une réticence subjective à demander [la] protection [de l’État] ». Or, il s’agissait dans cette affaire de nombreux antécédents de violence familiale grave de la part d’un conjoint qui, selon Mme Jimenez, avait menacé de la tuer si elle retournait au Costa Rica. Vu le manque de protection offerte par l’État du Costa Rica, la Commission aurait dû être beaucoup plus sensible à la situation difficile qu’ont vécue les demanderesses. Par conséquent, la décision est annulée et est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’il statue de nouveau sur le fond de l’affaire.

 

[9]               Aucune partie n’a présenté une question à certifier et aucune question d’importance générale n’a été soulevée dans les présents motifs.

 


JUGEMENT

LA COUR ordonne : la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué qui statuera de nouveau sur le fond.

 

 

« R.L. Barnes »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


Cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑2571‑12

 

INTITULÉ :                                                  JIMENEZ ET AUTRE c MCI

 

 

Lieu de l’audience :                          Toronto (Ontario)

 

DATE de l’audience :                         Le 21 novembre 2012

 

Motifs du jugement :                       LE JUGE BARNES

 

DATE des motifs :                                 Le 3 décembre 2012

 

 

Comparutions :

 

Preevanda Sapru

 

Pour les demanderesses

 

Veronica Cham 

 

Pour le défendeur

 

 

Avocats inscrits au dossier :

 

Preevanda Sapru 

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour les demanderesses

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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