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Cour fédérale

 

Federal Court

 


 

 

 


Date: 20121127

Dossier : IMM-3359-12

Référence : 2012 CF 1374

Ottawa (Ontario), le 27 novembre 2012

En présence de monsieur le juge Simon Noël

 

ENTRE :

 

JOSE JERSAIN MEDINA CANCHON ET MARTHA JANETH CANCHON CIFUENTES

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés  [« la SPR »] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, en date du 9 mars 2012, concluant que Mme Martha Janeth Canchon Cifuentes et son fils, Jose Jersain Medina Canchon ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention aux termes de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [« la LIPR »], et n’ont pas le statut de « personne à protéger » selon l’article 97 de la LIPR.

I.          Faits

[2]               La demanderesse exploitait une garderie en milieu familial depuis 1992, accréditée par l’Instituto Colombiano de Bienestar Familiar. Elle a ouvert la garderie suite au départ de son mari qui était un commerçant prospère. Il avait laissé la demanderesse ainsi que ses deux enfants dans une situation financière difficile.

 

[3]               Le 6 décembre 2007, cinq personnes armées se sont présentées à son domicile, l’ont menacée, insultée et ont demandé où se trouvent ses fils Johan et Jersain. Ils se sont identifiés comme étant des membres des Forces armées révolutionnaires de Colombie [« les FARC »] et ont expliqué qu’ils avaient pour mission d’enlever ses enfants. Après avoir constaté que ses fils n’étaient pas à la maison, ils sont partis en l’avertissant de ne pas les dénoncer sinon ils tueraient ses fils. La demanderesse a donc communiqué avec ses fils et leur a demandé d’aller chez leur grand-mère maternelle.

 

[4]               Deux jours plus tard, la demanderesse a fermé la garderie et en a avisé l’organisme qui gère les garderies en milieu familial. Après quelques semaines de discussions avec ses fils, ils ont pris la décision de partir aux États-Unis d’Amérique pendant quelques temps. Le 16 février 2008, son fils Johan est parti aux États-Unis rejoindre son amie et la demanderesse est partie le rejoindre, accompagnée de son fils Jersain le 28 février 2008.

 

[5]               La demanderesse est retournée en Colombie au mois de mars 2008 afin de tenter d’y retrouver son époux pour avoir son appui financier mais n’a pas pu le contacter car sa famille a refusé de lui donner ses coordonnées. Elle s’est installée à Topaipi à son arrivée mais, ne s’y sentant pas en sécurité, elle a ensuite déménagé à Ibagué pour ensuite aller à Bogota.

 

[6]               En novembre 2008, la demanderesse a été informée par son frère qu’il avait trouvé des pamphlets et des lettres de menace de mort sous la porte de l’endroit où elle avait habité avec ses fils. Elle a aussi été informée par une voisine, par téléphone, que des hommes venaient tard le soir cogner à la porte de son ancienne résidence.

 

[7]               La demanderesse allègue avoir porté plainte à la police le 2 février 2009, laquelle aurait elle-même porté plainte auprès du Ministère. Huit jours plus tard, la demanderesse a été agressée à Bogota, alors qu’elle arrivait à la maison de sa mère. Elle a été menacée et les agresseurs ont aussi essayé de l’enlever. Ses cris ont alerté les voisins qui ont menacé d’appeler la police, ce qui a permis à la demanderesse de s’échapper et de se réfugier chez un voisin.

 

[8]               La demanderesse s’est ensuite rendue chez une amie et a informé son frère par téléphone de son agression. Le lendemain, un médecin s’est rendu chez elle pour la soigner alors qu’elle était gravement blessée. Son frère et elle ont donc pris la décision qu’elle voyagerait à l’étranger. La demanderesse ne comprenait pas la raison pour laquelle les FARC voulaient enlever ses fils, pensant que peut-être ceux-ci voulaient lui demander une rançon ou qu’ils voulaient leur faire effectuer du travail forcé.

 

[9]               Le 18 février 2009, la demanderesse quitta la Colombie pour se rendre aux États-Unis. Elle est ensuite arrivée au Canada le 28 février 2009 accompagnée de l’un de ses fils, Jose Jersain et ils y ont immédiatement demandé l’asile.

 

II.        Décision contestée

[10]           La SPR a conclu que les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention et n’ont pas le statut de « personne à protéger » selon l’article 97 de la LIPR et ce sur la base du fait qu’ils ne sont pas crédibles et que la protection offerte par l’État colombien est adéquate.

 

[11]           D’abord, la SPR a conclu que le fait que les demandeurs n’aient pas revendiqué le statut de réfugié à la première occasion, c’est-à-dire à leur arrivée aux États-Unis en février 2008 affecte de manière négative leur crédibilité. Le décideur n’a pas été satisfait de l’explication fournie par le demandeur selon laquelle il savait que le processus de demande d’asile est très long et qu’il avait un statut illégal aux États-Unis. 

 

[12]           Quant aux raisons données par la demanderesse pour justifier le fait de ne pas avoir demandé l’asile aux États-Unis à la première occasion, la SPR a tiré une conclusion défavorable à cause d’une contradiction qui ressort de son témoignage. De plus, l’explication donnée par la demanderesse selon laquelle elle n’était pas au courant d’une telle possibilité n’est pas satisfaisante. Quant à la raison fournie pour justifier sa décision de ne pas demander l’asile en février 2009, elle a indiqué qu’elle craignait qu’une telle demande prenne trop de temps et que son statut illégal ne jouerait pas en sa faveur. Ces justifications n’ont pas été jugées raisonnables par la SPR.

 

[13]           La SPR a donc conclu que les demandeurs n’ont pas démontré qu’ils ont une crainte subjective de retourner en Colombie.

 

[14]           De plus, elle a tiré une conclusion défavorable du fait que la demanderesse n’avait pas porté plainte suite à la tentative d’enlèvement dont elle a été victime et n’a pas considéré comme étant acceptable la décision de la demanderesse de ne pas porter plainte à cause du fait qu’elle n’avait alors pas reçu de suivi de sa plainte du 2 février 2009. De plus, la SPR a considéré que le document déposé par la demanderesse pour démontrer le fait qu’elle a porté plainte le 2 février 2009 n’est pas probant car il ne comporte ni adresse, ni en-tête.

 

[15]           La SPR a aussi considéré que la demanderesse n’avait subi aucune menace des FARC depuis qu’elle a quitté en février 2009. Elle a aussi constaté que la demanderesse ne connaît pas la raison pour laquelle les FARC s’en prennent à ses fils en particulier.

 

[16]           Enfin, quant à la protection de l’État offerte par la Colombie, la SPR a conclu que les demandeurs n’ont pas renversé la présomption selon laquelle les autorités colombiennes sont en mesure de lui offrir une protection adéquate. Elle considéra que malgré que la situation en Colombie ne soit pas parfaite, la preuve documentaire est à l’effet que le gouvernement colombien a mis en place des mesures concrètes pour contrer les actes criminels commis par les FARC.

 

III.       Position des demandeurs

[17]           Les demandeurs soumettent que la décision de la SPR de rejeter l’explication fournie par la demanderesse et le demandeur pour justifier le fait de ne pas avoir effectué une demande d’asile aux États-Unis est déraisonnable. En effet, selon ces derniers, les explications données sont claires et précises et leur témoignage ne comporte aucune contradiction.

 

[18]           En ce qui a trait à la raison pour laquelle la demanderesse n’a pas porté plainte suite à la tentative d’enlèvement, elle allègue que les explications qu’elle a fournies au sujet de l’infiltration de la police par les FARC ont été rejetées de manière déraisonnable, d’autant plus que la preuve documentaire confirme ce fait. Selon la demanderesse, le fait qu’elle ait été victime d’une tentative d’enlèvement huit jours après avoir porté plainte à la police contre les FARC aurait dû être interprété comme une preuve de cette infiltration de la police par les FARC. Toutefois, cette Cour note que cette explication ne fut pas donnée par la demanderesse lors de son témoignage devant la SPR.

 

[19]           De plus, la SPR n’a pas donné de poids à l’explication de la demanderesse selon laquelle les FARC s’en prennent particulièrement aux jeunes car ils sont plus faciles à exploiter.

 

[20]           En ce qui a trait à la protection de l’État, les demandeurs soumettent que la SPR a erré en concluant que celle-ci est adéquate car la preuve documentaire récente démontre plutôt le contraire.

 

[21]           Enfin, selon les demandeurs, la SPR a erré en n’accordant pas de considération à l’évaluation psychologique de la demanderesse.

 

 

 

IV.       Position du défendeur

[22]           Pour sa part, le défendeur suggère que la conclusion de la SPR selon laquelle les demandeurs manquent de crédibilité car ils n’ont pas demandé l’asile à la première occasion est raisonnable car il est établi par la jurisprudence que le décideur peut tenir compte du délai entre le moment où les événements qui sont à l’origine de la demande d’asile ont lieu et le moment où la demande d’asile est présentée. De plus, la demanderesse est même retournée en Colombie, ce qui tend à démontrer qu’elle ne craignait pas réellement pour sa personne. Il était aussi raisonnable pour la SPR de ne pas retenir les explications données par les demandeurs concernant les raisons de ne pas avoir demandé l’asile aux États-Unis.

 

[23]           Deuxièmement, la demanderesse n’a pas porté plainte suite à la tentative d’enlèvement du 10 février 2009, invoquant qu’il était inutile d’avoir recours à la police car celle-ci n’avait à son avis rien fait depuis la dénonciation du 2 février 2009. La SPR a valablement rejeté cette explication car il n’est pas raisonnable de refuser de porter plainte à la police pour l’unique motif que celle-ci n’a pas fourni les résultats de son enquête huit jours après une dénonciation. De plus, il était raisonnable de n’accorder aucune valeur probante au document de dénonciation car il n’a pas les attributs d’authenticité qui démontreraient qu’il est de source officielle.

 

[24]           Troisièmement, en ce qui a trait à la protection étatique, la SPR a tiré une conclusion juste selon laquelle les demandeurs ne se sont pas déchargés de leur fardeau de prouver que les autorités colombiennes ne peuvent leur apporter une protection efficace. En effet, la demanderesse n’a pas soumis de preuve à l’encontre de la présomption de protection de l’État. Au contraire, la demanderesse n’a pas recherché la protection de l’État suite aux actes illégaux commis contre sa personne et la preuve documentaire appuie la thèse selon laquelle la Colombie a la capacité d’assurer la protection de ses citoyens.

 

V.        Question en litige

[25]           La présente demande de révision judiciaire soulève les questions suivantes :

 

1) La SPR, a-t-elle commis une erreur dans l’analyse de la crédibilité des demandeurs?

 

2) La SPR, a-t-elle erré en concluant que la protection de l’État colombien est efficace?

 

VI.       Norme de contrôle

[26]           La norme de contrôle applicable aux deux questions est la norme de la décision raisonnable car la crédibilité d’un demandeur est une question de fait (Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 160 NR 315 au para 4, 1993 CarswellNat 303 (CAF)) et la question de la protection de l’État disponible aux demandeurs est une question mixte de droit et de fait (Dunsmuir c Nouveau Brunswick, 2008 CSC 9 aux paras 164-166, [2008] 1 RCS 190). 

 

VII.     Analyse

A. La SPR a-t-elle commis une erreur dans l’analyse de la crédibilité des demandeurs?

[27]           L’analyse de la crédibilité des demandeurs par la SPR est raisonnable et aucune intervention de cette Cour n’est requise.

 

[28]           Dans un premier temps, la SPR a considéré que le fait que la demanderesse soit retournée en Colombie suite à son arrivée aux États-Unis et que son fils soit resté une année sans demander la protection des États-Unis sont des éléments qui militent en faveur d’une absence de crainte subjective de persécution. En effet, le retour dans son pays par une personne qui revendique l’asile est une démonstration du fait que cette personne ne craint pas réellement la persécution (Lopez c Canada (Ministre de la Citoyenneté & de l'Immigration), 2004 CF 1318 au para 5, 2004 CarswellNat 3462). De plus, il est établi par la jurisprudence que le délai pour demander la protection d’un État qui est en mesure d’offrir une protection adéquate est un facteur qui peut affecter de manière négative la crédibilité d’un demandeur d’asile, lorsqu’aucune explication convaincante n’est fournie (Huerta c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 157 NR 225, 40 ACWS (3d) 487 (CAF)).

 

[29]           En ce qui a trait au demandeur, la SPR a valablement conclu que celui-ci aurait pu demander l’asile aux États-Unis sur la base du fait que des membres des FARC recherchaient son frère et lui en Colombie. De plus, lorsqu’il a appris que sa mère avait été victime d’une tentative d’enlèvement, il avait des raisons additionnelles pouvant justifier une demande d’asile.

 

[30]           La SPR a aussi tiré une conclusion juste lorsqu’elle mentionne que le fait que des personnes ayant un statut illégal dans le pays dans lequel elles se trouvent favorise une régularisation de ce statut. 

 

[31]           Cette Cour note que la SPR a constaté une contradiction dans le témoignage de la demanderesse qui affecte sa crédibilité. En effet, celle-ci a affirmé dans un premier temps qu’elle n’avait pas demandé l’asile en février 2008 parce que les menaces étaient dirigées vers ses fils et a ensuite changé sa version pour dire que les FARC l’avaient aussi menacée en lui demandant de collaborer avec eux pour retrouver ses fils. Une telle constatation est raisonnable.

 

[32]           Quant au rapport psychologique soumis par la demanderesse, une lecture des transcriptions de l’audience devant la SPR révèle que le rapport était devant le décideur et qu’il a considéré le fait que la demanderesse a des problèmes d’anxiété et de mémoire avant de procéder à l’audience.

 

[33]           En dernier lieu, la SPR a de façon appropriée, tiré une conclusion négative au sujet de l’authenticité de la dénonciation du 2 février 2009. On y retrouve aucune en-tête ou adresse. Une telle conclusion est appropriée dans les circonstances.

 

B.  La SPR, a-t-elle erré en concluant que la protection de l’État colombien est

      efficace?

 

[34]           Les conclusions de la SPR au sujet de la protection offerte à la demanderesse et à son fils en Colombie sont raisonnables. En effet, la preuve documentaire qui était devant la SPR est à l’effet que quoiqu’elles ne soient pas infaillibles, des mesures concrètes ont été mises en place par les autorités colombiennes pour contrer les agressions commises par les FARC. Ainsi la SPR n’a pas effectué d’analyse sélective de la preuve.

 

[35]           De plus, la SPR a valablement considéré le fait que la demanderesse n’ait pas porté plainte suite à la tentative d’enlèvement comme étant une démonstration du fait qu’elle n’a pas fait tout ce qui était possible pour tenter d’obtenir la protection de l’État. Un demandeur est requis d’épuiser les recours qui lui sont offerts lorsqu’un État est démocratique (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689 à la p 709, 20 Imm LR (2d) 85). De plus, la conclusion de la SPR au sujet de la valeur probante de la preuve de la dénonciation du 2 février 2009 est raisonnable considérant que le document, à sa face même, ne laisse pas envisager qu’il est de source officielle.

 

[36]           Avant de terminer, il est important de noter que la décision de la SPR est bien rédigée. Il s’agit d’une décision bien motivée qui démontre un souci du détail, de la précision et une préoccupation certaine de s’assurer de rencontrer l’encadrement légal à suivre et ce, tout en ayant un regard équilibré sur la preuve présentée.

 

[37]           Les parties furent invitées à soumettre une question pour certification et aucune question ne fut soumise.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

            LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée et aucune question ne sera certifiée.

 

                                                                                                    « Simon Noël »

                                                                                    ______________________________

                                                                                                             Juge

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3359-12

 

INTITULÉ :                                      JOSE JERSAIN MEDINA CANCHON ET AL

c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 14 novembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE SIMON NOËL

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 27 novembre 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Odette Desjardins

POUR LES DEMANDEURS

 

Me Charles Junior Jean

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Odette Desjardins

Avocate

Montréal (Québec)

POUR LES DEMANDEURS

 

Willam F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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