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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20121113

Dossier : IMM-390-12

Référence : 2012 CF 1320

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 novembre 2012

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

 

JOSEF DREVENAK, SIMONA BILLA,

KLARA BILLA, MICHALA BILLA,

SIMONA BILLA

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs demandent le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), datée du 20 décembre 2011, statuant que les demandeurs n’avaient ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger visés au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). Pour les motifs qui suivent, la présente demande est rejetée.

 

Le contexte

 

[2]               Le demandeur principal, Joseph Drevenak (le demandeur), sa conjointe de fait, Simona Billa, et leurs enfants (collectivement, les demandeurs) sont des citoyens roms de la République tchèque. Ils ont soutenu devant la Commission avoir été victimes d’agressions violentes et de discrimination en République tchèque à cause de leur ethnicité.

 

[3]               Le demandeur a affirmé dans son témoignage qu’il avait signalé deux agressions à la police; en 2000, il a été attaqué par un groupe de skinheads; et en 2006, lui et sont frère ont été agressés dans un restaurant. Le demandeur a affirmé que la police n’avait pas fait d’enquête au sujet des deux incidents.

 

[4]               Le demandeur a également affirmé que lui et sa famille avaient été agressés verbalement et physiquement à trois autres occasions, en 2008 et en 2009, mais qu’il n’avait pas signalé ces incidents aux autorités. Lors de l’incident de 2009, un skinhead a menacé de les tuer. En plus de ces incidents, les filles du demandeur ont été l’objet d’insultes à caractère racial à l’école. Une des filles a été giflée par un camarade de classe.

 

[5]               La famille est arrivée au Canada le 1er avril 2009, et elle a demandé l’asile.

 

La décision faisant l’objet du présent contrôle

 

[6]               La Commission a estimé que la question déterminante était celle de la protection de l’État. La Commission a conclu que les demandeurs n’avaient pas fourni de preuve claire et convaincante que la protection que l’État pouvait leur assurer en République tchèque était inadéquate.

 

[7]               La Commission a conclu que le demandeur n’avaient pas livré un témoignage crédible au sujet de ses tentatives de se prévaloir de la protection de l’État en 2000 et en 2006 parce qu’il avait omis certains renseignements dans son formulaire de renseignements personnels (FRP) et n’avait pas produit d’éléments de preuve corroborants. Le demandeur n’avait pas produit de rapports de police pour corroborer son témoignage. On lui avait dit qu’il pouvait donner une procuration à un tiers pour obtenir les rapports. La Commission a tiré une inférence défavorable de son défaut de le faire.

 

[8]               La Commission a d’abord examiné le témoignage du demandeur selon lequel celui-ci avait fait une dénonciation à la police après avoir été attaqué en 2000. Le demandeur a affirmé qu’il était retourné voir les policiers pour faire un suivi et qu’on lui avait dit que l’enquête avait été close. Le demandeur n’avait pas mentionné être retourné voir les policiers dans son FRP. Il a expliqué qu’il n’avait pas eu le temps de tout écrire ce qui était arrivé. La Commission n’a pas trouvé cette explication raisonnable.

 

[9]               Le demandeur a affirmé qu’il n’avait pas dénoncé les trois agressions ultérieures qui ont eu lieu en 2008 et en 2009 à cause de ses expériences passées avec la police. Puisque la Commission estimait que son témoignage au sujet de ces expériences manquait de crédibilité, elle a conclu que son explication quant à son défaut de signaler les incidents en question à la police en 2008 et en 2009 était déraisonnable. 

 

[10]           La Commission a conclu que la prépondérance des éléments de preuve portait à croire que la protection de l’État était adéquate. La Commission a cité des exemples d’individus condamnés pour des crimes racistes. La Commission a également décrit divers programmes, comme des policiers spécialisés en matière d’extrémisme et de racisme, des agents de liaison avec les minorités au sein de la police et des mesures spéciales pour recruter des Roms au sein de la police. Lorsque la police ne donne pas suite adéquatement à une plainte, il existe des mécanismes permettant d’obtenir des mesures de redressement.

 

La question en litige et la norme de contrôle

 

[11]           La question en litige dans le cadre du présent contrôle judicaire est celle de savoir si la conclusion de la Commission selon laquelle les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de protection de l’État était raisonnable : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190.

 

Analyse

 

[12]           Les demandeurs d’asile doivent produire une preuve claire et convaincante que, selon la prépondérance des probabilités, la protection de l’État est inadéquate. Dans le cas d’une démocratie bien établie, les demandeurs d’asile doivent d’abord demander la protection de leur pays d’origine : Hinzman c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171. La force de la présomption selon laquelle un pays démocratique assurera une protection est fonction de la robustesse des institutions qui constituent un État démocratique : Sow c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 646.

 

[13]           La Commission a conclu que le demandeur n’avait pas présenté d’éléments de preuve crédibles démontrant qu’il avait demandé la protection de l’État en République tchèque. La République tchèque est une démocratie bien établie; à ce titre, le défaut de demander la protection de l’État minait sérieusement leur demande d’asile.

 

[14]           Dans son FRP, le demandeur a affirmé qu’il avait signalé les agressions dont il avait été victime en 2000 et en 2006. À l’audience, il a affirmé qu’il avait fait un suivi auprès de la police après avoir fait sa dénonciation initiale. Ce détail était absent de son FRP, et la Commission a estimé que cette omission mettait en doute la crédibilité du demandeur. D’où la première question à contrôler. Le demandeur soutient que la conclusion concernant la crédibilité était déraisonnable. Fondé comme il l’est sur cette omission, et pris isolément, cet argument ne paraît pas dénué de fondement; cependant, lorsque cet élément de preuve est placé dans le contexte plus général des antécédents du demandeur en fait de tentatives de se prévaloir de la protection de l’État, l’inférence tirée par la Commission résiste à l’analyse et elle est raisonnable.  

 

[15]           L’omission d’un détail important dans le FRP d’un demandeur peut raisonnablement amener la Commission à douter de la véracité du témoignage d’un demandeur : Erdos c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 955. Cette omission précise est liée à un élément essentiel de la demande d’asile, à savoir si la protection de l’État a été demandée. Le fait qu’un FRP soit nécessairement bref n’excuse pas le défaut d’inclure tous les documents et tous les faits pertinents. Cela s’applique également en ce qui a trait aux efforts déployés pour se prévaloir de la protection de l’État.

 

[16]           Les demandeurs invoquent la décision Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 868, au paragraphe 29, au soutien de leur prétention selon laquelle une omission dans le FRP ne devrait pas porter un coup fatal à une demande d’asile de la même façon que pourrait le faire une contradiction directe. Je souscris à cette prétention. Cependant, l’omission ne doit pas être prise isolément. La Commission a également tenu compte de l’absence de preuve corroborante et du défaut des demandeurs de demander la protection de la police à la suite des incidents de 2008 et 2009. La Commission avait également des réserves compréhensibles relativement au fait que le demandeur avait jugé la question suffisamment pertinente pour la mentionner dans son témoignage en 2011, mais non au moment de remplir son FRP.

 

[17]           Le demandeur soutient également qu’il était déraisonnable que la Commission s’attende à ce que le demandeur produise des rapports de police de 2000 et 2006 pour corroborer son témoignage.

 

[18]           La Commission peut exiger une corroboration lorsqu’elle a un motif valable de douter de la véracité du témoignage d’un demandeur, et elle peut tirer des conclusions défavorables fondées sur le défaut de produire des éléments de preuve corroborants ou de fournir une explication raisonnable quant à la non-disponibilité d’éléments de preuve corroborants. De plus, le défaut de produire des documents dont la Commission s’attendrait normalement à ce qu’ils soient disponibles peut être pris en compte dans le cadre de l’évaluation de la crédibilité du demandeur. 

 

[19]           Le demandeur a été avisé qu’il pouvait donner une procuration autorisant un tiers à demander les rapports de police aux autorités tchèques. Il n’en a rien fait. À l’audience, le demandeur a spéculé que la police n’aurait pas été intéressée à fournir ces documents. Il était loisible à la Commission de rejeter cette explication puisqu’elle contredisait les éléments de preuve documentaire qui indiquaient que les particuliers peuvent obtenir des rapports de police par procuration. 

 

[20]           La Commission pouvait raisonnablement s’attendre à ce que le demandeur produise des copies de tout rapport de police. Il était loisible à la Commission de tenir compte du défaut de ce faire au moment d’évaluer la crédibilité du demandeur. 

 

[21]           La Commission n’est pas tenue de démontrer qu’une protection adéquate est disponible en République tchèque. C’est plutôt au demandeur qu’il incombe de réfuter la présomption de protection de l’État au moyen d’une preuve claire et convaincante. En l’espèce, la Commission a conclu raisonnablement que le demandeur n’avait pas réussi à réfuter ainsi cette présomption.

 

[22]           En terminant, la Commission disposait d’éléments de preuve démontrant que le demandeur n’avait fait aucune démarche pour se prévaloir de la protection de l’État en 2008 et en 2009, malgré trois incidents. Son explication quant à sa croyance selon laquelle la police ne pourrait rien faire s’il se fiait à son expérience avec cette dernière en 2000 a été raisonnablement rejetée.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-390-12

 

INTITULÉ :                                      JOSEF DREVENAK, SIMONA BILLA, KLARA BILLA, MICHALA BILLA, SIMONA BILLA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 27 septembre 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 13 novembre 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Aurina Chatterji

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Sybil Thompson

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Aurina Chatterji

Avocate

Max Berger, BFA, LLB, JD
Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan,

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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