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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20120924

Dossier : IMM-9676-11

Référence : 2012 CF 1113

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 24 septembre 2012

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

 

 

EDOUARD EPAMPIA MBO WATO

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d’une décision datée du 17 novembre 2011 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger selon les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR). Pour les motifs exposés ci-après, la demande est accueillie.

 

Les faits

 

[2]               Le demandeur, Edouard Epampia Mbo Wato, est citoyen de la République démocratique du Congo (RDC). Il a travaillé plusieurs années comme professeur de français, en plus de travailler au sein du Comité central mennonite avant de lancer sa propre entreprise dans la province de l’Équateur en 2006. Au cours de l’exploitation de son entreprise, il a obtenu de la monnaie étrangère d’un prêteur nommé Hugo Tanzambi. À l’insu du demandeur, M. Tanzambi avait des liens avec Jean‑Pierre Bemba, dirigeant du Mouvement de libération du Congo (MLC), qui s’opposait au régime en place, soit le Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD). M. Tanzambi a été assassiné en mars 2007 et, par la suite, les personnes associées à la province de l’Équateur et à M. Tanzambi ont été soupçonnées de soutenir M. Bemba.

 

[3]               Le demandeur soutient qu’il a été perçu comme un opposant au régime en place en RDC pour les raisons suivantes : il avait des liens avec la région de l’Équateur, où habitent les sympathisants de Bemba, il appartenait à une tribu considérée comme une tribu associée aux partisans de Bemba et il avait eu des relations d’affaires avec M. Tanzambi. Le demandeur a reçu des appels de menaces; il a été arrêté sur la rue et battu par des individus qu’il ne connaissait pas et qui lui ont fait des menaces en raison de ses activités. Il a tenté de déménager, mais les services spéciaux l’ont trouvé et l’ont surveillé de très près.

 

[4]               À la fin de 2009, craignant pour sa sécurité, le demandeur a demandé à ses amis de l’aider à quitter le pays. Il a obtenu un nouveau passeport en novembre 2009 et un visa américain en décembre. Il a quitté la RDC le 21 janvier 2010 et est allé aux États-Unis en passant par la Belgique. Après son départ, il a appris qu’il était visé par une assignation de l’Agence nationale de renseignements, qui était reconnue pour tuer les personnes qu’elle détenait. Le demandeur est arrivé au Canada le 9 avril 2010 et a demandé l’asile.

 

La décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire

 

[5]               Dans les motifs de sa décision, datée du 17 novembre 2011, la Commission a conclu que la question déterminante était une question de crédibilité, notamment en ce qui a trait à la crainte subjective. La Commission n’a pas jugé que les allégations du demandeur étaient crédibles.

 

[6]               De l’avis de la Commission, il était invraisemblable, compte de son niveau de scolarité, que le demandeur ait emprunté de l’argent à un homme comme M. Tanzambi sans s’enquérir des antécédents et des liens politiques de celui-ci.

 

[7]               La Commission a rejeté l’allégation du demandeur selon laquelle il était exposé à un risque en raison de son affiliation avec l’Église mennonite, étant donné que cette allégation n’était appuyée par aucun élément de preuve et que, s’il avait été ciblé pour ce motif, il l’aurait été bien avant le premier incident qu’il a signalé.

 

[8]               La Commission a reconnu que le demandeur faisait partie de la tribu Inongo, qui est perçue comme une tribu associée à la tribu Mongo, elle-même considérée comme une tribu associée à Bemba. La Commission a également reconnu les éléments de preuve selon lesquels des sympathisants de Bemba avaient été attaqués brutalement et tués aveuglément entre 2006 et 2008. La Commission a conclu que, d’après les éléments de preuve les plus récents, hormis les incidents de harcèlement, d’arrestation arbitraire et de menaces à l’endroit des tribus originaires de la province de l’Équateur à Kinshasa, seuls quelques incidents isolés de persécution visant des personnes originaires de cette région ont été signalés.

 

[9]               La Commission a relevé des incohérences dans le récit du demandeur en ce qui concerne le nombre de fois où il a déménagé à l’intérieur de la RDC ainsi que les dates desdits déménagements. De l’avis de la Commission, quelles que soient les dates exactes, il était indéniable que le demandeur n’avait pas déménagé en raison de l’attaque survenue en juin 2008, au sujet de laquelle il n’avait pas été établi, selon la Commission, qu’elle était liée à des opinions politiques ou qu’elle avait donné lieu à une crainte de persécution subjective.

 

[10]           La Commission a rejeté les deux assignations que le demandeur a présentées en soutenant qu’elles avaient été laissées chez son frère, parce que cette allégation allait à l’encontre de la preuve documentaire montrant que seul un subpoena est normalement laissé à la personne inculpée, et aussi parce qu’elle pensait que le demandeur avait vécu longtemps au même endroit, mais que les autorités n’étaient allées chez lui qu’après son départ du pays.

 

[11]           La Commission a ajouté qu’une lettre de soutien du colonel Bolabolo montrait que celui‑ci était le beau-frère du demandeur, ce que celui-ci n’avait nullement mentionné au cours de son témoignage. De l’avis de la Commission, il était tout à fait invraisemblable que le demandeur n’ait pas demandé à Bolabolo de l’aider à protéger sa famille, étant donné, surtout, qu’ils étaient parents.

 

[12]           Qui plus est, la Commission a jugé que l’omission de la part du demandeur de s’enquérir de la possibilité de demander l’asile aux États-Unis minait la crainte subjective qu’il disait ressentir, d’autant plus que le demandeur n’a fourni aucune explication raisonnable au sujet de cette omission. La Commission en est arrivée à la conclusion suivante au paragraphe 47 :

Après avoir apprécié l’ensemble de la preuve, j’estime, selon la prépondérance des probabilités, que les allégations de persécution fondée sur les opinions politiques imputées au demandeur d’asile ne sont pas crédibles. La demande d’asile de ce dernier est donc rejetée suivant l’article 96 de la Loi. Mes conclusions quant à la crédibilité s’appliquent également à l’article 97. Bien que j’accepte le fait que le demandeur d’asile ait été agressé en juin 2008, comme je n’ai pu établir aucun lien avec Tanzambi ou Bemba et comme il est demeuré au même endroit à tout le moins jusqu’à la moitié de l’année 2009 sans être agressé de nouveau, j’estime, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur d’asile n’est pas personnellement exposé à un risque de préjudice au sens de l’article 97. En outre, comme j’estime non crédible l’affirmation du demandeur d’asile selon laquelle il est recherché par les autorités de l’État, j’estime, selon la prépondérance des probabilités, qu’il ne serait pas exposé au risque d’être soumis à la torture s’il devait retourner en RDC.

 

 

[13]           En conséquence, la demande du demandeur a été rejetée.

 

La norme de contrôle et la question à trancher

 

[14]           La seule question que le demandeur a soulevée est de savoir si la décision de la Commission était raisonnable : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9.

 

Analyse

 

[15]           Le demandeur reconnaît que les conclusions relatives à la crédibilité appellent une retenue importante lors du contrôle judiciaire et, par conséquent, il ne conteste pas directement les conclusions que la Commission a tirées au sujet de la crédibilité. Toutefois, il soutient que, même si ces conclusions sont acceptées, il n’en demeure pas moins que la Commission aurait dû conclure que le demandeur était visé par la définition du réfugié au sens de la Convention en raison de son ethnicité ou de la tribu dont il fait partie.

 

[16]           Comme le demandeur le soutient, la Commission doit examiner tous les motifs à l’appui d’une demande qui sont soulevés par la preuve : Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, aux pages 745 et 746. Le demandeur soutient que les constatations suivantes menaient nécessairement à la conclusion qu’il craignait avec raison d’être persécuté :

  • Le demandeur est perçu comme un membre d’une tribu originaire de la province de l’Équateur;
  • Des personnes originaires de la province de l’Équateur ont été victimes d’atrocités de 2006 à 2008, notamment d’arrestations arbitraires, de torture et de massacres aveugles;
  • D’après le document le plus récent faisant partie de la preuve : « Selon le Bureau conjoint des Nations Unies aux droits de l’homme (BCNUDH), les forces de sécurité de l’État à Kinshasa ont parfois harcelé, arrêté de façon arbitraire ou menacé des membres de groupes ethniques provenant de la province de l’Équateur ».

 

[17]           En conséquence, le demandeur fait valoir que la Commission a commis une erreur en omettant d’examiner le risque auquel il était exposé en fonction de son ethnicité ou du fait qu’il était perçu comme une personne provenant de la province de l’Équateur.

 

[18]           Le défendeur répond que la Commission n’a commis aucune erreur à cet égard, parce que la définition du réfugié au sens de la Convention est une définition prospective et que le simple fait que certains éléments de preuve montraient que des personnes provenant de la province de l’Équateur avaient été victimes de persécution de 2006 à 2008 n’établissait pas que le demandeur était exposé à un risque futur. De l’avis du défendeur, la Commission a examiné la preuve la plus récente et conclu que, malgré le document cité plus haut au sujet de Kinshasa, il n’y avait aucun élément de preuve établissant que des personnes provenant de la province de l’Équateur étaient ciblées.

 

[19]           Dans une décision qui est par ailleurs approfondie et détaillée, la Commission ne parvient pas à concilier logiquement, à mon sens, ses conclusions selon lesquelles les personnes provenant de la province de l’Équateur sont perçues comme des membres de tribus de cette province et ont été victimes d’atrocités de 2006 à 2008, notamment d’arrestations arbitraires, de massacres aveugles et de torture, ou sa conclusion selon laquelle, d’après le plus récent document faisant partie de la preuve, « Selon le Bureau conjoint des Nations Unies aux droits de l’homme (BCNUDH), les forces de sécurité de l’État à Kinshasa ont parfois harcelé, arrêté de façon arbitraire ou menacé des membres de groupes ethniques provenant de la province de l’Équateur », avec sa conclusion portant que le demandeur n’était pas exposé à un risque. Le motif invoqué, soit le fait que « outre cette information », il n’y a que quelques incidents isolés de persécution à l’endroit de personnes provenant de la province de l’Équateur, n’explique pas la conclusion ni ne l’appuie.

 

[20]           La Commission n’explique pas dans ses motifs pourquoi les conclusions antérieures ont été écartées ou n’ont pas été prises en compte, de sorte que les motifs en question ne respectent pas le critère énoncé dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62. Le raisonnement comporte une lacune d’une telle ampleur sur un aspect critique qu’il est difficile de savoir comment et pourquoi la Commission en est arrivée à la conclusion en question.

 

[21]           Bien que ce motif ne suffise pas pour trancher la présente demande, je souligne également que la Commission n’a pas appliqué les critères relatifs à la question de savoir si les mauvais traitements peuvent être considérés comme de la persécution; selon ces critères, les mauvais traitements en question doivent avoir un caractère grave et ils doivent posséder un caractère répétitif ou systématique : Maksoudian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 285. En conséquence, même si je reconnaissais que la preuve se limitait à des événements isolés, il est nécessaire d’évaluer ces événements en fonction de leur nature ou de leur gravité et de leur fréquence.


JUGEMENT

La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour nouvel examen devant un autre commissaire de la Section de la protection des réfugiés de la Commission. Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-9676-11

 

INTITULÉ :                                      EDOUARD EPAMPIA MBO WATO c

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Saskatoon (Saskatchewan)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 22 août 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT :
                            LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 24 septembre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Christopher G. Veeman

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Don Klaasen

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Veeman Law

Saskatoon (Saskatchewan)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan,

Sous-procureur général du Canada

Saskatoon (Saskatchewan)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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