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Date : 20120416

Dossier : IMM-1242-11

Référence : 2012 CF 441

[Traduction française certifiée, non révisée]

Toronto (Ontario), le 16 avril 2012

En présence de monsieur le juge Campbell

 

ENTRE :

 

JOSE LUIS HERNAN MARTINEZ SAMAYOA

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La présente demande concerne une décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) dans laquelle la demande d’asile du demandeur faite en vertu de l’article 97 de la LIPR a été rejetée en raison de la conclusion que ses éléments de preuve selon lesquels il craint les groupes criminels MS‑13 et Mara‑18 au Guatemala n’établissent pas un risque personnel, mais plutôt un risque généralisé ne donnant pas droit à la qualité de personne à protéger, conformément au sous‑alinéa 97(1)b)(ii).

 

[2]               Au moment de l’audience devant la SPR, le demandeur avait 32 ans. Il est né au Guatemala, a grandi dans une famille chrétienne et a fréquenté un collège chrétien. À 13 ans, le demandeur a commencé à être harcelé par d’autres enfants, au début simplement en raison de sa foi religieuse et de son refus de participer aux mauvais coups. À 17 ans, il a été invité par ses harceleurs du même groupe d’âge à joindre comme eux le Mara; il a refusé et, par conséquent, a été attaqué par le Mara à 19 ans. Le demandeur a immédiatement quitté le Guatemala pour les États‑Unis, et a par la suite demandé l’asile au Canada.

 

[3]               Le demandeur n’était pas représenté par un conseil à l’audition de sa demande d’asile devant la SPR. Par conséquent, l’avocat du demandeur soutient à titre d’argument principal que le demandeur n’a pas bénéficié d’une audience équitable au motif que la commissaire de la SPR a omis de l’informer des questions de droit et de preuve cruciales et complexes se rapportant à ce qui constitue un risque généralisé par rapport à un risque personnel s’il devait rentrer au Guatemala.

 

[4]               En ce qui concerne l’argument relatif à l’équité, les éléments critiques de la décision de la commissaire de la SPR sont les suivants :

Selon le sous-alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR, la protection n’est offerte qu’aux personnes qui sont exposées à un risque précis alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas.

 

Le demandeur d’asile a affirmé craindre d’être tué par des groupes criminels organisés, en particulier le MS-13 et le Mara-18. Il avait presque 17 ans lorsqu’il a été abordé pour la première fois par les maras, qui lui ont demandé de se joindre à eux, ce qu’il a refusé; ensuite, à l’âge de 19 ans, il a été battu et menacé de mort. Le tribunal a examiné le rapport psychologique du demandeur d’asile et il est conscient de l’incidence qu’ont eue sur lui ses démêlés avec les maras. Le demandeur d’asile est maintenant âgé de 31 ans; toutefois, il était adolescent lorsqu’il a initialement été abordé par les maras. Ceux-ci ont continué de le poursuivre, l’ont battu lorsqu’il avait 19 ans et ont menacé de faire subir d’autres préjudices à sa famille et à lui. Le tribunal comprend que le demandeur d’asile ait éprouvé des problèmes avec les maras à la fin de son adolescence et à son passage à l’âge adulte; toutefois, il conclut que les autres citoyens du Guatemala sont également généralement exposés au risque qu’il craint. Bien qu’il accepte que la Cour ait une opinion contradictoire à ce sujet, le tribunal s’inspire des conclusions du juge Boivin dans Perez [Perez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 345], une affaire qui concerne précisément le recrutement forcé. Même si dans cette affaire le pays en cause était le Honduras, le demandeur d’asile craignait lui aussi d’être recruté par ce même gang criminel et de subir des menaces et des actes de violence. En l’espèce, le tribunal conclut qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve selon lesquels le demandeur d’asile a subi un traitement différent des autres personnes qui sont visées par le recrutement de gangs au Guatemala. Le juge Boivin a conclu que le fait que le recrutement soit personnel ne signifie pas forcément que le risque l’est aussi, ni qu’il ne s’agit pas d’une activité à laquelle d’autres personnes doivent généralement faire face. Le demandeur d’asile a témoigné au sujet de la violence généralisée perpétrée par les groupes criminels organisés dans la région où il vivait ainsi que dans d’autres régions du Guatemala. La preuve documentaire de la Commission confirme que la violence meurtrière est répandue au Guatemala, en particulier de la part de membres de gangs.

 

Le tribunal estime que la présente demande d’asile relève de l’exception prévue à l’alinéa 97(1)b), car le risque de préjudice auquel est exposé le demandeur d’asile est généralisé.

 

[…]

Étant donné ce qui précède, le tribunal conclut que le risque auquel le demandeur d’asile a été exposé est généralisé et non personnel; ainsi, ce risque de préjudice est visé par l’exception prévue au sous‑alinéa 97(1)b)(ii). Par conséquent, le tribunal conclut que le

 

 

demandeur d’asile n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

[Renvois omis.]

 

[Non souligné dans l’original.]

 

(Décision, paragraphes 13 à 15, et 22.)

 

 

[5]               Par conséquent, la question du risque généralisé et du risque personnel était déterminante dans la demande d’asile du demandeur. Comme en témoigne la décision de la commissaire de la SPR, le sujet est complexe. La transcription montre que, à l’audience, la commissaire de la SPR s’est efforcée d’expliquer des conditions de preuve essentielles dans la présentation d’une demande d’asile, mais qu’elle avait omis de préciser en quoi consistait le risque généralisé :

[traduction]

COMMISSAIRE :    Je vais maintenant aborder les questions se reportant à votre demande d’asile. Par questions, j’entends les éléments au sujet desquels nous avons besoin de clarifications et, aussi, de réponses.

 

[…]

 

COMMISSAIRE :    Pour que vous soyez accepté en tant que  réfugié au sens de la Convention ou personne à protéger, vous devez me montrer que vous craignez avec raison d’être persécuté pour un des cinq motifs prévus dans la définition de la Convention, d’accord?

 

DEMANDEUR D’ASILE : D’accord.

 

COMMISSAIRE :    Et les motifs sont la race, la religion, les opinions politiques, la nationalité ou l’appartenance à un groupe social. Donc, si vous entrez dans une des cinq, disons, catégories, vous correspondez alors à la définition de … pour être considéré comme un réfugié au sens de la Convention.

 

D’accord, avez-vous été persécuté au Guatemala en raison d’un de ces cinq … en fonction de ces cinq motifs?

 

DEMANDEUR D’ASILE : Non.

 

COMMISSAIRE :    D’accord. Donc, ça veut dire que vous n’avez pas de lien avec la définition dans la Convention, d’accord? Vous comprenez?

 

DEMANDEUR D’ASILE : Oui.

 

[…]

 

COMMISSAIRE :    D’accord, donc l’autre chose, lorsque vous ne correspondez pas à la définition de réfugié au sens de la Convention, nous essayons de voir si vous êtes une personne à protéger.

 

DEMANDEUR D’ASILE : D’accord.

 

COMMISSAIRE :    D’accord. Une personne à protéger … pour être considéré comme une personne à protéger, vous devez me montrer que vous seriez exposé à une menace à votre vie ou à un risque de traitement ou peine inusité ou cruel ou au risque d’être soumis à la torture à votre retour au Guatemala. D’accord?

 

DEMANDEUR D’ASILE : D’accord.

 

COMMISSAIRE :    Donc, ce sont les deux façons dont nous considérons les personnes à protéger.

 

Vous avez soit qualité de réfugié au sens de la Convention, soit de personne à protéger.

 

DEMANDEUR D’ASILE : D’accord.

 

COMMISSAIRE :    D’accord, puisque vous m’avez dit que vous n’avez pas été persécuté pour un des cinq motifs, vous ne correspondez pas à la définition de réfugié au sens de la Convention. Donc, je vais examiner votre demande d’asile pour voir si vous avez qualité de personne à protéger.

 

DEMANDEUR D’ASILE : D’accord.

 

[…]

 

COMMISSAIRE :    D’accord, donc, essentiellement, je dois savoir, étant donné que vous dites que vous êtes exposé à une menace à votre vie, je dois savoir ce que vous craignez, qui vous craignez, et pourquoi la ou les personnes ou le ou les groupes de personnes que vous craignez, voudraient vous faire du mal. D’accord?

 

DEMANDEUR D’ASILE : D’accord.

 

COMMISSAIRE :    Maintenant, les principaux problèmes  concernant votre demande d’asile sont : retard à présenter la demande parce qu’il y a quelque temps que vous avez quitté votre pays.

 

DEMANDEUR D’ASILE : Oui.

 

[…]

 

COMMISSAIRE :    Et puis, l’autre problème, c’est le fait de ne pas avoir présenté de demande ailleurs. Comme vous étiez aux États‑Unis, je vais vous demander pourquoi vous n’avez pas demandé l’asile aux États‑Unis.

 

DEMANDEUR D’ASILE : D’accord.

 

COMMISSAIRE :    Et puis, il y aura la crédibilité. D’accord, la crédibilité est un élément à aborder dans toutes les demandes d’asile et cela concerne ce que vous avez écrit et ce que vous déclarerez, si je le crois, d’accord?

 

DEMANDEUR D’ASILE : D’accord.

 

COMMISSAIRE :    Et pour évaluer la crédibilité, nous verrons également s’il y a des omissions ou des contradictions, ou s’il y a des incohérences dans vos éléments de preuve, d’accord? Par exemple, vous pouvez avoir dit quelque chose à l’agent d’immigration, mais avoir écrit autre chose dans votre exposé circonstancié, et puis vous venez ici et vous pourriez me dire quelque chose d’autre à l’audience. Donc, cela équivaudrait à des contradictions ou des incohérences dans votre témoignage ou vos éléments de preuve, d’accord?

 

Ensuite, l’autre question que j’examinerai, c’est la protection de l’État. Si vous aviez des problèmes au Guatemala, avez‑vous fait appel à la police? Et si vous avez fait appel à la police, qu’est-ce que ça a donné, d’accord … et pourquoi vous croyez que la police ne peut pas vous protéger en raison de vos problèmes au Guatemala.

 

Et ensuite, je vais aussi essayer de … je devrai établir qui est l’agent de persécution, comme la personne que vous craignez, vous savez. Quel groupe de gens, leur profil, pourquoi, vous savez, pourquoi ces personnes vous veulent du mal.

 

Donc, ce sont les questions, d’accord?

 

(Dossier certifié du tribunal, aux pages 185 à 188.)

 

COMMISSAIRE :    Monsieur, je comprends ce que vous dites, mais il faut ici déterminer si vous avez prouvé que vous craignez la criminalité. Ces gens, ils recrutent des personnes, des jeunes, et si les jeunes ne font pas ce qu’ils demandent, ils les menacent, ils leur font du mal, d’accord? Et puis, ils ont extorqué de l’argent à votre famille, ou ils ont … tenté de leur extorquer de l’argent.

 

DEMANDEUR D’ASILE : Oui.

 

COMMISSAIRE :    C’est ce que vous avez montré. Et c’est un risque de préjudice généralisé, qui est la criminalité, qui est, … pas comme … tout citoyen du Guatemala serait exposé à ce risque parce que ces gens sont des criminels, ce sont les groupes criminels MS 13 et 18.

 

(Dossier certifié du tribunal, à la page 209.)



 

 

[6]               En réponse à l’argument d’équité soulevé par l’avocat du demandeur, l’avocat du défendeur a soutenu à juste titre que les demandeurs qui se représentent eux-mêmes n’ont pas droit à un degré d’équité procédurale plus élevé que les autres (Turton c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [2011] ACF no 1526; Adams c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2007 CF 529). Pour cette raison, l’avocat du défendeur prétend que : le demandeur savait qu’il lui revenait d’établir le bien‑fondé de sa demande d’asile au regard de l’article 97; le risque généralisé fait partie de ce fardeau de preuve; et la commissaire de la SPR n’était nullement obligée de le préciser au demandeur.

 

[7]               Cependant, les éléments qui suivent sont aussi justes : il faut indiquer aux demandeurs qui se représentent eux‑mêmes les « points saillants du droit et de la procédure » (Wagg c Canada, [2003] ACF no 1115); il est primordial d’assurer une audience équitable; la teneur des droits procéduraux reconnus à une partie dépend du contexte et est déterminée au cas par cas (Law c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 20076 CF 160, au paragraphe 19; Nemeth c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 590, au paragraphe 13; Kamtasingh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 45).

 

[8]               Étant donné la nature de la demande d’asile du demandeur, et étant donné que la commissaire de la SPR a axé l’examen de celle‑ci sur le risque généralisé, j’estime que le demandeur n’a pas bénéficié de l’équité procédurale parce que la commissaire de la SPR ne l’a pas raisonnablement informé des caractéristiques aux plans du droit et de la preuve du concept de risque généralisé. Par conséquent, j’estime que la décision visée par le contrôle contient une erreur susceptible de contrôle.

 

[9]               Par conséquent, l’avocat du demandeur ne propose aucune question à certifier; toutefois l’avocat du défendeur soulève la question suivante : la Section de la protection des réfugiés de la CISR est‑elle tenue, en vertu du principe de l’équité procédurale, d’expliquer au demandeur le fardeau de preuve dont il doit s’acquitter lorsqu’il se représente lui‑même?

 

[10]           J’estime qu’il n’est pas opportun de certifier la question parce qu’elle n’est pas de portée générale. Le droit sur cette question est bien établi comme il est expliqué dans les motifs donnés : la teneur des droits procéduraux reconnus à une partie dépend du contexte et est déterminée au cas par cas. Le manquement à l’équité procédurale en l’espèce reposait sur les faits propres à l’affaire.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la décision visée par le présent contrôle soit annulée, et que l’affaire soit renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’il rende une nouvelle décision.

 

Il n’y a pas de question à certifier.

 

                                                                                                            « Douglas R. Campbell »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Line Niquet


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1242-11

 

INTITULÉ :                                      JOSE LUIS HERNAN MARTINEZ SAMAYOA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 15 décembre 2011

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LE JUGE CAMPBELL

 

DATE DES MOTIFS ET

DE L’ORDONNANCE :                 Le 16 avril 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

J. Byron M. Thomas

et

Jeffrey L. Goldman

 

POUR LE DEMANDEUR

Modupe Oluyomi

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

J. Byron M. Thomas

Avocat

Toronto (Ontario)

 

et

 

Jeffrey L. Goldman

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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