Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date : 20120705

Dossier : T‑1811‑11

Référence : 2012 CF 858

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 5 juillet 2012

En présence de monsieur le juge Rennie

 

ENTRE :

 

GHAZANFAR BAIG

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur fait appel, en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C‑29 (la Loi sur la citoyenneté), de la décision du juge de la citoyenneté, K. Mohan (le juge), en date du 7 septembre 2011, qui a refusé sa demande d’attribution de la citoyenneté canadienne conformément au paragraphe 5(1) de la Loi sur la citoyenneté. L’appel interjeté en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté est régi par les Règles des Cours fédérales (DORS/98‑106) (les Règles) se rapportant aux demandes; d’où la désignation des parties comme demandeur et défendeur. La Loi sur la citoyenneté ne prévoit pas d’autres voies de recours une fois rendue la décision de la Cour. Pour les motifs qui suivent, l’appel est rejeté.

 

Les faits

 

[2]               Le demandeur, Ghazanfar Baig, est Pakistanais. Sa famille et lui ont obtenu le statut de résidents permanents au Canada le 20 août 2004. Son épouse et ses trois enfants sont maintenant tous citoyens canadiens.

 

[3]               Le demandeur a sollicité la citoyenneté canadienne le 8 avril 2008, et l’audition de sa demande de citoyenneté a eu lieu le 18 juillet 2011.

 

[4]               Dans sa décision du 7 septembre 2011, le juge a appliqué le critère de la résidence énoncé par le juge Muldoon dans Re Pourghasemi, [1993] ACF n° 232, et approuvé dans Martinez‑Caro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 640. Selon ce critère, le demandeur répondait à l’obligation de résidence de la Loi sur la citoyenneté s’il prouvait qu’il avait été physiquement présent au Canada durant 1095 jours au cours de la période applicable de quatre ans. Le juge a conclu, avec raison, que la période en question dans la présente affaire allait du 20 août 2004 au 8 avril 2008.

 

[5]               Durant l’audition de la demande de citoyenneté, le juge a informé le demandeur qu’il n’était pas convaincu qu’il remplissait l’obligation de résidence et lui a donné l’occasion de produire d’autres documents au soutien de sa demande.

 

[6]               Le juge a constaté que la période applicable comportait de nombreux trous et qu’il était difficile de dire si le demandeur avait été ou non présent au Canada à ces moments. Selon lui, la preuve ne permettait pas d’affirmer que le demandeur avait travaillé comme consultant indépendant au Canada durant cette période. Il a relevé que le revenu déclaré par le demandeur dans ses déclarations de revenu des années 2004 à 2007 était très faible étant donné qu’il faisait vivre une famille de cinq personnes. Le juge a également conclu que le demandeur n’avait pas fourni de document permettant d’établir clairement ses revenus et ses dépenses, comme on le lui avait demandé.

 

[7]               Le juge a relevé que le demandeur avait produit des dossiers médicaux couvrant la période applicable, mais que ces dossiers faisaient état de peu de rendez‑vous chez le médecin en 2005, et d’aucun en 2006. Il y avait eu plusieurs visites à partir de 2007, mais les dossiers n’indiquaient pas que le demandeur avait été physiquement présent au Canada en 2005 et 2006. Le juge a précisé qu’il appartenait au demandeur d’établir qu’il remplissait les conditions d’attribution de la citoyenneté, et il a conclu que le demandeur n’avait pas établi que, selon toute vraisemblance, il avait été physiquement présent au Canada au cours des 1095 jours requis.

 

[8]               Enfin, en application du paragraphe 5(4) de la Loi sur la citoyenneté, le juge s’est demandé s’il convenait de recommander l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’attribution de la citoyenneté. Il a décidé de ne pas faire une telle recommandation parce qu’elle n’était pas justifiée par une quelconque nécessité de remédier à une situation particulière et inhabituelle ou de récompenser des services exceptionnels rendus au Canada. Il n’a donc pas approuvé la demande de citoyenneté.

 

Norme de contrôle et points litigieux

 

[9]               Selon les parties, les points à décider sont les suivants :

                                                              i.      La décision du juge était‑elle raisonnable?

                                                            ii.      La décision du juge était‑elle suffisamment motivée?

 

[10]           Les parties s’accordent à dire que les conclusions de fait tirées par le juge doivent être examinées selon la norme de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Al‑Showaiter, 2012 CF 12. Dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, la Cour suprême du Canada a conclu que la question du caractère suffisant des motifs d’une décision ne peut à elle seule constituer la base d’une demande de contrôle judiciaire, et ne relève pas non plus de l’équité procédurale; elle fait plutôt partie de l’analyse du caractère raisonnable de la décision.

 

Analyse

 

[11]           Le demandeur soutient que, puisque le juge appliquait le critère de la présence physique énoncé dans la décision Pourghasemi, il aurait dû examiner attentivement son passeport pour savoir s’il avait été physiquement présent durant le nombre de jours requis. Cependant, le juge a signalé que le demandeur avait une carte électronique de non‑résident du Pakistan (NICOP) et que, partant, une absence d’estampilles dans son passeport ne voulait pas nécessairement dire qu’il n’avait pas voyagé durant la période applicable.

 

[12]           Le demandeur soutient aussi que le juge ne lui a pas demandé de produire ses relevés de voyages de l’Agence des services frontaliers du Canada; cependant, le demandeur n’a fait état d’aucun précédent donnant à entendre que le juge est tenu de faire une telle demande. Cette obligation semble contraire au principe selon lequel il appartient au demandeur de prouver qu’il remplit toutes les conditions d’attribution de la citoyenneté, comme il est indiqué dans la décision Maharatnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF n° 405 (1re inst), par 5.

 

[13]           Les notes du juge indiquent que le demandeur détient un passeport pakistanais, mais il n’est fait aucune mention de ce passeport dans la décision, hormis ce qui suit :

[TRADUCTION] Vous êtes citoyen pakistanais, et vous avez aussi la carte électronique pakistanaise de non‑résident, la NICOP, qui sert à consigner vos entrées au Pakistan et vos sorties du Pakistan, rendant inutile l’apposition d’estampilles sur le passeport. Je crois aussi comprendre que vous êtes propriétaire, ou que vous étiez propriétaire, de biens‑fonds au Pakistan.

 

 

[14]           Il est évident que c’est au demandeur qu’il appartient d’établir que, selon toute vraisemblance, il remplit les conditions de résidence imposées pour l’attribution de la citoyenneté. L’essentiel de l’argument du demandeur est que, puisque le juge lui avait donné une autre occasion de produire des documents, il était tenu de lui faire part de ses doutes sur la preuve de résidence qu’il avait produite. Je ne suis pas de cet avis. Essentiellement, le demandeur voudrait transférer au juge le fardeau de la preuve, alors que c’est sur lui que repose nettement ce fardeau.

 

[15]           Le demandeur soutient aussi que le juge s’est abstenu d’examiner son passeport. Il convient de noter que le dossier ne renferme aucune copie du passeport et que le demandeur ne s’est pas soucié de verser son passeport au dossier. La seule conclusion raisonnable que l’on puisse tirer de cette omission est que, puisque le demandeur se servait de la carte électronique NICOP, le passeport n’était pas estampillé et n’avait donc aucune valeur probante. Il était loisible au juge d’arriver à cette conclusion.

 

[16]           Le demandeur prétend que le passeport était une preuve essentielle qui aurait dû être versée au dossier. Comme je l’ai dit, je récuse cet argument, car le demandeur avait le loisir de produire la copie des éléments de preuve qui, selon lui, étaient manquants et avaient une grande valeur probante. Deuxièmement, la raison pour laquelle le juge ne fait pas état du passeport apparaît clairement à la lecture du dossier.

 

[17]           Pour le reste, le demandeur soutient que le juge n’a pas suffisamment tenu compte de la preuve produite et qu’il n’a pas suffisamment motivé ses conclusions. La plupart de ces arguments concernent le prétendu travail du demandeur au Canada. Le demandeur soutient que le juge s’est livré à des conjectures lorsqu’il s’est interrogé sur la source de son revenu et sur la question de savoir s’il avait travaillé au Canada durant la période applicable. Il dit qu’il a présenté des éléments de preuve sur ces aspects et qu’ils ont été tout simplement laissés de côté, et il ajoute que le juge s’est fondé sur des éléments de preuve non pertinents.

 

[18]           Contrairement à ce qu’affirme le demandeur, le juge n’a pas exprimé sans justification ses doutes concernant les antécédents professionnels du demandeur. Il a mentionné que le revenu déclaré du demandeur ne correspondait pas au solde de ses comptes en banque, ni à la somme nécessaire pour faire vivre une famille de cinq personnes où plusieurs enfants font des études postsecondaires. Par ailleurs, les notes du juge issues de son entretien avec le demandeur révèlent que le demandeur reconnaissait que toutes ses activités étaient menées au Moyen‑Orient. À la lumière de ce seul élément, le juge a eu raison de conclure que le demandeur n’avait pas établi qu’il avait vécu et travaillé au Canada durant un nombre suffisant de jours au cours de la période applicable.

 

[19]           Le demandeur affirme que le juge a eu tort de prendre en compte le fait qu’il avait acheté des immeubles locatifs, puisque ces achats avaient eu lieu après la période applicable. Cependant, si on les lit dans leur contexte, on voit que les observations du juge sur les immeubles en question ne laissent voir aucune erreur. Le juge évoquait l’achat des immeubles de rapport pour répondre à l’affirmation du demandeur selon laquelle il subvenait aux besoins de sa famille en partie grâce à des épargnes qu’il avait apportées avec lui au Canada :

[TRADUCTION] Vous avez mentionné que vous aviez apporté de l’argent depuis l’étranger. Vous avez au Canada un compte en dollars US. Cependant, au cours de l’audience, vous avez aussi mentionné avoir acheté trois immeubles au Canada et les avoir donnés en location. Compte tenu de l’information que vous avez fournie, on dirait que ces fonds provenant de l’étranger ont servi à acheter les immeubles en question…

 

 

[20]           Cette partie de l’analyse s’attache donc à la conclusion selon laquelle le revenu du demandeur tiré de son travail au Canada ne suffisait pas à faire vivre sa famille. Le juge a conclu que le demandeur n’aurait pas pu non plus faire vivre sa famille avec les épargnes apportées de l’étranger, les sommes en question ayant servi à acheter trois immeubles. Les acquisitions d’immeubles étaient donc pertinentes puisqu’elles ébranlaient la preuve produite par le demandeur concernant la manière dont il avait subvenu aux besoins de sa famille durant la période applicable.

 

[21]           Je suis d’avis que la décision du juge était raisonnable et que, au surplus, ses motifs justifient amplement ses conclusions. L’appel est donc rejeté.


JUGEMENT

LA COUR STATUE QUE l’appel est par les présentes rejeté. Les dépens, fixés à 250 $, sont adjugés au défendeur.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T‑1811‑11

 

 

INTITULÉ :                                                  GHAZANFAR BAIG c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Ottawa

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 30 mai 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 5 juillet 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Rezaur Rahman

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Max Binnie

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Rezaur Rahman

Avocat

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan,

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.