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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 

 


Date : 20121116

Dossier : T-1158-11

Référence : 2012 CF 1325

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 novembre 2012

En présence de madame la juge Gleason

 

 

ENTRE :

 

JOHNATHON BRITTON

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

 

 

 

défenderesse

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Par la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur cherche à faire retirer de son dossier de formation de la Gendarmerie royale du Canada (la GRC) certains documents se rapportant à sa conduite.

 

[2]               Jusqu’à sa démission, le demandeur était un cadet qui suivait une formation pour devenir membre de la GRC. Il s’est inscrit au programme de formation de la GRC en juillet 2010. Vers la fin du programme, il a reçu deux évaluations [traduction] « inacceptable », et son premier contrat de formation a été résilié le 4 janvier 2011. Cependant, la GRC lui a offert la possibilité de se réinscrire au programme pour terminer les parties de la formation auxquelles il avait échoué, et ainsi obtenir son diplôme avec le groupe suivant de cadets (un processus appelé « formation supplémentaire »). Le demandeur a accepté l’offre et signé le 6 janvier 2011 une deuxième entente de formation.

 

[3]               L’entente sur la formation des cadets prévoyait notamment que le demandeur n’était pas un employé de la GRC et que la GRC pouvait mettre fin « en tout temps » à la formation du demandeur si elle constatait qu’il ne répondait pas aux critères établis de rendement, qu’il ne respectait pas les principes et procédures du manuel intitulé Cadets — Guide de formation ou qu’il s’était livré « à une activité qui peut nuire à la réputation du Programme de formation des cadets ou de la Gendarmerie royale du Canada, y compris […] [du] harcèlement ».

 

[4]               Au cours de sa formation, le demandeur a eu une liaison avec une employée civile de la GRC, qui, affirme-t-il, est la nièce d’un ancien commissaire de la GRC. Le 25 janvier 2011, le supérieur hiérarchique de cette employée a communiqué avec les responsables du programme de formation des cadets pour se plaindre du comportement du demandeur à l’endroit de l’employée.

 

[5]               Des responsables du programme se sont entretenus le 25 janvier 2011 avec l’employée et le demandeur : le caporal Folk et le gendarme Clark se sont entretenus avec l’employée, et les caporaux Folk et Morrison avec le demandeur. À l’issue de ces entretiens, il a été conclu que le demandeur avait poursuivi l’employée bien que celle‑ci lui ait indiqué qu’elle ne voulait pas de relation amoureuse avec lui, et qu’il lui avait envoyé des messages texte inappropriés, où il écrivait des insanités et la qualifiait de [TRADUCTION] « chiffe molle ». Les caporaux et le gendarme ont également appris que le demandeur avait tenu au téléphone d’autres propos déplacés envers l’employée plaignante. Le demandeur a reconnu durant l’entrevue menée avec lui l’exactitude d’une bonne partie de ces allégations.

 

[6]               Le 27 janvier 2011, à la suite des entretiens et après réception de rapports convergents remis par d’autres personnes qui étaient intervenues dans la formation du demandeur, le caporal Folk a recommandé à ses supérieurs d’interrompre la formation du demandeur pour entorse aux valeurs fondamentales de la GRC. Ces valeurs sont l’intégrité, le professionnalisme et le respect. En accord avec la procédure réglementaire applicable à telles recommandations, la GRC a remis au demandeur un résumé détaillé des conclusions factuelles du caporal Folk, de même que la copie d’un organigramme qui décrivait le processus décisionnel présidant à la libération d’un cadet de son programme de formation. L’organigramme indiquait clairement que d’autres niveaux d’approbation étaient requis avant qu’une décision de mettre fin à la formation du demandeur puisse être prise. Le demandeur a été invité à contester la recommandation dans un délai de 24 heures, comme le prévoient les politiques de la GRC (énoncées dans les documents de formation des cadets).

 

[7]               Au lieu de cela, le demandeur a présenté sa démission par écrit, tôt le matin du 28 janvier 2011, puis a quitté le même jour le centre de formation de la GRC. Depuis lors, il n’a pas cherché à retirer sa démission.

 

[8]               Le demandeur n’a déposé la présente demande de contrôle judiciaire que le 11 juillet 2011.

 

[9]               Dans sa demande, il affirme que sa démission était une démission forcée et qu’elle équivaut donc à une décision de mettre fin à sa formation. Il soutient aussi que la décision de la GRC d’interrompre sa formation devrait être annulée pour manquement à l’équité procédurale et aussi parce que les décideurs étaient selon lui de parti pris. Il affirme également que la recommandation de mettre fin à sa formation était déraisonnable et qu’elle devrait être annulée pour cette raison également. Le demandeur avait d’abord sollicité sa réintégration, mais l’unique redressement qu’il cherche maintenant à obtenir est une ordonnance forçant la GRC à retirer de son dossier les rapports et recommandations concernant son comportement à l’endroit de l’employée. Au soutien du redressement qu’il sollicite, il invoque la décision Gayler c Canada (Directeur de l’Administration des carrières (PNO), Quartier général de la Défense nationale), [1995] 1 CF 801, 88 FTR 241. Dans cette affaire, une ordonnance réparatrice semblable avait été prononcée (ainsi que d’autres redressements), la Cour ayant jugé que la GRC avait manqué à l’équité procédurale envers la demanderesse parce qu’elle ne lui avait pas révélé le fondement d’une recommandation de renvoi.

 

[10]           La GRC, quant à elle, affirme que la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée parce que déposée en dehors des délais prescrits, le demandeur n’ayant pas expliqué d’une manière satisfaisante pourquoi il avait attendu près de six mois pour la déposer. Subsidiairement, la GRC affirme n’avoir pris aucune décision susceptible de contrôle selon les termes de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7 (la LCF), et que par conséquent la demande devrait pour cette même raison être rejetée de façon préliminaire. Subsidiairement encore, la GRC soutient qu’elle n’a commis aucun manquement à l’équité procédurale dans sa manière de traiter le demandeur, et qu’il n’existe aucune preuve de partialité des officiers à l’origine de la recommandation de mettre fin à sa formation, ni aucun fondement permettant de valider l’existence d’une crainte raisonnable de partialité. Finalement, la GRC affirme que, si la recommandation de mettre fin à la formation du demandeur est susceptible de contrôle, alors c’était une recommandation raisonnable, et tout à fait justifiée, eu égard au comportement du demandeur et aux normes élevées auxquelles la GRC soumet à juste titre ses membres.

 

[11]           Les deux parties s’accordent pour dire que les dépens devraient suivre le sort du principal dans la présente affaire et devraient être accordés selon une somme globale, mais elles ne s’entendent pas sur la somme en question.

 

[12]           Les points litigieux suivants doivent donc être décidés :

1.             Le délai de dépôt de la demande de contrôle judiciaire devrait-il être prorogé?

2.             La GRC a-t-elle pris une décision susceptible de contrôle judiciaire?

3.             La GRC a-t-elle enfreint les droits du demandeur à l’équité procédurale?

4.             Les officiers à l’origine de la recommandation ont-ils été partiaux, ou y a-t-il lieu de craindre la partialité de la GRC dans la présente affaire?

5.             La recommandation d’interrompre la formation du demandeur était-elle raisonnable?

6.             Quelle somme devrait être accordée au titre des dépens?

 

[13]           Pour les motifs ci-après exposés, je suis arrivée à la conclusion que la demande de contrôle judiciaire a été présentée hors délai, qu’une prorogation du délai n’est pas justifiée et que la demande doit donc être rejetée. Je suis aussi arrivée à la conclusion que, même si ce n’était pas le cas, la GRC n’a pris aucune décision susceptible de contrôle judiciaire, qu’elle n’a pas enfreint les droits du demandeur à l’équité procédurale, que l’argument de la partialité réelle ou apparente est sans fondement et que la recommandation d’interrompre la formation du demandeur était raisonnable. Par conséquent, même si la demande avait été déposée dans les délais prescrits, elle aurait quand même été rejetée. Finalement, s’agissant des dépens, j’ai décidé qu’une somme globale de 2 000 $ est adéquate. Chacun de ces aspects est examiné plus en détail ci-après.

 

Le délai de dépôt de la demande de contrôle judiciaire devrait-il être prorogé?

[14]           Le paragraphe 18.1(2) de la LCF prévoit un délai de 30 jours pour le dépôt d’une demande de contrôle judiciaire. Ce délai commence à courir à la date à laquelle le demandeur a connaissance de la décision à l’origine de la demande. Le paragraphe 18.1(2) de la LCF confère à la Cour le pouvoir discrétionnaire de proroger le délai de dépôt d’une demande. Il ressort de la jurisprudence que les critères généralement pris en considération par la Cour dans l’exercice de ce pouvoir sont les suivants : l’existence d’une intention de déposer une demande de contrôle judiciaire, intention qui doit être manifestée dans les 30 jours suivant la décision et se poursuivre jusqu’à la date de dépôt de la demande; une explication raisonnable de la lenteur du demandeur à agir, ce qui requiert d’examiner à la fois le niveau de dépassement du délai imparti et la cause de ce dépassement; l’absence de préjudice pour le défendeur; enfin la preuve que la demande présente quelque bien‑fondé (voir par exemple l’arrêt Canada (Procureur général) c Hennelly, [1999] ACF n° 846 (CA); et l’arrêt Muckenheim c Canada (Commission de l’assurance-emploi), 2008 CAF 249). La Cour d’appel fédérale a exprimé l’avis que le bref délai imparti pour le dépôt d’une demande de contrôle judiciaire est conforme à l’intérêt public, assurant ainsi aux décisions administratives un caractère définitif (arrêt Berhad c Canada, 2005 CAF 267, au paragraphe 60, autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada refusée, [2005] SCCA n° 457).

 

[15]           En l’espèce, les événements à l’origine de la demande se sont déroulés au cours de la période allant du 25 au 28 janvier 2011. Il n’est pas établi que le demandeur a manifesté l’intention d’introduire une procédure de contrôle judiciaire au cours des 30 jours qui ont suivi le 28 janvier. En fait, la première indication au dossier que le demandeur a cherché à obtenir un redressement est une lettre de son avocat datée du 9 mars 2011, dans laquelle l’avocat voulait connaître les possibilités d’appel ou de réexamen au niveau interne qui s’offraient au demandeur (voir la copie certifiée du dossier de formation et du dossier de dotation du cadet Johnathon Britton [le dossier certifié], à la page 261).

 

[16]           S’agissant des raisons du dépassement du délai imparti, l’avocat du demandeur a fait valoir que, si le demandeur n’avait pas déposé la demande de contrôle judiciaire dans le délai imparti, c’est parce qu’il craignait que la GRC ne décide alors de déposer contre lui des accusations criminelles. L’avocat a donc affirmé que le demandeur avait attendu, pour le dépôt de sa demande, l’expiration du délai de prescription de six mois applicable au dépôt d’une accusation pour une infraction punissable par voie de déclaration sommaire de culpabilité. Il a fait valoir que la crainte de son client était justifiée car la GRC lui avait fait lecture d’une mise en garde avant de commencer son entretien avec lui.

 

[17]           Cet argument pose deux difficultés. D’abord, la preuve produite par le demandeur pour l’étayer est fort mince. Tout ce qu’il écrit dans ses affidavits soumis à la Cour, c’est qu’il [TRADUCTION] « hésitait et hésite encore à engager une action contre la GRC car on lui a laissé entendre que des poursuites criminelles pourraient être engagées contre lui », outre le fait qu’il n’avait pas idée des recours juridiques qui pouvaient s’offrir à lui au moment de signer sa lettre de démission (dossier du demandeur, à la page 37). En écrivant cela, le demandeur n’expliquait toutefois nullement pourquoi il avait attendu près de six mois pour déposer sa demande. Deuxièmement, et aspect sans doute plus important, la raison avancée par le demandeur pour justifier sa lenteur à agir ne s’accorde pas avec les faits car, en réalité, il n’a pas attendu l’expiration du délai de prescription de six mois pour déposer sa demande. C’est le 23 janvier 2011 qu’il a envoyé les messages texte et fait l’appel téléphonique ayant servi à communiquer à l’employée ses commentaires à l’origine des plaintes de celle-ci, or sa demande de contrôle judiciaire a été déposée le 11 juillet 2011, ce qui représente moins de six mois après les événements en cause. Il est donc évident que l’explication donnée par son avocat pour justifier sa lenteur à déposer sa demande ne tient pas la route.

 

[18]           En l’absence d’une explication raisonnable de la tardiveté de sa procédure, tardiveté qui n’est pas insignifiante si on la compare au délai de 30 jours prévu par la LCF, et en l’absence d’une preuve de l’intention constante du demandeur de déposer sa demande, il n’y a aucune raison de proroger le délai imparti pour le dépôt d’une telle demande. En outre, comme il en sera question ci‑après, la demande est dépourvue de fondement, et c’est là une autre raison pour laquelle il n’est pas opportun de proroger le délai de dépôt de la demande. Par conséquent, exerçant le pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré par le paragraphe 18.1(2) de la LCF, j’ai décidé de ne pas proroger le délai imparti pour le dépôt de la demande, et celle‑ci sera donc rejetée. Cependant, comme je l’indique plus haut, les arguments de fond avancés par le demandeur sont dépourvus de fondement, et la demande aurait donc été rejetée même si elle avait été déposée à l’intérieur du délai de 30 jours.

 

La GRC a-t-elle pris une décision susceptible de contrôle judiciaire?

 

[19]           S’agissant donc des autres arguments avancés par le demandeur, et déjà notés, il affirme d’abord que sa démission devrait être assimilée à une décision de la GRC de mettre fin à sa formation, parce que selon lui sa décision de démissionner n’a pas été volontaire. Au soutien de cette affirmation, il dit avoir été informé par des représentants de la GRC que celle‑ci disposait de preuves solides contre lui, que sa démission constituait une solution, que son renvoi était imminent et que des accusations criminelles étaient envisagées. De là, il soutient que la conduite de la GRC devrait être assimilée à une décision de mettre fin à sa formation, décision qui serait alors susceptible de contrôle aux termes de l’article 18.1 de la LCF.

 

[20]           La Cour a déjà jugé qu’une décision de la GRC d’interrompre la formation d’un cadet est une décision susceptible de contrôle judiciaire aux termes de l’article 18.1 de la LCF (Kuntz c Canada (Procureur général), 2006 CF 815, [2006] ACF n° 1038 (Kuntz); voir aussi Linnell c Canada (Procureur général) (1996), 119 FTR 265, [1996] ACF n° 1168). Il existe aussi des précédents en matière de droit du travail qui montrent qu’une démission forcée est l’équivalent d’un renvoi, précédents que l’on pourrait vouloir transposer dans un contexte de formation des cadets de la GRC.

 

[21]           Le demandeur affirme à ce propos que, dans les cas de congédiement déguisé, une démission offerte en réaction à des évolutions défavorables importantes imposées unilatéralement par l’employeur est assimilée à un départ décidé par l’employeur (il cite l’arrêt Farber c Compagnie Royal Trust, [1997] 1 RCS 846), et il soutient que son cas est un cas de congédiement déguisé. Je ne suis pas de cet avis. La présente affaire n’est pas assimilable à un congédiement déguisé parce que la GRC n’a pas imposé de changements dans les modalités d’engagement du demandeur en tant que cadet. Plus pertinente est la jurisprudence selon laquelle une démission équivaut à un renvoi si elle est offerte dans des conditions où l’employé se fait dire qu’il sera licencié s’il n’offre pas sa démission (voir par exemple l’arrêt Deters c Prince Albert Fraser House Inc., [1991] SJ No 409, 93 Sask R 205 (C.A.Sask.).

 

[22]           Le cas du demandeur doit être distingué toutefois du cas où un employé doit faire un choix difficile entre un congédiement et une démission. Contrairement à ce qu’affirme le demandeur, il n’apparaît nulle part que la GRC lui a dit que des accusations criminelles étaient envisagées : on lui a plutôt simplement fait lecture d’une mise en garde avant de le soumettre à un entretien. On est bien loin d’une menace de poursuites. Nul n’a dit non plus au demandeur que la fin de sa formation était imminente; les personnes lui ayant fait passer l’entretien lui ont simplement dit qu’ils recommanderaient qu’il soit mis fin à sa formation. Comme je l’ai déjà dit, l’organigramme qui fut remis au demandeur et qui donnait le détail du processus applicable pour mettre fin à la formation indiquait que la recommandation n’était que la première étape d’un processus qui en comptait plusieurs et que d’autres approbations devaient être obtenues avant qu’il ne puisse être décidé de mettre fin à la formation. Comme le note avec raison l’avocate de la défenderesse, le demandeur connaissait bien les processus applicables à la cessation de la formation d’un cadet puisqu’il avait déjà eu l’occasion d’en faire l’expérience quelques semaines auparavant durant l’application de sa première entente de formation. Les décideurs du premier niveau avaient alors recommandé qu’il soit mis fin à sa formation, mais cette recommandation ne fut finalement pas suivie puisqu’il a été soumis à une formation supplémentaire (voir le dossier certifié, aux pages 128 à 138). La preuve montre aussi que le demandeur a été informé des détails de la conduite qu’on lui reprochait, qu’il a disposé d’un délai suffisant pour obtenir un avis juridique et qu’il s’est vu offrir les 24 heures réglementaires qui lui permettraient de répondre à la recommandation, ce dont il s’est abstenu.

 

[23]           Dans ces conditions, la cessation de sa formation n’était encore qu’une éventualité lorsqu’il a offert sa démission puisque plusieurs autres officiers de la hiérarchie de la GRC devaient donner leur assentiment avant qu’il ne puisse être mis fin à la formation. Les circonstances de l’espèce ressemblent à celles de l’affaire Thompson c Sawyer, [1986] AWLD 727, 68 AR 311 (BR Alb), une affaire dans laquelle un policier stagiaire aux antécédents professionnels médiocres avait été prié de démissionner, sans quoi son congédiement allait être recommandé à ses supérieurs. Le policier avait choisi de démissionner, et sa démission fut jugée volontaire parce que, en dépit de l’alternative ainsi présentée, la démission fut déclarée exempte de contraintes, de menaces ou de coercition.

 

[24]           Pareillement, dans l’arrêt Head c Ontario Provincial Police Commissioner (1981), 40 OR (2d) 84, 127 DLR (3d) 366 (CA Ont), conf. par [1985] 1 RCS 566, la Cour d’appel de l’Ontario a jugé que la démission d’un policier avait été volontaire, alors même qu’elle était survenue après un long interrogatoire au cours duquel on lui avait dit qu’il était en état d’arrestation pour grossière indécence et serait suspendu. Tout en reconnaissant que le service de police souhaitait probablement la démission du policier, la Cour d’appel a estimé que [TRADUCTION] « [a]vant que l’on puisse dire que la démission dans la présente affaire était en fait une non-démission, l’intimé doit montrer qu’il a été soumis à une contrainte ou coercition telle que sa démission était en réalité non volontaire, c’est-à-dire qu’elle n’était pas le résultat de son libre arbitre. Les circonstances de la présente affaire sont bien loin de nous en convaincre » (au paragraphe 6).

 

[25]           En l’espèce, mis en présence de la recommandation et informé de la possibilité pour lui de démissionner, et après s’être vu accorder un délai de réflexion, le demandeur a décidé de démissionner. En conséquence, et eu égard à la jurisprudence précitée, sa démission n’est pas assimilable à un renvoi, c’est plutôt une démission volontaire. La situation ressemble aussi quelque peu à celle qui fut examinée dans la décision Bouchard c Canada (Ministre de la Défense nationale) (1998), 18 Admin LR (3d) 7, 158 FTR 232 (1re inst), confirmée en appel sur d’autres moyens : [1999] ACF n° 1807, un précédent invoqué par la GRC, où la Cour avait jugé que le refus d’autoriser une employée à retirer sa démission ne constituait pas une décision susceptible de contrôle selon les termes de l’article 18.1 de la LCF.

 

[26]           Ainsi, puisque la décision du demandeur de démissionner était volontaire, la GRC n’a pris en l’espèce aucune décision qui soit susceptible de contrôle judiciaire aux termes de l’article 18.1 de la LCF.

 

La GRC a-t-elle enfreint les droits du demandeur à l’équité procédurale?

[27]           S’agissant maintenant des allégations du demandeur concernant l’équité procédurale, le demandeur affirme que la GRC a manqué à son obligation de lui accorder [TRADUCTION] « un degré moyen » d’équité procédurale, et cela parce que :

1.                        elle ne lui a donné aucun avis de ce qui, selon le demandeur, était en fait une audience durant son entrevue de départ;

2.                        elle ne l’a pas autorisé à bénéficier de la présence d’un avocat durant l’audience en question;

3.                        elle ne lui a pas communiqué toute la preuve recueillie contre lui; et

4.                        elle ne lui a pas donné l’occasion de contester la preuve qui a été utilisée contre lui.

 

[28]           Aucune de ces allégations n’a un quelconque fondement et il peut être répondu rapidement à chacune d’elles.

 

[29]           Le demandeur affirme que l’entrevue de départ était en réalité une audience de départ durant laquelle s’est décidé son sort. Cette allégation n’est toutefois pas étayée par la preuve. Le sergent Christopher Short a mené l’entrevue de départ au nom de la GRC, entrevue à laquelle assistait aussi le caporal Curtis Davis, et tous deux ont produit des affidavits sur le déroulement de l’entrevue. Leurs affidavits confirment que l’entrevue n’était pas une audience visant à déterminer si le demandeur serait ou non renvoyé, il s’agissait plutôt simplement d’une entrevue de départ, qui devait permettre à la GRC de recenser et de régler les questions non résolues auxquelles pourrait donner lieu la démission du demandeur. Le demandeur a écrit dans l’un de ses affidavits qu’on lui avait dit à la fin de cette entrevue qu’il était renvoyé, mais le sergent Short et le caporal Davis ont écrit autre chose dans leurs affidavits. Aucun des signataires des affidavits n’a été contre-interrogé.

 

[30]           Je préfère la version des événements qui a été donnée par le sergent Short et le caporal Davis plutôt que celle du demandeur sur ce point, et cela pour trois raisons. D’abord, contrairement au demandeur, ils n’ont aucun intérêt personnel dans l’issue de la présente demande et ils sont moins susceptibles d’avoir été contrariés durant l’entrevue de départ : leurs témoignages sont donc plus susceptibles d’être dignes de foi. Deuxièmement, l’affidavit de l’un corrobore celui de l’autre, tandis que les dires du demandeur ne sont pas corroborés. Troisièmement, et aspect sans doute plus important, la preuve documentaire objective appuie la version des événements qui est donnée par le sergent Short et le caporal Davis. À ce propos, le demandeur a signé une lettre de démission avant l’entrevue (lettre contenue dans le dossier de la défenderesse, à l’onglet 1K) et il n’a pas retiré sa démission. Le fait d’avoir offert une lettre de démission ne s’accorde pas avec une audience du genre de celle qui se serait déroulée selon le demandeur. En outre, les notes dactylographiées de l’entrevue, qui sont annexées comme pièce B à l’affidavit du sergent Short, confirment sa version des événements de même que celle donnée par le caporal Davis. Les notes précisent que l’entrevue était en fait une entrevue de départ, destinée à éclaircir les motifs de démission du demandeur. Les notes ont plus tard été revues par d’autres officiers supérieurs de la GRC, dont les observations montrent elles aussi que la réunion était une entrevue de départ et non une audience. Je suis donc d’avis qu’aucune audience n’a été conduite par la GRC.

 

[31]           Par ailleurs, il n’est nullement établi que le demandeur a sollicité la présence d’un avocat à l’entrevue de départ. Les deux premiers manquements allégués à l’équité procédurale n’ont donc absolument aucun fondement.

 

[32]           Il en va de même des allégations de non-divulgation de la preuve recueillie contre le demandeur. La preuve montre que le demandeur s’est vu remettre un résumé détaillé des allégations faites contre lui et qu’il a disposé d’un délai de 24 heures pour les réfuter (voir le dossier du demandeur, à l’onglet 2A). Le délai qui lui a été accordé pour réagir à la recommandation de mettre fin à sa formation peut sembler bref, mais la preuve montre que c’est le délai normal de réponse qui est envisagé dans les documents de formation de la GRC, lesquels prévoient que « [l]e cadet peut soumettre une réponse par écrit (une réfutation) au plus tard à midi le jour suivant celui où il a reçu signification d’une note de service recommandant la résiliation de l’Entente sur la formation de cadet » (dossier de la défenderesse, à l’onglet 2D). Le demandeur avait d’ailleurs respecté ce bref délai à la suite de la recommandation précédente de mettre fin à sa formation en présentant une lettre de réfutation dans un délai de 24 heures (voir le dossier certifié, aux pages 126 et 127). Il n’a en outre à aucun moment sollicité une prorogation du délai prévu pour la réponse à la recommandation de mettre fin à sa formation.

 

[33]           Il apparaît donc que la GRC a bien communiqué au demandeur la preuve recueillie contre lui et que le demandeur a été à même d’y réagir. Le demandeur affirme que la preuve ne lui a pas été communiquée et qu’il n’a pas eu l’occasion de la contester, mais ce sont là des affirmations sans fondement.

 

[34]           Pour ces motifs, l’argument du demandeur selon lequel la GRC a enfreint ses droits à l’équité procédurale n’a aucun fondement.

 

Les officiers à l’origine de la recommandation ont-ils été partiaux, ou y a-t-il lieu de craindre la partialité de la GRC dans la présente affaire?

 

[35]           Le demandeur affirme ensuite qu’il y a eu partialité, tant réelle qu’apparente, ce qui lui donne le droit d’obtenir le redressement qu’il sollicite. S’agissant de la partialité réelle, il affirme que le caporal Folk avait préjugé son cas parce qu’elle savait qu’il avait été soumis à une formation supplémentaire (et qu’il avait reçu une autre évaluation « insuffisant » durant sa deuxième formation), et parce qu’elle avait précisé à la fin de l’entretien qu’elle recommanderait qu’il soit mis fin à sa formation. S’agissant de la partialité apparente, le demandeur affirme qu’il existe une crainte raisonnable de partialité apparente parce que l’employée plaignante était la nièce du commissaire de la GRC de l’époque. Les caporaux Folk et Davis et le sergent Short ont cependant tous affirmé dans leurs affidavits qu’ils ignoraient ce lien de parenté (à supposer qu’il existe). La seule preuve du lien allégué de parenté est la simple déclaration du demandeur en ce sens, déclaration qui apparaît dans l’un de ses affidavits. Ce sont là des allégations qui sont malheureusement loin d’établir un parti pris.

 

[36]           Au reste, vu la présomption d’impartialité qui s’applique aux décideurs administratifs (arrêt Zündel c Citron, [2000] 4 CF 225, [2000] ACF n° 679, aux paragraphes 36 et 37 (CA); arrêt Beno c Canada (Commission d’enquête sur la Somalie), [1997] 2 CF 527, [1997] ACF n° 509, au paragraphe 29 (CA)), une allégation de partialité requiert un niveau élevé de preuve (R c S (R.D.), [1997] 3 RCS 484, au paragraphe 113). Le critère à appliquer pour savoir s’il existe une crainte raisonnable de partialité est un critère bien établi qui requiert de déterminer si une personne renseignée conclurait que, selon toute vraisemblance, le décideur, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste (arrêt Committee for Justice & Liberty c L’Office national de l’énergie, [1978] 1 RCS 369; et arrêt R c S, au paragraphe 111). Il n’est pas nécessaire de prouver que le décideur était effectivement de parti pris, mais plutôt simplement qu’une personne raisonnable et renseignée, au courant de l’ensemble des circonstances et appréciant la situation d’une manière réaliste et pratique, conclurait que la conduite du décideur suscite une crainte raisonnable de partialité (R c S, au paragraphe 111).

 

[37]           En l’espèce, il n’y a tout simplement aucune raison de croire que les officiers ont préjugé le cas du demandeur. Vu cette absence de preuve, la partialité alléguée ne vaut pas plus qu’une allégation ronflante. Les recommandations présentées étaient totalement prévisibles au vu des faits, dont la plupart n’ont pas été contestées par le demandeur, et elles ne donnent nullement l’impression que les décideurs ne seraient pas aptes ou disposés à faire des recommandations équitables concernant le cas du demandeur.

 

La recommandation d’interrompre la formation du demandeur était-elle raisonnable?

[38]           S’agissant finalement de savoir si la recommandation de mettre fin à la formation du demandeur était ou non raisonnable, le demandeur affirme que la recommandation n’a pas tenu suffisamment compte des observations favorables formulées par certains des instructeurs du demandeur et qu’elle est donc déraisonnable. Cet argument est dépourvu de bien-fondé parce que, selon la preuve, les observations en question ont été prises en considération par le caporal Folk avant qu’elle présente sa recommandation de mettre fin à la formation. D’ailleurs, vu la conduite du demandeur, la recommandation du caporal Folk était largement justifiée.

 

[39]           À ce propos, la Cour devrait reconnaître à la GRC une considérable liberté d’action dans sa manière d’évaluer l’aptitude des candidats (ainsi que le notait le juge Shore, de la Cour fédérale, aux paragraphes 38 et 39 de la décision Kuntz, citée plus haut au paragraphe 20 des présents motifs). Les officiers de la GRC doivent en effet souvent composer avec des situations très tendues, et la stabilité des candidats est un critère légitime de leur présélection. En l’espèce, le demandeur a montré sa difficulté à maîtriser ses émotions et a manifesté un comportement peu respectueux à l’endroit des femmes. Les propos choquants qu’il a tenus ont été prononcés dans le contexte d’une très courte relation amoureuse. Selon moi, le comportement du demandeur donnait à la GRC toutes les raisons de mettre en doute ses aptitudes comme officier, et donc si la GRC a pris une décision dans cette affaire, c’était une décision raisonnable.

 

Dépens

[40]           Il est bien établi que, dans les cas qui le justifient, les dépens peuvent être fixés selon une somme globale (Règles des Cours fédérales, paragraphe 400(4); Dimplex North America Ltd c CFM Corp., 2006 CF 1403, au paragraphe 3). D’ailleurs, les avocats des deux parties s’accordent sur la pertinence de dépens, selon une somme globale, qui suivraient le sort du principal, mais ils ne s’accordent pas sur le montant. Le demandeur propose un montant de 1 000 $, tout compris, mais la défenderesse n’avance aucun chiffre. Eu égard à la complexité de l’affaire, au nombre de points soulevés par le demandeur, à la durée de l’audience et aux montants que j’ai accordés dans des affaires à peu près semblables (voir par exemple la décision Timson c Canada (Conseil du Trésor – Service correctionnel), 2012 CF 719, et la décision Slaeman c Canada (Procureur général), 2012 CF 641), j’ai décidé que le chiffre adéquat est 2 000 $ et je fixe donc à ce montant les dépens accordés, y compris les honoraires et débours.

 

 

JUGEMENT

LE JUGEMENT DE LA COUR est le suivant :

1.             La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.             Le demandeur devra payer à la défenderesse des dépens fixés à la somme globale de 2 000 $.

 

 

« Mary J.L. Gleason »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1158-11

 

 

INTITULÉ :                                      Johnathon Britton c La Gendarmerie royale du Canada

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Regina (Saskatchewan)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 11 octobre 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LA JUGE GLEASON

 

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     Le 16 novembre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Nicholas P. Robinson

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Natasha Crooks

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Merchant Law Group

Avocats

Regina (Saskatchewan)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Regina (Saskatchewan)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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