Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20120516

Dossier : IMM‑7347‑11

Référence : 2012 CF 589

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 16 mai 2012

En présence de monsieur le juge Campbell

 

 

ENTRE :

 

MOTLALEPULA TUMISANG ET

LONE TUMELO TUMISANG

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La présente demande a trait à la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR) de rejeter une demande d’asile reposant sur une crainte fondée de violence conjugale liée au sexe. J’estime que la SPR n’a pas appliqué correctement les Directives données par la présidente sur les revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe (les Directives no 4).

 

[2]               La preuve présentée au soutien de la demande d’asile de la demanderesse comporte trois éléments : des actes de violence commis par deux conjoints au Botswana; l’incendie criminel de sa maison, qui aurait été allumé par son conjoint de fait de l’époque et qui l’a incitée à s’enfuir du Botswana pour venir au Canada; le contenu d’un rapport psychologique qui établit que la violence et l’incendie criminel dont elle a été victime ont laissé la demanderesse dans un état mental très vulnérable. La SPR a conclu principalement, dans la décision faisant l’objet du présent contrôle, que la crédibilité de la demanderesse et la nature de sa demande fondée sur des motifs prévus par la Convention, en particulier son appartenance au groupe des femmes victimes de violence conjugale, n’étaient pas en cause.

 

[3]               La SPR a rejeté la demande d’asile de la demanderesse essentiellement parce que celle‑ci obtiendrait la protection de l’État si elle retournait au Botswana. En tirant cette conclusion sur la possibilité d’obtenir la protection de l’État, la SPR prétendait appliquer les Directives no 4, lesquelles indiquent :

Au moment d’évaluer s’il est objectivement déraisonnable pour la revendicatrice de ne pas avoir sollicité la protection de l’État, le décideur doit tenir compte, parmi d’autres facteurs pertinents, du contexte social, culturel, religieux et économique dans lequel se trouve la revendicatrice. Par exemple, si une femme a été victime de persécution fondée sur le sexe parce qu’elle a été violée, elle pouvait ne pas demander la protection de l’État de peur d’être ostracisée dans sa collectivité. Les décideurs doivent tenir compte de ce type d’information au moment de déterminer si la revendicatrice aurait dû raisonnablement demander la protection de l’État.

 

Pour déterminer si l’État veut ou peut assurer la protection à une femme qui craint d’être persécutée en raison de son sexe, les décideurs doivent tenir compte du fait que les éléments de preuve pouvant normalement être fournis par la revendicatrice comme une « preuve claire et convaincante » de l’incapacité de l’État d’assurer la protection ne seront pas toujours disponibles ou utiles dans les cas de persécution fondée sur le sexe.

 

[Notes de bas de page omises.] [Non souligné dans l’original.]

 

En prétendant appliquer les Directives no 4, la SPR a procédé à une analyse rétrospective et prospective qui l’a amenée à conclure qu’il était raisonnable pour la demanderesse de demander la protection de l’État :

Après avoir examiné la preuve documentaire, le tribunal estime que le Botswana a conscience de l’existence de la corruption policière et a les moyens de s’attaquer efficacement au problème. Le tribunal conclut qu’il n’était pas raisonnable que la demandeure d’asile principale, une femme d’affaires autonome depuis plusieurs années et qui a fait des études postsecondaires, n’ait pas demandé l’aide de la police parce qu’elle la croyait corrompue.

 

[Non souligné dans l’original.] (Décision, au paragraphe 16.)

 

[4]               Le rapport psychologique a été déposé auprès de la SPR afin de démontrer qu’il serait déraisonnable d’attendre de la demanderesse, compte tenu de son état mental actuel, qu’elle demande la protection de l’État si elle devait retourner au Botswana. La SPR n’a reconnu la teneur du rapport que lorsqu’elle a dit que la demanderesse « souffre, entre autres, de troubles d’adaptation chroniques » (décision, au paragraphe 5). En fait, le rapport décrit la preuve d’expert suivante :

[traduction] Lorsqu’elle est éveillée, Mme Tumisang sent monter en elle un sentiment de crainte et de vulnérabilité quand elle se rappelle son passé traumatisant. Elle se sent comme si elle était exposée à un danger imminent. La réaction s’accompagne de crainte et de sursaut. Elle est déclenchée par des stimuli environnementaux, comme des hommes qui ressemblent à ses anciens conjoints, une foule, des gens qui se disputent ou crient, un coup frappé à la porte, la sonnerie du téléphone, des émissions de télévision ou des films qui comportent des scènes de violence conjugale, des bruits forts, le fait de se trouver dans la cabine de douche et des questions au sujet de son passé. La réaction se manifeste souvent spontanément lorsque Mme Tumisang est seule et que son esprit n’est pas entièrement occupé à une activité. Mme Tumisang évite de sortir de chez elle et ne prend jamais le métro sans être accompagnée. Elle évite les hommes qui ressemblent à ses anciens conjoints, les policiers, les foules et les personnes qui se disputent ou crient. Elle ne regarde pas les émissions de télévision ou les films qui comportent des scènes de violence conjugale. Elle essaie de ne pas penser à son passé et de ne pas en parler. Elle est attentive à tout signe de danger.

 

[Non souligné dans l’original.] (Dossier du tribunal, à la p. 138.)

 

[5]               J’estime que, en décrivant la demanderesse comme une « une femme d’affaires autonome depuis plusieurs années et qui a fait des études postsecondaires », la SPR a tenu pour avéré que rien ne l’empêchait de solliciter la protection de l’État à son retour au Botswana. Compte tenu de la preuve déterminante de l’état mental actuel de la demanderesse et du fait que la preuve est pertinente au regard de la question fondamentale de la possibilité d’obtenir la protection de l’État, que les Directives obligeaient, à mon avis, la SPR à examiner cette preuve et que celle‑ci a manifestement omis d’en tenir compte lorsqu’elle a rendu la décision faisant l’objet du présent contrôle, je conclus que la SPR a commis une erreur de fait fondamentale en rendant cette décision.

 

[6]               En conséquence, je conclus que la SPR a commis une erreur susceptible de contrôle en rendant la décision faisant l’objet du présent contrôle.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

La décision faisant l’objet du présent contrôle est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’une nouvelle décision soit rendue.

 

Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« Douglas R. Campbell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑7347‑11

 

 

INTITULÉ :                                                  MOTLALEPULA TUMISANG ET LONE TUMELO TUMISANG c
LE MINISTRE DE LA
CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 14 mai 2012

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                  LE JUGE CAMPBELL

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 16 mai 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Robert Israel Blanshay

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Prathima Prashad

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Robert Israel Blanshay

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.