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Date : 20120425


Dossier : T-1588-10

Référence : 2012 CF 487

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 avril 2012

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

 

ERICH KAINDL

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur interjette appel de la décision d’un juge du Bureau de la citoyenneté de rejeter sa demande de citoyenneté canadienne. Son appel a été introduit en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C‑29 (la Loi), et est régi par les Règles des Cours fédérales (DORS/98‑106) applicables aux demandes, d’où son statut de demandeur et le statut de défendeur du ministre. L’appel est rejeté pour les motifs qui suivent.

 

 

 

Les faits

[2]               Le demandeur, M. Erich Kaindl, est arrivé au Canada avec son épouse et ses cinq enfants le 1er novembre 1998 à la demande de son employeur, Siemens, afin d’assumer des responsabilités relatives aux activités de Siemens au Canada. Deux ans plus tard, le ralentissement mondial important du secteur des technologies et de l’économie en général a poussé Siemens à mettre fin à ses activités au Canada. Après avoir cherché du travail pendant deux ans au Canada, M. Kaindl a accepté l’offre de son employeur de retourner travailler pour Siemens en Autriche. Pendant longtemps, il a fait la navette entre son lieu de travail en Autriche et sa famille à Kanata, en Ontario. Sa famille est demeurée au Canada, où ses enfants fréquentaient l’école secondaire du quartier ou l’université. À l’exception de M. Kaindl, ils sont tous maintenant des citoyens canadiens qui sont intégrés à la société canadienne et qui participent pleinement et activement à celle‑ci. L’épouse de M. Kaindl est la directrice de la German Language School d’Ottawa; trois des cinq enfants vont à l’université et les deux autres auront bientôt terminé leurs études secondaires.

 

[3]               M. Kaindl est devenu résident permanent du Canada le 6 novembre 2003. Il a présenté une demande de citoyenneté canadienne le 1er septembre 2008. Le 15 septembre 2010, le ministre lui a fait savoir que sa demande de citoyenneté avait été rejetée parce qu’il ne satisfaisait pas à la condition de résidence prévue à l’alinéa 5(1)c) de la Loi.

 

[4]               Le demandeur a admis devant le juge de la citoyenneté que c’est lui qui avait décidé d’accepter le poste en Autriche; il fait toutefois valoir que son absence du Canada était dictée par des raisons économiques. Il avait le choix entre vivre de l’aide sociale ou accepter le poste chez Siemens. Il a dit qu’il a fait un choix qui était raisonnable et dans l’intérêt du Canada car il n’allait pas ainsi recourir à l’assurance‑emploi et à l’aide sociale.

 

[5]               Le juge de la citoyenneté s’est fondé sur la décision rendue par la Cour dans Re Pourghasemi, [1993] ACF no 232, pour rejeter la demande de citoyenneté canadienne du demandeur. Il a estimé que le demandeur ne satisfaisait pas à la condition de résidence de 1 095 jours prévue par la Loi. En effet, il avait été physiquement présent au Canada pendant seulement 224 jours et il avait été à l’extérieur du pays pendant 871 jours. Le juge de la citoyenneté a conclu en outre que l’exercice des pouvoirs discrétionnaires conférés aux paragraphes 5(3) et (4) de la Loi n’était pas justifié.

 

[6]               Le demandeur signale à juste titre qu’une erreur a été commise relativement au cadre de référence utilisé pour le calcul de la période de résidence. Le juge de la citoyenneté a prolongé de trois mois la période de résidence, soit du 1er septembre 2008 au 12 décembre 2008, ce qui a fait porter à 1 236 jours la période totale de résidence exigée. Il ne s’agit pas cependant d’une erreur importante. Si on établit la période de quatre ans en tenant compte de cette erreur, le demandeur a résidé au Canada pendant seulement 224 jours au cours de cette période. En conséquence, il n’est pas justifié d’annuler la décision.

 

La norme de contrôle et la question en litige

[7]               La question en litige en l’espèce consiste à déterminer si la décision du juge de la citoyenneté de rejeter la demande de citoyenneté du demandeur était correcte en droit selon Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, et si la décision de ne pas recommander au ministre d’accueillir cette demande était un exercice raisonnable de son pouvoir discrétionnaire.

 

Analyse

 

[8]               Dans Martinez-Caro c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 640, j’ai conclu que le législateur voulait que la résidence soit déterminée sur la foi de la présence physique au Canada : 

J’estime que l’interprétation faite dans Pourghasemi est celle qui est conforme au sens, à l’objet et à l’esprit véritables de l’alinéa 5(1)c) de la Loi […] On ne peut donc dire que le juge de la citoyenneté a commis une erreur en appliquant le critère énoncé dans Pourghasemi. Le juge de la citoyenneté a en outre correctement appliqué ce critère en statuant qu’une absence de 771 jours empêchait de conclure qu’il y avait eu une présence physique de 1 095 jours en tout au Canada.

 

 

[9]               Dans cette affaire comme en l’espèce, le demandeur a été absent du Canada pendant une période considérable. En conséquence, et compte tenu du fait que je suis d’avis que l’interprétation privilégiée dans Pourghasemi traduit l’intention du législateur qui est énoncée à l’alinéa 5(1)c) de la Loi, le juge de la citoyenneté n’a commis aucune erreur de droit en adoptant le critère de la présence physique au Canada pour déterminer la durée de la résidence du demandeur.

 

[10]           Le demandeur ne prétend pas que le critère n’est pas correct, mais que, si l’erreur n’avait pas été commise lors du calcul de la période de résidence, le résultat aurait pu être différent. Il fait valoir que le juge de la citoyenneté a tiré une conclusion défavorable concernant sa crédibilité et que cela a influé sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de recommander au ministre de faire droit, dans les circonstances, à sa demande de citoyenneté.

 

[11]           Rien dans la décision du juge de la citoyenneté ne permet de croire que des conclusions défavorables ont été tirées au sujet de la crédibilité du demandeur. En fait, il semble que ce soit plutôt le contraire : le juge de la citoyenneté a accepté les faits exposés devant lui par M. Kaindl et rien n’indique, ni directement ni indirectement, qu’il n’a pas cru le témoignage du demandeur ou qu’il l’a écarté pour quelque raison que ce soit, encore moins pour des raisons liées à son erreur concernant le calcul de la période de résidence.

 

[12]           M. Kaindl souligne également que le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration a séparé sa demande de celle de son épouse et de ses enfants à des fins administratives, lorsqu’il est devenu évident que ces derniers avaient obtenu la citoyenneté. M. Kaindl prétend que le juge de la citoyenneté ne connaissait donc pas tout le contexte de la preuve qui lui avait été présentée, de sorte qu’il n’était pas en mesure d’exercer correctement son pouvoir discrétionnaire, en vertu des paragraphes 5(3) et (4) de la Loi, de recommander au ministre d’attribuer la citoyenneté à M. Kaindl.

 

[13]           Aussi intéressant qu’il soit à première vue, cet argument n’est pas compatible avec le dossier. Le demandeur a témoigné devant le juge de la citoyenneté et la décision indique que ce dernier avait un portrait très complet de la situation de M. Kaindl. La décision fait état, par exemple, de la participation de M. Kaindl à la chorale de l’église, du fait que la famille est propriétaire de la maison qu’elle habite, du fait qu’elle est bien établie économiquement et du fait que l’épouse et les enfants du demandeur continuent de vivre dans la maison de Kanata. En outre, le juge de la citoyenneté a placé ces conclusions de fait dans le contexte du choix difficile que M. Kaindl avait dû faire.

 

[14]           Bien qu’il soit vrai que la décision ne mentionne pas que l’épouse et les enfants de M. Kaindl sont maintenant des citoyens canadiens, un décideur n’a pas l’obligation d’énumérer tous les éléments de preuve qui lui ont été présentés. Le fait que les autres membres de la famille sont des citoyens canadiens et que le demandeur est marié à une Canadienne n’est pas un facteur déterminant au point où la décision est déraisonnable parce que ce fait n’est pas mentionné expressément dans les motifs.

 

[15]           Enfin, le demandeur prétend que le juge de la citoyenneté a commis une erreur dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en ne prenant pas en considération l’intérêt supérieur des enfants. Il s’appuie à cet égard sur les principes de Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, et rappelle qu’il est le père de cinq enfants canadiens.  

 

[16]           Rien ne permet de soutenir que l’intérêt supérieur des enfants canadiens doit être pris en considération lorsqu’il faut déterminer si la citoyenneté doit être attribuée. Les conseils, le soutien et l’orientation qui font partie intégrante du rôle de parent peuvent être offerts peu importe que le parent soit un résident permanent ou qu’il soit présent au Canada en vertu d’un permis de travail ou d’un visa de visiteur. La situation est très différente de celle où des parents sont séparés de leurs enfants canadiens et sont renvoyés dans leur pays d’origine avec bien peu de chances de revenir ou d’être réadmis au Canada.

 

[17]           Bien que je considère avec sympathie la situation du demandeur, le juge de la citoyenneté n’a pas commis d’erreur en tirant la conclusion à laquelle il est parvenu. L’appel doit être rejeté pour cette raison. Rien dans la Loi n’empêche le demandeur de présenter une nouvelle demande de citoyenneté canadienne lorsqu’il aura accumulé le nombre de jours nécessaire pour satisfaire aux exigences de la Loi.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que l’appel est rejeté. Aucune ordonnance n’est rendue relativement aux dépens.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


AnnexE A

 

 

Loi sur la citoyenneté (L.R.C. 1985, ch. C-29) alinéa 5(1)c)

 

Citizenship Act (R.S.C., 1985, c. C-29), Section 5(1)(c)

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

[…]

 

c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :

 

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

 

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

 

[…]

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

 

 

(c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

 

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

 

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

 

 

 


 

Loi sur la citoyenneté (L.R.C. 1985, ch. C-29) paragraphes 5(3) et (4)

 

Citizenship Act (R.S.C., 1985, c. C-29), Sections 5(3) and (4)

 

(3) Pour des raisons d’ordre humanitaire, le ministre a le pouvoir discrétionnaire d’exempter :

 

a) dans tous les cas, des conditions prévues aux alinéas (1)d) ou e);

 

b) dans le cas d’un mineur, des conditions relatives soit à l’âge ou à la durée de résidence au Canada respectivement énoncées aux alinéas (1)b) et c), soit à la prestation du serment de citoyenneté;

 

c) dans le cas d’une personne incapable de saisir la portée du serment de citoyenneté en raison d’une déficience mentale, de l’exigence de prêter ce serment.

 

(4) Afin de remédier à une situation particulière et inhabituelle de détresse ou de récompenser des services exceptionnels rendus au Canada, le gouverneur en conseil a le pouvoir discrétionnaire, malgré les autres dispositions de la présente loi, d’ordonner au ministre d’attribuer la citoyenneté à toute personne qu’il désigne; le ministre procède alors sans délai à l’attribution.

(3) The Minister may, in his discretion, waive on compassionate grounds,

 

(a) in the case of any person, the requirements of paragraph (1)(d) or (e);

 

(b) in the case of a minor, the requirement respecting age set out in paragraph (1)(b), the requirement respecting length of residence in Canada set out in paragraph (1)(c) or the requirement to take the oath of citizenship; and

 

(c) in the case of any person who is prevented from understanding the significance of taking the oath of citizenship by reason of a mental disability, the requirement to take the oath.

 

(4) In order to alleviate cases of special and unusual hardship or to reward services of an exceptional value to Canada, and notwithstanding any other provision of this Act, the Governor in Council may, in his discretion, direct the Minister to grant citizenship to any person and, where such a direction is made, the Minister shall forthwith grant citizenship to the person named in the direction.

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1588-10

 

INTITULÉ :                                      ERICH KAINDL c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Ottawa

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 22 février 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 25 avril 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Erich Kaindl

                                 POUR LE DEMANDEUR

 

David Aaron

                                 POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Aucun

 

                                POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

                               POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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