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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20121010

Dossier : IMM-1207-12

Référence : 2012 CF 1178

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 octobre 2012

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

 

IGOR OVCAK, MILUSE OVCAKOVA, SANDRA OVCAK et JANJA OVCAK

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision d’un agent d’exécution de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC), qui a refusé de reporter leur renvoi jusqu’à ce qu’une décision soit rendue sur leur demande fondée sur des considérations humanitaires (la demande CH). Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.


Faits

 

[2]               Le demandeur principal, Igor Ovcak, et ses deux filles adultes, Sandra et Janja, sont des citoyens de la Slovénie. Son épouse, Miluse Ovcakova, est une citoyenne de la Slovaquie.

 

[3]               Les demandeurs soutiennent qu’un consultant en immigration les a incités à entrer au Canada, en leur disant que le statut de résident permanent leur serait accordé à leur arrivée au pays. Les demandeurs sont entrés au pays à titre de visiteurs en août 2007. M. Ovcak explique que le consultant en immigration leur a dit à leur arrivée que leur demande de résidence permanente avait été rejetée. Il leur a conseillé de présenter une demande d’asile.

 

[4]               Au mois de novembre 2007, les demandeurs ont présenté une demande d’asile fondée sur la discrimination dont Mme Ovcakova prétend faire l’objet en Slovénie en raison de son appartenance ethnique et de sa nationalité. Au mois de juillet 2011, cette demande a été rejetée. En novembre 2011, les demandeurs ont présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (l’ERAR). Le 17 janvier 2012, une autre décision défavorable a été rendue.

 

[5]               Le 24 janvier 2012, les demandeurs ont été avisés qu’ils devaient quitter le Canada le 12 février 2012. Ce jour‑là, ils ont présenté une demande de résidence permanente de l’intérieur du Canada fondée sur des considérations humanitaires. Ils ont également sollicité le report de leur renvoi jusqu’à ce qu’une décision soit rendue sur cette demande.

 

[6]               L’agent a rejeté la demande de report le 7 février 2012. Sa décision était fondée sur les considérations suivantes :

a.       La demande CH n’avait pas été présentée en temps opportun et rien n’indiquait qu’une décision était imminente.

b.      La séparation familiale fait partie intégrante du processus de renvoi. Rien n’indiquait que la famille ne pourrait pas se réunir en Slovaquie ou en Slovénie après son renvoi. Mme Ovcakova avait vécu en Slovénie de 1987 à 2007 et l’ambassade de la République de Slovénie avait déclaré qu’elle était une résidente permanente de ce pays.

c.       Rien ne démontrait que les demandeurs seraient incapables de trouver de l’emploi en Slovénie ou en Slovaquie.

d.      Les demandeurs avaient reçu un avis raisonnable de leur renvoi du Canada et ils avaient eu du temps pour se préparer.

e.       La prétention des demandeurs selon laquelle ils feraient l’objet de discrimination en raison de la nationalité de Mme Ovcakova avait déjà été examinée dans les décisions sur la demande d’asile et sur la demande d’ERAR.

f.       Quoique les demandeurs déclarent avoir reçu des conseils juridiques erronés, [traduction] « la responsabilité de l’issue de toute procédure appartient à l’individu et non au consultant qu’il a choisi ».

g.      En ce qui a trait à l’intérêt supérieur des enfants, les deux filles sont des adultes. Elles ont passé la plus grande partie de leurs vies en Slovénie et en connaissent la langue, la culture et les coutumes. Les filles voyageront avec leurs parents et elles ont une famille élargie pour les aider à s’adapter.

[7]               Le 10 février 2012, les demandeurs ont obtenu un sursis à l’exécution des mesures de renvoi et l’autorisation leur a donc été accordée de présenter une demande de contrôle judiciaire.

 

Question en litige

 

[8]               La question en litige dans la présente demande consiste à savoir si la décision de l’agent était raisonnable : Urbina Ortiz c Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, 2012 CF 18.

 

Analyse

 

[9]               L’article 48 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), prescrit aux individus qui font l’objet d’une mesure de renvoi exécutoire de quitter le Canada immédiatement. Les officiers chargés de l’exécution des mesures de renvoi sont tenus de les appliquer « dès que les circonstances le permettent ».

 

[10]           L’agent n’a qu’un pouvoir discrétionnaire limité de reporter un renvoi et doit prendre en compte la question de savoir si « les circonstances le permettent ». Une maladie, l’année scolaire d’un enfant et l’imminence d’une naissance ou d’un décès sont toutes des circonstances qui peuvent, dans leur contexte, justifier un report. Une demande CH en instance ne constitue pas un empêchement au renvoi, mais peut constituer une considération pertinente si elle est présentée en temps opportun. Comme la Cour d’appel fédérale l’a noté dans Baron c Canada, 2009 CAF 81 :

[…] l’exercice du pouvoir discrétionnaire de différer le renvoi devrait être réservé aux affaires où le défaut de le faire exposerait le demandeur à un risque de mort, de sanctions excessives ou de traitement inhumain. Pour ce qui est des demandes CH, à moins qu’il n’existe des considérations spéciales, ces demandes ne justifient un report que si elles sont fondées sur une menace à la sécurité personnelle. [Je souligne.]

 

 

[11]           En l’espèce, l’agent a pris en considération toutes les circonstances pertinentes et est parvenu à une conclusion raisonnable.

 

[12]           Les demandeurs font ressortir la possibilité d’une séparation de la famille; M. Ovcak et ses filles seront renvoyés en Slovénie, tandis que Mme Ovcakova sera renvoyée en Slovaquie, le pays dont elle est une citoyenne. De plus, Sandra Ovcak vit avec son partenaire, un résident permanent du Canada. Les demandeurs font également valoir qu’ils seront exposés à des difficultés financières advenant leur renvoi.

 

[13]           La séparation familiale et les difficultés financières sont des conséquences malheureuses, mais ordinaires d’un renvoi du Canada. Elles ne constituent pas des circonstances extraordinaires pouvant justifier de reporter le renvoi : Tran c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2006 CF 1240.

 

[14]           De plus, l’agent a conclu que la famille avait des options qui lui permettraient de se réunir. Il était loisible à l’agent d’accorder un poids considérable aux assurances données par l’ambassade de la Slovénie selon lesquelles le statut de résidente permanente de Mme Ovcakova en Slovénie lui donnait le droit d’y vivre, et que les demandeurs pourraient se réunir en Slovaquie ou en Slovénie.

 

[15]           Les rapports du Département d’État des États‑Unis, dont l’agent disposait, indiquent que la Slovaquie et la Slovénie se sont jointes à l’UE en 2004 et ont signé l’Accord de Schengen en 2007. De plus, il est incontesté que les demandeurs ont vécu en Slovénie, d’abord comme couple marié, puis comme famille de 1976 à 2007.

 

[16]           L’agent a également pris en compte les rapports sur la situation économique en Slovénie et en Slovaquie, mais il a conclu que rien n’indiquait que les demandeurs seraient incapables de trouver de l’emploi dans l’un ou l’autre pays. Des éléments de preuve sur la faiblesse des économies n’indiquent pas nécessairement que les demandeurs ne pourront pas trouver d’emploi. Par conséquent, il était loisible à l’agent de parvenir à cette conclusion relativement à cette question.

 

[17]           Les demandeurs font valoir que Janja Ovcak, qui a vingt ans, demeure une « enfant à charge » et qu’elle a par conséquent droit à une analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant. Cet argument est fondé sur l’article 2 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement), lequel définit notamment l’« enfant à charge » comme un enfant biologique de moins de 22 ans qui dépend du soutien financier des parents. Il convient de noter que les définitions dans cet article ne s’appliquent qu’au Règlement, alors que les définitions à l’article premier s’appliquent aussi à la LIPR.

 

[18]           L’argument des demandeurs est étayé par une certaine jurisprudence de la Cour. Cependant, l’analyse de la question à laquelle s’est livré le juge Shore dans Leobrera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 587, me convainc. Le juge Shore a statué qu’un enfant, à cet égard, est une personne de moins de 18 ans. Il a examiné attentivement le droit interne et le droit international sur la question. Il a accordé un poids particulier à l’article premier de la Convention relative aux droits de l’enfant, qui définit un enfant comme une personne de moins de 18 ans. Le juge Hughes a récemment suivi ce raisonnement dans Moya c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 971.

 

[19]           Cela dit, en l’espèce, l’agent a été, en tout état de cause, attentif et sensible aux circonstances de Janja et de Sandra. L’agent a reconnu les difficultés que celles‑ci rencontreraient et a conclu de manière raisonnable que ces difficultés seraient amoindries du fait que Janja et Sandra connaissent bien la Slovénie et qu’elles voyageraient avec leur famille.

 

[20]           Les demandeurs font en outre valoir que leur demande CH en instance devrait justifier un report puisqu’elle a été présentée en temps opportun, compte tenu de leur situation. En particulier, les demandeurs soutiennent que leur consultant en immigration antérieur a négligé de les informer de la possibilité de présenter une demande CH. Ils ont rapidement déposé une demande lorsqu’ils ont retenu les services d’un nouveau consultant.

 

[21]           Les demandeurs invoquent Natoo c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 402, à l’appui de leur prétention selon laquelle la négligence dont aurait fait preuve leur consultant antérieur constitue une [traduction] « circonstance spéciale » justifiant un report du renvoi jusqu’à ce qu’une décision soit rendue sur la demande CH.

 

[22]           Dans Natoo, la situation était sensiblement différente. Dans cette affaire, l’avocat du demandeur avait déposé une demande d’asile à l’insu du demandeur. L’avocat avait ensuite négligé de suivre les instructions du demandeur de déposer une demande CH. Lorsque le demandeur avait finalement présenté une telle demande, Citoyenneté  et Immigration Canada ne l’avait pas informé que sa demande ne pouvait pas être traitée en raison d’une lacune. Il en était résulté un nouveau retard. D’autres circonstances importantes, dont l’intérêt supérieur de deux jeunes enfants canadiens, justifiaient un report de la mesure de renvoi.

 

[23]           Il était raisonnablement loisible à l’agent de conclure que les circonstances des demandeurs n’étaient pas semblablement inusitées et impérieuses. Il n’est pas rare que des individus deviennent insatisfaits de leur représentant juridique, en particulier de manière rétrospective. Cela ne justifie pas un report, sauf dans des circonstances comme celles de Natoo, où l’avocat avait agi sans instructions et avait également fait défaut de suivre les instructions qui lui avaient été données.

 

[24]           Une mesure de renvoi n’est reportée que dans des circonstances extraordinaires. Pour déterminer que de telles circonstances n’existaient pas en l’espèce, l’agent a examiné toutes les observations des demandeurs. Par conséquent, je conclus que la décision était raisonnable.

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question à certifier n’a été proposée et aucune n’est soulevée.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1207-12

 

INTITULÉ :                                      IGOR OVCAK, MILUSE OVCAKOVA, SANDRA OVCAK et JANJA OVCAK c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 4 septembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 10 octobre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

M. Igor Ovcak

Mme Jane Ovcak

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Mme Alexis Singer

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan,

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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