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Date : 20121121

Dossier : IMM-2890-12

Référence : 2012 CF 1349

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 21 novembre 2012

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

PALNE KEMENCZEI

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), de la décision en date du 7 mars 2012 (la décision) par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR) a rejeté la demande d’asile fondée sur les sections 96 et 97 de la Loi qu’elle avait présentée pour se faire reconnaître la qualité de réfugiée au sens de la Convention ou de personne à protéger.

CONTEXTE

[2]               La demanderesse, âgée de 77 ans, est une citoyenne hongroise d’origine ethnique rome, arrivée au Canada le 9 février 2010, qui a présenté le lendemain une demande d’asile fondée sur la crainte d’être persécutée en Hongrie du fait de cette origine ethnique. Sa demande était appuyée d’un exposé circonstancié figurant à son formulaire de renseignements personnels (FRP) et d’éléments de preuve documentaire portant sur la situation des Roms en Hongrie.

L’exposé circonstancié du FRP

[3]               Dans un paragraphe annexé au FRP, elle a résumé ainsi la persécution subie en Hongrie :

[traduction] Ma famille et moi avons quitté la Hongrie parce que je suis vieille, que mon mari est décédé il y a très longtemps et que je ne veux pas que le reste de ma vie se passe dans la peur. J’étais enfant pendant la seconde guerre mondiale, et j’ai alors connu la peur et la souffrance. Il y a beaucoup de villes où le racisme se pratique ouvertement. Beaucoup d’hommes racistes se sont rassemblés et ont formé une garde. Je vivais avec mes enfants dans une ville du nom de Sajoszentpeter. Ces groupes venaient dans notre ville, souvent vêtus de noir, et leur simple regard faisait naître la peur en moi. Même à mon âge, je devais subir l’humiliation quotidiennement, dans les magasins, chez le médecin et dans les centres commerciaux, parce que je suis rome. Le soir, ils lançaient des objets dans ma fenêtre, et j’avais presque toujours peur de dormir parce que je ne savais jamais quand ils allaient défoncer ma porte. Ici, je me sens en sécurité parce qu’il n’y a pas de racisme ou de discrimination. J’aimerais vraiment finir mes jours ici avec ma famille parce que j’ai trouvé la paix. [Erreurs de l’anglais non reproduites]

 

 

Preuve documentaire

[4]               La demanderesse a déposé de nombreux documents concernant le traitement des Roms en Hongrie et d’autres aspects de la situation dans ce pays. Ces pièces comprennent :

 

                     le cartable national de documentation de la CISR au sujet de la Hongrie, en date du 31 octobre et du 20 avril  2011;

                     un document intitulé Hungary, non daté et dont l’auteur n’est pas clairement identifiable;

                     le rapport annuel d’Amnistie Internationale sur la Hongrie, pour 2011 et 2010;

                     la réponse de la CISR à la demande d’information HUN103566.F;

                     un article intitulé « Attacks against Roma in Hungary : January 2008 – July 2011 » du European Roma Rights Centre;

                     une trousse documentaire intitulée Hungary : Violent attacks against Roma, préparée par Amnistie Internationale en mai 2011;

                     un article intitulé « Violent Attacks Against Roma in Hungary » rédigé par Amnistie Internationale.

 

[5]               Ces documents portent sur le racisme et la discrimination subis par les Roms en Hongrie et sur les mécanismes mis en place par l’État pour les contrer. Des agressions violentes et des meurtres à connotation raciste ont été perpétrés contre les Roms, et ceux‑ci sont victimes de discrimination systémique. Des recommandations ont été faites concernant la façon dont la Hongrie devrait résoudre ces problèmes, et des efforts ont été déployés en ce sens. La police fait généralement enquête sur ces attaques, mais la reconnaissance des crimes haineux par le système de justice criminelle pose problème.

[6]               La SPR a tenu une audience le 19 janvier 2012, et elle a rejeté la demande le 2 mars 2012.

LA DÉCISION SOUMISE AU CONTRÔLE

[7]               La SPR a rejeté la demande d’asile, pour cause d’absence de crainte objective fondée de persécution et de non‑réfutation de la présomption de protection de l’État.

La crainte de persécution

[8]               La SPR a examiné le témoignage de la demanderesse au sujet de la persécution qu’elle subissait en Hongrie. Celle‑ci a déclaré que des gens lançaient des objets contre sa maison et que son gendre avait été agressé plusieurs fois. Elle, cependant, n’avait jamais été blessée. Elle a dit qu’elle avait appelé la police au sujet des objets lancés, mais que celle‑ci n’était jamais venue. La SPR a signalé que la demanderesse n’avait fourni aucune preuve corroborant les agressions.

[9]               La SPR a également relevé que la demanderesse souffrait de nombreux troubles médicaux mais qu’elle ne s’était jamais plainte des traitements qu’elle recevait, et qu’elle n’avait présenté aucun élément de preuve indiquant qu’elle n’avait pas reçu une bonne instruction ou que le logement n’était pas adéquat. La SPR a conclu que la crainte de la demanderesse d’être persécutée si elle retournait en Hongrie n’était pas objectivement fondée et qu’il n’existait pas de possibilité sérieuse qu’elle soit victime de persécution si elle y retournait.

La protection de l’État

[10]           La SPR a également estimé que la demanderesse n’avait pas réfuté la présomption qu’elle pouvait être adéquatement protégée par l’État en Hongrie. Passant en revue la jurisprudence pertinente, elle a indiqué qu’à moins d’un effondrement complet de l’appareil étatique, un État est présumé capable de protéger ses citoyens et qu’il incombait à la demanderesse d’établir selon la prépondérance des probabilités que la protection offerte par la Hongrie était insuffisante. Il revient au demandeur d’asile de demander protection à l’État, et c’est la suffisance de la protection, non son efficacité, qui est évaluée. L’encadrement législatif et procédural de la protection est un facteur important, tout comme les efforts déployés pour protéger les citoyens sur le terrain.

[11]           La SPR a indiqué que « [l]e fait qu’un État n’assure pas une protection parfaite ne suffit pas en soi à établir que cet État ne veut ou ne peut offrir une protection suffisante » et que la protection de l’État est proportionnelle au degré de démocratie existant dans l’État. Selon elle, la présomption de la protection de l’État est solide du fait que la Hongrie est une démocratie, et la demanderesse ne pouvait se contenter de simplement prouver qu’elle s’était adressée sans succès à la police; elle devait aussi avoir épuisé tous les recours s’offrant à elle. L’inaction d’autorités locales ne veut pas dire que l’État dans son ensemble ne protège pas ses citoyens, à moins qu’elle ne s’inscrive dans une tendance généralisée au refus de protection.

[12]           Selon la SPR, la preuve documentaire démontrait que la Hongrie était un État démocratique doté d’un système judiciaire relativement indépendant et impartial, qui avait mis en place une force de sécurité capable de faire respecter la loi. Il ressortait de la preuve que le pays avait des antécédents de discrimination envers les Roms, mais qu’il s’employait à régler le problème. La SPR a cité un rapport de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance énumérant diverses initiatives du gouvernement hongrois, notamment des mesures visant à restreindre l’activité d’organisations politiques prônant la xénophobie. Le gouvernement hongrois avait également tenté de criminaliser la propagande haineuse et, bien qu’il n’y soit pas parvenu, d’autres lois permettaient la répression des crimes motivés par la haine. Le gouvernement donnait aussi de la formation axée sur les droits de la personne aux services de police.

[13]           Le gouvernement hongrois a légiféré pour contrer la discrimination raciale, adoptant notamment une loi sur l’égalité de traitement et la promotion de l’égalité des chances, laquelle interdit la discrimination et crée un organisme chargé d’en assurer l’application. Les minorités disposent également de recours à l’encontre de pratiques inconstitutionnelles. En 2007, le parlement hongrois a édicté son plan stratégique pour la Décennie de l’inclusion des Roms, qui établit des objectifs précis en vue de l’amélioration de l’accès des Roms à l’éducation.

[14]           La SPR a signalé la conclusion de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance selon laquelle les efforts de réduction de la discrimination contre les Roms en Hongrie étaient lents. L’élimination de la ségrégation scolaire demeurait un grave problème, mais le gouvernement hongrois faisait des efforts sérieux en cette matière, en distribuant des bourses d’étude, en réglementant la répartition des classes par les administrations locales et en élaborant des tests diagnostiques tenant mieux compte des différences culturelles et socio‑économiques.

[15]           Il ressortait de la preuve, selon la SPR, que le taux de chômage des Roms pouvait atteindre 70 % et qu’ils étaient souvent victimes de discrimination sur le marché du travail. La SPR a fait remarquer, toutefois, que le gouvernement créait des programmes de formation professionnelle s’adressant principalement aux Roms, dont l’efficacité, cependant, était mise en doute. La SPR a également examiné les problèmes de logement des Roms.

[16]           Acceptant la preuve documentaire, la SPR a conclu qu’il en ressortait que, bien que le racisme demeurât un problème en Hongrie, le gouvernement faisait des efforts sérieux et véritables pour l’éradiquer et que la protection offerte par l’État, bien qu’elle ne fût pas parfaite, était adéquate. La SPR a estimé que la demanderesse n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État, et elle a jugé que celle‑ci n’était ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger aux termes des articles 96 ou 97 de la Loi.

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[17]           Voici les dispositions applicables de la Loi en l’espèce :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa  nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques:

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

[…]

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au  sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou  occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

[…]

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political

opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries;

 

[…]

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning ­ of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or  incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care

 

[…]

 

 

QUESTIONS EN LITIGE

[18]           La demanderesse soulève les questions suivantes :

a.                   La SPR ayant déraisonnablement tiré une conclusion défavorable en matière de crédibilité, son appréciation du témoignage de la demanderesse était‑elle raisonnable?

b.                  La conclusion de la SPR selon laquelle la protection de l’État était suffisante était‑elle raisonnable?

c.                   La SPR a‑t‑elle erronément conclu que la discrimination subie par la demanderesse ne constituait pas de la persécution?

d.                  La SPR a‑t‑elle omis de motiver suffisamment sa décision?

 

NORME DE CONTRÔLE

[19]           L’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, de la Cour suprême du Canada établit que l’analyse relative à la norme de contrôle n’est pas toujours nécessaire. Lorsque la norme de contrôle à appliquer à une question particulière est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut l’adopter. Ce n’est que lorsque cette recherche s’avère infructueuse que la cour doit examiner les quatre facteurs de l’analyse relative à la norme de contrôle.

[20]           Dans l’arrêt Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732 (CAF), la Cour d’appel fédérale a conclu que la norme de contrôle applicable à une conclusion concernant la crédibilité est celle de la raisonnabilité. De plus, dans la décision Elmi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 773, au paragraphe 21, le juge Max Teitelbaum a établi que les conclusions relatives à la crédibilité se situant au cœur même de la conclusion de fait que tire la SPR, il convient de les évaluer selon la norme de la raisonnabilité. Enfin, selon la décision Wu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 929, rendue par le juge Michael Kelen, la norme de contrôle à appliquer aux conclusions en matière de crédibilité est celle de la raisonnabilité (paragraphe 17). La norme de contrôle applicable à la première question soulevée dans la présente affaire est celle de la décision raisonnable.

[21]           La deuxième question également doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable. Le juge Yves de Montigny a indiqué, au paragraphe 18 de la décision Pacasum c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 822, que la protection de l’État était une question mixte de fait et de droit appelant l’application de la norme de la raisonnabilité (voir aussi Estrada c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 279; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Abboud, 2012 CF 72). En outre, la Cour d’appel fédérale a conclu, dans l’arrêt Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, que la norme applicable à une conclusion concernant la protection de l’État était celle de la raisonnabilité.

[22]           L’interprétation que la SPR a faite de la « persécution » est une question mixte de fait et de droit portant sur l’interprétation de sa loi habilitante (voir Sow c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1313, aux paragraphes 17‑21). La Cour suprême a établi aux paragraphes 26‑34 de l’arrêt Smith c Alliance Pipeline Ltd, 2011 CSC 7, que c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique à une telle question, sans compter que l’analyse de la SPR en matière de persécution fait intervenir l’interprétation de la preuve. La troisième question doit donc s’examiner en fonction de la norme de la raisonnabilité (Alhayek c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1126, paragraphe 49).

[23]           Dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, la Cour suprême du Canada a déclaré au paragraphe 14 que l’insuffisance des motifs ne permettait pas à elle seule de casser une décision, « les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles ». La suffisance des motifs sera donc analysée en corrélation avec la raisonnabilité de la décision dans son ensemble.

[24]           Dans le contrôle d’une décision selon la norme de la raisonnabilité, l’analyse tient à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».Voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, ainsi que l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour ne doit intervenir que si la décision est déraisonnable, au sens où elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

ARGUMENTS DES PARTIES

La demanderesse

            Crédibilité

 

[25]           Tout en reconnaissant que la SPR n’a pas formulé de conclusion défavorable en matière de crédibilité, la demanderesse fait valoir que si une telle conclusion peut s’inférer des paragraphes 8 et 9 de la décision, elle est erronée. La Cour d’appel fédérale a jugé qu’un témoignage n’a pas nécessairement à être corroboré par des éléments de preuve documentaire et qu’une conclusion défavorable en matière de crédibilité fondée sur cette raison constitue une erreur susceptible de contrôle (Attakora c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] ACF no 444 (CAF), page 2). L’omission de fournir des éléments de preuve corroborante peut faire l’objet d’une conclusion de fait, mais elle n’a pas de lien avec la crédibilité en l’absence d’autres éléments de preuve (Mahmud c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF no 729, page 4; Ahortor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 705, page 9 [Ahortor]).

[26]           Lorsqu’un demandeur d’asile jure de la véracité d’allégations, celles‑ci sont présumées véridiques sauf s’il existe des raisons de douter de leur véracité (Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302). Selon la demanderesse, toute contradiction relevée par la SPR devait être étayée par la preuve; la SPR ne pouvait simplement décider de ne pas ajouter foi au témoignage sans fournir de raison valide.

[27]           Dans Ahortor, précitée, la Cour fédérale a jugé que la SPR avait erré en concluant à la non‑crédibilité d’un demandeur d’asile parce qu’il ne pouvait fournir d’éléments de preuve documentaire à l’appui de ses allégations. Selon la demanderesse, la SPR a commis une erreur analogue si elle a tiré une inférence défavorable à propos de sa crédibilité. La SPR s’est fondée sur une absence de preuve pour tirer une conclusion défavorable en matière de crédibilité à l’égard de la demanderesse, et cela constitue une erreur susceptible de contrôle (Mui c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] ACF no 1294, pages 8-9; Ledezma c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] ACF no 103; Hercegi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 250 [Hercegi], paragraphe 3).

Protection de l’État

[28]           La demanderesse affirme que la SPR n’a pas tenu compte de la preuve selon laquelle les Roms ne sont pas adéquatement protégés par l’État en Hongrie, citant Hercegi, où le juge Roger Hughes a écrit, au paragraphe 5 :

La question de la protection de l’État n’est pas analysée de manière appropriée dans les motifs du commissaire. Les motifs n’indiquent pas si le commissaire a tenu compte des mesures mises en place par la Hongrie pour offrir actuellement une protection de l’État suffisante à ses citoyens ni, s’il a procédé à l’examen en question, quelles sont ces mesures. Ce n’est pas suffisant de dire que des mesures sont prises en vue d’offrir un jour une protection suffisante de l’État. C’est la protection concrète, actuellement offerte qui compte. La preuve établit de façon accablante en l’espèce que la Hongrie est actuellement incapable d’offrir une protection suffisante à ses citoyens Roms.

 

[29]           La demanderesse ajoute que la SPR, qui était tenue de justifier ses conclusions et d’analyser les mesures prises par le gouvernement hongrois (EYMV c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1364, paragraphes 15-16), ne l’a pas fait, en n’expliquant pas de façon satisfaisante en quoi la protection accordée était suffisante. Selon elle, en outre, la SPR, comme dans l’affaire Rezmuves c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 334, n’a pas signalé et examiné la preuve documentaire fournie par le demandeur d’asile, indiquant une absence de protection étatique.

[30]           La demanderesse soutient que la SPR devait examiner l’existence d’une crainte objective de persécution sans égard à la crédibilité (Alexandre-Dubois c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 189). Elle fait également valoir que la SPR a évoqué pour la forme les tentatives du gouvernement hongrois en matière de discrimination, et qu’elle a mal appliqué le critère élaboré dans l’arrêt Ward, précité, lequel établit qu’un demandeur d’asile peut soumettre en preuve la situation analogue d’autres personnes auxquelles les mécanismes de protection de l’État ont fait défaut et qu’il n’est pas tenu de s’exposer à un préjudice en tentant d’obtenir protection.

[31]           La demanderesse cite la décision Mohacsi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 429, où le juge Luc Martineau a indiqué, au paragraphe 56 :

La Commission commet aussi une erreur de droit en adoptant une approche « systémique » qui peut avoir comme résultat net le rejet de demandes particulières de statut de réfugié pour le seul motif que la preuve documentaire indique généralement que le gouvernement hongrois fait certains efforts pour protéger les Roms de la persécution ou de la discrimination exercée par les autorités policières, les autorités chargées du logement et les autres groupes qui les ont persécutés jusqu’ici. L’existence de mesures contre la discrimination ne constitue pas en soi une preuve que la protection de l’État est disponible en fait : « Non seulement le pouvoir protecteur de l’État doit‑il comporter un encadrement légal et procédural efficace mais également la capacité et la volonté d’en mettre les dispositions en œuvre » (Elcock c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 175 F.T.R. 116 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 15). On reconnaît maintenant que la Hongrie est une nation démocratique qui devrait normalement pouvoir assurer la protection de l’État à tous ses citoyens (l’arrêt Ward, précité). Malheureusement, il existe encore des doutes quant à l’efficacité des moyens utilisés par le gouvernement pour atteindre cet objectif. Par conséquent, il y a lieu dans tous les cas de confronter la situation théorique avec le vécu de chaque revendicateur.

 

 

[32]           En outre, le juge Michel Shore a écrit dans Hernandez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1211, au paragraphe 13 :

Comme spécifié par le juge Edmond Blanchard dans Burgos c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration), 2006 CF 1537 (C.F.) :

 

[36] Par ailleurs, lorsqu’elle examine la question de la protection de l’État, la Cour ne peut pas exiger que la protection actuellement offerte soit d’une efficacité parfaite. Les propos suivants du juge James Hugessen dans Villafranca c. M.E.I., [1992] A.C.F. no 1189 (C.A.F.) (QL), font d’ailleurs état de ce principe :

Par contre, lorsqu’un État a le contrôle efficient de son territoire, qu’il possède des autorités militaires et civiles et une force policière établies, et qu’il fait de sérieux efforts pour protéger ses citoyens contre les activités terroristes, le seul fait qu’il n’y réussit pas toujours ne suffit pas à justifier la prétention que les victimes du terrorisme ne peuvent pas se réclamer de sa protection.

[37] Malgré tout, la simple volonté de l’État d’assurer la protection de ses citoyens n’est pas suffisante en soi pour établir sa capacité. La protection doit tout de même avoir une certaine efficacité (Bobrik c. M.C.I., [1994] A.C.F. no 1364 (1re inst.) (QL)).

[...]

[42] En déterminant qu’il existait une protection adéquate au Mexique et que les demandeurs auraient dû porter plainte après les incidents du 21 août 2005 et du 2 octobre 2005, la Commission a rendu une décision déraisonnable, en ce sens qu’elle a omis de tenir compte du fait que la situation des demandeurs s’est aggravée les deux fois où ils ont porté plainte et qu’ils se sont adressés à deux instances différentes. Cette conclusion va d’ailleurs à l’encontre du principe établi par la Cour Suprême dans Ward, selon lequel le demandeur n’a pas à « mettre sa vie en danger en sollicitant la protection inefficace d’un État, simplement pour démontrer cette inefficacité ». Cette erreur justifie l’intervention de la Cour dans la mesure où cette détermination a été incapable de résister à un examen poussé.

[33]           Selon la demanderesse, la jurisprudence susmentionnée a été appliquée à la situation des Roms en Hongrie (Kovacs c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1003), et il en ressort que la SPR n’a pas examiné comme il se doit la question de la protection offerte aux Roms en Hongrie. La décision ne statue par sur la véritable question, à savoir la suffisance de la protection offerte (Hercegi, précité).

[34]           La demanderesse ajoute que la SPR n’a pas tenu compte d’éléments de preuve pertinents au sujet de la protection étatique. Elle évoque, notamment :

               i.                             les observations formulées au sujet de la situation en Hongrie au paragraphe 28 de la décision;

             ii.                             son témoignage et la preuve documentaire qu’elle a soumise;

           iii.                             le fait que la police est l’agent de persécution;

           iv.                             d’autres éléments de preuve documentaire présentés à la SPR.

 

Selon elle, ces éléments de preuve étaient importants et, la SPR en ayant fait abstraction, il y a lieu d’annuler sa décision (Toro c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1981] 1 CF 652 (CA); Horvath c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 398.

[35]           La demanderesse fait valoir que la nécessité de mentionner et d’analyser un élément de preuve donné croît en fonction de l’importance de cet élément (Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1998) 157 FTR 35 (1re inst.)). La SPR aurait dû signaler les éléments de preuve contredisant sa conclusion et en expliquer l’incidence sur la demande d’asile (Gondi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 433, paragraphe 16; Jones c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 405, paragraphes 14‑18).

[36]           La SPR a erronément retenu la « volonté » de protection de l’État, sans se soucier de sa « capacité » de protéger. L’existence de mesures antidiscriminatoires et de services de counselling n’a rien à voir avec la capacité de l’État de protéger les Roms contre des agressions violentes (voir Elcock c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 175 FTR 116 (CF 1re inst.).

Persécution

[37]           La demanderesse attribue une autre erreur à la SPR, du fait que celle‑ci a considéré les actes de violence commis contre les Roms comme de la « discrimination » plutôt que de la « persécution ». La discrimination refuse à certains ce qui est accordé à d’autres, mais elle n’englobe pas la violence criminelle qui, elle, constitue de la persécution. Cette distinction importe dans le cas de la demanderesse. Beaucoup des organismes évoqués par la SPR ont pour mandat de combattre la discrimination contre les Roms, mais cela ne protège pas la demanderesse contre la violence qu’elle a vécue (Molnar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1081).

Suffisance des motifs

[38]           Selon la demanderesse, la décision n’est pas suffisamment motivée, en particulier pour ce qui est de la distinction entre discrimination et persécution et de la suffisance de la protection étatique; la SPR ayant l’obligation d’exposer ses conclusions de fait et d’expliquer les principales questions en cause (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817) et ayant manqué à cette obligation, sa décision devrait être annulée et l’affaire renvoyée pour nouvel examen.

 

Le défendeur

            La protection de l’État

[39]           Selon le défendeur, la SPR a tenu compte de la totalité de la preuve pour conclure que la demanderesse n’avait pas réfuté la présomption de la protection de l’État et cette conclusion est raisonnable.

[40]           La SPR a mentionné la déclaration de la demanderesse selon laquelle elle avait sans succès appelé la police lorsque des objets avaient été lancés contre sa maison mais, en l’absence de preuve corroborant l’attaque, elle pouvait apprécier le témoignage de la demanderesse comme elle le jugeait bon, compte tenu des autres circonstances. Il incombait à la demanderesse de demander protection, et le critère applicable en matière de protection est celui de la suffisance, non de la perfection.

[41]           La SPR a aussi pris en compte la preuve documentaire qui lui a été soumise. Elle a signalé qu’il y avait longtemps eu de la discrimination contre les Roms en Hongrie et que le pays tentait par différents moyens de corriger la situation. Les progrès étaient lents, et la SPR a examiné certaines des critiques élevées au sujet des mesures appliquées. Elles a également considéré l’absence de preuve objective des démarches de la demanderesse pour obtenir la protection de l’État et, bien qu’un demandeur d’asile ne soit pas tenu de produire une preuve corroborante, il est plus difficile de réfuter la présomption de protection de l’État sans une telle preuve (Cosgun c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 400, paragraphe 53). Il était raisonnable pour la SPR de tenir compte de ces points dans son analyse relative à la protection étatique.

[42]           La jurisprudence établit que l’État est réputé avoir la capacité de protéger ses citoyens (Ward, précité, page 724), et la présomption n’est pas réfutée du simple fait qu’un demandeur peut relever des problèmes dans la protection offerte. La jurisprudence reconnaît qu’aucun gouvernement ne peut garantir la protection absolue de ses citoyens (Canada (Minisre de l’Emploi et de l’Immigration) c Villafranca, (1992) 99 DLR (4th) 334 (CFA), page 337 [Villafranca]).

[43]           La demanderesse a cité une abondante jurisprudence dans laquelle la Cour a conclu à une erreur de la SPR dans l’examen de la protection offerte aux Roms par la Hongrie, mais d’autres décisions de la Cour renferment une conclusion contraire. Le contrôle judiciaire d’une décision, rappelle le défendeur, dépend des faits particuliers de l’affaire soumise à la Cour.

[44]           La demanderesse cite Hercegi; toutefois, dans Kis c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [Kis], 2012 CF 606, la Cour a établi des distinctions avec cette décision aux paragraphes 14 et 17. Dans Kis, la Cour a jugé que la SPR pouvait raisonnablement conclure que les programmes mis en place par le gouvernement hongrois constituaient des « efforts sérieux et véritables » pour assurer une protection adéquate. En l’espèce, la SPR a formulé des conclusions analogues à celles de Kis; elle a mentionné diverses initiatives du gouvernement visant à accroître l’efficacité de mécanismes de l’État.

[45]           La SPR a expressément tenu compte des aspects négatifs de la situation des Roms en Hongrie. Elle a reconnu qu’il y avait des secteurs où les problèmes subsistaient, comme dans l’emploi, l’éducation et le logement. Il était loisible à la SPR de conclure que la protection offerte aux Roms en Hongrie, tout en n’étant pas parfaite, était suffisante, et que la Hongrie avait fait des efforts sérieux pour combattre le racisme à l’endroit des Roms. Dès lors que la SPR prend en compte des éléments de preuve importants contredisant ses conclusions, elle n’est pas tenue de mentionner expressément chaque élément de preuve ou passage pertinent des sources citées (Velez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 923, paragraphe 33; Matte c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 761, paragraphes 114‑117; Horvath c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 253, paragraphes 15-17). C’est ce qu’a fait la SPR, et sa décision se situe dans les limites de la raisonnabilité.

[46]           Un demandeur d’asile doit effectuer toutes les démarches raisonnables pour obtenir la protection de l’État dans son pays avant de chercher à se prévaloir d’une protection internationale de substitution (Ward, page 709). Le défendeur convient avec la demanderesse qu’elle n’a pas à risquer sa vie pour démontrer l’insuffisance de la protection étatique, mais il fait valoir qu’elle doit établir que sa crainte subjective a un fondement objectif (Macias c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 598, paragraphe 14; Dannett c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1363, paragraphes 34‑42). La SPR a pris en compte que des pierres avaient été lancées sur sa maison, que la police n’a jamais donné suite à son appel et que son gendre avait été battu. Elle a conclu que la preuve n’établissait pas clairement que l’aide de la police lui avait été refusée. Les documents relatifs à la situation dans le pays indiquaient également que la police hongroise recevait de la formation au sujet de ses rapports avec les minorités. La SPR a mentionné aussi que la demanderesse pouvait exercer des recours si elle n’était pas satisfaite des services de la police. Il ne suffit pas d’affirmer qu’on a été victime d’un crime ou d’un acte discriminatoire, il faut démontrer l’absence de la protection de l’État (Ward, paragraphes 51‑52).

[47]           Une règle fondamentale du droit international relatif aux réfugiés pose que la protection nationale l’emporte sur la protection internationale (Cosgun, précité, paragraphe 50). La « réticence subjective [...] à solliciter la protection de l’État » manifestée par une demandeure d’asile ne réfute pas la présomption de protection de l’État (Kim c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1126, paragraphe 10; Sanchez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 134, paragraphes 9 et 12; Paguada c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 351, paragraphe 24). Il ne suffit pas non plus de prouver que le gouvernement hongrois n’a pas toujours protégé efficacement les personnes se trouvant dans la même situation que la demanderesse (Villafranca, précité).

[48]           En outre, lorsqu’il s’agit d’établir qu’ils ont épuisé toutes les ressources à leur disposition avant de demander asile, les demandeurs d’asile provenant de pays démocratiques doivent s’acquitter d’un fardeau de preuve plus lourd (Hinzman, précité, paragraphe 57). La Hongrie est une démocratie fonctionnelle, et l’omission de la demanderesse de se prévaloir de la protection étatique porte un coup fatal à sa demande d’asile (Camacho c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 830). La SPR n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle en tirant cette conclusion.

Suffisance des motifs

[49]           Ce n’est pas parce que la SPR n’a pas fait mention de tous les éléments de preuve qui lui ont été soumis qu’elle n’en a pas tenu compte. Sa décision indique qu’elle a examiné toute la preuve (Parmar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1997) 139 FTR 203; Moskvitchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] ACF no 1744 (1re inst.)). La demanderesse voudrait que la Cour scrute la décision à la loupe, alors qu’elle doit être considérée dans son ensemble (Ayala c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1258, paragraphe 8; Boulis c Canada (Ministre de la Main‑d’œuvre et de l’Immigration), [1974] RCS 875).

[50]           Comme l’a indiqué la Cour d’appel fédérale dans Hassan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 147 NR 317 (CAF), « [l]e fait que la Commission n’a pas mentionné dans ses motifs une partie quelconque de la preuve documentaire n’entache pas sa décision de nullité ». Un décideur motive suffisamment sa décision lorsqu’il expose ses conclusions de fait et les principaux éléments de preuve sur lesquels elles reposent (VIA Rail Canada Inc c Office national des transports, [2001] 2 CF 25 (CAF), paragraphes 21‑22). La SPR s’est conformée à cette obligation en l’espèce.

[51]           Selon le défendeur, l’analyse de la suffisance des motifs est d’ordre fonctionnel; l’examen ne doit pas se faire dans l’abstrait, il doit être axé sur les questions litigieuses en cause (R c Dinardo, 2008 CSC 24, paragraphe 25). La demanderesse doit démontrer que les lacunes des motifs ont porté atteinte à son droit à un contrôle judiciaire (Za’rour c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1281, paragraphe 20); elle ne l’a pas fait. La déférence exige que l’affaire ne soit pas scrutée à la loupe (Ayalal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 183), et les motifs doivent être examinés en fonction de la preuve, des arguments des parties et du processus (Veerasingam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 241).

[52]           En l’espèce, la décision rendue informe la demanderesse des raisons du rejet de sa demande et indique comment la SPR a pondéré la preuve pour parvenir à sa conclusion. Les motifs exposent les facteurs pris en compte et la façon dont la SPR a procédé à l’analyse. En cela, ils sont suffisants (Ragupathy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 151, paragraphes 13-15). Le reproche de la demanderesse procède essentiellement de ce qu’elle aurait pondéré différemment la preuve, et cela ne constitue pas une question susceptible de contrôle. Le défendeur prie donc la Cour de rejeter la demande.

ANALYSE

[53]           Lors de l’instruction de la demande de contrôle judiciaire, à Toronto, la demanderesse a formellement abandonné les motifs fondés sur la crédibilité et sur la discrimination/persécution. J’estime, en tout état de cause, que la question déterminante porte sur l’analyse de la protection de l’État faite par la SPR, parce que la SPR, bien qu’elle ait pu avoir des réserves au sujet de la preuve corroborante de la demanderesse à l’égard de la violence qu’elle disait avoir subie en Hongrie, n’a pas fourni, à l’appui du refus de la demande d’asile, de motifs suffisants autres que sa conclusion relative à la suffisance de la protection étatique.

[54]           Au paragraphe 14 de sa décision, la SPR décrit correctement ce qu’elle doit faire :

Pour établir si la protection de l’État est suffisante, il est important d’examiner non seulement s’il existe des mécanismes légaux ou procéduraux de protection, mais également si l’État, par l’intermédiaire de la police ou d’autres autorités, a la capacité et la volonté d’assurer la mise en application efficace de ces mécanismes. L’État doit déployer des efforts sérieux pour assurer la protection de ses citoyens sur le terrain.

 

 

[55]           Comme l’a indiqué la SPR, la demanderesse craint la Garde hongroise et elle affirme que l’État ne peut ou ne veut la protéger contre les attaques dont sa famille et elle sont victimes. Malgré la clarté de cet énoncé, la SPR s’est longuement attachée, dans son analyse de la protection de l’État, à des questions comme l’emploi et l’éducation, qui sont sans pertinence pour une affaire intéressant une femme de 77 ans à la santé précaire.

[56]           S’agissant de la suffisance opérationnelle de la capacité ou de la volonté de l’État de protéger la demanderesse contre la violence faciste et raciste, l’analyse de la SPR a été très sommaire :

En outre, le rapport indique que le gouvernement prend activement des mesures pour changer l’attitude des membres du corps policier à l’endroit des minorités, en particulier les Roms, ainsi que le traitement qu’ils leur réservent. L’école de police donne de la formation axée sur les droits de la personne, les libertés fondamentales, la tolérance et la façon de gérer sur-le-champ des cas impliquant des groupes minoritaires; cette formation est aussi offerte au niveau intermédiaire dans les services de police.

 

 

[57]           À mon avis, cette analyse est aux antipodes de ce que la SPR doit faire. L’analyse doit porter sur le cadre législatif et procédural (mesures) que le gouvernement de la Hongrie a tenté d’appliquer, non sur la suffisance opérationnelle de ces mesures.

[58]           La preuve présentée à la SPR comprenait un rapport établi par l’ECRI en 2008 au sujet de la Hongrie, faisant état d’incidents précis de violence contre les Roms, notamment « des actes de brutalité policière à l’encontre de Roms » et indiquant que les autorités hongroises devaient faire mieux « pour mettre en place un suivi systématique et complet de tous les incidents qui peuvent constituer des violences racistes ... ».

[59]           Ce rapport indique ainsi de façon évidente que les autorités hongroises ne sont pas au courant de l’étendue de la violence que la population rome subit ou qu’elles ont délibérément choisi de n’effectuer aucun suivi. Ce genre de preuve remet en question la suffisance opérationnelle de tout cadre législatif et procédural mis en place par la Hongrie à l’égard de la violence infligée aux Roms. La SPR a néanmoins omis d’examiner cette question et ne s’est pas attaquée à la question qu’elle devait se poser, à savoir « si l’État, par l’intermédiaire de la police ou d’autres autorités, a la capacité et la volonté d’assurer la mise en application efficace de ces mécanismes », opération que la SPR reconnaît devoir exécuter lorsqu’elle examine la protection offerte par l’État en Hongrie.

[60]           L’analyse de la SPR n’a pas porté, selon moi, sur ce que le juge Mosley a appelé le « caractère suffisant des efforts concrets ». Voir EYMV, précité, au paragraphe 16. Sa décision est en conséquence déraisonnable.

[61]           Ce motif à lui seul justifie selon moi de renvoyer l’affaire pour nouvel examen.

[62]           Les avocats s’accordent à reconnaître que la présente affaire ne soulève aucune question à certifier, et la Cour partage leur avis.


JUGEMENT

    1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision contrôlée est annulée, et l’affaire est renvoyée devant la SPR pour réexamen par une autre formation.

 

    1. Il n’y a pas de question à certifier.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Ghislaine Poitras, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2890-12

 

INTITULÉ :                                      PALNE KEMENCZEI

 

                                                            -   et   -

 

                                                              MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

                                                              DE L’IMMIGRATION

                                                          

LIEU DE L’AUDIENCE :              (Toronto) Ontario

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 5 novembre 2012

                                                           

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 21 novembre 2012

 

 

COMPARUTIONS :   

 

Rocco Galati                                                                                       DEMANDERESSE

                                                                                                                     

Bradley Bechard                                                                                 DÉFENDEUR                                 

 

 

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                         AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :    

 

Rocco Galati Law Firm                                                                      DEMANDERESSE

Société professionnelle

Toronto (Ontario)                                                                               

 

William F. Pentney                                                                             DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

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