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Date: 20120619


Dossier : IMM-8536-11

Référence : 2012 CF 776

[traduction certifiée non révisée]

Toronto (Ontario), le 19 juin 2012

En présence de monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :

 

 

 

RONALD ANTONIO MORENO MANIERO

GIANEYA SAO KING RAMOS LEE

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour a relevé trois erreurs importantes dans la décision en cause, lesquelles rendent celle‑ci déraisonnable. La demande d’asile doit faire l’objet d’un nouvel examen.

 

Omission de demander des clarifications au sujet de la preuve documentaire

[2]               La Commission commence sa décision en signalant des contradictions concernant la date de l’accident de la route impliquant M. Maniero et Ivan, le policier qui serait l’agent de persécution. Les demandeurs déclarent dans leur formulaire de renseignements personnels (FRP) que l’accident est survenu le 25 octobre 2007, tandis que deux des quatre rapports de police déposés à l’appui de la demande indiquent que l’accident s’est produit en 2005. La Commission n’a relevé cet écart qu’après l’audience; elle ne l’a pas signalé aux demandeurs. La Commission a indiqué qu’elle « constate simplement […] une incohérence », mais elle a néanmoins écrit, plus loin : « [p]eu importe les préoccupations en matière de crédibilité découlant des incohérences quant à savoir si l’incident initial avec Ivan a eu lieu en 2005 ou en 2007 … », et les demandeurs affirment à bon droit, selon moi, qu’en dépit de son affirmation qu’elle constatait simplement l’incohérence, la Commission semble en avoir tenu compte dans l’évaluation de leur crédibilité, conclusion que paraît étayer la supposition subséquente formulée par la Commission, que l’accident aurait été à l’origine d’un voyage effectué au Canada en 2005. Ainsi, bien qu’elle ait affirmé avoir simplement constaté que les dates ne concordaient pas, la Commission semble avoir retenu cette divergence contre les demandeurs sans leur demander de clarification.

 

[3]               La Commission a également rejeté une lettre signée par l’avocat des demandeurs au Venezuela, notamment parce que celui‑ci y affirme s’être rendu sur les lieux de l’accident alors que les rapports de police ne mentionnent pas sa présence. La Commission n’a pas signalé cet aspect problématique ou conflictuel de la preuve documentaire aux demandeurs. En fait, la Commission n’a posé de question à ceux‑ci au sujet d’aucun des éléments de preuve documentaire qu’ils ont soumis. 

 

[4]               À mon avis, les principes de justice naturelle exigeaient, dans les circonstances, que la Commission rappelle les demandeurs et les informe de ses préoccupations avant de se fonder sur des éléments de preuve documentaire ou d’en écarter pour mettre en doute leur crédibilité.

 

Crainte subjective

[5]               La Commission a conclu à l’absence de crainte subjective à l’égard de l’agent de persécution. Pour parvenir à cette conclusion, elle a attaché une grande importance à la conduite de M. Maniero entre la date de l’accident et la date à laquelle l’agent de persécution a fait feu sur lui. Ce n’est pas raisonnable, selon moi. Après l’incident des coups de feu, il ne s’est pas écoulé deux semaines avant que les demandeurs partent du Venezuela. La période écoulée entre les coups de feu et la date de la demande d’asile est manifestement pertinente, mais la période antérieure revêt en l’espèce une pertinence secondaire, voire nulle.

 

[6]               Avant l’incident des coups de feu, les demandeurs ont consulté un avocat, sont allés à la police et ont déménagé, afin de prendre leur distance de l’agent de persécution. La conclusion de la Commission sous-entend qu’au lieu de prendre ces mesures, ils auraient plutôt dû s’enfuir immédiatement et présenter une demande d’asile s’ils éprouvaient alors de la crainte.  C’est illogique, et contraire aux règles de droit canadien et de droit international qui font obligation aux demandeurs d’asile de prendre toute mesure raisonnable pour obtenir protection dans leur pays avant de recourir à la demande d’asile. Manifestement, l’incident des coups de feu a amené les demandeurs à réévaluer leur situation en profondeur.

 

La protection de l’État

[7]               La Commission a conclu, en dernier lieu, que les demandeurs auraient pu s’adresser à d’autres sources de protection, à savoir le ministère de l’Intérieur qui « semble traiter la question de l’inconduite policière au Venezuela ». Il ressort de la preuve soumise par les demandeurs concernant les efforts déployés pour obtenir la protection de l’État que M. Maniero s’est adressé à la police elle‑même à quatre reprises, en vain, qu’il a retenu les services d’un avocat, lequel a effectué un suivi auprès de la police et communiqué avec le ministère public et le procureur général, sans résultat, et que c’est sur les conseils de son avocat qu’il s’est enfui du Venezuela après les coups de feu, à cause de l’inaction des autorités.

 

[8]               Les tribunaux canadiens n’ont jamais statué qu’un demandeur d’asile doit épuiser toutes les sources possibles de protection avant de s’enfuir de son pays. Ce qui est exigé est simplement que tous les efforts « raisonnables » aient été déployés. Compte tenu des nombreuses voies empruntées par les demandeurs, de l’inaction flagrante et, plus particulièrement du fait que leur propre avocat, censé connaître les recours existants, a recommandé la fuite, il était déraisonnable pour la Commission de conclure qu’ils n’avaient pas prouvé qu’ils avaient épuisé toutes les mesures raisonnables à leur disposition pour obtenir protection avant de fuir le Venezuela.

 

Conclusion

[9]               La décision doit être annulée. Aucune question n’a été proposée pour certification.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est accueillie, que la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et de la protection des réfugiés est annulée, que la demande d’asile est renvoyée à un tribunal différemment constituée et qu’aucune question n’est certifiée.

 

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Ghislaine Poitras, LL.L., Trad. a.



COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-8536-11

 

INTITULÉ :                                      RONALD ANTONIO MORENO MANIERO ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 6 juin 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 19 juin 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Matthew Jeffery

 

                        POUR LES DEMANDEURS

Amy King

 

                           POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

MATTHEW JEFFERY

Toronto (Ontario)

 

                        POUR LES DEMANDEURS

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

                           POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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