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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20121116

Dossier : IMM-669-12

Référence : 2012 CF 1324

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 novembre 2012

En présence de madame la juge Gleason

 

 

ENTRE :

 

XUE LIANG CHEN (alias XUELIANG CHEN)

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur est un citoyen de la République populaire de Chine et est originaire de la province du Fujian. Il avait quitté la Chine à destination des États‑Unis en 1999, là où il a travaillé et a résidé jusqu’en 2009, année où il est arrivé au Canada. Pendant qu’il était aux États-Unis, le demandeur avait eu un enfant avec sa petite amie. Le demandeur prétend qu’il s’est converti au christianisme lorsqu’il résidait aux États-Unis et qu’il s’est joint à une église pentecôtiste en 2008.

 

[2]               Le demandeur a présenté une demande d’asile cinq jours après son arrivée au Canada, en prétendant que, en tant que chrétien, il serait exposé à un risque s’il devait retourner dans la province du Fujian, en Chine. Il affirme aussi qu’il serait stérilisé de force, en raison de la politique de l’enfant unique, s’il devait retourner en Chine et que sa petite amie et lui souhaitent avoir d’autres enfants. 

 

[3]               Dans une décision datée du 3 janvier 2012, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR ou la Commission) a rejeté sa demande d’asile, en concluant que, vu que demandeur n’avait qu’un seul enfant à ce moment‑là, il n’était pas exposé au risque d’être stérilisé, puisqu’il ne contrevenait pas à la politique chinoise de l’enfant unique. En ce qui a trait au risque auquel il pourrait être exposé du fait de sa foi chrétienne, la Commission a jugé que la conversion du demandeur était authentique, mais a conclu qu’il ne serait pas exposé à un risque dans l’éventualité où il devait être renvoyé dans la province du Fujian. La décision contient une analyse de la preuve documentaire relative au risque auquel s’exposent les chrétiens dans la province du Fujian, laquelle est essentiellement similaire aux analyses contenues dans d’autres décisions de la SPR (voir, p. ex., Chen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1218; Liang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 65). La Commission a conclu que le demandeur ne serait pas exposé à un risque s’il était renvoyé dans la province du Fujian, parce que la preuve indiquait que les membres des petites maisons‑églises ne faisaient pas l’objet de persécution au Fujian. À cet égard, la SPR a relevé qu’« aucun élément de preuve convaincant ne [suggérait] que des groupes similaires à celui auquel appartient le demandeur d’asile en soient victimes » (paragraphe 9 de la décision). Elle a ensuite énoncé qu’il n’y avait pas d’éléments de preuve convaincants permettant d’établir que « des groupes tels que celui auquel appartient le demandeur d’asile, qui sont de petite taille et qui ne sont pas tenus de s’enregistrer, font l’objet de descentes, et que des personnes sont incarcérées ou sont exposées à d’autres formes de persécution dans la province du Fujian » (paragraphe 10 de la décision).

 

[4]               L’analyse de la Commission est entachée d’un problème majeur à cet égard, parce que le demandeur n’a évidemment jamais fait partie d’une maison‑église en Chine, puisqu’il s’était converti au christianisme aux États-Unis, et que la Commission n’était donc saisie d’aucune preuve concernant la taille de l’église à laquelle le demandeur se joindrait dans l’éventualité où il devait être renvoyé en Chine, ou même de preuve concernant le « groupe » auquel il se joindrait. Bien que le demandeur ait effectivement sous-entendu qu’il pratiquerait sa religion dans une église clandestine, la preuve documentaire dont la Commission était saisie indiquait qu’il existait une variété considérable parmi ces églises et que les personnes qui se joignaient à de grandes congrégations qui n’étaient pas sanctionnées par l’État pourraient, selon les circonstances, s’exposer à un risque. Comme l’a relevé la Commission, « [l]es maisons-églises couraient de plus grands risques à mesure que le nombre de membres augmentait, qu’elles utilisaient plus régulièrement leurs installations à des fins religieuses, ou qu’elles tissaient des liens avec d’autres groupes non enregistrés ou avec des coreligionnaires de l’étranger » (paragraphe 9 de la décision).

 

[5]               Par conséquent, la Commission a omis d’apprécier la situation réelle du demandeur ainsi que la question de savoir si celui-ci aurait besoin de se joindre à un type d’église en particulier au Fujian pour être exempt de tout risque. Il s’ensuit qu’elle a aussi omis de se pencher sur la question de savoir si le fait d’avoir l’obligation de se joindre à un type d’église en particulier, et donc de pratiquer sa religion d’une certaine manière, peut constituer le fondement d’une demande d’asile valide. La Cour, lors de décisions antérieures, a statué que les restrictions à la manière avec laquelle une personne pratique sa religion peuvent constituer de la persécution, selon les circonstances. À titre d’exemple, dans la décision Zhu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1066, [2008] ACF no 1341, le juge Zinn a statué que la Commission avait commis une erreur en concluant que la demanderesse n’était pas exposée à de la persécution, parce qu’elle pouvait pratiquer sa religion dans une église sanctionnée par l’État, alors qu’elle préférait la pratiquer dans une église clandestine non sanctionnée par l’État, qui, selon elle, plaçait Dieu en premier (à peu près dans le même ordre d’idées, voir aussi He c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 148 (le juge Rennie) (He), et Yin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 544 (le juge Russell) (Yin)). Bien que des restrictions relatives au type de congrégation plutôt qu’à la taille d’une congrégation puissent effectivement être plus préoccupantes, la SPR aurait néanmoins dû se pencher sur la question de savoir si les possibles restrictions auxquelles le demandeur devrait se soumettre pour être capable de pratiquer sa religion en toute sécurité dans la province du Fujian pourraient constituer de la persécution fondée sur la religion. La SPR a commis une erreur en omettant d’aborder cette question.

 

[6]               La décision de la SPR doit donc être annulée, et l’affaire doit être renvoyée à la Commission pour qu’un nouvel examen puisse être fait à l’égard de ces questions (voir Turton c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1244, [2011] ACF no 1526, au paragraphe 101; He, précitée, au paragraphe 13; Yin, précitée, au paragraphe 99).

 

[7]               La présente affaire met en lumière les dangers inhérents au fait de copier, dans une décision, les analyses sur le pays qui sont tirées d’une autre décision. Bien qu’il n’y ait rien de fondamentalement incorrect dans le fait que la Commission cite ses décisions antérieures en ce qui a trait aux questions touchant un pays en particulier, une telle chose est appropriée seulement lorsque l’analyse antérieure correspond à la situation du demandeur d’asile qui est devant elle dans l’affaire subséquente (Cordova c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 309, [2009] ACF no 620, au paragraphe 24; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Abdul, 2009 CF 967, [2009] ACF no 1178, au paragraphe 55). Ce n’est pas le cas en l’espèce, et le manque de soin dont la Commission a fait preuve en effectuant son copier-coller fait en sorte qu’elle a commis une erreur susceptible de contrôle.

 

[8]               La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie pour les motifs susmentionnés. Les parties n’ont proposé aucune question à des fins de certification en vertu de l’article 74 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, et aucune n’est soulevée en l’espèce.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.                  La décision de la SPR est annulée.

3.                  La demande d’asile du demandeur est renvoyée à la SPR pour qu’un tribunal différemment constitué de la Commission statue à nouveau sur l’affaire.

4.                  Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

5.                  Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

 

« Mary J.L. Gleason »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-669-12

 

INTITULÉ :                                      Xue Liang Chen (alias Xueliang Chen)

                                                            c

                                                            Le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 20 septembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LA JUGE GLEASON

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     Le 16 novembre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Elyse Korman

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Rafeena Rashid

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Otis & Korman

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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