Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20120517

Dossier : IMM-7907-11

Référence : 2012 CF 599

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 17 mai 2012

En présence de monsieur le juge Campbell

 

ENTRE :

 

ANGEL UGUSTO ANZOLA BARRAGAN

CLARA LUZ BOHORQUEZ

KATHERINE ANZOLA BOHORQUEZ

LUZ ANGELA ANZOLA BOHORQUEZ

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La présente demande a trait à une décision rendue le 17 octobre 2011 par la Section de la protection des réfugiés (la SPR), selon laquelle les demandeurs, Angel Augusto Anzola Barragan (le demandeur), son épouse et ses deux filles, n’ont ni qualité de réfugié au sens de la Convention, ni celle de personne à protéger. Les demandeurs, des citoyens de la Colombie, demandaient l’asile parce qu’ils craignaient les FARC‑EP. 

 

[2]               Un élément fondamental de la demande de protection des demandeurs fondée sur l’article 97 est la preuve de menaces proférées par les FARC. La preuve produite est constituée du témoignage du demandeur selon lequel il a reçu deux lettres de menaces ainsi qu’un appel téléphonique de menaces. Les lettres et un enregistrement, y compris une traduction de l’espagnol à l’anglais, ont été produits en preuve devant la SPR. Celle‑ci a rejeté cette preuve en raison d’une conclusion qui, à mon avis, constitue un manquement au devoir d’agir équitablement à l’égard du demandeur.

 

[3]               La SPR a rejeté la preuve principalement à cause de la façon dont le demandeur a enregistré l’appel de menaces. Elle a conclu ce qui suit à ce sujet :

[…] L’enregistrement que le demandeur d’asile a produit – et qui est censé être l’enregistrement audio d’un appel de menaces des FARC‑EP – s’avère encore plus problématique. Le demandeur d’asile a déclaré que les autorités l’avaient informé que, sans preuve des menaces, elles ne pourraient pas agir; c’est la raison pour laquelle il avait préparé un enregistreur. Lorsqu’il a reçu un appel provenant d’une personne qu’il a identifiée comme appartenant aux FARC‑EP, il a raccroché intentionnellement et a préparé l’appareil d’enregistrement. Le demandeur d’asile a décrit et mimé plusieurs fois la façon dont il a pris les écouteurs de l’enregistreur placé sur le bureau et les a placés près de son téléphone cellulaire, qu’il tenait près de son oreille. Toutefois, comme il a été mentionné à l’audience, le demandeur d’asile a indiqué avoir utilisé une paire d’écouteurs ordinaires pour effectuer cet enregistrement; or, les écouteurs ordinaires permettent seulement d’entendre les sons – ils ne permettent pas d’enregistrer et ne comportent aucun microphone. Le demandeur d’asile a déclaré que c’était tout simplement ce qu’il avait fait. J’estime que son explication n’est pas satisfaisante. Pour se préparer à enregistrer l’appel de menaces attendu, le demandeur d’asile aurait dû apprendre à se servir à l’avance de l’appareil d’enregistrement. Il était seul au moment où il aurait reçu cet appel de menaces, alors il n’y avait personne pour l’aider. Il est tout simplement impossible que le demandeur d’asile ait enregistré une conversation téléphonique en tenant des écouteurs ordinaires à proximité de son téléphone cellulaire, qu’il tenait près de sa tête. Même s’il avait, d’une manière ou d’une autre, appuyé sur le bouton d’enregistrement alors que l’appareil était sur le bureau devant lui, il est insensé qu’un microphone placé sur un bureau ait pu enregistrer, aussi clairement que sur l’enregistrement produit, une conversation téléphonique transmise par un téléphone cellulaire que le demandeur d’asile tenait près de sa tête. J’estime, selon la prépondérance des probabilités, que l’enregistrement produit par le demandeur d’asile est un faux. Cette conclusion remet non seulement en question l’authenticité des documents produits par le demandeur d’asile, mais aussi la crédibilité de ce dernier, compte tenu du fait qu’il s’est appuyé sur cet élément de preuve.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

(Décision, au paragraphe 7)

 

[4]               Ainsi, il semble que, parce qu’elle était incapable de comprendre la description de la façon dont l’enregistrement avait été effectué, la SPR a conclu que, non seulement l’enregistrement était un faux, mais aussi que les lettres de menaces étaient des faux et, en fait, que le demandeur est un fraudeur. Le droit applicable relativement à une telle conclusion générale grave d’absence de crédibilité est exposé dans Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302 (CAF); la présomption selon laquelle un demandeur d’asile dit la vérité lorsqu’il témoigne sous serment ne peut être réfutée sans raison. La raison donnée par la SPR pour rejeter la preuve est que le président de l’audience et le demandeur ne s’entendaient pas sur la manière dont l’enregistrement avait été effectué. Cela n’est pas étonnant compte tenu du fait que le demandeur a témoigné en espagnol et que, à cause de la traduction, ce témoignage n’était pas clair du tout pour la SPR, comme le montre l’extrait suivant de la transcription de l’audience :

[traduction]

LE MEMBRE :           J’aurais dû vous poser cette question il y a un moment déjà. Vous avez un enregistrement audio de l’un de ces appels téléphoniques. Comment avez‑vous fait pour avoir un enregistrement audio de l’un des appels?

 

LE DEMANDEUR D’ASILE 1 :      Lorsque je suis allé … lorsque je suis allé à l’unité d’intervention immédiate de la police, on m’a conseillé d’obtenir une preuve et on m’a dit que ce serait beaucoup mieux si je pouvais obtenir un enregistrement. J’ai acheté un petit appareil d’enregistrement, comme un enregistreur de poche muni d’écouteurs que vous pouvez mettre dans vos oreilles. J’ai acheté la cassette et j’ai vérifié que le tout fonctionnait parfaitement et qu’effectivement l’appareil enregistrait. Je l’avais toujours dans mon manteau … ou dans la poche de mon manteau. Le 21 août … pardon, le jour … le 1er août, vers 11 h, j’étais en train de fabriquer des moules … des moules en cuir que je devais préparer et envoyer à Mme … à la Posa L … L.C. Company, aux États‑Unis. Lorsque le téléphone a sonné, j’étais assis à la table en train de travailler. J’ai dit : « Allô? » et elle a dit … et la personne … et pardon, l’appel … et ils ont dit : « Angel Anzola ». J’ai immédiatement reconnu la voix. Et j’ai dit : « Allô? Allô? », comme si je ne pouvais pas entendre, et j’ai raccroché. Je suis allé à mon manteau. Il était … le manteau … mon manteau était sous la table. J’ai pris l’enregistreur et j’ai placé … les écouteurs près du téléphone cellulaire, les écouteurs, les haut‑parleurs près du téléphone cellulaire. L’écouteur, les écouteurs, peu importe, je les ai placés près du téléphone cellulaire et, alors que je les replaçais … que j’étais en train de placer les écouteurs sur le téléphone cellulaire, celui‑ci a sonné à nouveau. J’ai appuyé sur l’appareil d’enregistrement et j’ai dit : « Allô? ».

 

[…]

 

LE DEMANDEUR D’ASILE 1 : L’enregistreur est muni d’écouteurs que vous placez normalement ici – et le demandeur d’asile pointe ses oreilles. Comme ceux que vous utilisez pour écouter un Discman, par exemple, pour écouter de la musique. J’avais branché les écouteurs à l’enregistreur à l’aide d’un petit câble.

 

[…]

 

LE MEMBRE :           Très bien, Monsieur. Nous allons essayer de démêler tout ça. La plupart des écouteurs ont deux extrémités. À une extrémité, il y a des pièces pour vos oreilles, et que vous mettez habituellement dans vos oreilles ou par‑dessus celles‑ci.

 

LE DEMANDEUR D’ASILE 1 : Oui, dans vos oreilles.

 

[…]

 

LE DEMANDEUR D’ASILE 1 : Je les ai pris dans ma main et j’ai appuyé sur le téléphone cellulaire, comme ceci. J’ai les écouteurs dans ma main et j’ai approché le téléphone cellulaire, comme ceci.

 

LE MEMBRE :           Vous avez mis les pièces qui vont dans vos oreilles près du téléphone, c’est bien cela?

 

LE DEMANDEUR D’ASILE 1 : Oui.

 

(Dossier certifié du tribunal, aux pages 540 à 543)

 

 

[5]               L’emploi du terme « écouteurs » dans la traduction et la compréhension technologique du membre concernant la conception des « écouteurs ordinaires » ont joué un rôle important dans la décision de la SPR. À mon avis, pour être juste envers le demandeur, le membre devait prendre le temps de réfléchir avant de conclure à la fraude. Un travail plus consciencieux était nécessaire pour comprendre la preuve du demandeur. Si, après avoir fait ce travail, le membre n’était toujours pas convaincu de la vérifiabilité de l’enregistrement, il aurait pu le déclarer inadmissible. Cependant, le désaccord entre le demandeur et le membre quant à la façon dont l’enregistrement avait été effectué a eu une incidence grave : éteindre la demande d’asile du demandeur fondée sur l’article 97. À mon avis, ce résultat ne saurait être maintenu étant donné le manquement au devoir d’agir équitablement à l’égard du demandeur.

 

[6]               Par conséquent, j’estime que la décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire renfermait une erreur susceptible de contrôle.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

1.                  La décision faisant l’objet du contrôle judiciaire est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’une nouvelle décision soit rendue.

 

2.                  Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Douglas R. Campbell »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7907-11

 

INTITULÉ :                                      ANGEL UGUSTO ANZOLA BARRAGAN, CLARA LUZ BOHORQUEZ, KATHERINE ANZOLA BOHORQUEZ, LUZ ANGELA ANZOLA BOHORQUEZ c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 16 mai 2012

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LE JUGE CAMPBELL

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 17 mai 2012

 

COMPARUTIONS :

 

Daniel Winbaum

                                 POUR LES DEMANDEURS

 

Khatidja Moloo

                                 POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Klein, Winbaum & Frank

Avocats

Windsor (Ontario)

 

                                 POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

                                 POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.