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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20121005

Dossier : IMM‑9524‑11

Référence : 2012 CF 1173

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 5 octobre 2012

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

 

DENISE MILLER

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision, en date du 29 novembre 2011, par laquelle un agent de l’immigration (l’agent) de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a rejeté sa demande de dispense afin d’être autorisée, pour motifs d’ordre humanitaire, à présenter, depuis le Canada, une demande de résidence permanente.

 

[2]               Pour les motifs exposés ci‑dessous, la présente de contrôle judiciaire est rejetée.

 

I.          Faits

 

[3]               La demanderesse est de citoyenneté saint‑vincentaise. Elle est arrivée au Canada en juillet 2001 munie d’un visa de visiteur. Elle n’a ni maintenu ni fait renouveler son statut de visiteur venu à expiration en janvier 2002, et elle se trouve au Canada depuis son arrivée.

 

[4]               Lorsqu’elle est venue au Canada, la demanderesse a laissé son fils aîné avec ses parents à Saint‑Vincent et elle a eu, depuis, deux enfants, nés au Canada. Elle travaille comme gardienne d’enfants et chaque mois envoie de l’argent à ses parents malades et à son fils.

 

[5]               En décembre 2010, la demanderesse a présenté une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire (la demande CH).

 

II.        Décision en cause

 

[6]               La décision de l’agent repose sur trois éléments : le degré d’établissement de la demanderesse au Canada, l’intérêt supérieur de ses enfants et les considérations entourant son retour à Saint‑Vincent‑et‑les‑Grenadines.

 

[7]               L’agent a reconnu que la demanderesse travaille depuis son arrivée au Canada, qu’elle envoie de l’argent à Saint‑Vincent pour ses parents et son fils et qu’elle participe à la vie de sa communauté, et a ensuite conclu que :

[traduction] 

Le degré d’établissement et d’intégration auquel est parvenu la demanderesse est admirable, mais, compte tenu de la preuve dont je dispose, je ne pense pas que le degré d’établissement et d’intégration au Canada atteint par la demanderesse justifie une dispense des règles en matière de visas. Ajoutons que si la demanderesse a fait de réels efforts pour s’établir et s’intégrer au Canada, je ne leur accorde que peu de poids, car si l’on fait abstraction du visa de visiteur qui lui a été délivré pour six mois lors de son arrivée au Canada, elle n’a pas le statut d’immigrante lui permettant de demeurer ici. Le degré d’établissement auquel elle est parvenue, et le déracinement auquel elle et ses enfants vont être contraints n’étaient pas totalement indépendants de sa volonté, et ce déracinement ne lui occasionnera pas des difficultés démesurées et injustifiées. Je ne pense pas que les difficultés provenant de son établissement volontaire au Canada seront excessives. Tout étranger doit évaluer les avantages et les inconvénients d’un séjour prolongé dans un pays dont il n’est pas résident permanent.

 

[8]               En ce qui concerne l’intérêt supérieur des enfants de la demanderesse, l’agent s’est penché sur les liens affectifs et financiers entre ses enfants nés au Canada et leur père, et a conclu à l’existence de [traduction] « raisons assez minces de penser que les enfants souffriraient d’être séparés de leur père ». L’agent a relevé que les enfants sont jeunes et que l’on peut raisonnablement penser qu’ils s’adapteront à la vie à Saint‑Vincent.

 

[9]               L’agent s’est également penché sur les différences qui existent entre le Canada et Saint‑Vincent en matière d’enseignement, de soins de santé et de niveau de vie, faisant remarquer que les normes sont moins élevées à Saint‑Vincent, tout en concluant néanmoins que cela n’occasionnerait pas de difficultés démesurées.

 

[10]           L’agent s’est par ailleurs penché sur l’intérêt de l’aîné de la demanderesse, qui vit à Saint‑Vincent, concluant que cela lui ferait du bien de retrouver sa mère et les autres enfants de celle‑ci.

 

[11]           Et enfin, l’agent s’est penché sur l’effet que le retour de la demanderesse à Saint‑Vincent aurait au niveau du soutien financier qu’elle accordait à ses parents et à son fils. Tout en reconnaissant que la demanderesse envoie chaque mois une somme d’argent dans son pays d’origine, l’agent a considéré qu’il n’y avait [traduction] « guère d’éléments de preuve documentaire démontrant que les parents de la demanderesse dépendent d’elle financièrement au point où, si la demanderesse retourne dans son pays d’origine, ils n’auraient pas les moyens d’acheter les médicaments qu’il leur faut ou de pourvoir à leurs besoins de base ».

 

[12]           En réponse à l’argument avancé par l’avocat de la demanderesse qui soutenait que la demanderesse ne répondait pas aux conditions requises pour se voir accorder, depuis l’étranger, la résidence permanente, l’agent a répondu que ce n’était pas là un facteur dont il y avait lieu de tenir compte dans le cadre de la demande CH, car le but de ce genre de demande [traduction] « n’est pas de permettre de contourner le programme d’immigration du Canada ».

 

III.       Questions en litige

 

[13]           La présente demande soulève les questions suivantes :

 

a)         L’agent a‑t‑il évalué l’établissement de la demanderesse au Canada de manière raisonnable?

 

b)         Dans son évaluation de l’intérêt supérieur des enfants, l’agent a‑t‑il appliqué le mauvais critère?

 

c)         L’agent a‑t‑il évalué les difficultés que le retour de la demanderesse à Saint‑Vincent entraînerait pour sa famille de manière raisonnable?

 

IV.       Norme de contrôle

 

[14]           En ce qui concerne les questions mixtes de fait et de droit concernant les demandes CH, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (voir Bichari c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 127, [2010] ACF no 154, au paragraphe 25; Laban c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 661, [2008] ACF no 819, au paragraphe 14). Le caractère raisonnable d’une décision tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47).

 

[15]           La question de savoir si l’agent a appliqué le bon critère juridique est une question de droit relevant de la norme de la décision correcte. Les conclusions de l’agent concernant l’intérêt supérieur des enfants relèvent, par contre, du critère de la décision raisonnable.

 

V.        Analyse

 

[16]           Les conditions générales auxquelles est subordonné l’octroi d’un visa à des ressortissants étrangers qui souhaitent venir au Canada sont prévues au paragraphe 11(1) de la LIPR :

11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visas et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

 

 

[17]           L’article 25 de la LIPR prévoit cependant, dans certaines circonstances, la possibilité d’obtenir une dispense de l’obligation générale de présenter la demande de résidence permanente à l’extérieur du Canada :

25. (1) Sous réserve du paragraphe (1.2), le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire, soit ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada qui demande un visa de résident permanent, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

25. (1) Subject to subsection (1.2), the Minister must, on request of a foreign national in Canada who applies for permanent resident status and who is inadmissible or does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada who applies for a permanent resident visa, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

 

 

[18]           Le processus de décision prévu au paragraphe 25(1) de la LIPR pour les demandes CH est hautement discrétionnaire, et exige du décideur appelé à déterminer si l’octroi d’une dispense est justifié qu’il apprécie les facteurs applicables au regard des faits précis de l’affaire dont il est saisi (Kawtharani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 162, [2006] ACF no 220, au paragraphe 15; Mirza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 50, [2011] ACF no 259, au paragraphe 18). Précisons que pour évaluer les difficultés qu’éprouvera un demandeur à qui l’on refuse d’accorder une dispense, l’agent est tenu de se pencher, entre autres, sur le degré d’établissement du demandeur et l’intérêt supérieur des enfants touchés par la décision. Ces facteurs doivent être évalués dans leur ensemble et aucun d’entre eux n’est déterminant.

 

[19]           La Cour et la Cour d’appel fédérale ont toutes deux précisé que « l’appréciation des facteurs pertinents est une tâche qui continue à relever du ministre ou de son délégué, et qu’il n’appartient pas à la Cour de réexaminer la valeur que l’agent d’immigration a attribuée à ces facteurs » (Laban, précitée, au paragraphe 18; Legault c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, [2002] ACF no 457, au paragraphe 11).

 

A.        L’établissement

 

[20]           La demanderesse fait en l’espèce valoir que l’agent a commis une erreur en accordant peu de poids à son établissement au Canada parce qu’elle était sans statut. Elle invoque le Guide de CIC sur le traitement des demandes au Canada, IP 5 – Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire (le Guide), et affirme qu’il ne contient aucune disposition interdisant à quelqu’un qui se trouve illégalement au Canada de déposer une demande de dispense de l’obligation de présenter sa demande de résidence permanente depuis l’étranger.

 

[21]           Selon le Guide, cependant, pour qu’une demande puisse être admise pour des considérations d’ordre humanitaire, le demandeur doit démontrer que le fait d’être obligé de déposer sa demande de résidence permanente depuis l’étranger l’exposera à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées. Il doit, selon le Guide, s’agir de difficultés inhabituelles, c’est‑à‑dire de « difficultés non envisagées dans la Loi ou le Règlement », et injustifiées, c’est‑à‑dire, « dans la plupart des cas, le résultat de circonstances indépendantes de sa volonté ». [Non souligné dans l’original.] (Guide, section 5.10.) Selon le Guide, on est en présence de « difficultés démesurées », lorsque les difficultés occasionnées par le refus de la dispense ne seraient pas considérées comme « inhabituelles et injustifiées », mais « auraient un impact déraisonnable sur le demandeur en raison de sa situation personnelle » (Guide, section 5.10).

 

[22]           L’agent s’est penché particulièrement sur le degré d’établissement auquel est parvenue la demanderesse et bien qu’il ait reconnu que cet établissement est [traduction] « admirable », il était, en définitive, en droit de décider du poids qu’il convenait d’accorder à ce facteur compte tenu des circonstances particulières de l’affaire. Comme le prévoit le Guide, les difficultés inhabituelles et injustifiées découlent en général de circonstances indépendantes de la volonté du demandeur. Ajoutons que dans bon nombre des cas cités par la demanderesse, les intéressés s’étaient établis en attendant que soit tranchée une demande CH, une demande d’asile ou un autre type de demande (voir, par exemple, Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 316, [2011] ACF no 395, la demanderesse ayant dû en l’occurrence attendre sept ans avant que soit tranchée sa demande CH). Toutefois, en l’espèce, la demanderesse n’attendait pas qu’on se prononce sur une demande qu’elle aurait présentée. La décision de l’agent quant à l’établissement de la demanderesse appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, et est donc raisonnable.

 

B.        L’intérêt supérieur de l’enfant

 

[23]           La demanderesse affirme que l’agent a appliqué le mauvais critère pour évaluer l’intérêt supérieur de l’enfant. La demanderesse fait valoir plus particulièrement que l’agent a fusionné le critère de l’intérêt supérieur de l’enfant et le critère des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées qui est celui qu’il convient plutôt d’appliquer pour évaluer, dans son ensemble, une demande CH.

 

[24]           La Cour a établi que « lorsqu’on procède à une analyse de l’intérêt supérieur d’un enfant dans le contexte de motifs d’ordre humanitaire, il est nécessaire d’évaluer l’avantage dont bénéficieraient les enfants si leur parent n’était pas renvoyé, de pair avec une évaluation des difficultés auxquelles seraient confrontés les enfants si leur parent était renvoyé ou s’ils étaient renvoyés avec lui » (Segura c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 894, [2009] ACF no 1116, au paragraphe 32; Hawthorne c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475, [2002] ACF no 1687, au paragraphe 4). L’obligation pour l’agent d’être « réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt supérieur des enfants a également été décrite comme exigeant que l’agent « montr[e] qu’il est au courant de l’intérêt supérieur de l’enfant en indiquant les manières dont cet intérêt entre en jeu » (Segura, précitée, au paragraphe 34; Kolosovs c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 165, [2008] ACF no 211, au paragraphe 9). On ne doit pas, dans l’examen de la décision d’un agent concernant l’intérêt supérieur de l’enfant, accorder à la forme plus d’importance qu’au fond.

 

[25]           J’estime qu’en l’espèce, l’agent a été suffisamment réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur des enfants de la demanderesse. L’agent a indiqué plusieurs des manières dont cet intérêt entrait en jeu, y compris la relation que les enfants canadiens de la demanderesse entretiennent avec leur père, leur inscription à l’école et diverses considérations tenant à leur santé, à leur sécurité et à leur bien‑être économique. Tout en notant que la vie au Canada offre aux enfants un éventail plus large de chances, l’agent a estimé que les difficultés pouvant découler de chances moins grandes ne constituaient pas, au regard d’autres facteurs, des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées.

 

C.        Les difficultés

 

[26]           La demanderesse soutient par ailleurs que l’agent s’est trompé dans son évaluation des difficultés auxquelles elle aurait à faire face en rentrant à Saint‑Vincent. La demanderesse fait plus particulièrement référence à la manière dont l’agent a évalué l’aide financière qu’elle accorde à ses parents et à son fils, soutenant que les éléments de preuve qu’elle a produits démontrent clairement qu’elle est, pour ses parents et son fils aîné, l’unique soutien financier. Le défendeur affirme pour sa part que la lettre invoquée par la demanderesse ne démontre pas clairement qu’il en soit effectivement ainsi. Les deux parties invoquent le passage suivant de la lettre en question :

[traduction] C’est une personne honnête et travailleuse qui est d’un grand secours pour notre famille. Mon mari et moi souffrons tous les deux de diabète ainsi que de […] et si notre fille ne nous aidait pas à acheter les médicaments nécessaires, et à nous procurer de quoi nous nourrir et nous habiller, car nous sommes âgés et ne travaillons plus.

 

[27]           Il convient de faire preuve d’une grande déférence envers l’agent sur des questions de fait comme celle‑ci. Je ne relève rien de déraisonnable dans la manière dont il a évalué la preuve sur ce point.

 

VI.       Conclusion

 

[28]           L’agent a étudié la demande dans son intégralité et soupesé, de manière raisonnable, les différents facteurs en présence.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

« D. G. Near »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑9524‑11

 

INTITULÉ :                                      DENISE MILLER c MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              TORONTO

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 20 SEPTEMBRE 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     LE 5 OCTOBRE 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Richard Wazana

 

POUR LA DEMANDERESSE

Catherine Vasilaros

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Richard Wazana

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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