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Date : 20120802

Dossier : IMM-8270-11

Référence : 2012 CF 961

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 août 2012

En présence de monsieur le juge O’Reilly

 

 

ENTRE :

 

ABDULLAH FAIZY ET

SALIMA FAIZY

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Aperçu

 

[1]               M. Abdullah Faizy, son épouse Salima et leur fils Olia ont présenté une demande de résidence permanente au Canada depuis le Pakistan. Ils sont membres du groupe ethnique Hazara, originaire de l’Afghanistan.

 

[2]               En 1985, Abdullah a eu un différend avec ses cousins, qui occupaient son terrain à Bamiyam. Il s’est enfui à Ghazni avec son épouse de l’époque et ses enfants. En 1995, tous les membres de sa famille, son épouse et ses cinq filles, ont été tués lors d’une attaque à la roquette. Il est allé vivre chez un voisin et a finalement épousé la nièce de celui-ci, Salima.

 

[3]               Lorsque la situation qui régnait à Ghazni est devenue instable, le couple s’est enfui au Pakistan, où Olia est né. Ils se sont établis à Peshawar, où Abdullah a travaillé en vendant des fruits. Cependant, la famille a été victime de discrimination et d’extorsion et a donc déménagé à Rawalpindi, mais l’extorsion s’est poursuivie.

 

[4]               En 2011, après que les demandeurs eurent présenté une demande de résidence permanente au Canada, un agent d’immigration du Haut-commissariat à Islamabad les a interrogés. L’agent a refusé leur demande au motif qu’ils n’étaient pas admissibles en qualité de membres de la catégorie de personnes de pays d’accueil. L’agent a cru que les demandeurs avaient simplement des considérations d’ordre économique qui les incitaient à ne pas retourner en Afghanistan et qu’ils n’avaient pas établi que le conflit qui règne en Afghanistan continue d’avoir des conséquences graves et personnelles pour eux.

 

[5]               Les demandeurs soutiennent que la conclusion de l’agent n’est pas raisonnable, parce qu’elle ne tient pas compte des circonstances qui les ont incités à quitter l’Afghanistan. Ils ajoutent que l’agent n’a pas tenu compte de la persécution à laquelle ils seraient exposés en qualité de membres du groupe ethnique Hazara. Enfin, ils font valoir que l’agent n’a pas tenu compte de la vendetta permanente entre Abdullah et ses cousins. Ils me demandent d’annuler la décision de l’agent et d’ordonner à un autre agent de réexaminer leur demande.

 

[6]               Je conviens avec les demandeurs que la conclusion de l’agent n’était pas raisonnable. Je dois donc accueillir la présente demande de contrôle judiciaire pour ce motif.

 

II.        La décision de l’agent

 

[7]               L’agent a affirmé qu’il comprenait fort bien le désir des demandeurs d’améliorer leur situation économique et leurs perspectives d’avenir. Il a conclu que les raisons pour lesquelles les demandeurs ne voulaient pas retourner en Afghanistan étaient en réalité des considérations d’ordre économique. À son avis, les demandeurs n’ont pas établi que le conflit qui règne en Afghanistan continue d’avoir des conséquences graves et personnelles pour eux. Selon les notes de l’agent, lorsque Abdullah s’est fait demander pourquoi les demandeurs ne pouvaient retourner en Afghanistan, il a répondu comme suit : [traduction] « Mon terrain est occupé par mes cousins. Il n’y a pas de sécurité et il n’y a pas de stabilité ». Salima a dit ce qui suit : [traduction] « Mon mari était un homme très riche. Ses cousins ont tenté d’occuper ses terrains. Il s’est opposé à ça, mais il a quitté Ghazny ». Abdullah a également mentionné qu’aucun membre de sa famille ne vit en Afghanistan et que les demandeurs avaient du mal à subvenir à leurs besoins au Pakistan. C’est ce témoignage qui a incité l’agent à conclure que les demandeurs étaient motivés principalement par des considérations d’ordre économique.

 

[8]               Lorsque l’agent a exprimé sa préoccupation selon laquelle la demande était motivée par des considérations d’ordre économique, Abdullah a répondu ce qui suit : [traduction] « Là où j’habite, j’ai des cousins qui sont des personnes très dangereuses et je ne peux vivre avec eux une seule journée ». L’agent a estimé que cette explication ne répondait pas à la préoccupation qu’il avait exprimée. En conséquence, leur demande a été refusée.

 

[9]               L’agent s’est également demandé si les demandeurs appartenaient à la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières, mais il a conclu qu’il n’existait pas suffisamment d’éléments de preuve permettant de dire que les demandeurs craignaient avec raison d’être persécutés en Afghanistan.

 

III.       La conclusion de l’agent était-elle déraisonnable?

 

[10]           Les demandeurs soutiennent que la préoccupation de l’agent selon laquelle leur demande était motivée par des considérations d’ordre économique n’était pas appuyée par la preuve. Ils ajoutent que l’agent n’a pas tenu compte des répercussions psychologiques prolongées de l’attaque à la roquette qui a tué la famille d’Abdullah.

 

[11]           Les membres de la catégorie de personnes de pays d’accueil doivent établir qu’ils ont besoin de se réinstaller parce qu’ils se trouvent hors du pays dont ils ont la nationalité et qu’une guerre civile, un conflit armé ou une violation massive des droits de la personne ont eu et continuent d’avoir des conséquences graves et personnelles pour eux (Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS /2002-227, art. 147; voir l’Annexe).

 

[12]           À mon avis, l’agent n’a pas compris les raisons pour lesquelles les demandeurs ne pouvaient retourner en Afghanistan. Lorsque l’agent a mentionné que la famille était motivée principalement par des considérations d’ordre économique, Abdullah a souligné que c’est le conflit permanent qui l’opposait à ses cousins qui l’empêchait de retourner là-bas. L’agent a semblé croire que les cousins se trouvaient au Pakistan, parce qu’Abdullah a utilisé le présent lorsqu’il a dit [traduction] « là où je vis, j’ai des cousins qui sont des personnes très dangereuses ». Cependant, d’après le contexte, il est évident qu’Abdullah parlait de ses cousins de l’Afghanistan avec lesquels il a eu de violentes querelles au sujet de son terrain. En conséquence, Abdullah a tenté de répondre à la préoccupation de l’agent selon laquelle il était motivé par des considérations d’ordre économique en expliquant les raisons pour lesquelles la famille ne pouvait retourner en Afghanistan.

 

[13]           De plus, l’agent n’a pas tenu compte de la possibilité que la perte de la famille d’Abdullah continue à avoir des conséquences pour celui-ci et constitue une autre raison pour laquelle il dit ne pouvoir retourner en Afghanistan. Abdullah a mentionné à l’agent qu’il avait refait sa vie et se rétablissait de la perte de sa famille. Le ministre affirme que ce témoignage montre que la perte de la famille d’Abdullah par suite d’une tragique attaque à la bombe n’a plus de « conséquences graves et personnelles » pour lui. Cependant, à mon avis, le témoignage justifiait, à tout le moins, un examen de la possibilité que la perte de la famille d’Abdullah explique, du moins en partie, l’incapacité pour lui de retourner en Afghanistan. Le fait qu’Abdullah a pris des mesures pour se construire une nouvelle vie au Pakistan ne signifie pas nécessairement qu’il était entièrement capable de le faire en Afghanistan.

 

[14]           En conséquence, je suis d’avis que la décision de l’agent n’était pas raisonnable, parce qu’elle reposait sur une interprétation erronée de la preuve des demandeurs au sujet des raisons pour lesquelles ils ne pouvaient retourner en Afghanistan et parce que l’agent n’a pas tenu compte du fait que la perte de la famille d’Abdullah pouvait constituer une autre raison valable pour lui de ne pas retourner là-bas.

 

IV.       Conclusion et dispositif

 

[15]           L’agent n’a pas tenu compte dans sa décision du fondement de l’allégation des demandeurs selon laquelle ils étaient incapables de retourner en Afghanistan, présumant plutôt que leur demande reposait sur des considérations d’ordre économique. En conséquence, je suis d’avis que la conclusion de l’agent n’appartenait pas aux issues pouvant se justifier au regard des faits et du droit et qu’elle était déraisonnable. Je dois donc accueillir la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune question de portée générale ne se pose en l’espèce.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE COMME SUIT :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

2.                  Aucune question de portée générale n’est énoncée.

 

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


Annexe

 

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227

 

 

Catégorie de personnes de pays d’accueil

 

  147. Appartient à la catégorie de personnes de pays d’accueil l’étranger considéré par un agent comme ayant besoin de se réinstaller en raison des circonstances suivantes :

 

a) il se trouve hors de tout pays dont il a la nationalité ou dans lequel il avait sa résidence habituelle;

 

b) une guerre civile, un conflit armé ou une violation massive des droits de la personne dans chacun des pays en cause ont eu et continuent d’avoir des conséquences graves et personnelles pour lui.

Immigration and Refugee Protection Regulations, SOR/2002-227

 

 

Member of country of asylum class

 

  147. A foreign national is a member of the country of asylum class if they have been determined by an officer to be in need of resettlement because

 

(a) they are outside all of their countries of nationality and habitual residence; and

 

 

(b) they have been, and continue to be, seriously and personally affected by civil war, armed conflict or massive violation of human rights in each of those countries.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-8270-11

 

INTITULÉ :                                      ABDULLAH FAIZY ET SALIMA FAIZY

                                                            c

                                                            MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 5 juillet 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 2 août 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Barbara Jackman

 

POUR LES DEMANDEURS

Michael Butterfield

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Barbara Jackman

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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