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Federal Court

 

Cour fédérale

 

 


Date : 20121129

Dossier: IMM-8230-11

Référence : 2012 CF 1400

Ottawa (Ontario), le 29 novembre 2012

En présence de monsieur le juge Lemieux 

 

ENTRE :

 

MOHAMMAD ZAREE ROBAT TORKI

REZA ZAREE ROBAT TORKI

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

[1]               Les demandeurs, Mohammad Zaree Robat Torki, 44 ans et Reza, 31 ans, sont deux frères, citoyens de l’Iran.  Ils demandent l’annulation de la décision rendue en anglais, le 21 octobre 2011 par la Section de la protection des réfugiés (le tribunal), refusant de leur reconnaître la qualité de réfugié au sens de la Convention, selon l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 (LIPR), ni de personnes à protéger selon l’article 97 de cette même loi.

 

[2]               Le tribunal a jugé les revendications non crédibles.  Il n’a pas cru qu’ils avaient été persécutés par les autorités iraniennes soit au motif de leurs opinions politiques, étant des opposants au régime en place, ou dans le cas de Mohammad, à cause de sa conversion au Christianisme en 2004, bonifié par le fait que la police le soupçonne vu son amitié avec Albert, un chrétien.

 

[3]               Selon leurs formulaires de renseignements personnels (FRP), ils sont visés par les autorités iraniennes pour avoir (1) participé aux manifestations contre le régime suite aux élections de juin 2009;  (2) avoir été arrêtés durant une manifestation en juillet 2009;  (3) été détenus pendant un mois;  (4) été abusés durant cette période d’incarcération;  et (5) été libérés, avec engagement de ne plus participer aux manifestations contre le régime, à la suite d’un pot de vin payé par leur père.

 

[4]               Après leurs libérations, les deux frères auraient fui la capitale pour vivre dans un village éloigné avant de quitter l’Iran illégalement le 11 décembre 2009.  Ils arrivent au Canada le 13 janvier 2010 et ont revendiqué l’asile le 18 janvier 2010.  Ils ont ainsi rejoint leur frère Ali qui avait fui l’Iran en 2007 à la recherche d’un refuge au Canada.

 

[5]               Les trois frères ont participé le 11 juillet 2011 à une manifestation contre le régime iranien devant un hôtel à Montréal, dans lequel des membres de l’Ambassade iranienne à Ottawa étaient logés.  La question se pose si cet acte de défi fait des revendicateurs des réfugiés sur place, c’est-à-dire soulève une possibilité sérieuse d’être persécutés à leur retour en Iran de ce fait.

 


II.        La décision contestée

[6]               Au paragraphe 35 de sa décision, le tribunal explique pourquoi il a conclu que les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention et ne sont pas des personnes à protéger.

[35]      Because of the credibility issues mentioned above, the panel concludes that the claimants are not « Convention Refugees ».  Moreover, the claimants did not present sufficient evidence to lead the panel to believe that, were they return to Iran, it would be more likely than not that they would be subject to a danger of torture or to a risk to their lives or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment and the panel finds that they are not persons in need of protection. [Je souligne]

 

[7]               Le tribunal a tiré cette conclusion après avoir étudié chacun des faits créateurs de leurs craintes de persécution, notamment (1) leur statut de réfugiés sur place;  (2) leur statut de réfugiés déboutés;  (3) leurs participations aux manifestations contre le régime durant l’été de 2009;  (4) le risque allégué par Mohammad en tant que personne convertie.  Les revendicateurs d’asile ont soulevé aussi deux questions fondées sur l’équité procédurale;  (5) une crainte raisonnable de partialité;  (6) erreurs de traductions.  Je reprends séparément chacun de ces éléments.

 

            (1)        Réfugiés sur place

[8]               Au paragraphe 20 de ses motifs, le tribunal écrit :

The panel concludes that the presence of the claimants at one demonstration in Montreal would not put them at risk should they return to Iran and the panel does not consider the claimants to be refugees sur place by virtue of their presence at this one demonstration.

[Je souligne]

 


[9]               Cette conclusion est fondée sur les constatations suivantes :

1.         Contradiction dans le témoignage de Mohammad sur la question pourquoi les demandeurs n’avaient pas participé à d’autres manifestations au Canada contre le régime :  une première réponse sur le peu de contact qu’ils avaient avec la communauté iranienne à Montréal;  et une réponse subséquente qu’il était au courant des difficultés vécues par des iraniens retournant en Iran.  Selon le tribunal, cette connaissance a été acquise, d’après le témoignage de Mohammad durant des rencontres avec ses concitoyens durant lesquelles ils discutaient de la littérature, de culture et échangeaient divers points de vue.  Mohammad aurait aussi déclaré au tribunal qu’il n’était pas sérieusement impliqué politiquement, déclaration en contradiction, selon le tribunal, avec son témoignage qu’il avait participé à six ou sept manifestations dans la capitale avant de fuir son pays natal.  Le tribunal juge que sa crédibilité est atteinte.

2.         Les demandeurs ont déposé une lettre reçue de leur père (pièce P-5), dans laquelle il indique que les autorités en Iran sont au courant de leurs activités au Canada;  qu’il a été interrogé à ce sujet et convoqué devant la Cour Révolutionnaire parce qu’il était responsable des agissements de ses fils.  Le tribunal a jugé « The claimant’s (Reza) credibility as to the harm his father is experiencing in Iran was adversely affected as a result of his statement his father would not be bothered by the authorities because of his age ».  Le tribunal lui avait posé la question pourquoi il avait participé à une démonstration s’il craignait réellement pour la vie de son père;  à cette question, Reza avait répondu que son père était vieux et à la retraite et que probablement que les autorités « would leave him alone ».  Le tribunal juge que cette réponse était contraire à ce que les deux frères avaient écrit dans leurs FRPS.

3.         Le tribunal soulève un autre problème au sujet de la lettre du père.  Le tribunal s’était enquis pourquoi le père n’avait pas envoyé une copie de la convocation à ses fils.  Reza répond que la convocation est chez son père;  Mohammad répond que la convocation n’était pas officielle parce que l’adresse de la Cour avait été simplement inscrite sur un bout de papier.  Après examen de la preuve documentaire, le tribunal estime que la crédibilité de leurs allégations « of repercussions in Iran of their activities was negatively affected as a result ».

4.         Selon le tribunal, la preuve documentaire (1) « shows that relatives in Iran are targeted if refugees continue their activities outside of Iran and that Iranian intelligence and security forces target families of activists as a means to force them to cease their activities ».  Le tribunal estime qu’en l’espèce, les deux frères n’ont pas ce profil parce qu’ils n’étaient pas actifs politiquement au Canada;  et (2) selon un fonctionnaire iranien (Monsieur Javdan), un citoyen « who had taken non-violent action abroad e.g. participated in demonstrations against the Iranian government would not be punished when returning to Iran.  The significance of such persons to the security of the Iranian state was so insignificant that resources would not be used to prosecute them. »

5.         Sur la prétention que leur situation en Iran était précaire parce que les autorités iraniennes étaient au courant des activités de leur frère Ali.  Le tribunal remarque qu’Ali avait quitté l’Iran en 2007, que ni leurs FRPS, ni leurs témoignages devant le tribunal ou ni la lettre de leur père font état de problèmes vécus durant la période de mai 2007 « until the time that the claimants were allegedly arrested for demonstrating in July 2009 ».  Le tribunal conclut :

« The panel does not accept therefore that the problems of their brother Ali would have created additional problems for them in the post 2009 period, since it does not appear that the brothers had any problems because of Ali in that two year period immediately following Ali’s flight to Canada, at a period of time when the authorities would be most interested in him. »

[Je souligne]

 

6.                  Le tribunal tire aussi la conclusion suivante :

« Had the brothers feared for their father’s safety in Iran, and had they truly believed that their activities in Canada would get back to Iran and risk causing harm to the father, the panel finds that it would have been unlikely then for them to have engaged in any demonstration whatsoever in Canada.  On the other hand, the claimants participated in only one demonstration in the one and half years that they have been in Canada.  The panel finds that the claimants’ photos of them at a demonstration are, on a balance of probabilities, an attempt to bolster their refugee claim and does not believe that their presence at this one demonstration would have drawn the attention of the Iranian authorities. » [Je souligne]

 

 

            (2)        Participation aux manifestations en Iran

 

[10]           La deuxième question traitée par le tribunal était de savoir s’il y avait un risque sérieux que les demandeurs soient persécutés en Iran pour avoir manifesté contre le régime durant l’été de 2009 et, par la suite, avoir été arrêtés et détenus.

 

[11]           La conclusion du tribunal sur cette question est la suivante:

« Because of the inconsistent testimony the panel did not find it credible that the claimants, who had no previous political involvement, would have taken part in the demonstration or that they had been arrested and imprisoned as a result. » [Je souligne]

 

 

[12]           Le tribunal fonde cette conclusion sur les constatations suivantes :

1.             The claimants did not report being politically active in Iran in the years preceding the elections and their alleged political involvement in Iran consisted only of taking part in the demonstrations in the summer of 2009.  They had experienced no problems in the previous two years in Iran and this was confirmed by the younger brother at the hearing.

2.             Les contradictions suivantes dans le témoignage des deux frères (1) Reza ne se souvenait pas des dates des six ou sept manifestations auxquelles il aurait participé avec des membres de sa famille;  et (2) des contradictions entre le témoignage des deux frères sur le déroulement de la manifestation à laquelle ils ont été arrêtés :  comment la manifestation s’est déroulée, qui les ont arrêtés : la police ou des agents habillés en civil;  à quel moment les deux frères ont été obligés de promettre aux autorités de ne plus participer aux manifestations contre le régime avant d’être libérés ou transférés d’une prison à l’autre.  Reza témoigne que les autorités l’ont forcé de signer un document énonçant qu’il ne croyait pas en Dieu tandis que Mohammad a dit ne pas avoir été obligé de faire une telle déclaration.

 

            (3)        Mohammad :  un chrétien ou non

[13]           La conclusion du tribunal sur cette question est celle-ci :

« The panel also did not find the elder brother’s testimony he was a practising Christian to be credible. »

 

 

 

 

[14]           Le tribunal se penche sur les éléments suivants pour appuyer sa conclusion :  (1) l’incohérence basée « why Mohammad had not been asked to sign a document similar to the one his brother alleges to have signed if in fact he had been the one suspected of being a Christian;  (2) the claimant says he has been attending the Persian Evangelical Church since arriving but when asked when was the last time he had gone to services there, he stated that he had last been in August (la date de l’audition était le 30 septembre). He stated he does not go every week as he does not have time but also said he had not been working and that it was only recently that he had found a temporary job;  (3) he demonstrated some basic knowledge of Christianity when questioned about it;  (4) he was asked what the word Evangelical in the name of his church meant but he was unable to explain this movement;  (5)  he testified that his friend Albert, who is not a cleric, in Iran had baptized him because it was too dangerous to have a Protestant Minister perform a proper baptism.  The tribunal asked him, if in Montreal, he asked the Minister of his church to perform a proper baptism.  He answered he did not feel a second baptism was necessary.  The tribunal found there was an incongruity between his PIF statement that his baptism in Iran was not a proper ceremony and the fact he failed to undergo another baptism by a proper Minister in Canada ».

 

[15]           Le tribunal estime:

« Given the claimant’s lack of any desire to have a proper baptismal ceremony by a recognized Protestant Minister, given his own statement that he is not a regular church goer and does not have the time to attend regular services, given the difficulty the claimant had in explaining the word Evangelical, which in the name of the very church he attends, the panel draws a negative conclusion as to his conversion to Christianity.  The claimant’s failure to practice his religion regularly and to fully participate in organized religion in Canada, leads the panel to conclude that whatever Christian beliefs he may have would not put him in danger in Iran.  The panel is not persuaded, on a balance of probabilities, that the claimant has undergone a genuine conversion to Christianity or that he would practice Christianity in Iran such as to draw attention to himself in Iran as a Christian.  For this reason the panel does not believe he would be persecuted in Iran because of his religion. » [Je souligne]

 

 

[16]           Le tribunal ajoute une autre considération suite à son analyse:  à savoir si au retour en Iran, Mohammad serait perçu comme un apostat.  Le tribunal a conclu que non aux motifs (1) qu’il « has not established any credible evidence that the authorities were aware of this Christian beliefs; (2)  he would openly practice in Iran;  (3)  that he would present himself as a Christian to the authorities or (4)  that he would come to their attention because of any proselytising ».

 

            (4)        La question d’être des réfugiés déboutés

[17]           La preuve documentaire indique qu’un réfugié débouté est « subject to sanctions by the Iranian government when they return to Iran for making up accounts of alleged persecution. »  S’appuyant sur une preuve documentaire en 2005 émanant des Services Frontaliers du Canada, le tribunal estime que « the claimants would not face a risk because of their failed refugee claims because the Iranian government would not be informed of this fact by the Canadian authorities. »

 

V.        Les arguments

            (a)        Ceux des demandeurs

[18]           Les demandeurs allèguent ce qui suit; en premier lieu, la conclusion du tribunal que les demandeurs ne sont pas des réfugiés sur place est déraisonnable pour les raisons suivantes :  (1) elle est fondée sur de l’information fournie par un représentant du gouvernement iranien concernant le traitement en Iran des personnes qui ont participé à des manifestations à l’étranger.  Le gouvernement iranien n’admettra jamais que les manifestants à l’étranger sont persécutés à leur retour en Iran;  (2) cette preuve n’a jamais été portée à l’attention des demandeurs à l’audience;  (3) le tribunal a omis de prendre en considération que la preuve documentaire récente indique clairement que les personnes qui ont participé à des manifestations à l’étranger contre le gouvernement iranien depuis les élections de juin 2009 sont ciblées et risquent d’être persécutées à leur retour en Iran.  Le document sur lequel le tribunal s’est appuyé date du mois d’avril 2005;  (4) s’appuyant sur la décision du juge Shore dans Win c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 398, il était déraisonnable de la part du tribunal que la manifestation publique ne serait pas portée à la connaissance des autorités iraniennes;  (5)  le tribunal a omis de se prononcer sur un élément du témoignage de Reza – ses activités sur l’internet.  Les demandeurs s’appuient sur la décision du juge Martineau dans Zaree c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 889 [Zaree], qui concerne leur frère Ali.

 

[19]           En deuxième lieu, les demandeurs attaquent la conclusion du tribunal statuant qu’ils ne sont pas à risque de persécution au retour en Iran en tant que réfugiés déboutés puisque les autorités canadiennes ne fourniront pas cette information aux autorités iraniennes.  Les demandeurs soutiennent que cette conclusion du tribunal est mauvaise parce que le tribunal (1) omet de prendre en considération la preuve documentaire à l’effet que même si les autorités canadiennes ne fournissent pas cette information aux autorités iraniennes, celles-ci peuvent facilement déduire, conclure ou être informées si un ressortissant a fait une demande d’asile;  et (2) la preuve documentaire relativement aux opinions politiques imputées aux iraniens qui ont présenté une demande d’asile à l’étranger.  Ces documents mentionnés ont été portés à l’attention du tribunal.

 

[20]           En troisième lieu, la conclusion du tribunal qui a mis en doute la sincérité de la conversion de Mohammad n’est pas raisonnable puisque (1) ce demandeur a indiqué, à l’audience, que dans la religion chrétienne on ne se faisait baptiser qu’une seule fois et qu’il en avait discuté à Montréal, avec le Ministre de l’église qu’il fréquentait;  (2) le tribunal reconnaît, dans sa décision, que Mohammad a une connaissance de base de la religion chrétienne.  Il a répondu à toutes les questions posées par le tribunal sauf celle relative à la signification du terme « évangélique » qui plus est, le terme « évangélique » n’a pas été traduit en farsi au demandeur.

 

[21]           D’autre part, la conclusion du tribunal que « the claimant has not established any credible evidence that the authorities are aware of his Chistian beliefs » est déraisonnable pour les motifs suivants :

1.                   D’une part, cette conclusion est contradictoire et incohérente.  En effet, le tribunal tire une inférence négative du fait que Mohammad n’a pas été obligé par les autorités iraniennes de signer le même document que son frère Reza, mais le tribunal indique également qu’il ne croit pas que Reza a signé un tel document (paragraphe 26 de la décision).

2.                   D’autre part, le tribunal tire une inférence négative du fait que Mohammad n’a pas été obligé comme son frère de signer un document à l’effet qu’il ne croit pas en Dieu.  Le tribunal affirme :  « why Mohammad had not been asked to sign a document similar to the one his brother alleges to have signed if in fact he had been the one suspected of being Christian » (paragraphe 26).  Or, les chrétiens croient en Dieu.  Si l’on suit la logique du tribunal, pourquoi les autorités iraniennes auraient-elles fait signer une telle déclaration à Mohammad?  L’inférence que tire le tribunal est illogique et arbitraire.  Qui plus est, le demandeur n’a jamais prétendu que les autorités avaient une connaissance (were aware) de ses croyances mais qu’ils avaient des soupçons à cet effet.

 

[22]           En quatrième lieu, le demandeur n’a jamais prétendu :

a)                  qu’il pratiquerait ouvertement sa religion en Iran;

b)                  ou qu’il se présenterait comme un chrétien aux autorités;

c)                  ou qu’il encouragerait des gens à se convertir.

 

[23]           D’ailleurs, compte tenu de la situation en Iran, bien peu de gens agissent de la sorte.

Le demandeur invoque les arrêts Sadeghi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration),  2011 FC 1236 [Sadeghi] et l’affaire A.B. c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 325 [A.B.].  Selon le demandeur, le tribunal a omis de se prononcer sur la question de savoir si Mohammad pourrait faire l’objet de persécution si les autorités de l’État apprenaient qu’il a rejeté l’Islam.

 

[24]           En cinquième lieu, les demandeurs soutiennent que le tribunal a tiré des conclusions de faits erronées, tirées de façon abusive et arbitraire, et sans tenir compte des éléments dont il disposait.  La procureure des demandeurs donne plusieurs exemples.

 

[25]           En sixième lieu, les demandeurs soulignent plusieurs fautes de traduction.

 

[26]           En septième lieu, la conclusion du tribunal est inexacte que les demandeurs n’avaient pas mentionné avoir vécu des problèmes durant la période de mai 2007 à juillet 2009.  Le FRP de Mohammad indique que les demandeurs ont été interrogés à propos d’Ali, en juin 2007.  Ils ajoutent que le tribunal a mal saisi l’argument présenté.  Ce que leur procureure a fait valoir à l’audience c’est la question des opinions politiques qui pourraient être imputées aux demandeurs du fait que leur frère est impliqué dans des activités politiques.  Ils ajoutent que leur frère Ali était avec eux durant la manifestation à Montréal.

 

            (b)        Ceux du défendeur

[27]           Le défendeur, dans son mémoire, en réplique à trois points soulevés par les demandeurs :

a)         La SPR a-t-elle commis une erreur révisable en concluant que les demandeurs ne sont pas des réfugiés sur place?

 

b)                  La SPR a-t-elle commis une erreur révisable en concluant que les demandeurs ne sont pas des réfugiés déboutés?

 

c)                  La SPR a-t-elle commis une erreur révisable en concluant que le demandeur Mohammad n’a pas de risque relié à sa conversion au christianisme?

 

[28]           Sur le premier point à savoir si les demandeurs sont des réfugiés sur place, le défendeur soumet que pour être reconnu « réfugié sur place », le demandeur a le fardeau d’établir une possibilité sérieuse de persécution basée sur une preuve crédible.  Il doit établir chacune des composantes de la définition de « réfugié au sens de la Convention », incluant l’élément subjectif et objectif de la crainte alléguée et l’existence d’une crainte de « persécution », fondée sur des événements qui, dans ce cas-ci, seraient survenus après l’arrivée du demandeur au Canada et estime que les demandeurs n’ont déposé aucune preuve crédible démontrant que les autorités iraniennes s’intéressent à eux en raison d’une simple participation à une manifestation à Montréal.

 

[29]           Selon le défendeur, le tribunal a :

1.                   spécifiquement tenu compte de leur témoignage sur la raison d’être de ces photos et comment ils en ont obtenue copie;

2.                   noté que la preuve documentaire au dossier indiquant que les autorités iraniennes n’arrêteraient pas un citoyen qui aurait manifesté à titre personnel dans une manifestation au Canada contre le régime en place et que cette même preuve documentaire confirmait que le profil des demandeurs n’attirerait aucunement l’attention des autorités;

3.                   cette preuve documentaire sur laquelle le tribunal s’est appuyé provenait du Danish Immigration Report, une source fiable et indépendante.  M. Javdan n’était pas la seule source du Danish Immigration Report.  Ce document cite l’«Organization for defending victims of violence’s international department », qui mentionne que « insofar as the demonstration was organized by one of the big opposition groups and the asylum seekers had participated in the actual organization that person could risk legal persecution when returning to Iran ».  Il n’y a aucune preuve au dossier que les demandeurs auraient aidé à organiser la manifestation à Montréal;

4.                   Le défendeur cite la décision Khosravi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1192, laquelle a rejeté l’argumentation avancée par une citoyenne iranienne sur ce point;  et

5.                   Le défendeur soutient que le tribunal n’a pas omis de considérer la preuve documentaire récente après les élections de 2009 et en conformité avec la décision du juge Martineau dans Zaree précitée, le tribunal a considéré la situation actuelle en Iran et a soupesé le témoignage des demandeurs en fonction de la preuve documentaire récente au dossier.

 

[30]           Sur la deuxième question de savoir si les réfugiés déboutés risquent d’être persécutés au retour en Iran :

1.                   Le défendeur note que les demandeurs reprochent au tribunal d’avoir considéré un document daté de 2005 provenant des autorités canadiennes qui indique « qu’en aucun temps les autorités canadiennes n’avisent les autorités iraniennes qu’une personne a déposé une demande d’asile au Canada »;

2.                   Au reproche des demandeurs que le tribunal aurait dû mentionner d’autres paragraphes du document (Response to Information Request), le défendeur répond que les demandeurs n’ont pas le profil de « student activist », ni sont-ils des Kurdes.

3.                   Qui plus est, selon le défendeur, le passage auquel font référence les demandeurs indique que tous les citoyens iraniens retournant dans leur pays peuvent être soumis à un interrogatoire et non seulement les demandeurs déboutés.

 

[31]           Sur la question de la conversion au christianisme de Mohammad, le défendeur plaide que :

1.                   Le tribunal a clairement énoncé que le témoignage des demandeurs sur ce point était contradictoire et non crédible;

2.                   Mohammad a été incapable de définir ou expliquer « what the word Evangelical in the name of the Church meant »;

3.                   Le tribunal a noté que Mohammad n’a pas jamais été baptisé formellement, alors qu’il est hors de danger au Canada;

4.                   Qu’il était raisonnable pour le tribunal de trouver invraisemblable qu’une personne qui aurait pris un si grand risque dans son pays pour tenter de changer de foi n’ait pas, lorsque hors de danger, tenté de se faire baptiser formellement;

5.                   Qu’il était clairement invraisemblable que Mohammad n’a pas été obligé de signer un document indiquant qu’il n’est pas d’une confession chrétienne considérant qu’il prétendait que les autorités avaient des soupçons qu’il s’était converti au christianisme;  et

6.                   Conformément aux décisions de la Cour fédérale de Sadeghi et A.B., le tribunal a analysé les allégations des demandeurs et a constaté qu’en raison des nombreuses invraisemblances dans cette partie de la preuve, il ne croyait pas que Mohammad pratiquait, ni au Canada ni en Iran, le christianisme et qu’il risquerait, en raison de cette prétendue conversion, d’être porté à l’attention des autorités iraniennes.

 

[32]           Sur la prétention des demandeurs qu’il y avait des erreurs de traduction qui ont eu une incidence directe sur la conclusion du tribunal sur leur détention de 2009, le défendeur affirme qu’en dépit d’une ou plusieurs erreurs d’interprétation, celles-ci ne sont pas déterminantes quand à la conclusion finale du tribunal relative à la crédibilité des demandeurs s’appuyant sur la décision Fu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CF 155.

 

V.        Analyse et conclusions

            (a)        La norme de contrôle

[33]           Les demandeurs contestent la décision du tribunal essentiellement sur la façon dont le tribunal a traité la preuve dans le dossier ainsi que la façon dont il a tiré ses conclusions sur la crédibilité.  Les questions soulevées sont des questions de faits.  La Cour Suprême du Canada, dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190, que la norme de contrôle de telles questions est celle de la raisonnabilité.  Au paragraphe 47 de son jugement, la Cour Suprême explique en quoi consiste cette norme :

47     La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l'origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n'appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d'opter pour l'une ou l'autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l'intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu'à l'appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

 

            (b)        Conclusions

[34]           Pour les motifs suivants j’estime que cette demande de contrôle judiciaire doit être accueillie :

1.                   Sur la question à savoir si les demandeurs étaient des réfugiés sur place ou craignant avec raison d’être persécutés en tant que réfugiés déboutés, le tribunal a fondé ses conclusions sur une preuve de 2005 et non celle de 2009 qui démontrait clairement que la répression des manifestants suite aux élections contestées de 2009 (voir le dossier du tribunal, rapport d’Amnesty International, pages 38 et 100;  rapport de l’UNHCR, page 168;  Radio Free Europe – Special Court to be established for Iranians abroad, page 172;  The Australian – Court targets Iranian experts, page 178;  Australian Refugee Tribunal, page 180 et Asylum seekers Iran, page 176 et finalement, le rapport de l’organisation suisse sur le traitement des requérants d’asile déboutés).

2.                   Bien qu’il est très bien reconnu qu’en matière de crédibilité, un tribunal administratif jouit d’une très grande déférence, la Cour doit intervenir si celui-ci a tiré sa conclusion sur la crédibilité d’une façon abusive.  J’estime que c’est le cas par exemple, sur le fondement de la conclusion que les demandeurs n’avaient pas participé aux manifestations en Iran.

3.                   Le tribunal a omis de considérer la preuve apportée par Reza sur ses activités sur l’internet (voir la décision du juge Martineau dans l’arrêt Zaree précité, au paragraphe 14).

4.                   Le tribunal a aussi omis de prendre en considération le fait que Mohammad avait discuté avec le responsable de l’Église s’il devrait être baptisé.

5.                   Les erreurs de traduction ont pu influencer les conclusions du tribunal (par exemple le mot Évangélique n’a pas été traduit) (voir aussi l’arrêt Zaree précité).

 

[35]           Les erreurs identifiées sont suffisantes pour justifier l’intervention de cette Cour.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du Tribunal est annulée et la demande d’asile des demandeurs doit être reconsidérée par un tribunal différemment constitué.  Aucune question d’importance a été proposée.

 

 

« François Lemieux »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-8230-11

 

INTITULÉ :                                      MOHAMMAD ZAREE ROBAT TORKI

                                                            REZA ZAREE ROBAT TORKI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             16 mai 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT :
                            LE JUGE LEMIEUX

 

DATE DES MOTIFS :                     29 novembre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Annie Bélanger

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Me Lynne Lazaroff

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Bélanger, Fiore, avocats

St-Laurent (Québec)

POUR LES DEMANDEURS

 

 

William F. Pentney,

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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